André Jean Marie BROCHANT DE VILLIERS (1772-1840)


Lithographie de J. Boilly, vers 1820.

 

Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III :

BROCHANT DE VILLIERS, né le 6 août 1772, mort le 16 mai 1840, après avoir suivi l'enseignement de Werner à Freyberg, en 1791-1792, fut admis, en novembre 1793, à l'École des Ponts et Chaussées, la seule École spéciale restée debout dans la tourmente révolutionnaire. Reçu, l'année suivante, au premier concours pour l'École Polytechnique, il fut du nombre de ces chefs de brigade auxquels Monge devait faire subir un entraînement spécial, en vue de les mettre en état de servir de moniteurs à leurs camarades. Son goût pour la Minéralogie lui fit préférer l'École des Mines dès sa constitution en 1794. Là aussi il eut à remplir, aussitôt son entrée, ces mêmes fonctions de moniteur, pour prendre ensuite, lors de la translation de cette dernière École à Pesey, la chaire de Minéralogie et de Géologie qu'il ne devait quitter que trente-trois ans après, en 1835 ; il venait de donner sa démission pour céder son cours, scindé en deux, l'un de Minéralogie, l'autre de Géologie, à ses deux collaborateurs de la Carte géologique, Dufrénoy et Élie de Beaumont.

Brochant de Villiers était, depuis 1816, membre de l'Académie des Sciences.




 

Informations extraites de l'article intitulé BROCHANT DE VILLIERS ET LES ALPES, par Philippe Grandchamp ; publié dans 116e Congr. Nat. Soc. Sav. Chambéry 1991, Histoire des Sciences et Techniques, pp. 39-60 :

Brochant de Villiers distinguait, avec Werner, dans la minéralogie entendue lato sensu :

En d'autres termes, la minéralogie devait apprendre : les caractères extérieurs, physiques (électricité, magnétisme), chimiques, les parties constituantes, les modes de gisement et les localités, enfin les usages des minéraux, minerais et roches.

Les travaux de Brochant sur la Tarentaise se trouvent essentiellement dans :

  • Observations géologiques sur des terrains de transition qui se rencontrent dans la Tarentaise et autres parties de la chaîne des Alpes, 1806 (Journal des mines, t. XXIII).
  • Terrains de gypse ancien qui se rencontrent dans les Alpes, mémoire lu à l'Institut le 11 mars 1816.

    Philippe Grandchamp met en relief l'évolution des idées de Brochant sur les Alpes. Par exemple, à la veille de son voyage de 1802, il écrit :
    Mon but principal dans cette course n'est pas de chercher à faire quelque observation nouvelle. Toutes ces vallées ont été tant de fois visitées par les géologues, et surtout par Saussure, que nous ne devons pas espérer d'ajouter beaucoup à ses descriptions.
    Il part donc avec ses élèves de l'Ecole des Mines de Moutiers, mais quatre ans plus tard le ton a changé :
    Toute ce que l'on connaît sur la constitution des Alpes est entièrement vague, l'illustre Saussure a réuni beaucoup d'observations, mais il a fait peu de rapprochemens et n'a tiré aucune conclusion.


    Les grandes courses géologiques de Brochant et ses élèves dans les Alpes en 1802, 1806 et 1813. Les courses de 1802 et 1806 furent écourtées ; seule la course de 1813 se déroula comme prévu, avec notamment le franchissement du Saint-Gothard.
    Extrait de : BROCHANT DE VILLIERS ET LES ALPES, par Philippe Grandchamp ; publié dans 116e Congr. Nat. Soc. Sav. Chambéry 1991, Histoire des Sciences et Techniques, pp. 39-60

    Quel fut le coût du grand voyage de 1813 de Brochant et de ses élèves ? Toujours d'après Philippe Grandchamp (lettre du 29 septembre 1813 adressée au Conseil Général des Mines) :

    Indemnité du professeur à 12 F pendant 26 jours ......... 312 F
    Cheval pour le professeur à 6 F pendant 26 jours ........ 156 F
    Cheval de bagage à 6 F pendant 26 jours ................. 156 F
    Guide habituel à 6 F pendant 26 jours ................... 156 F
    Indemnité de M. Gardien, aspirant, à 7 F pendant 28 jours 196 F
    Frais de guides particuliers pendant 28 jours à 2 F .....  56 F
    Cheval pour M. Gardien à 6 F pendant 28 jours ........... 168 F
    Indemnité de M. Parrot, élève, à 5 F pendant 26 jours ... 130 F
    Indemnités des 7 autres élèves, pendant 28 jours à 5 F .. 980 F
                                      total ................ 2310 F
                dépenses diverses pour des minéraux, etc ...   50 F
                                                             2360 F
    


    L'exploration géologique des environs de Moutiers et de la Tarentaise : vallées et localités visitées par Brochant et ses élèves. La nomenclature des roches est celle donnée par Brochant.
    Extrait de : BROCHANT DE VILLIERS ET LES ALPES, par Philippe Grandchamp ; publié dans 116e Congr. Nat. Soc. Sav. Chambéry 1991, Histoire des Sciences et Techniques, pp. 39-60

    Philippe Grandchamp a relevé dans le carnet de Despine, un élève de Brochant en 1812-1813, que Brochant donne, pour commencer, 19 leçons de minéralogie. Ensuite, du 20 au 30 juillet, il aborde la géologie (11 leçons). Son contact avec les élèves est excellent : «Mr. Brochant, très gai, rit quand nous dormons». Le 30 juin, il se rend même au chevet de Parrot, qui est malade, et y reste «depuis 7 heures environ jusqu'à 9 heures 1/2 ». Il se soucie également de la formation des élèves. A l'issue de la leçon sur le fer, «Mr. Brochant a beaucoup parlé des perfectionnemens à faire à l'Ecole; il voudroit que les élèves restassent 3 ans au moins à l'Ecole ».




     

    Publié dans la Notice historique sur le troisième fauteuil de la section de minéralogie lue dans la séance publique annuelle du 17 décembre 1928 par Alfred LACROIX, Secrétaire perpétuel :

    André-Jean-Marie BROCHANT DE VILLIERS est né au château de Villiers, près Mantes, le 6 août 1772, pendant l'exil de son père, magistrat au Parlement de Paris dissous par un édit royal du 13 avril 1771. Devenu orphelin, il fut élevé par sa mère et par les Oratoriens du collège de Juilly, où il reçut une forte éducation classique et prit le goût de l'histoire naturelle. En 1791, à l'âge de 19 ans, il part pour Freiberg attiré par la renommée de Werner, avec l'intention de suivre plus tard les cours de l'Ecole des mines de la Monnaie. Mais il subit un sort analogue à celui de Duhamel ; quand il revient en France, l'École de Sage a disparu. En novembre 1798, il entre à celle des ponts et chaussées, le seul établissement échappé à la tourmente.

    Lorsque, peu après, la création de l'École polytechnique fut envisagée, l'on résolut de constituer une école préparatoire réunissant des sujets d'élite, des « chefs de brigade » destinés à l'encadrement des élèves du futur organisme. En août 1794 Brochant de Villiers y est admis à la suite d'un brillant concours, où Monge le distingue d'une façon particulière.

    Malgré ce succès, il ne devait pas être élève de l'École Polytechnique définitivement créée le 7 vendémiaire an III (28 septembre 1794), car, dans l'intervalle, avait été constituée l'Agence des mines et ouvert un concours pour le recrutement d'élèves destinés au Corps des mines organisé au mois d'octobre de la même année. Brochant retrouvait ainsi sa voie. Il est le major de cette première promotion et déjà son mérite le fait choisir comme adjoint au professeur d'un cours préparatoire.

    L'année suivante, l'Agence des mines devient le Conseil des mines et la nouvelle école est modifiée à son tour; le nombre de ses élèves est réduit de 40 à 20 à la suite d'un concours entre les titulaires, le recrutement devant se faire pour les promotions suivantes, comme il se fait encore, parmi les élèves de l'Ecole polytechnique, désormais spécialisée; dans ce concours, Brochant fut classé au premier rang; il était nommé ingénieur « en pied » en 1800. La loi du 30 vendémiaire an IV ne s'était pas bornée à réorganiser l'Ecole des mines; elle l'avait transformée en école pratique et transportée, - on a dit déportée, - de Paris au voisinage des neiges et d'un filon de plomb, à Pesey, pauvre village des montagnes de la Tarentaise, d'où elle devait bientôt descendre dans la vallée, à Moutiers ; elle y subsista jusqu'à nos revers de 1814, jusqu'à la perte de la Savoie. Brochant de Villiers y fut chargé des leçons de minéralogie et de géologie, et cet enseignement qui fut particulièrement brillant, il le conserva lorsqu'en 1815 l'École fut ramenée à Paris; on lui doit d'avoir été le premier organisateur de sa belle collection de minéraux.

    Devenu plus tard inspecteur général, très absorbé par les affaires administratives du ressort du Conseil général des mines, et notamment par le règlement sur les Sociétés anonymes formées pour l'exploitation minière, il se fit suppléer dans l'ensemble de son enseignement par Dufrénoy, en 1825, puis, à partir de 1827, par Dufrénoy, pour la minéralogie et par Elie de Beaumont pour la géologie. Enfin il abandonna définitivement le professorat en 1835, non sans avoir, au préalable, fait consolider l'indépendance des chaires consacrées à ces deux sciences et titulariser ses deux élèves, les réalisateurs de la Carte géologique de la France, qui, plus que toute autre oeuvre, a assuré la pérennité de sa mémoire.

    Après de longs mois de maladie, Brochant de Villiers, parvenu au faîte des honneurs dans le Corps des mines, s'éteignit le 16 mai 1840.

    Malgré son long professorat en minéralogie, il n'a publié (an IX-an XI) qu'un seul Ouvrage important sur cette science. Le titre de ses deux volumes est très symptomatique de leur objet.

    « Traité élémentaire de Minéralogie, suivant les principes du professeur Werner, Conseiller des mines de Saxe. Rédigé d'après plusieurs Ouvrages allemands, augmenté des découvertes les plus modernes, et accompagné de notes pour accorder sa nomenclature avec celle des autres minéralogistes français et étrangers. »

    L'influence de Werner se manifestait par son enseignement oral de l'École des mines de Freiberg, beaucoup plus que par ses livres. C'est surtout dans ceux de ses élèves qu'étaient exposées ses idées, d'ailleurs souvent modifiées ou déformées par eux. Brochant voulut les faire connaître en France et il s'est donné beaucoup de mal pour dégager de toute adjonction parasite la pure doctrine wernérienne concernant la classification et la nomenclature des minéraux envisagés au point de vue de leurs caractères extérieurs. Il s'est efforcé aussi d'établir une synonymie exacte permettant aux minéralogistes des différents pays de se comprendre. Mais, élève d'Haüy qui, un an plus tard, en 1801, allait faire paraître son célèbre Traité de minéralogie, il a ajouté à cet ensemble de timides notions cristallographiques, quelques analyses chimiques, des indications sur des gisements français et enfin la description des nouvelles espèces minérales établies par divers auteurs et notamment par Haüy.

    L'Ouvrage se termine par un traité des roches où, aux données dues à Werner, sont adjointes, notamment pour les matières volcaniques, de nombreuses notions dues à Dolomieu. Cet ouvrage d'érudition ne manqua pas d'utilité en son temps.

    Plus tard, il a publié une traduction abrégée du Mémoire de Weiss sur la détermination des caractères géométriques des cristaux.


    Comme géologue, Brochant de Villiers a eu surtout de l'action sur ses élèves de l'Ecole des mines du Mont Blanc; il ne se contentait pas de leur faire des cours ex cathedra, il les entraînait à sa suite dans des excursions sur le terrain qu'il avait appris lui-même à connaître sous la direction de Dolomieu. Il a laissé, en outre, trois Mémoires sur la géologie alpine.

    En 1808, l'on distinguait dans les Alpes les « Terrains secondaires » contenant des fossiles et les « Terrains primitifs » ne renfermant ni organismes ni roches de transport. Brochant a précisé la répartition des terrains secondaires dans ce que l'on appelle aujourd'hui les Chaînes subalpines et il a montré fort judicieusement l'importance de la grande dépression que nos géologues désignent sous le nom le « sillon subalpin » et qui sépare les Chaînes subalpines du reste des Alpes.

    Il a cherché à démontrer que les Terrains primitifs des Alpes, comprennent ce que Werner venait de définir sous le nom de « Terrains de transition» caractérisés par des roches de transport et de rares fossiles. Il leur a rapporté, en particulier, les marbres de Villette, près Moutiers, associés à des pondingues [ces roches appartiennent au Lias et au Flysch de la zone des Aiguilles d'Arve] et de l'anthracite, notamment entre Moutiers et Bourg Saint-Maurice [zone houillère du Brianconnais | et à Chandolin en Valais [zone houillère pennine des géologues suisses] ; il y a découvert des empreintes végétales.

    Un autre Mémoire, datant de 1817, est consacré au gypse et au Terrain de transition des Alpes. On y voit figuré un Céphalopode des marbres de Villette où ses successeurs n'ont pu retrouver de fossiles. Son étude des gypses est assez confuse au point de vue général, mais elle contient de bonnes descriptions locales. Brochant a bien vu et interprété correctement les entonnoirs d'effondrement constituant l'un des caractères si particuliers des zones gypseuses des Alpes. Il conclut, avec juste raison, que ces gypses n'appartiennent pas au Terrain primitif, qu'ils sont intercalés dans son Terrain de transition, alors que d'autres sont plus jeunes. Nous savons aujourd'hui que tous sont d'âge triasique.

    Dans son dernier Mémoire (1809) consacré aux roches granitoïdes du Mont Blanc et d'autres cimes centrales des Alpes, il est moins heureux; il conteste la nature granitique du granite du Mont Blanc que Jurine venait d'appeler protogine, mais, par contre, il signale de véritables granites dans les Alpes italiennes, notamment celui de Baveno, auquel il fait une place à part parmi les granites alpins.

    Ces trois Mémoires ne manquent pas d'observations ni d'interprétations, nouvelles pour l'époque, et s'ils laissent parfois une impression d'obscurité, ce serait injustice que d'en faire grief à leur auteur, puisque, malgré plus de cent ans de brillants efforts, les géologues étudiant ces belles régions discutent encore sur nombre de points, et qui sont d'importance.


    Mais j'ai hâte d'arriver à la carte géologique de la France. L'idée de représenter sur une carte la nature du sol d'un pays n'était pas nouvelle. Elle avait été réalisée pour la première fois par Guettard ; son ébauche de carte géologique de la France (1751) a fait de lui l'ancêtre des Services géologiques du monde entier. Plus tard, il laissa le soin de continuer son entreprise à son collaborateur Monnet. Le but de cette carte était, d'ailleurs, purement utilitaire, il s'agissait de satisfaire aux besoins de l'industrie minérale et de l'agriculture. Il n'est pas utile de rappeler à ce propos que Guettard eut comme assistant Lavoisier, qui fût certainement devenu un grand géologue si son génie ne l'avait entraîné à la chimie.

    Le décret du 18 messidor an II, créant le Corps des mines, avait spécifié que ses ingénieurs devaient rechercher les substances minérales dans leurs arrondissements respectifs et tracer leurs découvertes sur des cartes. Plus tard, quelques importants Mémoires avaient été publiés, tels l'Essai sur la géographie ininéralogique des environs de Paris, de Cuvier et Alexandre Brongniart, l'Essai sur la constitution géognostique des Pyrénées, de J. de Charpentier. Mais il n'existait pas de carte d'ensemble.

    Dès 1811, Brochant de Villiers avait soumis au Directeur général des mines un projet de carte géologique et l'on trouve la trace de cette préoccupation dans le décret du 5 décembre 1816 confiant au Conseil de l'École des mines la mission de travailler à une telle entreprise.

    D'ailleurs, de 1810 à 1813, J.-J. D'Omalius d'Halloy, avait dressé en collaboration avec Coquebert de Monbret, un Essai d'une carte géologique de la France, des Pays-Bas et de quelques contrées voisines, à l'aide des observations et des documents recueillis par eux et par leurs devanciers.

    En 1822, le Conseil de l'Ecole des mines, recevant la première carte géologique de l'Angleterre que venait de publier Greenough, saisissait cette occasion pour soumettre à l'administration supérieure un programme dû à Brochant, ayant pour but de doter la France d'une carte similaire. Dès lors, cette grande entreprise était sur la voie de la réalisation. L'année suivante, Becquey, l'actif directeur des ponts et chaussées et des mines l'adoptait, et en 1827, une note publiée dans les Annales des Mines en traçait le plan définitif. Brochant de Villiers était chargé de la direction, Dufrénoy et Elie de Beaumont de l'exécution du travail. Les trois ingénieurs partirent en Angleterre pour un voyage de préparation, afin de bénéficier de l'expérience des géologues anglais, et de se familiariser avec les divisions stratigraphiques établies par eux.

    Dès 1826, Dufrénoy et Elie de Beaumont étaient à l'oeuvre; à chacun Brochant avait assigné sa tâche. A partir de l'année suivante, de Billy fut adjoint à Dufrénoy, et Fénéon à Elie de Beaumont. Les travaux sur le terrain furent menés avec beaucoup d'activité pendant les étés de 1825 à 1829; de 1830 à 1834 eurent lieu des tournées de coordination en commun.

    Brochant de Villiers put assister à l'achèvement de cette oeuvre considérable dont il avait été l'inspirateur et le directeur; il présenta la minute de la carte à l'Académie, le 30 novembre 1835, mais il n'eut pas la joie de voir paraître la carte elle-même, car son tirage définitif ne fut effectué qu'en 1842, c'est-à-dire après sa mort (16 mai 1840).

    L'échelle choisie était le 1/500 000 ; c'était là une première approximation; à tous égards, il était nécessaire de dresser une carte à plus grande échelle, réclamée par le développement rapide de la géologie et de l'industrie nationale.

    Sur l'instigation de Brochant de Villiers, les ingénieurs du Corps des mines, disséminés à travers la France, furent invités à entreprendre des cartes géologiques départementales dont la publication devait être laissée aux administrations locales; cinquante-neuf ont vu le jour, à partir de 1835; elles sont généralement accompagnées d'un texte explicatif, constituant parfois de précieuses monographies régionales.

    Les Expositions universelles de 1855 et de 1867 fournirent l'occasion de coordonner ces résultats, souvent disparates et de valeur inégale; ils servirent à dresser des cartes d'ensemble, sous la direction de Dufrénoy et d'Élie de Beaumont, d'abord, puis d'Elie de Beaumont; elles préparèrent la création, en 1868, du Service de la Carte géologique détaillée de la France. Il fut dirigé par Elie de Beaumont, mais en réalité organisé par de Chancourtois et mis en route par une brillante équipe de jeunes et ardents géologues pleins d'avenir : Potier, de Lapparent, Fuchs, et aussi M. Douvillé que nous sommes heureux de compter encore parmi nous. Après soixante années de travail continu, effectué par l'élite des géologues français, sous la savante direction de Jacquot, puis de nos confrères A. Michel-Lévy et Pierre Termier, cette belle et monumentale carte au 1/80000 est aujourd'hui [1928] presqu'achevée.

    Alfred LACROIX (1928).


     

    Lettre du 29 juin 1825 de Becquey à Brochant de Villiers, Inspecteur Divisionnaire des Mines. Nous remercions particulièrement Jean Gaudant qui a retranscrit cette lettre, trouvée dans le dossier Elie de Beaumont - Ms 65, dossier IV- lettre 8.

    
    Division des Mines						Paris le 29 juin 1825
    Carte géologique générale
    De la France
    Cartes déples géologiques & 
    Minéralogiques
    
    
       Monsieur, j'ai donné une attention particulière au nouveau rapport 
    que vous venez de m'adresser sur les moyens d'exécution d'une carte géologique de la france.
       J'ai relu les premières observations que le Conseil de l'Ecole
    royale des mines m'a adressées à ce sujet, ainsi que votre rapport du 15 juin 1822 
    et l'avis du conseil.
       Tous ces documents m'ont affermi dans la résolution que je vous ai annoncée, dès 1820, 
    de faire exécuter une carte géologique de la france.
       Le travail est important, les résultats doivent être éminemment utiles et son exécution 
    ne peut qu'être honorable pour le corps royal des Ingénieurs des mines. J'approuve en conséquence 
    les diverses dispositions que vous m'avez proposées, de concert avec le conseil de l'Ecole.
       La description minéralogique de la France devra donc comprendre  toutes les indications 
    relatives à la nature du sol, qui peuvent intéresser à la fois la géologie, l'art des mines, 
    et tous les autres arts qui s'exercent sur les substances minérales ; ainsi que les  diverses 
    natures de terrains, leurs rapports, leurs limites, les gites de minéraux utiles exploités ou non, 
    enfin la position des usines  minéralogiques.
       Afin de présenter, sans confusion, des indications multipliées et souvent très rapprochées, on dressera
       1° une carte Géologique générale de la France, comprenant toutes les indications de nature de terrain.
       2° des cartes Départementales géologiques et minéralogiques
    
       Le travail commencera par la carte géologique générale et je pense comme vous que 
    les opérations ne peuvent être bien faites que par des Ingénieurs spéciaux, attachés 
    à ce travail, s'en occupant avec suite et chaque année. Ils voyageront pendant la belle saison, 
    et s'occuperont pendant l'hyver  de classer mettre en ordre  et étudier les matériaux  qu'ils 
    auront recueillis. Ils en conféreront avec l'Ingénieur dirigeant le travail et ils en traceront 
    ensuite les résultats sur des cartes.
       La division Géologique, que vous proposez, du travail entre les Ingénieurs, m'a paru claire et précise.
       Je suis facilement la ligne diagonale sinueuse par laquelle vous partagez la France allant 
    du nord-ouest au sud-Est et longeant depuis le calvados la limite du grand massif de craie 
    jusqu'auprès de Saumur, de chatellerault et d'auxerre, puis se retournant vers avallon et châlons 
    et audelà, suivant le cours de la saone et du rhône.
       Ainsi une division dite de l'Est, comprendra les systèmes des ardennes, des vosges et des Alpes.
       L'autre dite de l'ouest, renfermera le système de la Bretagne, le Système central et le système des Pyrénées.
       Mon intention est de vous confier, ainsi que je vous l'ai annoncé et conformément au vœu du 
    conseil de l'Ecole royale des mines, la direction de cette grande opération.
       MM. Dufrenoy et Elie de Beaumont sont vos anciens élèves : les principes seront les mêmes 
    et ils me paraissent comme à vous, par leurs études spéciales et Géologiques, et par les connaissances 
    particulières qu'ils ont acquises lorsqu'ils vous ont accompagnés dans votre mission en angleterre, 
    les Ingénieurs les plus propres à faire les études préparatoires et à vous seconder.
       ainsi il y aura unité d'intention et d'action.
       M. Dufrenoy sera chargé de la Division de l'ouest et M. Elie de Beaumont de la Division de l'Est.
       vous savez que je les ai déjà autorisés à se mettre en route pour leur destination.
       En 1825 Mr Dufrenoy s'occupera particulièrement du système des Cevennes et Mr Elie de Beaumont 
    du système des alpes.
       J'approuve, au surplus, la marche que vus indiquez pour l'exécution de l'entreprise. Les détails 
    dans lesquels vous êtes entré [sic] se comprennent aisément et je vous autorise à donner à mm. Dufrenoy 
    et Elie de Beaumont toutes les Instructions que vous jugerez convenables.
       Indépendamment des opérations que ces Ingénieurs feront par eux-mêmes, ils réuniront, en s'adressant 
    aux Ingénieurs stationnés dans chaque arrondissement minéralogique, tous les renseignemens et documens 
    locaux propres à faciliter leurs recherches, la lettre de mission que je leur écrirai contiendra une 
    invitation spéciale à ce sujet adressée à ces Ingénieurs.
       Lorsque le travail de la carte Géologique générale sera assez avancé pour que l'on puisse s'occuper 
    avec utilité des cartes départementales minéralogiques et géologiques, je vous prie de me le faire connaître.
       Je pense dès à présent, comme vous, que ce travail peut être fait, avec avantage, par les Ingénieurs 
    stationnés dans les arrondissements.
       Chaque année je vous prie de me faire connaître à l'avance la dépense probable car les ressources 
    sont si bornées qu'il faut que je sois assuré de pouvoir faire face aux dépenses avant de les autoriser.
       D'après les indications que vous avez présentées, la dépense totale de 1825 sera d'environ 
    trois mille francs, tout compris.
       J'ai l'honneur d'être avec la considération la plus distinguée,
       Monsieur,
       Votre très humble et très obéissant serviteur
    
                              Le Conseiller d'Etat Directeur Général
                              Des Ponts et chaussées et des mines
    
                              Signé Becquey
    
    




     

    Le document suivant est extrait des TRAVAUX DU COMITE FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGÉO), TROISIÈME SÉRIE, t. XIX, 2005, n° 9 (séance du 14 décembre 2005).

    Le cours de géologie professé par Brochant de Villiers à l'École des mines dans les années 1810
    par Philippe GRANDCHAMP

    Résumé. En 1802, André-Jean-Marie Brochant de Villiers (1772-1840) est nommé professeur de minéralogie et de géologie à l'École des mines. Prenant la tâche d'enseignant qui lui est confiée très à cœur, le jeune professeur met en place un enseignement de géologie - science alors naissante -alliant leçons magistrales et sorties sur le terrain. En s'appuyant sur les cours pris en note par deux élèves, on analyse le contenu des leçons de géologie professées entre 1810 et 1814, alors que l'École des mines était installée à Moûtiers et à Pesey (aujourd'hui Peisey-Nancroix), en Tarentaise. L'étude de ces documents d'archives-montre que Brochant de Villiers s'est efforcé de construire un cours à la fois complet et équilibré, délaissant les considérations théoriques au profit de nombreuses indications pratiques pouvant s'avérer utiles pour de futurs ingénieurs des mines. En outre, il apparaît à la lecture de ces pièces restées inédites que Brochant de Villiers n'était pas le disciple inconditionnel de Werner qu'on a parfois dépeint. Ses leçons de géologie contiennent aussi en germe certains thèmes qui seront développés plus tard avec éclat par son élève le plus illustre, Léonce Élie de Beaumont.

    J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter les cours de géologie professés en 1805 et 1808 par Cuvier au Collège de France, ainsi que le cours de géognosie donné quelques années plus tard (en 1813) par Alexandre Brongniart à la faculté des sciences de Paris.

    Aujourd'hui, c'est d'un autre cours de géologie, professé vers la même époque, que j'ai choisi de vous entretenir : je veux parler de celui que donna Brochant de Villiers à l'École des mines dans les années 1810. Pour ce faire, je m'appuierai sur les leçons prises en note durant ces années-là par les élèves Adolphe-Yves-Thomas Dubosc (promotion 1809), qui a suivi les cours de 1810 et 1811, et Charles-Marie-Joseph Despine (promotion 1812) qui a assisté à ceux de 1813 et 1814.

    L'étude du cours de Brochant de Villiers apparaît d'autant plus intéressante que son contenu n'a jamais été publié. Dans la préface de la première édition de son Traité de géologie, Albert de Lapparent ne manque d'ailleurs pas de le déplorer : « ceux qui ont occupé avec éclat les chaires de notre enseignement officiel semblent tous avoir manqué du loisir nécessaire pour rédiger leurs savantes leçons », écrit-il, avant d'ajouter : « Brochant de Villiers s'est contenté de traduire de la Bèche » [de Lapparent, 1883, p. V]. Et Alfred Lacroix ne dit pas autre chose quand il fait remarquer qu'en dépit du long professorat qu'il a exercé, Brochant de Villiers n'a publié qu'un seul ouvrage important, son Traité de minéralogie (an IX - an XI) [Lacroix, 1928, p.20 et 1932, p.27].

    À vrai dire, on trouve bien dans la littérature géologique quelques échos relatifs au contenu du cours de Brochant, mais ceux-ci ne sont guère éclairants car beaucoup trop sommaires et en partie contradictoires. Ainsi Ami Boué affirme que, dans ses cours de géologie à l'École des mines, Brochant de Villiers « tâchait de tenir un juste milieu entre Werner et Brongniart, c'est-à-dire entre un exposé des roches considérées géologiquement, et un classement simplement minéralogique » [Boué, 1835, p. 420] ; tandis que le général Emile Jourdy [1845-1940, X 1864, général de division] rapporte qu'aux dires de Voltz (promotion 1805), l'enseignement de Brochant était celui d'un « admirateur fanatique de l'Allemand Werner » qui faisait trop peu de cas de l'utilisation des fossiles pour l'étude des terrains sédimentaires [Jourdy, 1917, p.5]. Nous verrons ce qu'il faut penser de ces témoignages qui ne sont, après tout, que de seconde main.

    Enfin, il est encore une raison pour laquelle le cours de Brochant mérite d'être étudié : c'est qu'il fut enseigné à toute une génération de géologues : celle des Voltz (cf. supra), mais aussi celle des Dufrénoy (promotion 1813) et des Élie de Beaumont (promotion 1819), qui furent les élèves de Brochant avant de devenir ses collaborateurs. Dans quelle mesure ce cours, qui a servi en quelque sorte de formation initiale à ces futurs géologues, a-t-il contribué à mettre en place la géologie qu'ils ont développée pius tard ?

    On le voit, les raisons ne manquent pas, qui nous poussent à nous intéresser à ce cours. Mais avant d'en examiner le contenu, il est nécessaire de donner des indications sur la biographie de son auteur, Brochant de Villiers, car ce dernier est beaucoup moins connu que les autres géologues dont j'ai cité les noms. Ce faisant, j'insisterai, bien entendu, sur les aspects plus spécialement liés à son professorat.

    I. André-Jean -Marie Brochant de Villiers, professeur de géologie à l'École des mines

    André-Jean-Marie Brochant de Villiers est né à Mantes-la-Ville le 6 août 1772. À l'âge de 19 ans, attiré par la renommée de Werner, il part étudier la minéralogie à la Bergakademie de Freiberg où il séjourne de 1791 à 1793. De retour en France, il est reçu (en 1794) dans la première promotion d'élèves destinée au Corps des mines, qui vient d'être reconstitué. À sa sortie (en 1797), il est classé premier (sur 37 élèves). En 1800, il passe ingénieur en pied. Un an plus tard, on le trouve éditeur du Journal des Mines.

    En mars 1802, il est nommé professeur de minéralogie et de géologie à l'École des mines où il succède à Dolomieu, décédé l'année précédente [D'après Aguillon (1889, p. 61), à l'ouverture du cours de l'an VII (1798-1799), Alexandre BRONGNIART s'excusa, dans sa leçon inaugurale, de remplacer Dolomieu, parti pour l'expédition d'Egypte. On peut donc penser que ce dernier était resté titulaire de la chaire de géologie, même s'il n'enseignait plus]. Il conservera officiellement ses fonctions d'enseignant jusqu'en 1835, date à laquelle il démissionnera pour permettre la réorganisation de sa chaire ; celle-ci sera alors scindée en une chaire de minéralogie, confiée à Dufrénoy, et une chaire de géologie, attribuée à Élie de Beaumont [En réalité, ces deux proches collaborateurs de Brochant assuraient la suppléance de leur ancien professeur depuis 1827 (AGUILLON, 1889, p. 126-127)].

    Entre temps, Brochant est élu (en 1816) à l'Académie des sciences [En 1808, Brochant de Villiers a publié un mémoire très remarqué « sur les terrains de transition qui se rencontrent dans la Tarentaise et autres parties des Alpes » (Journal des Mines, t. 23, p. 321-380). Un autre mémoire « sur les terrains de gypse ancien qui se rencontrent dans les Alpes » devait être lu à l'Académie des sciences le 11 mars 1816 avant d'être publié l'année suivante (Annales des Mines, 1e série, t. 2, p. 257-300). Ce sont ces travaux qui ont ouvert à Brochant les portes de l'Institut, le 8 avril 1816]. À partir de 1823, il est chargé de diriger les travaux concernant le projet de la première carte géologique de France (dont il ne verra malheureusement pas l'achèvement) [Sur la préparation de la première carte géologique de France, voir GAUDANT, 1991]. Parallèlement à son parcours scientifique, Brochant poursuit une carrière de haut fonctionnaire : il devient directeur de la Manufacture de glaces de Saint-Gobain [C'est à ce titre qu'une rue (et par contrecoup une station du métro) du 17e arrondissement de Paris portent le nom de « Brochant » (HILLAIRET, 1964, vol. 1, p. 245)] et, comme couronnement d'un parcours aussi brillant que bien rempli dans le Service des mines, il accède au grade d'inspecteur général de première classe. Il meurt à Paris le 16 mai 1840.

    C'est donc le 27 ventôse an X (18 mars 1802) que Brochant de Villiers est nommé professeur de minéralogie et de géologie à l'École des mines. Il n'a pas tout à fait trente ans et, à la différence de ses deux collègues Baillet (chargé du cours d'exploitation des mines) et Jean Henri HASSENFRATZ (chargé du cours de minéralurgie), il n'est encore qu'ingénieur ordinaire. C'est dire le grand cas que l'on fait de lui. Pourtant, nous dit Migneron, son biographe, Brochant fut sans doute le seul qui ne se réjouit pas de la distinction qu'il recevait car « il connaissait l'étendue de la tâche qu'il aurait à remplir et il en était comme effrayé ». En effet, des deux sciences qu'il avait à enseigner, l'une (la minéralogie) était déjà très avancée, mais l'autre (la géologie) « était encore à peu près dans l'enfance » [MIGNERON, 1846, p. 721].

    En plus du souci d'avoir à construire un cours complet de novo, Brochant est confronté à des difficultés d'ordre matériel. Car le 23 pluviôse an X (12 février 1802), soit un mois avant sa nomination, un arrêté consulaire avait prononcé la suppression de l'École des mines de Paris et son remplacement par deux écoles pratiques implantées l'une à Geislautern, dans la Sarre, l'autre à Pesey (aujourd'hui Peisey-Nancroix), en Savoie (dans la vallée de la Tarentaise, au-dessus de Moûtiers).

    C'est dans ce dernier établissement (qui sera, en fin de compte, le seul à accueillir des élèves et des professeurs), que Brochant est chargé d'enseigner et, outre l'éloignement et les difficultés de communication, les conditions matérielles offertes sur place ne s'annoncent guère brillantes. Une lettre de Schreiber (le directeur de la nouvelle école) au Conseil des mines, datée du 5 messidor an X (24 juin 1802), permet de s'en faire une idée :

    « Citoyens Conseillers,

    Trois élèves, les Citoyens Héricart, Lelivec et Héraut se sont rendus à Moûtiers il y a 8 jours. Ils ont eu quelque embarras pour s'y loger et encore plus pour trouver à se nourrir à un prix qui n'excède pas leurs facultés. Les professeurs seront dans le même cas lorsqu'ils arriveront car on trouve bien quelques appartemens à Moûtiers, mais n'étant pas meublés, c'est comme s'il n'y en avait point. » [Arch, nat., F14 1047].

    Avant de prendre ses fonctions à Pesey, Brochant entreprend de rédiger une nomenclature des roches en langue française (ce qui revenait, dans les faits, à traduire en français la nomenclature établie par l'Allemand Werner). Car il est convaincu que la cause première du retard des études géologiques en France réside dans le fait qu'elles ne sont pas basées sur une nomenclature uniforme des roches. Telle est l'origine du Traité des roches que Brochant insérera à la fin du second volume de son Traité de minéralogie (imprimé en1803). [Ce faisant, Brochant réalisait un projet conçu par Dolomieu peu avant sa mort (GRANDCHAMP, 2005, p. 141). D'après MIGNERON (1846, p. 722), le canevas du Traité des roches a été fourni à Brochant par d'Aubuisson de Voisins, avec lequel il était intimement lié et qui passait alors pour être le disciple français le plus proche de la pensée de Werner (il avait donné en 1802 une traduction de la Nouvelle théorie de la formation des filons de Werner). D'Aubuisson publiera beaucoup plus tard - en 1819 - un Traité de géognosie qui fera date.]

    Ce petit Traité des roches (long de 82 pages) peut être considéré comme l'embryon du cours de géologie de Brochant de Villiers. L'importance que le jeune professeur accorde à la rédaction de cet ouvrage le contraint d'ailleurs à retarder son départ pour Pesey, ce qui lui vaut un rappel à l'ordre du Conseil des mines. Dans une lettre datée du 21 thermidor an X (9 août 1802), Brochant se justifie :

    « Je dois [...] vous assurer que la partie de cet ouvrage [le Traité de minéralogie] qui m'a le plus occupé dans ces derniers temps m'était absolument nécessaire, même pour remplir les fonctions dont vous m'avez chargé, et que, sous ce rapport, j'ai travaillé pour l'école pratique. Je veux parler du Traité des roches, cette branche de la minéralogie qui a toujours été la moins cultivée, celle sur laquelle nous n'avons que des fragments et aucun ouvrage complet ; celle enfin, je dois le dire, qui a été le moins bien saisie par le plus grand nombre de ceux qui l'ont cultivée. » [Lettre citée dans MIGNERON (1846. p. 723). On trouve des explications similaires dans une correspondance adressée par la direction de la nouvelle école au Conseil des mines le 11 messidor an X (30 juin 1802) (Arch, nat., F14 1049) Une note insérée au Journal officiel avait fixé l'ouverture du cours de minéralogie et géologie au 1er messidor an X (20 juin 1802).]

    Brochant finit par rejoindre son poste au début de l'automne. Ne disposant d'aucun matériel, il occupe ses élèves du mieux qu'il peut en organisant des courses géologiques dans les montagnes environnant l'école16 Dans une lettre adressée au Conseil des mines le 8 brumaire an XI (30 octobre 1802), il expose la façon dont il envisage d'organiser l'enseignement de la géologie à l'issue de ces premières semaines passés sur le terrain :

    « Je ferai ce que je pourrai, autant qu'il est possible de faire connaître les roches sans avoir des échantillons sous les yeux [...]. Ce sera plutôt des conférences sur la géologie qu'un véritable cours complet parce qu'il y aura des parties sur lesquelles je serai forcé de passer très légèrement faute de moyens pour les expliquer. » [Arch, nat., F14 1049].

    Heureusement, en janvier 1803, les bâtiments de l'ancien séminaire de Moûtiers sont affectés à l'école, qui prend le nom d'École pratique des mines du Mont-Blanc, et l'on commence à pourvoir à son équipement (constitution d'une bibliothèque et d'un cabinet minéralogique, aménagement d'un laboratoire, d'une salle de dessin et d'une salle des « modèles ») [GRANDCHAMP, 1990, p. 537-538]. En attendant le retour des élèves (disséminés, à l'approche de l'hiver, dans les divers établissements miniers de la région), Brochant, qui prend sa tâche d'enseignant très à cœur, effectue un voyage à Freiberg aux mois de floréal et prairial an XI (avril-mai 1803) afin, d'une part, de soumettre son Traité des roches à l'approbation de Werner avant publication et, d'autre part, de recueillir des suggestions pour son cours à Pesey-Moûtiers grâce à des conversations menées avec les savants professeurs composant la Bergakademie, sur les lumières desquels il compte beaucoup [MIGNERON, 1846, p. 222 ; BARBIAN, 1990, p. 563].

    À partir de cette année 1803, l'enseignement à l'École pratique des mines du Mont-Blanc s'organise selon un rythme qui restera pratiquement inchangé pendant dix ans. Les professeurs ne résident pas sur place toute l'année, mais se succèdent. Baillet donne son cours à l'automne, après l'arrivée de la nouvelle promotion d'élèves, Hassenfratz dispense le sien dans le courant de l'hiver et Brochant clôt la série entre mai et août, ce qui lui permet de prolonger son enseignement magistral par des voyages géologiques à travers les Alpes. Dans une lettre du 2 avril 1806, il explique au Conseil des mines la façon dont, au vu de l'expérience qu'il a maintenant acquise, il a choisi d'arranger son programme :

    « Voici ce qui me parait convenir le mieux pour le bien de l'école et l'instruction des élèves : 1° de ne donner aux élèves que quelques leçons de minéralogie afin seulement de les mettre en état de reconnaître les minéraux les plus communs des Alpes ; 2° de donner un cours de géologie complet (12 à 14 leçons de 2 heures). » [Arch, nat., F14 1049].

    Cela afin de pouvoir emmener le plus rapidement possible les élèves sur les sites qui lui semblent les plus intéressants et les plus pédagogiques. Car, à l'instar de son maître Dolomieu, il est convaincu qu'il n'y a que les sorties sur le terrain qui puissent former de bons observateurs en géologie :

    « L'expérience a prouvé que les élèves, même les plus forts dans les examens qui suivent les cours, sont presque toujours embarrassés lorsqu'ils commencent à observer la nature. Il est donc nécessaire qu'ils aient pu observer auparavant et dans le cours de leur année d'étude, ou avec le professeur lui-même comme cela a lieu souvent, ou seuls, mais dans une contrée antérieurement décrite, de manière que l'on puisse rectifier leurs observations dont ils sont toujours astreints à rendre compte. On ne doit pas oublier que les Ingénieurs des Mines seront appelés à décrire la constitution géologique du département dont ils doivent inspecter les mines. » [Arch, nat., F14 1049].

    En fait, les courses géologiques dirigées par Brochant n'eurent pas lieu chaque année. Outre celles organisées en 1802 (voir supra), il yen eut deux autres, l'une en 1806, l'autre en 1813 (c'est-à-dire au cours de la dernière année durant laquelle l'École pratique des mines du Mont-Blanc fonctionna normalement). Le détail des itinéraires suivis montre qu'ils étaient, en gros, calqués sur ceux décrits par Saussure dans ses Voyages dans les Alpes [GRANDCHAMP, 1993, p. 45-50].

    Après le repli de l'école sur Paris (en 1814), Brochant continuera de mettre en pratique le principe de ces sorties sur le terrain. Les carnets de l'élève Despine contiennent les comptes-rendus sommaires des deux « courses minéralogiques » organisées cette année-là sur des lieux rendus célèbres par les récents travaux de Cuvier et de Brongniart. Ainsi, le 8 septembre 1814, Brochant et ses élèves se rendent à Sèvres, grimpent sur le plateau de Bellevue et redescendent par Meudon en observant « les passages successifs de terrains » avant de visiter la carrière de craie de cette localité. Le lendemain, ils se rendent au nord de Paris pour une exploration des carrières à plâtre et des environs de Saint-Ouen [GRANDCHAMP, 1988, p. 53, et 1995, p. 69].

    À en croire les carnets de Despine, les rapports de Brochant de Villiers avec ses élèves étaient excellents : « Mr Brochant très familier avec nous » note-t-il le 2 juillet 1813 ; ou encore : « Mr Brochant, très gai, rit quand nous dormons » (19 juillet 1813). D'ailleurs, en bon pédagogue, le professeur sait émailler son cours d'anecdotes amusantes pour rompre avec l'aspect parfois monotone ou austère de la discipline qu'il enseigne :

    « Mr Brochant nous a raconté quelques anecdotes de Bijon, ancien jardinier au Jardin des plantes. Cet homme était possédé d'une faim canine [...]. On lui passait, outre 1.200 f de pension, 14 livres de viande par jour et il était jaloux du lion auquel on en donnait 18 livres. Il vint le narguer, quand on le dépeça. Il avait peur de M. Cuvier qui avait dit qu'il le disséquerait quand il serait mort. Sa figure tenait un peu du loup. H voulait faire un système de médecine par les excrémens, et il en faisait collection. Il mourut d'indigestion, on ne trouva chez lui rien d'extraordinaire que l'estomac et le foie gros ; jambes ouvertes donnèrent odeur de vin. Son héritier refusa son puant héritage. » [Arch. dép. Haute-Savoie, 11 J 125]

    Brochant se préoccupe aussi de la formation et de l'avenir de ses élèves : ainsi, après le retour de l'école à Paris il n'hésite pas à leur ouvrir son cabinet afin qu'ils puissent réviser leurs examens de minéralogie et de pétrographie sur ses collections personnelles. Il leur parle aussi carrière : « M. Brochant a beaucoup parlé des perfectionnemens à faire à l'école ; il voudrait que les élèves restassent 3 ans au moins à l'école et qu'on ne les laissât pas plus d'une année aspirans » [Plus touchant, Brochant se soucie, à l'occasion, de la santé de ses élèves : Le mercredi 30 juin 1813, il rend visite à Parrot, malade, et reste « depuis 7 heures environ jusqu'à 9 heures ». Un mois plus tard, peu avant la course géologique de fin d'année, il fait appeler Despine (qui s'était senti mal par suite du jeûne qu'il s'imposait - car il tenait à « conserver ses principes ») pour l'engager à s'« arranger de manière à faire gras pendant la course » (Arch. dép. Haute-Savoie, 11 J 123)].

    Tel est donc le contexte dans lequel Brochant a développé son enseignement pendant la première décennie de son professorat. Voyons maintenant quelle fut la teneur des leçons de géologie qu'il donna au cours de cette période.

    II. Le contenu du cours de géologie professé entre 1810 et 1814

    1. Les sources documentaires

    Elles sont, comme je l'ai dit en introduction, au nombre de deux.

    Le cours pris en note par Adolphe Dubosc (en 1810-1811) est conservé dans le fonds ancien de la bibliothèque de l'École nationale des mines de Paris sous la cote Ms 39. Cette pièce a été donnée en décembre 1959 par Amédée d'Anselme, ingénieur civil des mines et descendant de Dubosc. Il s'agit d'un cahier cartonné portant sur sa première page le titre suivant :« Ecole pratique des mines de Pesey - Minéralogie et géologie - Professeur M. Brochant - 1810 et 1811 » ; ce fascicule renferme 224 pages manuscrites, dont 56 se rapportent au cours de géologie. Le cours semble pris d'un seul jet, sans qu'il soit possible de dire s'il s'agit de la version de 1810 ou de celle de 1811. L'écriture est très fine, et des dessins explicatifs l'accompagnent parfois dans la marge.

    Les deux cours pris en note par Joseph Despine (en 1813 et 1814) sont conservés aux archives départementales de la Haute-Savoie sous la cote 11 J 115 : cahiers de cours de Joseph Despine, géologie et minéralogie (6 cahiers). Le cours de géologie de 1813 occupe 64 pages manuscrites correspondant au contenu de 11 leçons données à Pesey du mercredi 20 au samedi 30 juillet (donc tous les jours sans interruption), plus une leçon de préparation à la course géologique (donnée le samedi 7 août). Le cours de 1814 totalise quant à lui 111 pages manuscrites équivalant au contenu de 18 leçons données à Paris entre le mercredi 17 août et le mercredi 14 septembre. À ces pièces s'ajoute une dizaine de carnets de notes, les uns - auxquels il a déjà été fait allusion - formant le journal personnel de Despine (cotes 11 J 122 à 127), les autres rassemblant des résumés de lettres envoyées par lui à divers correspondants (cote 11 J 359).

    2. Les différentes parties du cours

    Pour présenter les différentes parties du cours de Brochant, je reprendrai le plan des versions de 1813 et 1814 (voir Tableau 1), qui apparaît beaucoup plus clairement que dans celle de 1810-1811 ; pour le contenu de chaque partie, je m'appuierai sur les notes de Dubosc comme sur celles de Despine.

    - Résumé

    Pour rendre compte de l'ensemble des observations qu'il a présentées dans les parties précédentes, Brochant propose le scénario qui lui paraît le plus probable :

    - Théories de la Terre

    Brochant termine son cours par un bref aperçu historique (absent du cours de 1813) dans lequel il mentionne les théories de Whiston, Buffon et Hutton. Il précise que les « théories par l'eau » sont de Saussure. Deluc. Dolomieu et Werner et signale que l'idée d'un déluge est commune à tous les peuples ; il parle aussi de l'existence de déluges à des époques très récentes (comme celles relatées par Hérodote et Pline, ou les catastrophes historiques survenues en Hollande et en Bohême).

    III. Quelques réflexions inspirées par la lecture de ce cours

    1. Appréciation d'ensemble sur le cours

    2. Influences relatives de Werner et de Brongniart

    Pour bien apprécier cet autre aspect (évoqué dans l'introduction), il faut repartir du Traité des roches, qui est à la fois un exposé fidèle des idées de Werner et la première ébauche du cours de géologie de Brochant. En comparant le plan de ce traité au plan du cours donné quelque dix ans plus tard, on constate que Brochant a construit ce dernier par une sorte de processus d'« accrétion » ; en effet, la matière du Traité des roches se retrouve dans les parties III et IV et, en amont de celles-ci, ont été ajoutées les parties I et II dans lesquelles sont traités des aspects tels que la géographie physique, la géomorphologie et la géologie structurale (voir Tableau 2).

    Cela dit, il importe surtout de noter que le contenu du Traité des roches a été séparé en deux : l'étude des roches en tant que telles (partie III) d'une part, et l'étude des terrains auxquels ces roches appartiennent (partie IV) d'autre part. Et la substitution du terme « terrain » (utilisé dans la partie IV) au terme « roches » (employé dans le Traité) opérée à cette occasion est hautement significative car elle traduit la volonté de Brochant de séparer l'étude des roches d'après leurs caractères propres (point de vue « pétrographique »), de l'étude de la position qu'elles occupent dans la série des terrains (point de vue « géognostique »). C'est là incontestablement la marque de l'influence de Brongniart, lequel affirmait à la même époque : « la détermination précise, la description, enfin l'histoire minéralogique complète des roches me semble devoir être faite séparément, et précéder leur histoire géognostique » [BRONGNIART, 1813, p. 8].
    Ami Boué avait donc vu juste. On peut cependant noter que, malgré les intentions qu'il affiche, Brochant reste encore largement prisonnier du modèle wernérien. Car dans sa partie III, au lieu de proposer, comme on pourrait s'y attendre, une classification des roches basée sur les modes d'agrégation qu'il a pris soin de présenter tout d'abord, il retombe dans le travers d'une classification géognostique en utilisant comme critère distinctif majeur le caractère « primitif » ou « secondaire » des roches (d'où une impression de redondance des parties III et IV).

    Quoi qu'il en soit, Brochant n'était donc pas l'« admirateur fanatique de Werner » dont parle Voltz. Et cela d'autant moins que dans la partie la plus « wernérienne » de son cours (partie IV), il émet des réserves quant au caractère universel de la classification établie par le maître de Freyberg : « ses résultats ne sont pas cependant généraux pour le globe, mais doivent éprouver des modifications. [...] Il est probable que les détails de Werner sont trop particuliers à la Saxe ». Sans doute, la découverte qu'il a faite en Tarentaise de terrains de transition différents de ceux décrits par Werner a-t-elle conduit Brochant à adopter un tel point de vue. Car si, dans son cours, il décrit les trois espèces de terrains de transition « selon les Allemands » (terrain calcaire, calcaire grauwack et trapp), il précise bien que « les Alpes ne présentent pas des espèces aussi variées » ; et de citer, à l'appui, toutes les roches qu'il a rencontrées dans cette chaîne, avant de conclure : « à l'exception de ces deux dernières [les poudingues calcaires et les poudingues quartzeux], qui ont rapport avec le grauwack, la Tarentaise paraîtrait toute primitive. »

    Enfin, il est faux de dire que Brochant ne faisait aucun cas des fossiles. Car on trouve dans les cours de 1813 et 1814 une leçon fort bien faite « sur les débris de corps organisés fossiles », dans laquelle il est clairement affirmé que ceux-ci « sont importants pour la division et la distribution des terrains » mais qu'« on n'en a pas tiré encore tout le parti possible »
    [Dans cette leçon, jugée « très intéressante » par Despine (Arch. dép. Haute-Savoie, 11 J 123, leçon du vendredi 22 juillet 1813), Brochant traite de l'étude des fossiles en 4 points :
    1° Différents genres de corps organisés fossiles (animaux ou terrestres, ou aquatiques ; végétaux).
    2° Partage des fossiles en 4 classes sur la base du plus ou moins grand degré d'identité avec les espèces actuelles.
    3° Différents états où ils se trouvent.
    4° Circonstances de leur gisement. ]
    Seulement, Brochant se montre quelque peu embarrassé avec ces fossiles : dans le cours de 1813, il place leur étude dans le chapitre 1 de la partie II, tandis que dans celui de 1814, il glisse celle-ci dans l'examen des roches secondaires de la partie III, preuve qu'il entrevoit mal le rôle qu'ils pourraient jouer en géologie. En outre, il faut signaler qu'on ne trouve aucune trace de cette leçon dans le cours de 1810-1811. Il est donc fort probable que Voltz, qui appartenait à une promotion antérieure à celle de Dubosc, n'en a pas eu connaissance (ce qui explique son jugement à ce propos).

    3. Les germes de certains thèmes développés plus tard par Élie de Beaumont

    On sait l'importance accordée par Élie de Beaumont à la direction des chaînes de montagnes et on connaît la théorie qu'il a développée quant au rapport entre l'âge et la direction de ces chaînes. Or on trouve exprimées dans le cours de Brochant, d'une part l'idée (reprise de Humboldt) que, dans les chaînes de montagnes, les terrains « font presque toujours des bandes parallèles à la direction des chaînes principales les plus hautes », laquelle « est en général assez constante » ; d'autre part l'idée que cette direction n'est pas la même pour toutes les chaînes de montagnes (contrairement à ce que pensait Humboldt) :

    « Humboldt a visité plusieurs chaînes en Allemagne, les Alpes, les Apennins, et avait trouvé partout même direction ; de même en Amérique ; il a cru que toutes les couches avaient même direction. Mais les Andes se dirigent du Nord au Sud, en sorte que ce principe général n'a pas été adopté ; il est plus probable qu'elles sont parallèles à la direction des chaînes. » Autrement dit : à chaque chaîne de montagnes sa direction.

    Il n'est pas impossible que ces considérations de Brochant aient attiré l'attention du jeune Élie de Beaumont sur cette question de la direction des chaînes et incité ce dernier à creuser plus avant la piste. D'autant que le même cours fournissait aussi une précieuse clef de lecture : en présentant la « stratification non parallèle ou brisée » qu'on observe « lorsque des couches inclinées servent de base à d'autres horizontales ou différemment inclinées » (partie II, chapitre 4, cf. supra), Brochant précise que cet « accident » fait « présumer que les couches inférieures sont plus anciennes que les supérieures » ; il y donc possibilité, par ce biais, de dater des ensembles de couches relativement les uns par rapport aux autres et, partant, les montagnes auxquelles ces couches appartiennent.

    Autre point : le rôle joué par Élie de Beaumont dans les progrès (ou plutôt les blocages) de la géologie alpine à travers l'affaire de Petit-Cœur. Là encore, on peut en trouver l'origine dans le cours de Brochant. Ce dernier insiste en effet (au chapitre des terrains de transition) sur l'idée que, dans les Alpes, l'« alternative de l'anthracite avec le terrain calcaire semble faire partie d'un même système de formation ». Rien d'étonnant, dès lors, qu'Élie de Beaumont ait voulu, plus tard, attribuer à l'ensemble du « système de formation » en question l'âge du terrain calcaire qu'il contient (c'est-à-dire le Jurassique). Rien d'étonnant, non plus, qu'en retour, Brochant de Villiers ait « professé depuis lors et fait accepter par ses disciples que le terrain jurassique constitue la majeure partie des Alpes françaises, où le métamorphisme l'a rendu cristallin en lui donnant l'aspect habituel des terrains de transition » [DE LAPPARENT, 1880, p. XXXIV. De fait, sur la première Carte géologique de France (fruit de la collaboration de Brochant de Villiers, d'Elie de Beaumont et de Dufrénoy) tous les terrains des zones internes des Alpes sont cartographiés en jurassique].

    Conclusion

    Je ne puis m'empêcher, pour conclure, de dresser un parallèle entre la figure de Brochant de Villiers et celle de Brongniart, dont le nom est revenu si souvent au cours de cet exposé.

    Voici, en effet, deux figures de savants que tout semble rapprocher : tous deux appartiennent à la même génération : Brochant est né en 1772, Brongniart en 1770 (de plus, ils ont vécu sensiblement le même nombre d'années : le premier meurt en 1840, le second en 1847) ; tous deux ont été formés à l'école de Werner et ont été des proches de Dolomieu ; tous deux furent à la fois professeurs, membres du Corps des mines et membres de l'Institut (Brongniart fut élu en 1807, Brochant en 1816) ; tous deux, enfin, occupèrent des postes de hauts fonctionnaires similaires, Brongniart dirigeant la Manufacture de porcelaine de Sèvres, Brochant la Manufacture de glaces de Saint-Gobain.

    Mais voici aussi deux figures de savants que tout sépare. D'un côté, Brongniart, le naturaliste : ses travaux ont fait de lui le fondateur de la paléontologie stratigraphique ; il a ainsi ouvert une voie féconde dans laquelle s'illustreront après lui des savants comme d'Orbigny, d'Archiac et Gaudry ; c'est le camp des paléontologues. De l'autre côté, Brochant de Villiers, géologue autant qu'ingénieur : il est à l'origine d'une autre lignée, incarnée par Élie de Beaumont, celle des esprits qui préfèrent la rigueur mathématique des mesures (comme celles de la direction ou du pendage des couches) à toute autre considération ; c'est le camp des géomètres ; ils engageront, on le sait, toute une partie de la géologie française dans l'impasse du réseau pentagonal.

    Cet antagonisme entre esprit naturaliste et tentation mathématique est, semble-t-il, une spécialité bien française et, à lire certains ouvrages contemporains, il ne paraît pas qu'elle ait le moins du monde disparu.


    Références


    Tableau 1. Plan général du cours de géologie professé par Brochant de Villiers en 1813 et 1814.

    • 1re partie : configuration extérieure de la surface du globe

        - Des océans

        - Des continents

    • 2e partie : Idée générale de la composition et de la structure intérieure de la surface du globe

        - Nature des principales matières composantes de la surface du globe

        - Structure intérieure des grandes masses ou terrains qui constituent la surface du globe

        - Structure intérieure des masses partielles ou roches qui composent les terrains

        - Accidents qui interrompent parfois la régularité des couches ou des grandes masses

        - Accidents qui interrompent la régularité de certaines couches particulières

    • 3e partie : De la composition et de la structure des roches

      - Mode d'agrégation des roches

      - Roches primitives

        - simples

        - composées

      - Roches secondaires

        - simples

        - composées

  • 4e partie : De la composition des terrains et de leur distribution en différents genres

      - Terrains primitifs

      - Terrains de transition

      - Terrains secondaires

      - Terrains d'alluvions

      - Terrains volcaniques

  • 5e partie : Récapitulation des principaux faits géologiques décrits - Idée des théories de la Terre les plus célèbres
  • Tableau 2. Canevas comparés du Traité des roches et du cours de géologie donné par Brochant de Villiers dix ans plus tard.
    Traité des roches

    1802-1803

    Cours de géologie

    1813-1814

     

    PARTIE I

    PARTIE II

    PARTIE III

    Mode d'agrégation des roches

    Roches primitives

    Roches secondaires

    PARTIE IV

    Roches primitives Terrains primitifs

    Roches de transition Terrains de transition

    Roches secondaires

    Terrains secondaires

    Roches d'alluvions

    Terrains d'alluvions

    Roches volcaniques

    Terrains volcaniques
     

    PARTIE V








    Brève présentation des cartes géologiques de France successives de 1746 à 1868

    Cette partie est recopiée à partir d'une page web réalisée par Marie-Noelle Maisonneuve. Voir aussi le site de la bibliothèque centrale de Mines ParisTech.

    1746 : Première ébauche cartographique géologique par Jean-Etienne Guettard (1715-1786).

    Dans les Mémoires de l'Académie Royale des Sciences de 1746 il publie "Mémoire et carte minéralogique sur la nature des terreins (sic) qui traversent la France et l'Angleterre" .

    Il explique que l'on peut distinguer une continuité dans la répartition des roches, métaux, et "fossiles" qu'il a observés et montre sur sa carte 3 bandes concentriques : sablonneuse, marneuse, schisteuse ou métallique. Il esquisse pour la première fois l'explication de la structure du Bassin parisien.

    1766-1780 : Atlas minéralogique de la France par Guettard, Monnet et Lavoisier.

    Guettard entreprend, à partir de 1766, avec l'aide de Lavoisier puis de Monnet cet atlas minéralogique. Sur 214 feuilles prévues, à peine un quart paraîtront. C'est une description très complète qui n'utilise pas moins de 211 signes !

    1784 : Carte minéralogique de la France, sur les observations de Guettard, par Dupain-Triel père

    Cette carte en une seule feuille en reste toujours à la subdivision de la France en "3 Terreins principaux". Avec l'Atlas minéralogique de la France, elle constitue le premier répertoire minéral du sol français.

    A la même époque, des études régionales se succèderont comme celles de Giroud Soulavie sur la France méridionale (1780) et celle de Palassou sur les monts Pyrénées(1784).

    En 1810, commence la grande époque de la cartographie géologique avec la publication par Cuvier et Brongniart de la Carte géognostique des environs de Paris.

    1822 : J.J. d'Omalius d'Halloy publie un mémoire et une carte dans les Annales des mines : Carte géologique de la France, des Pays-Bas et de quelques contrées voisines à l'échelle de 1/3.700.000

     
    1841 : Première carte géologique de la France à l/500.000e en 6 feuilles par deux ingénieurs des mines, Dufrénoy et Elie de Beaumont placés sous la direction de Brochant de Villiers.
    1868 : Création du Service de la carte géologique détaillée et des topographies souterraines chargé de lever et publier la couverture nationale à l'échelle du 1/80.000e. Cette carte prendra le relais des cartes départementales.  


    Ci-dessous la carte principale de 1841, et un agrandissement de sa légende. Les photos de ces cartes sont la propriété de Mines ParisTech et leur reproduction est soumise à autorisation.

    Voir aussi : "Aux origines de la carte géologique de France : retour sur les productions cartographiques du corps des mines au cours du premier XIXe siècle", par Isabelle Laboulais ; in : Les ingénieurs des mines: cultures, pouvoirs, pratiques, Editions du Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2012.