TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Deuxième série -
T.4 (1986)

Jean-Baptiste BOUSSINGAULT, un grand géologue avorté du XIXème siècle

Jean Boulaine

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 26 février 1986)

A la fin du premier empire, vers 1812-1814, un bonhomme surnommé "Prêchi-Prêcha" par les gamins de Paris vendait sur les quais de la Seine les morceaux de minéraux que l'abbé R.J. Haüy brisait dans son laboratoire. Un de ces gamins, Jean-Baptiste Boussingault, fils d'un débitant de tabac du Quartier Latin, les achetait et les collectionnait. Etudiant "hors concours" de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne de 1818 à 1820, Alexander de Humboldt le prit sous sa protection et comme il allait partir en Colombie pour un long séjour, ce dernier lui constitua une collection de roches volcaniques en détachant des morceaux aux échantillons des collections du Muséum.

Note de R. Mahl en 2009 : le terme "hors de concours" ne se référait nullement au concours d'entrée, mais indiquait que l'élève avait satisfait aux épreuves de sortie et qu'il recevait le diplôme ou certificat validant ses études.

De tels patronages, dix ans d'exploration au Venezuela, en Colombie et en Equateur, cinquante-deux communications scientifiques aux Annales de Chimie et de Physique, et à l'Académie des Sciences faisaient de Boussingault, en 1833, un des espoirs de la Géologie française. Mais, à son retour d'Amérique, il rejoint les rangs des chimistes et va devenir le fondateur de la Chimie agricole, chef de file d'un groupe qui fournira une dizaine de membres à l'Académie des Sciences.

Quelle fut sa contribution à la Géologie ? Quelles furent les raisons de son revirement et quelles en furent les conséquences ?

I - La Carrière de Géologue de J.B. Boussingault - 1818-1832

1)- En 1818 il passe brillamment un test de connaissance auprès d'un ingénieur du Service des Carrières de la Ville de Paris [Héricart de Thury]. Bien qu'il ait arrêté ses études secondaires au Lycée Louis-le-Grand en seconde, pendant trois ans il a fréquenté le Muséum, le Collège de France et la Sorbonne en auditeur libre.

Il s'est nourri du traité de Chimie de Thénard que sa mère lui a offert au prix de ses économies. Il rejoint l'Ecole des Mines de Saint-Etienne en Octobre, à pied. Ses connaissances sont telles qu'il est pris comme moniteur du Laboratoire de Chimie et finira hors concours. Il réalise en 1819 deux découvertes sur la présence de sulfate d'ammonium dans les vapeurs d'une mine de charbon incendiée et sur l'existence du siliciure de Platine.

De 1820 à 1822 il dirige la petite mine de Lobsann à la limite nord du gisement de Pechelbronn. Douze ans plus tard il épousera Adèle Lebel, la fille du propriétaire de Pechelbronn, et la ferme de cette famille sera le support expérimental de son oeuvre agronomique.

Il s'était fort intéressé aux volcans d'Auvergne au cours de ses études à Saint-Etienne. L'occasion va lui être donnée de pouvoir étudier "les volcans vivants du Nouveau-Monde".

2)- En 1822, le Vice-Président de la jeune république de Colombie, le botaniste Zea, obtient un large emprunt en Angleterre. Il vient à Paris recruter une équipe de 5 ou 6 jeunes savants pour amorcer un enseignement supérieur à Bogota. Boussingault est recommandé par Voltz et Berthier comme géologue.

Humboldt, rencontré un peu par hasard "sur le Pont Neuf" voit en lui l'homme qui peut confirmer, continuer et renouveler son oeuvre en Géophysique. Il lui donne un complément de formation, facilite son équipement, lui cède certains de ses instruments et le présente à Arago, Ampère et de nombreux savants parisiens.

A son arrivée à la Guaïra, le port de Caracas, Boussingault va d'abord agir comme envoyé de Humboldt. Il s'empresse de vérifier la pression barométrique au niveau de la mer, la trouve égale à celles qui ont été mesurées en Europe. Il parcourt la campagne le marteau à la main, arrive à Caracas où il est branché sur le problème de la sensibilité des formations géologiques aux tremblements de terre et montre que le socle est plus réactif que les formations de couverture.

Ses souvenirs, publiés après sa mort en 1892-1901 par ses héritiers, couvrent, outre son enfance, uniquement cette période de sa vie, pendant les dix années où il a parcouru "la Nouvelle Grenade" c'est-à-dire le Nord-Ouest de l'Amérique du Sud : Venezuela, Colombie et Equateur. Il s'agit d'anecdotes vaguement ordonnées du point de vue chronologique et de notes journalières recopiées avec soins. Ces notes se rapportent essentiellement à ses voyages d'exploration géologique et surtout à la première et à la dernière période (1822-23 et 1831-1832).

Avant de rejoindre Bogota il se livre surtout à des travaux de Géologie, Géophysique, Géochimie, il décrit les roches et les minéraux qu'il observe sur son trajet, les excursions (!) qu'il entreprend, quelques visites et notamment celle de cavernes naturelles qu'il décrit fort bien. Il note même qu'il n'y a pas de chauve-souris dans celles-ci, contrairement à celle qui fut explorée par Humboldt et Aimé Bompland près de Medellin au début du siècle. Il fait de nombreuses mesures de température dans l'air, les eaux et le sol.

Cette première période américaine s'achève avec la rencontre de Bolivar qui lui annonce (Deherain - 1887) qu'au lieu d'un poste de Professeur il n'a à lui offrir qu'un brevet de Commandant dans son état-major.

3)- Désormais et pour le reste de son contrat Boussingault est un officier-expert du groupe du colonel Holtz, Géographe, géodésien, explorateur, spécialiste des minerais, au besoin membre de jury de conseil de guerre, souvent courtisan et accompagnateur de la maîtresse du Président, il mène la vie d'un officier d'état-major et ne nous renseigne pas sur ses activités officielles.

4)- En 1827 son contrat avec le gouvernement colombien prend fin. D'un commun accord celui-ci et une compagnie minière anglaise le choisissent comme "superintendant" des mines d'argent de la Vega de Supia. Il mène alors la vie quasi sauvage et exaltante d'un chef d'entreprise en pays neuf. Il part avec 45 000 francs-or, accueille 150 mineurs britanniques arrivés d'Angleterre avec un matériel considérable qu'il faut transporter à travers une cordillère de plus de 3 000 mètres d'altitude. On le surnomme "DON JUAN el Despoto", il règle des conflits de mineurs à coups de revolver et s'installe dans un petit paradis tropical près d'un ruisseau où vient boire un serpent alors "qu'une ève charmante m'assistait dans mes observations".

Ses récits sont pleins de notations géologiques ; il observe notamment que l'altération des roches dépasse la centaine de mètres, il recueille des échantillons, notamment une altérite qu'il analysera, et qui est de l'halloysite (deuxième détermination au monde), des minéraux qu'il définira le premier, la Gay-Lussite , la marmatite, etc..

Il améliore la métallurgie de l'argent et comprend mieux les phénomènes chimiques qui précèdent l'amalgamation. Il améliore de nombreuses techniques minières.

En Géologie il observe une séquence granite, gneiss, micaschistes, schistes, qui en fait un précurseur du métamorphisme, et continue à déterminer de multiples roches au passage.

Alfred Lacroix a écrit en 1926 une notice sur Boussingault qui étudie en détail tous ces travaux.

5)- Boussingault était resté géologue et vulcanologue dans l'âme. En 1831, à la fin de son contrat avec les Anglais, il s'offre un voyage d'études et d'explorations le long de la chaîne des volcans, de Bogota à l'Equateur. Malgré le danger de voyager quasi seul, en uniforme de lieutenant-colonel de l'état-major d'un Bolivar maintenant décédé, il part pour le sud. Il ascensionne plusieurs volcans dont le Chimborazo (jusqu'à 6 004 m à quelque 300 m du sommet) et sera un temps le savant et l'européen "le plus haut du monde". Grâce à la protection d'un évêque et d'un général royalistes, il s'enfonce en Equateur et, au passage, s'incline sur la place où, juste un an auparavant, le maréchal Sucre a été assassiné. Enfin, au printemps de 1832, sans retourner à Bogota, il effectue un voyage de retour rapide. Ses notes se précipitent. Une ligne nous apprend qu'il était à New-York le 7 août et il arrive en France au début de l'automne.

Pour Jean-Baptiste Boussingault la page se tourne : il ne fera plus jamais de Géologie et il va se consacrer à la Chimie organique et à l'Agronomie. En 1839 dans son dossier de candidature à l'Académie des Sciences il ajoutera une note manuscrite précisant que depuis son retour d'Amérique en 1832 Monsieur Boussingault s'est "exclusivement occupé d'agriculture pratique dans sa ferme familiale" (McCosh, p.262).

II - La mutation : l'explorateur géologue devient un chimiste agronome

Désormais, à part une seule publication à la Société Géologique de France en 1834 sur les volcans de la chaîne des Andes, Boussingault ne traitera plus jamais de Géologie, de près ou de loin. Pourquoi ?

1)- Si la Géologie a été son rêve de jeunesse et l'activité de ses débuts, il n'a pas fait d'études universitaires régulières. Il n'a même pas le baccalauréat ! Elève d'une jeune école des mines de Province, il est suspect d'avoir une formation insuffisante. Lors d'une visite à Berthier à Paris, celui-ci essaye de le "coller" et Boussingault, après avoir joué le jeu de l'ignorance, fait une brillante démonstration de ses connaissances au milieu de la collection de l'Ecole des Mines.

L'accrochage avec Louis Cordier a été probablement plus grave. Celui-ci avait écrit qu'il ne pouvait y avoir de composés ammoniacaux dans la houille. Or, en 1819, en visitant la mine en feu de la Ricamarie près de Saint-Etienne, Boussingault et ses camarades observèrent de magnifiques cristaux de sulfate d'ammonium au débouché des vapeurs dégagées par l'incendie. Une note aux Annales de Chimie et de Physique fut aussitôt rédigée en commun. Elle ne parut que trois ans plus tard après que Cordier fut nommé à l'Académie des Sciences. Ce retard, absolument inhabituel, est significatif. Boussingault n'y fait aucune allusion dans ses mémoires mais il exécute Cordier en trois lignes : c'est peut-être la seule fois où il fait preuve de méchanceté envers un contemporain, lui qui a connu "bien des assassins".

Boussingault a donc été rejeté par la communauté géologique, soit pour des raisons personnelles, soit pour des raisons collectives. Il a essayé en 1834 de recommander son ami Voltz pour le poste de professeur à Strasbourg, auprès de Thénard, doyen de la Sorbonne. Ce fut Daubrée qui fut nommé. Notons au passage que lui-même ne s'est pas présenté alors qu'il se mariait à la même époque avec l'héritière de Pechelbronn. Il n'a jamais fait partie de la Société Géologique de France et celle-ci n'a pas cru devoir lui consacrer une notice nécrologique en 1887.

Et pourtant Alfred Lacroix, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, a consacré à Boussingault en 1926 une notice de plusieurs dizaines de pages qui expose en détail l'oeuvre déjà importante réalisée entre 1820 et 1832, notice à laquelle nous renvoyons les spécialistes.

2)- La Chimie a été accueillante pour J.B. Boussingault. Il avait régulièrement adressé des notes (48 en dix ans) aux Annales de Chimie et de Physique. Thénard et Gay-Lussac le connaissaient et l'appréciaient. Jean-Baptiste Dumas était, comme lui, le protégé de Humboldt. C'était déjà, depuis ses premières armes au laboratoire de Saint-Etienne, un merveilleux analyste. Bref on lui offrit le poste de Professeur à la Faculté des Sciences de Lyon et il fut même nommé Doyen. En fait il n'y fit que de rares et courts séjours et préféra vivre à Paris où il passa sa thèse en Sorbonne en 1834 sur un sujet de météorologie : l'appréciation de la température moyenne d'une station tropicale à partir de la température du sol à 30 cm (qui nous paraît assez puéril aujourd'hui !). Thénard ayant renoncé à son cours en Sorbonne en 1837, J.B. Dumas le remplaça et Boussingault remplaça J.B. Dumas dans ses fonctions de suppléant de Thénard (en gros, Maître de conférences).

En 1839 Boussingault entre à l'Académie des Sciences, Section : Economie rurale, et en 1846 il est nommé Professeur de Chimie agricole au Conservatoire des Arts et Métiers. Il a définitivement abandonné la Géologie.

3)- Sa famille a probablement joué un rôle important dans cette mutation.
Ses parents d'abord, âgés, qui ne tenaient pas à le voir voyager à nouveau ?
Mais surtout sa belle-famille et son épouse Adèle Lebel dont il dit lui-même qu'elle lui a évité les tracas de la vie et lui a permis de se consacrer entièrement à la Science. Probablement en échange d'une vie calme partagée entre l'hiver à Paris et l'été à Pechelbronn, puis dans leur propriété, voisine, du Liebfrauenberg.

Il est curieux de noter que, propriétaire de Pechelbronn par sa femme (la concession ne fut vendue qu'en 1888 au lendemain de sa propre mort), Boussingault ne s'est jamais occupé activement d'une industrie qu'il connaissait cependant par expérience puisqu'il avait dirigé la petite mine d'asphalte de Lobsann en 1821. Il avait aussi étudié au Venezuela les indices de pétrole. Le fils du droguiste de la rue de la Parcheminerie aurait pu devenir le Rockfeller français et il n'en fut rien. Il avait d'ailleurs renoncé en 1827 à épouser Manuelita, l'héritière des émeraudes de Colombie, qui ne voulait pas le suivre en Europe.

Le poids de la famille que nous soupçonnons seulement, l'attirance de la communauté chimique qui est évidente, le refus probable de la communauté géologique et les dispositions d'esprit d'un homme qui fut toute sa vie un remarquable analyste mais un piètre structuraliste ont transformé Jean-Baptiste Boussingault, Ingénieur des Mines et Géologue en Professeur de Chimie et fondateur de la Chimie agricole. La rapidité de la mutation et son caractère définitif nous font penser que l'une ou plusieurs de ces raisons furent plus déterminantes que ce que les documents historiques nous apprennent.

Mais les textes nous apprennent au moins que Boussingault n'oublia jamais sa jeunesse américaine. Ses mémoires témoignent de la fraîcheur de ses souvenirs. Ses interventions à l'Académie, à la Société centrale d'Agriculture, au Conseil d'Hygiène, à la Commission des Engrais sont pleines de rappels de ses expériences dans le Nouveau Monde. Et comme il fréquentait les géologues, car cet homme ne fut jamais rancunier, il n'est pas douteux qu'il a certainement, dans ses conversations, rappelé constamment ce qu'il avait vu et les démarches qui furent les siennes. Les mémoires de ce précurseur de la Géophysique et de la Géochimie n'ont été lus que par peu de géologues et A. Lacroix le déplore en 1926. Mais ses anecdotes, les faits précis qu'il a constamment énoncés de 1840 à 1887 dans les séances ou les couloirs des réunions scientifiques ont fait partie très probablement de la tradition orale des géologues du XIXème siècle.

Conclusion

On peut se réjouir que la Chimie agricole ait pris, avec Boussingault, un essor définitif. L'Agronomie française a porté et porte encore les traces de l'orientation que lui a donnée l'un de ses plus grands fondateurs.

Dans le domaine de la Science du sol, Boussingault a probablement laissé quelque peu le champ libre à Gasparin, créateur de l'Agrologie, qui avait eu l'élégance de se retirer de la compétition pour le poste à l'Académie des Sciences en 1839. Mais la Pédologie génétique était encore à créer et Boussingault aurait pu, du fait de ses origines géologiques, en être l'initiateur.

Ses relations étaient très amicales avec Elie de Beaumont ; celui-ci décrit avec finesse et précision dans son ouvrage de 1845 les différentes couches qui constituent, en général, les sols de notre pays. L'occasion fut perdue et seule l'école allemande développa l'Agrogéologie, qui devait rebondir avec le conservateur du Musée géologique de Saint-Pétersbourg, V.V. Dokouchaev, dans les années quatre-vingt. Ce fut la naissance de la Pédologie génétique. La distance qui persiste en France entre celle-ci et la Chimie du sol procède probablement, outre les raisons structurelles, des événements conjonctuels des années trente qui ont marqué la carrière scientifique de Jean-Baptiste Boussingault et son abandon de la Géologie.

Bibliographie

La notice d'A. Lacroix et le livre de McCosh sont, à l'heure actuelle, les sources las plus importantes. Il s'y ajoutera, prochainement, le livre d'E. Kahane.

Les bibliothèques qui possèdent ces ouvrages rares ainsi que les mémoires de J.B. Boussingault sont celles de l'Académie des Sciences, de l'Académie d'Agriculture, du Conservatoire des Arts et Métiers et de l'Institut National Agronomique.

    Boué A., 1834 - Résumé des Progrès des Sciences Géologiques pendant l'année 1833. Paris/ Bull.Soc.Géol.Fr., t.5, 507 p.

    Boussingault J.B., 1843 - Economie rurale considérée dans ses rapports avec la Chimie, la Physique et la Météorologie. Paris, Béchet jeune, 2 volumes. 2ème édition 1852.

    Boussingault J.B., Dumas J.B., 1844 - Essai de statique, chimie des êtres organisés. Paris, Masson, 156 p.

    Boussingault J.B., 1860 - Agronomie, Chimie agricole et Physiologie. Paris, Mallet-Bachelier, 5 volumes. 2ème édition 1874 ; 3ème édition 1886, 8 volumes.

    Boussingault J.B., 1892 - 1903 - Mémoires.

    Paris, Chamerot et Renouard, 5 volumes.

    Deherain P.P., 1887 - L'oeuvre agricole de M. Boussingault. Paris, Masson, 42 p.

    Kahane E., 1986 ? - Biographie de J.B. Boussingault. Sous presse.

    Lacroix A., 1926 - Notice historique de J.B. Boussingault. Paris, Gauthier-Villars, Acad.Sc.

    Lenglen M., 1943 - Un double centanaire. Paris, C-R.Acad.Agric., N° 18.

    Leroux D., 1937 - J.B. Boussingault, créateur de la Chimie agricole. Sa vie et son oeuvre au Conservatoire National des Arts et Métiers.

    Mc Cosh F.W.J., 1984 - Boussingault. Doordrecht, D. Reidel, 280 p.

PUBLICATIONS de J.B. BOUSSINGAULT
en 1833 dans les Annales de Chimie et de Physique après son retour d'Amérique du Sud

Durant sa vie de 1819 à 1887 J.B. Boussingault a rédigé et publié 380 publications scientifiques.


Extrait de la notice d'Alfred Lacroix, pp. 19 et 20

Tout ce qui est connu sur le séjour de Boussingault dans l'Amérique du Sud se trouve exposé, par lui-même, dans les quatre dernier volumes de ses Mémoires, d'une lecture attachante et pleine d'imprévu.

Ecrits sous forme d'itinéraire, ils renferment, un peu pêle-mêle, des descriptions de sites, de paysages, de montagnes et de mines, alternant avec des scènes de mœurs; des mesures d'altitude; des observations astronomiques, thermométriques et hygrométriques, botaniques et ethnographiques; des récits de courses de taureaux, de cérémonies religieuses et de fêtes mondaines, de parades militaires, de duels, d'embuscades, d'assassinats et de batailles; des développements sur la politique, sur l'histoire et aussi sur des histoires; des analyses de sentiments..., de produits végétaux, de sources thermales et de minéraux; des dissertations sur les cultures tropicales, les volcans et les tremblements de terre; voire des recettes de cuisine et quelques boutades philosophiques. Sur cette trame complexe, sont jetées, nombreuses et légères, des anecdotes ne manquant jamais de sel et parfois même fort salées.

Cet amalgame si hétérogène me semble bien être l'image de ce que dut être l'existence heurtée de ce jeune homme, don Juan comme il se laissait appeler, assoiffé du désir de tout apprendre, de jouir de toutes les libertés, tenaillé par la volonté de se faire une place au soleil, jusqu'alors élevé à la rude école dune existence difficile et jeté brusquement dans le plus extraordinaire tourbillon de vie que l'on puisse imaginer, dans un monde où tout était nouveau pour lui, la nature, les hommes, les femmes, et les choses.

Ingénieur chargé d'importantes missions, disposant d'une autorité réelle et souvent sans contrôle, devenu d'emblée, à vingt et un ans, colonel dans une armée de partisans en campagne dont beaucoup d'officiers étaient des déchets de toutes les armées qui ne se battaient plus en Europe, dont les soldats en loques étaient des Indiens à demi civilisés; dans une armée dont les chefs, ardents patriotes, luttaient, certes, pour l'indépendance de leur pays, mais beaucoup aussi pour la conquête du pouvoir personnel, bataillant, sous un climat meurtrier, à coups d'épée et aussi d'intrigues politiques, tour à tour généreux et férocement cruels, sachant mourir avec courage, mais résolus à vivre avec outrance.

Bien d'autres eussent été grisés par une telle fortune et une telle ambiance, entraînés et perdus par des séductions, des tentations de plus d'un genre, affaiblis ou tués par la fièvre ou par des calamités pires encore. Boussingault eut la chance de passer à travers tous les dangers, l'habileté d'user de tout sans dommage et d'édifier, par surcroît, une œuvre scientifique importante.


Observations de M. Ernest Kahane sur la communication de M. BOULAINE

J'ai beaucoup admiré la vigueur et la lucidité de l'exposé de M. Boulaine, qui a été servi aussi par une documentation riche et abondante.

Je me permettrai cependant de faire quelques remarques sur l'éclairage de cette étude, qui me paraît un peu partial du point de vue géologique. A mes yeux, Boussingault, ce touche-à-tout, est avant tout chimiste. Ses premières publications furent chimiques, son organe de prédilection, après les C. R. Ac. Sc. a été les Annales de Chimie et de Physique, et le poids essentiel de son enseignement et de ses recherches en Agriculture a consisté à insister sur leur aspect chimique.

Ce n'est pas qu'il fut hostile à la Géologie. Bien au contraire, ses explorations en Amérique du Sud ont confirmé le goût qu'il en avait contracté à Paris et St Etienne. Il semble bien être le premier à avoir placé la Géologie parmi les matières fondamentales dans la formation à l'Agriculture, comme M. Boulaine l'a opportunément rappelé.


N.B.-Depuis la remise du manuscrit de M. BOULAINE, M. Ernest Kahane a offert au COFHRIGEO un tirage préliminaire de son livre sur Boussingault, intitulé :

Jean-Baptiste BOUSSINGAULT - Sa vie et ses oeuvres. Essai de Biographie cordiale. Par Ernest KAHANE, Professeur honoraire à la Faculté des Sciences de Montpellier - Préface par Jean Lavollay, Professeur Honoraire au Conservatoire national des Arts et Métiers, Ancien président de l'Académie d'Agriculture, Membre correspondant de l'Institut (Académie des Sciences), 199p.