TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.IV (1990)

Jean Gaudant
Analyse d'ouvrage
G. GOHAU : "Les Sciences de la Terre aux XVIIè et XVIIIè siècles. Naissance de la Géologie" (Albin Michel, Paris, 1990, 420 p., 180 F).

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 28 novembre 1990)

La collection "L'évolution de l'Humanité", fondée par Henri Berr, vient enfin de combler une grave lacune avec la publication de l'ouvrage de Gabriel Gohau consacré au développement des Sciences de la Terre pendant les XVIIème et XVIIIème siècles. A un demi-siècle de distance, ce livre vient donc prendre la place demeurée vacante aux côtés de celui dans lequel Emile Guyénot retraça l'évolution des Sciences de la Vie pendant cette période cruciale pour l'épanouissement de la pensée scientifique. Ecrit d'une plume alerte, le livre de Gabriel Gohau est d'une lecture fort plaisante, d'autant plus que le canevas adopté lui confère le plus souvent un authentique parfum d'aventure ... scientifique.

Pour en arriver là, l'auteur a fort habilement choisi un fil directeur qui le conduit à retracer la naissance de la géologie historique en montrant comment émergea peu à peu une conception événementielle de l'histoire de notre planète. Pour davantage de clarté - subtil hommage à Buffon ! - le livre est divisé en trois "époques"...

La première traite des "Fondateurs", ce qui autorise d'indispensables retours en arrière jusqu'aux Anciens et aux grands précurseurs qui, principalement à partir du XVème siècle, ont commencé à ouvrir la voie. L'auteur souligne ainsi comment la réflexion sur l'origine et la signification des fossiles a joué un rôle décisif pour la compréhension de l'histoire terrestre. A ce sujet, on regrettera un jugement probablement trop négatif sur le caractère jugé "dérisoire" des conséquences tirées par Bernard Palissy de ses observations sur les coquilles fossiles.

Après la révolution astronomique de Copernic, la réflexion sur la Terre s'approfondit et Descartes (1647) imagine le premier un modèle génétique de la formation de notre planète. Il anticipe ainsi sur la première "Théorie de la Terre" due à Burnet (1681). Avec Sténon qui inaugure l'étude de la succession des strates en formulant le principe de superposition (1669), les "archives de la nature"commencent à prendre toute leur importance. De plus, Hooke attire l'attention sur les coquilles fossiles qu'il qualifie de "médailles de la Nature".

Avec le début du XVIIIème siècle s'ouvre une seconde époque, que l'auteur intitule "La Terre et les Eaux". Avec John Ray et Louis Bourguet, les montagnes deviennent enfin dignes d'intérêt et une nouvelle réflexion se développe sur leur âge, que John Ray fait remonter à la Création, alors que Bourguet considère que notre monde est de "seconde formation".

Commence également à se poser la question de l'âge de la Terre. Benoît de Maillet, qui a une vision cyclique de l'histoire terrestre, est, avec Henri Gautier, l'un des premiers auteurs à envisager une chronologie longue (plusieurs millions d'années pour chaque cycle). A ses conceptions neptuniennes s'oppose le vulcanisme de Lazzaro Moro (1740) pour qui les reliefs sont créés par l'action des volcans.

Avec Lehmann (1756) s'amorce la distinction entre "montagnes primitives" et "montagnes à couches", formées lors du Déluge. L'histoire commence alors à s'écrire de manière linéaire, sans recours aux cycles : le temps des "Epoques" est enfin venu avec Buffon (1778) ! Bientôt, au moment où naîtra la cristallographie, plusieurs observateurs, comme Horace-Bénédict de Saussure, seront frappés par la ressemblance morphologique entre certaines montagnes et des cristaux. De fait, avec Deluc, Dolomieu et Gottlob Werner se fait jour l'idée que les roches aient pu résulter d'une précipitation à partir d'un liquide, mais Desmarest ne tarde pas à redonner vigueur au vulcanisme en reconnaissant l'origine volcanique du basalte.

C'est toutefois un neptuniste, Werner, qui fera faire un nouveau progrès décisif à l'étude de la terre en créant la géognosie qui, en s'intéressant à l'ordre de succession des couches, propose une esquisse de chronologie plus élaborée que ses prédécesseurs.

Mais, faute d'avoir utilisé les fossiles, cette entreprise éprouve rapidement ses limites. La géologie peut enfin naître car toutes les "Archives de la Terre" sont désormais auscultées avec profit : une troisième "époque" commence. A ce moment précis l'accroissement des besoins en substances utiles conduit à la création des premières écoles et académies minières et à l'accroissement corrélatif du volume des recherches. Le décryptage de la structure des montagnes demeure également au centre des préoccupations et Horace-Bénédicte de Saussure se persuade, en observant le poudingue de Vallorcine, de l'importance des plissements, tandis que Dolomieu ne tarde pas à envisager l'existence de mouvements tangentiels. Pour sa part, James Hutton observe et figure ce que ses successeurs nommeront des discordances. Avec lui, le plutonisme effectue un retour en force car le feu interne a, à ses yeux, des vertus multiples, notamment quand il s'agit de soulever les strates et de produire des intrusions granitiques.

Bientôt, le recours à de "nouvelles archives" autorise de nouveaux développements. Les fossiles étudiés par Cuvier révèlent des discontinuités entre les faunes, ce qui permet de jeter les bases de la stratigraphie. Ce catastrophisme triomphera lorsqu'Elie de Beaumont mettra en parallèle les extinctions des faunes et les événements tectoniques majeurs reponsables de la formation des "systèmes de montagnes". Les géologues disposent donc désormais d'un "double archivage".

Toutefois, aux conceptions catastrophistes s'oppose bientôt l'uniformitarisme, un principe invoqué par James Hutton et dont Charles Lyell se fait l'avocat éloquent. Cela le pousse à adopter des chronologies longues, un point de vue qu'il partage avec certains catastrophistes qui, comme Buckland, parlent de "millions de millions d'années". Leur catastrophisme tient au fait que pour eux, les plissements sont des phénomènes "violents et prompts" qui bouleversent brutalement l'écorce terrestre. Encore faut-il connaître le mécanisme de ces plissements, généralement considérés comme résultant du refroidissement du globe. A ce sujet, deux interprétations s'opposent puisque Louis Cordier prétend que l'écorce terrestre se contracte en refroidissant alors que la masse centrale conserve le même diamètre, tandis qu'Elie de Beaumont prétend que le plissement de l'écorce est la conséquence de la diminution de diamètre des masses internes du globe.

Comme le souligne le raccourci précédent, l'auteur a su indiquer avec une grande maîtrise comment, à travers un chassé-croisé d'idées souvent contradictoires, se sont élaborées progressivement des conceptions géologiques qui commencèrent peu à peu à préfigurer les nôtres.

On saluera comme bénéfique l'idée d'intercaler, à la fin de la plupart des chapitres, des passages choisis d'oeuvres originales car cette initiative offre au lecteur l'avantage d'un retour aux sources qui lui permet d'éviter ponctuellement la médiation de l'historien.

Enfin, l'auteur et l'éditeur sont tous deux à féliciter pour la place importante faite aux références (une cinquantaine de pages y sont consacrées), sous forme de notes abondantes et d'une ample bibliographie, riche d'environ 450 titres. Deux index, alphabétique et thématique, facilitent également la consultation de l'ouvrage.

En conclusion, voilà un livre qui devrait déjà figurer dans votre bibliothèque. Si ce n'est pas encore le cas, courez donc vite l'acheter ... Vous ne le regretterez pas !