Jean Coulomb (7 mai 1904 - 26 février 1999)



Ancien élève de l'Ecole normale supérieure (1923-1926), agrégé de mathématiques (1928) et docteur ès sciences (1931).

De 1928 à 1932, il est préparateur puis assistante de Marcel Brillouin au Collège de France.

De 1933 à 1937, il est météorologiste à l'Institut et Observatoire de Physique du Globe du Puy de Dôme.

De 1937 à 1941, il dirige l'Institut de Météorologie et de Physique du globe de l'Algérie.

De 1941 à 1972, il est professeur de Physique du Globe à la Faculté des sciences, à Paris.

De 1941 à 1956, il dirige l'Institut de Physique du Globe de Paris.

En 1951, il est président de l'Association internationale de Magnétisme et Electricité terrestre.

En 1954-55, il est professeur "ordinaire" à l'Université d'Istanbul.

En 1955, il reçoit le prix Holweck.

De 1956 à 1962, il est directeur puis directeur général du CNRS.

De 1962 à 1966, il est Président du CNES.

De 1967 à 1971, il préside l'Union Géodésique et Géophysique internationale.

Jean Coulomb fut élu le 7 novembre 1960 à l'Académie des sciences (section astronomie, devenue en 1976 la section des Sciences de l'univers) ; il a été le président de cette académie en 1977 et 1978.

Il avait été promu Grand Croix de la Légion d'honneur en 1995, et avait choisi de se faire remettre la décoration par le ministre de la recherche en exercice, Hubert Curien. Il était titulaire d'un grand nombre de décorations françaises et étrangères, et membre de plusieurs Académies des sciences étrangères (Academia Europaea, Belgique, Roumanie, Danemark, Royal Society).

Ses principaux ouvrages sont : Oscillations dans un bassin ... avec M. Brillouin (Gauthier Villars, 1933) ; La physique des Nuages avec J. Loisel (Albin Michel, 1940) ; Séismométrie ..., Handbuch der Physik XLVII (Springer, 1956) ; Traité de Géophysique interne, avec J. Jobert, Tome I, Masson, 1973.

Jean Coulomb était marié avec Alice Gaydier. Parmi leurs enfants, on note René Coulomb (né en 1932 ; X 1951 corps des ponts et chaussées) qui a lui-même eu 5 enfants dont 4 fils polytechniciens.

La Vie et l'Œuvre Scientifique de Jean Coulomb, Membre de l'Académie des sciences
par Paul Germain Membre de l'Académie

Publié dans Discours et Notices biographiques de l'Académie des sciences.

Chers Confrères, chers Collègues, chers amis,

Je vous dois d'abord quelques mots d'explication, car beaucoup peuvent à bon droit s'étonner de me voir présenter aujourd'hui l'évocation de la vie et de l'œuvre de Jean Coulomb.

Il me faut pour cela rappeler un échange de vues en Comité secret du 12 mars 1984 sur les notices nécrologiques, où Jean Coulomb réclamait plus de souplesse sur ce qu'il appelait "le système nécrologique qui rendait obligatoire la rédaction d'une notice à lire et à publier". "Les historiens des sciences" estimait-il "pourraient juger eux-mêmes si la vie et l'œuvre d'un Confrère méritaient une étude approfondie". Il ne fut pas suivi par la Compagnie et obtint seulement que "la rédaction et la publication d'une notice ne seraient pas entreprises si l'un de nous (ou sa famille) indiquait son désaccord".

Naturellement, il souhaitait que lui soit appliquée la mesure exceptionnelle qu'il avait obtenue, estimant que "ses travaux scientifiques et les services qu'il avait pu rendre à l'Académie ou à d'autres organismes ne lui paraissaient pas mériter un long exposé". Je ne partageais pas son opinion, ni sur la mesure générale qu'il proposait à la Compagnie, ni sur sa résolution de bénéficier de l'exception possible qui avait été acceptée. Nous eûmes plusieurs discussions à ce sujet, souvent en tête à tête, parfois en présence de Confrères. Jean-Louis Le Mouël l'été dernier me faisait part du souvenir d'un échange de vues dans la salle des séances entre Jean Coulomb et moi sur la notice ; je cite l'une des ses phrases : "je m'en rappelle les termes exacts et le ton assez vif".

J'étais assez d'accord avec Jean Coulomb sur le manque de rigueur et les jugements exagérés de certains éloges. Mais je plaidais pour le devoir de "mémoire" de l'Académie et le devoir de "confraternité" de ses membres. Nos archives n'ont pas simplement pour mission de rassembler les titres de gloire de nos membres les plus prestigieux, mais de garder trace de l'activité et des travaux de tous ceux appelés par la Compagnie. Ainsi, se constitue un ensemble de documents précieux pour ceux qui voudront plus tard connaître et décrire les recherches, les acquis, le comportement, la vie de notre communauté scientifique française d'aujourd'hui. S'il ne voulait pas de notice, lui disais-je, il pouvait le faire savoir par une lettre au Président. S'il acceptait l'usage traditionnel, il pouvait faire connaître son désir d'une évocation de ses participations à la vie scientifique du pays faite avec mesure et sans emphase. Je lui proposais, de plus, s'il retenait cette dernière disposition, de rédiger moi-même cette notice en tenant compte de ses souhaits, inspirés selon moi par une trop grande modestie.

Jean Coulomb m'a adressé le 28 juin 1989 une lettre personnelle que j'ai immédiatement déposée aux archives avec la mention "à n'ouvrir qu'après le décès de Jean Coulomb". C'est ce qui a été fait ; je cite une phrase du début : "Vous m'avez ébranlé et ma femme à qui j'en ai parlé vous donne raison". La lettre contenait aussi "une lettre posthume qui devrait aller au Président de l'Académie".

Toutes les citations que j'ai faites plus haut sont extraites de cette lettre. Il acceptait mon offre : "Peut-être n'est-il pas inutile de vous dire comment je me juge moi-même, en souhaitant que cela ne restreigne en rien votre liberté de voir les choses autrement". Mais la lettre au Président traduisait la position première de notre ancien Président. Jean Coulomb, si résolu habituellement, a été longtemps hésitant. Ses enfants ont trouvé une lettre de 1996 qui m'était destinée au moment où elle fut écrite. Mais quelques mois plus tard, il écrivit sur l'enveloppe "lettre périmée à Germain. C'était une lettre à envoyer après mon décès ... il est probable que l'Académie restreindra beaucoup les manifestations nécrologiques. Laissons cela sans nous en mêler. Si je ne détruis pas cette lettre, c'est qu'elle peut intéresser la famille".

Le Bureau a décidé qu'une notice devait être rédigée. Les enfants de Jean Coulomb ont suggéré que j'en sois chargé.

C'est en parcourant sa riche carrière que l'on peut le mieux rendre compte des travaux, des activités, des réalisations de Jean Coulomb. Je bénéficierai de guides très sûrs : Georges Jobert, Jean-Louis Le Mouël, André Lebeau, grâce à leurs contributions à la journée d'hommage à Jean Coulomb organisée le 13 janvier dernier par l'Institut de Physique du Globe de Paris et le Comité National Français de Géophysique et de Géodésie, et aussi grâce à Jacques Blamont, auteur d'un émouvant article publié l'été dernier dans le journal du CNES. Je m'appuierai souvent sur ces témoignages de première main. Sans doute convient-il encore auparavant de dégager les quelques orientations qui structurent une existance professionnelle qui s'est exprimée dans des responsabilités et des réalisations si variées et qui mettent en évidence une remarquable unité.

Ces orientations se rattachent en grande partie à quelques principes qu'il a lui même formulés

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Jean Coulomb, selon une expression qu'il s'applique à lui-même "fut un très bon élève avec tout ce que cela comporte de péjoratif". Il entre à l'Ecole normale de la rue d'Ulm en 1923 - il n'a pas tout à fait 19 ans - avec quatre camarades marseillais comme lui. "Dans cette chère Ecole, écrit-il, j'ai fait beaucoup d'autres choses que des mathématiques. L'Ecole d'après guerre était redevenue un foyer de grande culture, très peu confortable, où l'on mangeait très mal, mais où l'on pouvait, pourvu que l'on s'en donnât la peine, sortir de sa coquille et communier avec des esprits différents, frondeurs ou sérieux, littéraires ou scientifiques, athées ou religieux". Il est agrégé de mathématiques dans un excellent rang et obtient même, comme me l'a révélé Henri Cartan qui passait le même concours, la meilleure note à la composition de calcul différentiel et intégral.

Jusqu'ici, il avait fait des choix : littéraire ou scientifique ? normalien ou polytechnicien ? mathématicien ou physicien ? Peu après commence le passage de la bonne "Fortune qu'il faut saisir par les cheveux". Elle se présente sous les traits d'Yves Rocard qui lui apprend que Marcel Brillouin cherche un mathématicien pour le remplacer comme assistant de physique mathématique. Brillouin qui étudiait le difficile problème des marées en eau profonde l'associe à ses recherches et à la publication d'un opuscule sur les oscillations de l'eau dans un bassin tournant. Il l'oriente aussi vers la théorie élastique des ondes sismiques. La thèse principale de Coulomb porte sur les ondes de Rayleigh. La "petite thèse" sur les ondes de Love. Ses développements le conduisent à introduire et à étudier des fonctions de deux variables et d'un indice, généralisant les fonctions de Bessel, question qui a été reprise et poursuivie par H. Bateman, le grand expert des fonctions spéciales. Il retrouve et généralise des résultats sur les ondes sismiques superficielles. Voilà notre mathématicien fort bien parti. De fait, quelques années plus tard le groupe Bourbaki fera appel à lui : il n'y reste pas longtemps. C'est que "dame Fortune" était de nouveau passée près de lui grâce à un membre du jury de sa thèse, Charles Maurain, fondateur de l'Institut de Physique du Globe de Paris, qui lui conseille de prendre à l'Institut et Observatoire du Puy de Dôme, la place laissée vacante par le physicien adjoint qui venait d'être nommé Directeur.

"Six années de travail et de réflexion en plaine et en montagne assez dures" écrit Coulomb - "m'ont appris assez de météorologie, de sismométrie et de géomagnétisme pour devenir un géophysicien présentable". Il y conduit des recherches expérimentales et théoriques sur les sismographes électromagnétiques qui furent longtemps les plus performants. Il avait reçu mission de faire des observations d'électricité atmosphérique, sujet alors très en vogue. Il faut relire les extraits d'un article de Coulomb cités par Jean-Louis Le Mouël concernant une mesure de différence de potentiel électrique faite dans des conditions très sommaires et quelque peu acrobatiques. Jean-Louis Le Mouël conclut cette relation en disant : "voilà bien un rude labeur pour un jeune mathématicien".

En 1937, Coulomb est nommé Directeur de l'Institut de Météorologie et de Physique du Globe de l'Algérie. "Titre pompeux mais situation difficile" commente notre nouveau Directeur ; "bonne occasion d'appliquer le précepte de Péguy". Il a la charge de 350 postes météorologiques dont il fait exploiter un siècle de données en vue d'établir une climatologie de l'Algérie. Il développe et stimule l'activité de l'Observatoire de Tamanrasset, fondé quelques années auparavant tout particulièrement pour les observations magnétiques ; mais avec quelles difficultés ! Il fallait trois jours de mauvaises pistes pour l'atteindre à partir d'Alger.

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En 1941, il succède à Charles Maurain dans la chaire de Physique du Globe de la Faculté des sciences de Paris. Il commence un enseignement qu'il va assurer pendant 30 ans, principalement avec les cours de sismologie, de géodésie et gravimétrie, de géophysique générale. Il est aussi Directeur de l'Institut de Physique du Globe de Paris avec les observatoires de Saint Maur - pour la sismologie et l'actinométrie - de Chambon la Forêt et de Nantes pour le magnétisme et aussi Directeur du Laboratoire de Recherches Météorologiques à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. En 1946 furent ajoutés à ses responsabilités l'Observatoire de la Martinique et un peu plus tard la station de la Guadeloupe.

Il développe les études de géomagnétisme à l'Institut, y apporte des contributions personnelles, et en 1951 il est élu Président de l'Assocation Internationale de Magnétisme et d'Electricité terrestres. En 1953, il est Directeur du Centre d'Etudes Géophysique du CNRS. Il y fera créer des laboratoires propres : le Groupe de Recherches Ionosphèriques implanté à Saint-Maur, le Groupe de Recherches Géophysique à Garchy dans la Nièvre, le Service d'Aéronomie à Verrières. Il faut aussi mentionner le laboratoire d'Astronomie Spatiale de Marseille et le Groupe de Recherches en Géodésie spatiale de Toulouse.

Doit encore être notée sa collaboration à la création d'un Centre de Géophysique à l'ORSTOM, l'Office de la Recherche Scientifique et Technique d'Outre-Mer, à la création d'observatoires en Afrique (Dakar, Bangui) et en Nouvelle Calédonie. Dès 1950, il prépare avec Pierre Lejay et André Danjon la participation française à l'Année géophysique internationale de 1957-1958. En 1953, il est Secrétaire général du Comité National Français préparant cette manifestation, et l'un des cinq membres du Comité international présidé par Sydney Chapman. Il joue un rôle de premier plan dans les expéditions antarctiques, futures pépinières de tant de scientifiques prestigieux.

J'en ai assez dit pour rendre compte de l'extraordinaire dynamisme dont Jean Coulomb a fait preuve pour rénover, développer et faire rayonner la géophysique française. Sans doute convient-il de noter le respect, l'admiration, l'estime de ses étudiants et de ses collaborateurs et bien souvent même leur réelle affection. Ces sentiments reposaient sur la haute valeur scientifique de leur maître, sa haute culture qui le rendait capable de discuter et de juger les travaux portant sur la quasi-totalité des disciplines de la géophysique, sur son expérience de chercheur. Comme le remarque Georges Jobert, ses recherches avaient porté sur des sujets très variés et ses résultats lui avaient valu la considération justifiée de ses pairs étrangers. Mais il ne s'était pas consacré à un problème majeur où il aurait pu apporter une contribution essentielle. Il lisait un nombre étonnant de revues, en extrayant des fiches contenant un résumé et des remarques personnelles, fiches qu'il distribuait aux chercheurs concernés. Avec ses élèves, il savait, note André Lebeau, allier d'une façon harmonieuse autorité et bienveillance, exigence et indulgence, une bienveillance jamais teintée de complaisance, ce qui donnait du poids à ses louanges comme à ses critiques. Les unes comme les autres donnaient envie - comme l'écrit André Lebeau - de remettre l'ouvrage sur le métier et de mériter l'approbation du maître. De toute évidence ce n'était pas la gloire personnelle que cherchait ce dernier, mais l'essor de la discipline, le rayonnement du laboratoire, la satisfaction et l'épanouissement de ses élèves et de ses collaborateurs.

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En 1956, nouveau passage de la Fortune : c'est Gaston Dupouy qui appelle Jean Coulomb comme Directeur adjoint du CNRS en attendant de lui laisser la place, l'année suivante, de Directeur - bientôt Général - du grand établissement de recherche.

Sans perdre le contact, bien sûr, avec sa chère géophysique, Jean Coulomb sera désormais un grand acteur de la science française au niveau national et international. Lors d'un discours où il évoque son passage au CNRS, il déclare : "le CNRS fut pour moi six années de travail acharné et d'inoubliables contacts humains, au terme desquelles, j'ai laissé sans remords un CNRS bien vivant, trop peut-être, entre les mains de Pierre Jacquinot". L'année 1956, c'est, si je ne me trompe, celle où, pour la première fois depuis la guerre, le gouvernement comprend un membre chargé de la recherche ; 1962, les nouvelles structures de la recherche sont mises en place et commencent à fonctionner. Quelle rapide mutation que l'on pourrait préciser par quelques données chiffrées extraites des volumes édités à l'occasion du cinquantenaire du CNRS ! J'évoquerai seulement quelques souvenirs personnels.

Dans les premières années de la prise de fonction du nouveau Directeur général, j'étais membre de la section où se traitaient les affaires de la mécanique. Lors de chaque réunion, le Directeur était présent pendant un temps limité certes, mais il connaissait fort bien les affaires traitées ainsi que les membres, essentiellement les professeurs directeurs des laboratoires les plus gros qui avaient tendance à jouer un rôle trop important dans la distribution des crédits à accorder ou à partager. Je me souviens aussi d'une réunion dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où étaient réunis tous les électeurs chargés d'élire le nouveau directoire par des scrutins successifs. Le Directeur général, sur l'estrade , dirigeait les opérations et inscrivait lui-même au tableau les résultats des dépouillements. L'atmosphère était tendue entre les chercheurs et les membres de l'enseignement supérieur, les premiers prétendant qu'ils élaboraient la science vivante alors que les seconds enseignaient la science morte. Les grands patrons candidats étaient mis en difficulté contrairement à l'habitude ; et certains d'entre eux retiraient leur candidature et quittaient la salle. J'observais avec consternation le pauvre Directeur général continuant jusqu'au bout l'opération éprouvante alors que, vu l'atmosphère, je m'attendais à ce qu'il décide de l'arrêter. J'ai compris plus tard qu'il appliquait le précepte de Charles Péguy sous la formule ramassée : "il faut garder le fort !". Je voudrais évoquer un dernier souvenir où Jean Coulomb et moi n'étions pas du même avis. Le Général de Gaulle avait convoqué le premier Comité Consultatif de la Recherche Scientifique et Technique à l'automne 1958 et invitait ses douze membres à préparer des propositions définissant les structures de la recherche les plus aptes à favoriser l'accession de notre pays au premier rang des puissances scientifiques. Le Comité travailla avec ardeur et enthousiasme et dans une ambiance de grande liberté. L'une de ses propositions visait l'affirmation de la vocation universitaire du CNRS et la création de l'Office National des Instituts de Recherche. Quelques jours avant la réunion du Comité interministériel présidé par le Premier Ministre, au cours duquel devait être présenté ce projet, je rencontre le Directeur général du CNRS qui me fait part de sa radicale opposition. J'étais surpris et étonné car je pensais - et je continue à penser - que la perspective offerte était très intéressante et j'étais persuadé que Coulomb partagerait notre point de vue. J'ignorais à l'époque son attachement au précepte de Charles Péguy. Notre projet impliquait le retrait du CNRS de deux ou trois laboratoires propres. Tous les ministères techniques étaient eux aussi opposés, chacun estimant qu'il était le mieux placé pour définir et contrôler l'activité d'un Institut de recherche dont les applications devaient intéresser son département ministériel. Le projet fut retiré de l'ordre du jour du Comité interministériel.

Jean Coulomb sut admirablement tirer parti des textes définissant les nouvelles structures du CNRS et négocier avec la jeune Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique - DGRST - les statuts des personnels garantissant la stabilité de leur emploi. Il conduisit très habilement ses discussions avec le ministère des finances qui appréciait la clarté de ses présentations budgétaires contrastent avec le flou et le manque de cohérence des budgets des facultés et de l'enseignement supérieur. Il sut adapter le CNRS aux nouveaux objectifs de la politique de la recherche en préparant, et parfois en lançant, des initiatives nouvelles, par exemple les recherches coopératives sur Programme et les actions concertées. Il pouvait donc avec raison être satisfait de laisser à son successeur un CNRS bien vivant.

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Jean Coulomb ne resta pas sans responsabilité majeure. Il s'était depuis longtemps intéressé à l'espace et il suivait "avec satisfaction les travaux du service d'aéronomie qui permettait à Jacques Blamont de donner sa mesure". Aussi n'est-il pas surprenant que Gaston Palewski, Ministre en charge de l'Espace, lui confie en octobre 1962 la présidence du Centre National d'Etudes Spatiales créé quelques mois auparavant. Nouvelle aventure que cette présidence, si différente de la direction générale du CNRS. Il s'y adapte avec aisance. Ecoutons Jacques Blamont : "Il aimait la jeunesse, l'invention, l'audace, le futur. Il forme avec son Directeur général, le Général Aubinière un couple idéal, reconnu comme tel par tous ceux qui ont travaillé à la mise en route du nouvel organisme. A Jean Coulomb la stratégie ; à Robert Aubinière le soin de faire marcher la machine". Il adopta et mit en œuvre la philosophie qui permit au jeune organisme de s'inscrire dans l'ensemble scientifique français en lui donnant le maximum d'efficacité, tout en minimisant les perturbations créées par sa présence : sous-traiter la science aux scientifiques, et la technique aux industriels. Je peux en porter témoignage ; car en novembre 1962, je fus nommé Directeur général de l'Office National d'Etudes et de Recherches Aérospatiales, un organisme très déçu par la création du CNES, et très jaloux, car il estimait avoir bien des titres à jouer un rôle important dans la politique spatiale du pays. Gaston Palewski provoqua une occasion pour nous rencontrer ensemble Coulomb et moi et pour nous dire : "je sais que vous entretenez des relations d'estime et d'amitié ; je vous demande d'arrêter ensemble les dispositions les plus favorables pour gérer au mieux les relations mutuelles de vos deux organismes". Nous nous y sommes employés. La confiance des principaux responsables s'étendit progressivement à leurs collaborateurs et eut raison des fortes méfiances initiales. Quand en 1967, Jean Coulomb quitte le CNES, le bilan du jeune organisme est impressionnant : le Centre spatial de Toulouse est créé ; la décision de créer en Guyane, pour l'Europe, le meilleur champ de tir au monde est prise ; les grandes lignes de la politique et des programmes sont bien définies.

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"Je suis entré à l'Académie en 1960, Maurain poussant et Danjon laissant faire. Je gardais en mémoire la boutade de jeunesse d'André Weil, grand admirateur d'Elie Cartan : "Je croyais que l'Académie ne servait à rien ; mais elle sert à faire plaisir à Papa Cartan". C'est dire l'enthousiasme du nouvel académicien. Il était tout entier occupé par ses fonctions au CNRS, puis au CNES, et il n'attendait pas grand chose de la vieille dame du quai Conti.

Toutefois Jean Coulomb constate que l'Académie des sciences représente notre pays au sein de l'ICSU, le Conseil des Unions scientifiques internationales. Pour rendre plus efficace l'action de l'Académie au sein de cette institution représentative de la science mondiale, il réussit en 1967 avec Maurice Roy à faire créer le COFUSI, le Comité français des Unions scientifiques internationales. Notre pays joue alors un rôle de premier plan au sein de l'ICSU si bien que Jean Coulomb en sera le Président de 1972 à 1974. Il eût un très délicat problème à résoudre avec l'admission de la Chine de Pékin. Ses talents de diplomate firent merveille. C'était la première fois que Jean Coulomb voyait que l'Académie pourrait se révéler une institution utile pour le rayonnement de la science française. Cela ne sera pas la dernière.

Un chimiste, Maurice-Marie Janot, tenta dans les premières années 1970 de convaincre ses confrères que l'Académie des sciences pouvait et devait tenir une place importante dans la vie scientifique du pays. Il avait monté une opération par correspondance en vue d'engager une réflexion sur une réforme possible qui fut sur le point d'aboutir. Contre toute attente, il n'en fut rien. J'entends encore Coulomb furieux, manifestant bruyamment sa déception dans le salon attenant à la salle des séances : "il n'y a vraiment rien à faire avec cette Compagnie". Sa colère était bon signe. De fait, quand, au début de 1975, nous apprîmes que le Président de la République voulait préparer une réforme de l'Académie, Coulomb fut de ceux qui participèrent activement aux réflexions et aux échanges de vues pour tenter de définir les missions que l'Académie entendait remplir et les dispositions qui seraient alors nécessaires. A la fin de l'été, lorsque fut connue la démission de Louis de Broglie comme Secrétaire perpétuel, il se préoccupa alors de la succession. Nous trouvant ensemble au sortir d'une réunion, André Blanc-Lapierre et moi, il nous déclara : "vous êtes tous les deux de bons amis ; arrangez-vous pour que l'un de vous soit candidat au poste de Secrétaire perpétuel". C'était une marque de confiance et surtout une promesse de soutien qui furent pour moi décisives pour vaincre les hésitations devant une aventure chargée de responsabilités imprévisibles à remplir dans des conditions largement inconnues.

A la fin de 1976, un court décret permettait à l'Académie d'engager sa réforme. Ce fut Jean Coulomb qu'elle élut Président pour les deux années à venir 1977 et 1978. Est-il besoin de dire qu'il présida l'Académie avec efficacité? En deux ans la Compagnie réussit, comme elle l'avait promis, à réécrire complètement son règlement dont les dispositions dataient souvent du siècle dernier. Tous les articles furent discutés et adoptés en Comité secret au cours de débats animés. Il n'existait pas de réunions de Bureau. C'est, guidé par le Président, que je faisais mes premières armes de Secrétaire perpétuel, avec un secrétariat où ne manquaient pas les bonnes volontés, mais un peu troublé par les nouveaux modes de travail. La réforme de l'Académie produisait ses effets et les plus hautes autorités de l'Etat portaient attention à la Compagnie. Au cours d'un déjeuner à Matignon auquel avait été invitée une petite délégation de Confrères, le Premier Ministre exprima le souhait que l'Académie lui adresse périodiquement, tous les deux ans je crois, un court rapport sur la science française, ses forces et ses faiblesses. Je me réjouissais de cette proposition. Mais de retour quai Conti, le Président tempéra mon ardeur estimant que l'Académie n'était pas en mesure de mener une entreprise aussi difficile. Je fus déçu, mais je reconnais que c'était la sagesse même. Je me souviens également d'un échange de lettres avec René Haby, Ministre de l'Education. Le Président avait transmis au Ministre quelques observations critiques formulées par les mathématiciens de l'Académie concernant les programmes de mathématiques des classes de Collèges. Le Ministre accusa réception en remerciant l'Académie de ses remarques dont il serait tenu le plus grand compte. Quelques semaines plus tard la publication des programmes montra qu'il n'en avait rien été. Le Président Coulomb protesta vigoureusement montrant qu'un Ministre ne pouvait pas traiter l'Académie avec une telle désinvolture. Le Ministre, un peu confus, invita l'un de nos mathématiciens à participer aux travaux de la commission des programmes.

Quelques années après la fin de sa présidence, l'Académie confia à Jean Coulomb la charge d'animer une commission ayant pour mission l'étude des méthodes possibles pour assurer à l'Académie le concours indispensable de compétences en matière industrielle, voire financière et commerciale, pour mener à bien les travaux qu'elle entendait conduire, soit de sa propre initiative, soit à la demande des Pouvoirs publics. C'est à la suite de cette étude très complète que l'Académie s'associa le CADAS, le Comité des Applications de l'Académie des Sciences, selon une formule originale et qui fit ses preuves pendant une quinzaine d'années. Comment éviter ici de parler de la dernière réunion du 5 octobre 1998 où Jean Coulomb fut parmi nous. L'ordre du jour prévoyait un échange de vues sur l'avenir du CADAS. Malgré sa grande fatigue, Jean Coulomb suivait le débat et comprit que la discussion n'était pas orientée pour poser les questions fondamentales. En échangeant avec lui notre dernière poignée de mains, il me fit part de sa vive inquiétude et m'engagea à faire preuve de vigilance. Je lui ai promis de faire tous mes efforts pour que, à travers les événements incertains qui se préparaient, soit maintenue et renforcée une Académie bien vivante et efficace au service de la science française et de sa communauté, digne héritière de celle qu'il avait tant contribué à rénover.

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On oublie trop souvent l'état de grande faiblesse où se trouvait la science française entre les deux guerres. Trop de jeunes morts au front ! Nombreux parmi les combattants ceux qui sont revenus épuisés et meurtris ! L'université française a grandement souffert entre les deux guerres d'un déficit de maîtres, et les générations nées au début du siècle en ont été affectées. Nous avons une dette de reconnaissance envers ceux qui, en dépit d'une situation difficile encore aggravée par les années 1939 - 1945, ont néanmoins réussi à faire renaître une science française profondément renouvelée. L'Académie a le devoir de ne pas l'oublier. Jean Coulomb est indiscutablement de ceux-là. Il a joué un rôle de premier plan, unique et incomparable, en faisant passer avant la satisfaction de l'œuvre personnelle qu'il aurait pu faire, le service d'une communauté scientifique affaiblie et convalescente en y consacrant son temps, ses dons, son énergie. Le travail peu glorieux qu'on lui confie au Puy de Dôme, la remise sur pied des observations météorologiques et magnétiques en Algérie, la rénovation de l'extension des moyens de travail et des champs d'étude de la géophysique et la formation des jeunes chercheurs, la conduite du CNRS - au prix d'un travail acharné reconnaît-il - pour lui donner le souffle et la capacité de devenir l'établissement de recherche principal d'une science française ayant retrouvé sa place dans le peloton de tête des nations scientifiques ; le lancement d'une politique spatiale scientifique et technique originale et performante adaptée aux possibilités du pays ; la conduite de l'Académie des sciences, s'éveillant d'une longue période de sommeil qui durait depuis la première guerre, pour lui faire retrouver la mission qu'elle n'aurait jamais dû oublier : être selon l'expression de Pierre Jacquinot, la conscience du monde scientifique, éveillée, lucide, vigilante, stimulante, exigeante ; ne fallait-il pas que l'Académie reconnaisse et célèbre une telle œuvre ! Jean Coulomb n'en ignorait pas les résultats : "Je suis émerveillé aujourd'hui en voyant le poids mondial du CNRS, du CNES, de l'Académie des sciences. Je suis un peu inquiet cependant devant la complexité de leurs structures". Pourquoi souhaitait-il que cette œuvre ne soit pas évoquée ? Par modestie certes ; mais aussi parce qu'il estimait, à tort à mes yeux, que vis-à-vis des grandes découvertes et des grandes avancées des géants de la science, ce qu'il avait fait n'avait que peu de prix : "Nommé au Puy de Dôme après une thèse théorique ; dirigeant en Algérie un Institut de Météorologie avant de savoir grand chose de cette science ; enseignant en Sorbonne la sismologie et le géomagnétisme que j'apprenais à mesure, j'ai écrit des remarques plutôt que des mémoires". A l'époque où l'on évalue la valeur du scientifique par le nombre de ses publications, leur indice de citations et leur écho médiatique, il ne pesait pas bien lourd, pensait-il. En insistant pour qu'il ne maintienne pas son opposition à ce que l'Académie laisse sa mort sans s'exprimer, je souhaitais affirmer que ce n'était pas ainsi que jugeait la Compagnie, et l'assurer de sa vive reconnaissance. Elle est mémoire fidèle, non seulement des savants illustres, mais aussi de la science française, de son rayonnement national et international et surtout, de ceux qui l'ont servie et qui l'ont fait vivre.

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Il faut dire quelques mots sur l'homme. La convergence des témoignages est impressionnante. Jacques Blamont écrit "le Professeur Coulomb était doué de qualités exceptionnelles qui lui donnaient une autorité incontestée : d'une honnêteté intellectuelle totale, d'un désintéressement absolu quant à sa personne et à sa carrière, d'un courage intransigeant dans le choix des options et la conduite des affaires, il se présentait comme la référence d'une action impeccable". André Lebeau apporte une note complémentaire : "au-dessus de l'admiration et du respect qu'il commande, je place l'affection que je lui porte, parce que je place, au-dessus de toutes les qualités qui faisaient de lui un homme éminent, sa profonde bonté". Jean-Louis Le Mouël à la fin de son témoignage se demande : "D'où tenait-il son intelligence souveraine ? de la rapidité de son jugement, même s'il était faillible, de sa capacité à voir loin, d'une assurance de bon aloi (rien ne lui était plus étranger que la vanité et l'arrogance)". Sans doute. Mais ce n'est pas assez. Il y faut ajouter la chaleur humaine, une exquise courtoisie à l'égard de tous. Ce n'est pas assez encore. Ce qu'il y avait de plus chez lui est plus difficile à décrire. J'aurais pu emprunter pour le faire à maints portraits de littérature. J'emprunterai à la sagesse en disant simplement : "Coulomb était un grand bonhomme".

Cette grande richesse humaine est le signe d'un enracinement et d'un environnement familial de grande qualité : A partir des quelques indications qui lui sont données, à chacun d'imaginer, de découvrir et de contempler comment Jean Coulomb a su l'entretenir et y faire épanouir la personnalité si admirable que nous avons connue. Son père descendait de paysans bas-alpins. Au moment de la naissance de Jean en 1904, il enseignait le français, le latin et le grec au Collège de Blida. Sa mère, orpheline, avait peiné pour faire ses études. Reçue à Fontenay, elle y fut imprégnée, nous dit-il, par "l'atmosphère austère émanant des maîtres soigneusement choisis par la Troisième République". Elle créa à Blida, puis à Alger, des Ecoles primaires supérieures de jeunes filles, et donna à l'Ecole Edgar Quinet de Marseille une impulsion extraordinaire. Lorsque Jean Coulomb était à l'Ecole, la bonne Fortune lui fit rencontrer une sévrienne, Alice Gaydier, qui fut très attachée à son métier de Professeur d'histoire et de géographie et qui sut faire les choix voulus pour concilier vie personnelle, vie familiale et vie professionnelle. Son père était instituteur, fils de paysans auvergnats, aussi besogneux et pauvres que leurs homologues bas-alpins.

Jean et Alice ont eu quatre enfants et de nombreux petits-enfants. Ils se retrouvaient tous durant les vacances d'été, dans la maison ancestrale de Haute Provence. Les enfants ont tous gardé le souvenir très vif de ce qu'ils ont vécu dans leur jeunesse avec ces parents dont la maison était ouverte et qui avaient le culte de l'amitié - l'amitié disait Jean, à la fin d'un discours, la seule société qui ne comporte ni président, ni directeur. On n'y parlait guère de culture. On la vivait tout simplement. Jean récitait volontiers des poèmes ; il en composait lui-même - hommage au professeur de français ? Une sélection fut éditée en 1984 à usage privé par les soins des enfants. Un exemplaire vient d'être déposé dans nos Archives.

Amour, amitié, confiance, tolérance (Jean était agnostique, Alice très croyante) vécus dans la transparence et la fidélité. N'est-ce pas là, cher Jean-Louis Le Mouël, la source ou le reflet de ce quelque chose qui était chez lui si difficile à décrire et qui rend si précieuse, à nous comme à beaucoup d'autres, la grâce de l'avoir connu et aimé.

Chers enfants Coulomb, chers amis, soyez sûrs que nous ne l'oublierons pas.


Jean Coulomb, membre de l'Institut