TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XI (1997)

Solange WILLEFERT
Découverte des terrains à graptolithes du Maroc de 1845 à 1958

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 5 mars 1997)

La découverte géographique du Maroc est lente et timide pour des raisons politiques et en raison de l'insécurité. A la fin du dix-neuvième siècle, deux cartes synthétiques encore bien frustes sont disponibles : celle de P. Schnell (1898, in L'Atlas marocain d'après les documents originaux) et celle de R. de Flotte de Roquevaire (1896-1897, 1ere édition). Les préoccupations géologiques n'avaient été qu'accessoires et les indications topographiques provenaient pour l'essentiel de mesures d'altitudes au baromètre faites par des voyageurs qui furent d'ailleurs assez nombreux après 1860, parmi lesquels Hooker, Bail et Maw (1871, publication en 1878) et Joseph Thomson (1888, première carte géologique en couleurs) pour une portion du Haut-Atlas, et surtout des périples de Charles de Foucauld, premier réalisateur des courbes de niveau à travers le pays (1883-1884, publication en 1888).

Les terrains susceptibles de contenir des graptolithes sont donc fondus dans les "terrains anciens".

Or l'Europe, l'Empire russe, l'Amérique du Nord et certains pays colonisés, à Services géologiques actifs, ont développé une cartographie géologique qui soulève déjà des problèmes de limites stratigraphiques entre les systèmes Cambrien, Silurien et Dévonien selon la terminologie de l'époque (on dit encore aussi Silurien et Dévonien) et qui permet une lecture structurale mobiliste à la faveur d'orogénies nouvellement définies.

Les vingt premières zones de graptolithes ont été établies par Charles Lapworth (1880) et ne demandent qu'à être affinées ; les terrains les contenant ont été décrits et rassemblés par Frech (1880-1897) ; les aventures tectoniques les impliquant ont été cernées par Edouard Suess (fin dix-neuvième-début vingtième, car la traduction française de La Face de la Terre s'est étirée jusqu'en 1912.


Fig. 1 - Sur l'esquisse de la carte de Louis Gentil extraite de Le Maroc Physique (1912), ont été portées les régions paléozoïques marocaines.

C'est dire qu'à l'orée du vingtième siècle, les géologues pionniers au Maroc étaient magnifiquement fournis en documentation. Si les résultats furent longtemps aussi maigres, c'est que le Paléozoïque inférieur apparut d'abord comme peu attrayant, peu ou pas fossilifère et bien compliqué, au cours des voyages de reconnaissance, par rapport aux terrains plus récents, immédiatement "parlants" grâce à leurs fossiles. Les géologues du Paléozoïque furent à la fois concurrents et rivaux, ainsi que peu ou prou dépendants du vedettariat de maîtres parisiens. Cela peut expliquer le peu d'internationalité de cette fraction de la géologie jusqu'en 1958, date de l'entrée du Maroc dans les travaux de la sous-commission de stratigraphie pour la limite siluro-dévonienne, date où s'arrête cette note.

On examinera donc :

Ces deux dernières expressions sont empruntées à Pierre Despujols (1933) fondateur du Service géologique du Maroc en 1921, structure encore incluse dans le "Service des Mines" du protectorat.

Les principales régions dont les noms reviendront fréquemment pour le Paléozoïque inférieur sont :

Ces unités sont déjà tout à fait perçues dans la première esquisse géologique effectuée par Louis Gentil (1912), sauf pour les Plateaux du Draa [ou Dra] et le Bani, attribués par erreur au Crétacé (Fig. 1). Il s'agit du prélude à la première carte géologique d'ensemble parue en 1920.

1. Les balbutiements géologiques

En l'absence d'une connaissance simplement morphologique de l'intérieur du Maroc, il ne saurait y avoir de relations entre l'appréciation de structures et l'intuition de terrains anciens au cours de rarissimes indications rapportées pendant le dix-neuvième siècle. Voici donc rapidement quelques mentions de documents cartographiques d'où se dégageront les unités paléozoïques saisies par L. Gentil.

Mais dans tout cela, il n'y a pas de place pour la reconnaissance des terrains à graptolithes, ni même du Paléozoïque inférieur.

Retenons l'expédition de Hooker, Bail et Maw (1871, publication en 1878) dans le Haut-Atlas occidental. Du sommet du Jbel Teza (ou Tiza), ils définissent l'Anti-Atlas -par analogie avec l'Anti-Liban pour le choix du nom -, soit la branche divergente SW, puis parallèle au Haut-Atlas qui enserre la plaine du Sous, déjà perçue par leur compatriote Jackson. Le schéma géologique du Haut-Atlas établi par Maw, montre un axe principal en porphyres, bordé de séries sédimentaires percées de dykes de porphyres et recoupées de basaltes et de dolérites : ces complications interdisaient une datation du soulèvement du coeur de la chaîne, mais des calcaires crétacés et peut-être même éocènes, d'après des traces de fossiles avaient été aussi soulevés et perturbés ; leur carte montre qu'il faut patiemment explorer les vallées. Eux-mêmes s'étaient servis de la carte du capitaine Beaudouin (1848), beaucoup plus rigide comme dessin que celle de Emilien Renou, mais complétée d'une chaîne parallèle au Sud du Haut-Atlas, qui doit correspondre au Bani, sinon à un condensé de cette chaîne avec un hypothétique Anti-Atlas.

Joseph Thomson (1888) fera paraître la première carte géologique marocaine du Haut-Atlas occidental et central avec la seule mention "Plateau of the Anti-Atlas" en terrains tertiaires sans retenir la chaîne découverte et publiée dix ans plus tôt. On peut voir aussi sur sa carte au Nord de l'oued Tensift, comment les Rehamna et les Jebilet sont mal perçues à cette époque.

Lenz dans son "Timbouctou, voyage au Maroc, au Sahara et au Soudan" (1879, carte d'itinéraire établie par Kiepert) commence à remarquer au début de son voyage "les couches paléozoïques de l'Anti-Atlas correspondant à celles de la lisière sud du Haut-Atlas". L'oued Dra lui semble la limite du système de l'Atlas. Il ne reconnaît pas le Bani dans la "ligne de rochers qui surgissaient de la plaine et consistaient en couches verticales de quartzite foncé". Il marche sur des fossiles, en place ou dispersés, sans pouvoir en récolter depuis le Dra jusqu'à El Eglab, ayant saisi "les grands plateaux paléozoïques (carbonifères et dévoniens) qui constituent la partie nord du Sahara occidental".

Ces données, celles de Ch. de Foucauld, celles de nombreux autres voyageurs locaux et étrangers sur différents parcours, vont inciter le géographe Schnell à rassembler et positionner toute cette documentation éparpillée, en une "géographie critique" selon son expression, sur une carte cohérente mais combien difficile à réaliser. Ce sera "L'Atlas marocain" (1892) dont la description maîtresse est celle du Haut-Atlas considéré comme la véritable colonne vertébrale de l'orographie marocaine.

Ce Haut-Atlas se divise en deux ailes, occidentale et orientale, cette dernière pratiquement inexplorée.

Le Moyen Atlas

Beaucoup trop mal connu pour en supposer une géologie quelconque, il est pratiquement impossible d'en situer les limites. A l'Ouest on ne peut à l'époque le séparer de ce qui deviendra le Maroc central primaire ; à l'Est, on sait depuis Rohlfs que la vallée de la Moulouya est en granite.

L'Anti-Atlas avec le pays de l'oued Noun et celui du Dra inférieur.

La chaîne qui culmine vers 2000 m, avec ses contreforts occidentaux et orientaux a fait l'objet d'un certain nombre de parcours suivant les fortunes des villes telles Ilegh, Glimin ou Tiznidz liées aux caravanes venant de et allant vers Tindouf et Tombouctou. Mais les massifs manquaient de noms et ceux des oueds variaient en fonction des segments de leurs cours. Lenz l'avait attribuée au Paléozoïque.

Le Bani

"Lame qui émerge du sol" selon Ch. de Foucauld, de 200 à 300 m de haut et également en Paléozoïque depuis Lenz.

Enfin, parmi les autres subdivisions de la description marocaine de Schnell (sillon longitudinal entre Haut-Atlas et Anti-Atlas, c'est-à-dire la plaine du Sous ; sillon longitudinal du Dra supérieur, sillon longitudinal de l'oued Ziz) l'analyse des hautes Plaines entre le Haut-Atlas et l'Océan est particulièrement délicate. Le Moyen Atlas et le futur Maroc Central forment un bloc indistinct mais il y a des parentés de faciès entre la région d'Oulmès, Rabat, Casablanca et les chaînons en schistes argileux verticaux des Rehamna, de direction SSW-NNE, mal séparés de la chaîne étroite Est-Ouest des Djebilet, longue d'une dizaine de kilomètres et haute de 900 à 1000 m. Il se dessine donc un ensemble éparpillé de terrains reconnus anciens dans le système de terrasses imbriquées que Schnell tente de faire descendre vers l'Atlantique.

Au point de vue structure générale, si "la région de l'Atlas est donc un étranger du nord" sur le sol africain, "un membre de la grande zone des plissements méditerranéens ...", sa formation "a vraisemblablement débuté dès l'époque paléozoïque et était déjà achevée dans ses principaux traits à l'époque tertiaire". En bref, la parenté entre le Rif et le Sud de l'Espagne est relevée, l'effondrement de la côte archéenne, caps aigus et horsts de la chaîne ancienne, en arrière les matériaux plissés au Tertiaire ayant buté contre l'obstacle rigide du Sahara, aussi bien à l'Est qu'au Sud-Ouest où Carbonifère et Dévonien constituaient une "Meseta nord-africaine" résistante aux plissements venus du Nord. Schnell devait suivre de très près les idées en cours si magistralement orchestrées par Edouard Suess pour aboutir à ce très réaliste bâti.

Le travail de Schnell servit sans doute les projet allemands de colonisation marocaine. Parallèlement, en France, le travail du "Comité du Maroc" (ou de son prélude) avec ses missionnaires, aboutissait à la carte générale de de Flotte de Roquevaire (1896-97), très ressemblante à celle de Schnell quoique d'un dessin plus élégant. Là encore, on peut présupposer des arrière-pensées politiques. Les géologues pionniers du Maroc "ignorèrent' le travail de Schnell - pourtant traduit dès 1898 - mentionné seulement en 1912 par L. Gentil dans Le Maroc physique.

Résumé des mentions de Paléozoïque à la fin du dix-neuvième siècle :

Ainsi, à l'Ouest du Maroc, une trame de Primaire par corrélation de faciès, se met en place.

2. L'ère des explorations (1902-1925).

Enfin les géologues arrivèrent au Maroc : dans leurs bagages on peut supposer au moins la première édition des cartes de Flotte de Roquevaire ; La Face de la Terre de Suess pendant sa réédition, véritable réécriture, en français ; sa - déjà ! - simplification par Émile Haug (1900) et leur expérience algérienne car les deux pionniers A. Brives et L. Gentil viennent d'Alger, chacun relevant du "Comité du Maroc".

A. Brives échelonne ses voyages de 1901 à 1907 et L. Gentil de 1904 à 1911. Le premier se déplace assez officiellement en "bled maghzen" c'est-à-dire sous contrôle administratif, souvent accompagné de sa femme et d'amis et parfois de militaires topographes. L. Gentil a adopté l'état de mendiant, comme de Foucauld, donc de géologue clandestin et il traverse le "bled siba", c'est-à-dire insoumis. Le Paléozoïque inférieur n'est qu'une fraction de leurs préoccupations, ils ne peuvent s'attarder à récolter des fossiles et travaillent beaucoup au faciès, souvent par analogie avec l'Algérie.

Brives (1902) décrit du Paléozoïque dans le Maroc occidental :

de Casablanca aux Djebilet, d'après son expérience algérienne et il attribue les grès au Dévonien comme au Sahara : du Sous à Rabat existerait une chaîne ancienne qui se rattacherait vraisemblablement à l'Andalousie.

Les désaccords commenceront dès 1904, au sujet de l'Atlas occidental qu'il aborde en même temps que Paul Lemoine, éphémère missionnaire, écarté du Maroc par L. Gentil. Pour Brives, le Haut-Atlas occidental est une chaîne hercynienne taillée, ce qui explique sa structure en gradins. Pour Lemoine, il y a deux sortes de directions de plis anciens et récents. La réplique de Brives : dans sa Contribution à l'étude géologique de l'Atlas marocain (1905), il décrit des coupes dans lesquelles le terme "Silurien" caractérisé à son sommet par des calcaires à orthocères, a le sens retenu pour la carte géologique internationale selon Hébert (1882), donc la somme du Cambrien, de l'Ordovicien et du Gothlandien (nom ancien de notre Silurien). L. Gentil marque son accord avec Lemoine pour la complexité de la chaîne.

Gentil, en 1905, publiera trois notes sur sa découverte de graptolithes dans les Aït Mdioual, soit dans la partie dite récente du Haut-Atlas "à environ 30 kilomètres au S et à peu près sur le méridien de Demnat". Ces graptolithes ne furent jamais figurés mais leur localité a été photographiée par leur découvreur en toute discrétion pendant que ses accompagnants préparaient du thé. Barrois l'a aidé dans ses déterminations : Monograptus runcinatus, M. vomerinus, M. cf. salteri, M. cf. priodon, Diplograptus sp., Rastrites peregrinus qui indiquent du "Gothlandien inférieur" (Llandovery). Leurs faciès de "schistes noirs intercalés de grès siliceux très durs" supportant le plus souvent des couches calcaires (mais pas dans les Aït Mdioual), lui sont familiers depuis longtemps, notamment car il sont comparables aux schistes des Traras en Algérie.

C'est le troisième gisement d'Afrique après celui du Tindesset signalé en 1898 par la mission Foureau-Lamy (D'Alger au Congo par le Tchad) mais exhumé seulement en 1903 par Munier-Chalmas en clivant les schistes. Il s'agit de Climacograptus peut-être ordoviciens pour Munier-Chalmas, peut-être de l'extrême base du Gothlandien pour Emile Haug qui les décrira en 1905, car Foureau avait suggéré une légère discordance entre les schistes à graptolithes et les terrains cristallophylliens.

Le deuxième gisement a été découvert en 1902 par le capitaine Cottenest à Haci-el-Khenig, vallée de l'oued El Botha, à environ 110 kilomètres au SW d'In Salah. Les schistes à graptolithes furent remis à Flamand qui décrivit plusieurs fois les fossiles (1905, 1911), avant les déterminations de Madame Shakespear, alias Miss Wood. L'assemblage était daté du Llandovery moyen, horizon à Monograptus gregarius.

Le premier livre-synthèse de voyages géologiques sera l'oeuvre de L. Gentil (1906). Pour le Paléozoïque inférieur, on peut en extraire :

Depuis Ch. de Foucauld, tout voyageur étranger quelque peu explorateur, établissait au moins ses positions à la boussole et mesurait ses altitudes au baromètre. Les plus connus sont Douls (1887), de Goulimine à Marrakech par le Sous, Thomson (1888) au nom tellement attaché au Haut-Atlas, de la Martinière, de Fès à Oujda. Cela aida à l'élaboration de la carte de Flotte de Roquevaire, et au perfectionnement des éditions ultérieures grâce entre autres aux missions de René de Segonzac qui, de 1899 à 1905, réalisa de très nombreuses observations astronomiques à travers le Rif, le Moyen-Atlas, le Haut-Atlas et jusque dans le Maroc présaharien. Le stade suivant était la triangulation au théodolite dite "triangulation expédiée". Elle aboutit aux cartes de reconnaissance. Brives fit quelques parcours avec le capitaine Larras car ce fut surtout l'affaire des militaires.

Pourtant Gentil parle d'un civil installé à Tétouan, G. Buchet, parfois chargé de levés par le ministère de l'Instruction publique. C'est dire qu'un réseau s'installait, informel mais actif. A partir de 1907, Lyautey y contribuera pour le Maroc oriental, le général Drude en fera autant pour la région de Casablanca et les généraux d'Amade et Moinier en Chaouïa. L'on put créer un Bureau topographique du Maroc en 1908, ce qui suppose des programmes cohérents, toujours par "triangulation expédiée", le long d'itinéraires encore filiformes.

Brives en bénéficiera pour les trois cartes géologiques de ses Voyages au Maroc (1909). Lui-même ou son ami Jacqueton pour le voyage de 1903 s'en tiennent d'abord à l'itinéraire avec des considérations sur les sols et leur végétation, le climat et l'accueil. La géologie, surtout structurale est traitée dans une seconde partie.

Par rapport à L. Gentil, Brives sera plus hardi pour établir une colonne stratigraphique des terrains primaires dont les Silurien, Dévonien, Carboniférien ne se distingueraient que par des nuances de schistes. Il contestera les altitudes pour les plus hauts sommets et son "aperçu tectonique" sera également très péremptoire. Il distingue "la zone des terrains anciens à plissements intenses qui forme une bande de direction SSO-NNE et qui se poursuit à travers monts et vallées depuis le Tazeroualt jusqu'à Casablanca" avant une zone à substratum ancien recouverte de plateaux horizontaux secondaires et/ou tertiaires et une zone à substratum secondaire plus ou moins plissée. L'Atlas occidental est un horst, la plaine de Marrakech, une zone effondrée ainsi que la plaine du Sous. Vers le Nord, Djebilat et Djebel Lakhdar forment une sorte de vaste plateau nivelé par l'érosion d'où ces collines s'individualisent en quelques saillies.


Fig. 3 - Comme dans le cas précédent (Fig. 2), cette figure, reprise de L. Gentil (1906), et légèrement simplifiée pour le dessin des courbes de niveau, montre le travail déjà accompli avant l'installation officielle du Bureau topographique du Maroc en 1908.

Brives adoptera complètement les idées de Thomson et de Schnell quant à la terminaison occidentale du Haut-Atlas contre l'opinion de Gentil. Il niera également l'Anti-Atlas car les plateaux crétacés ayant comblé les vides laissés dans l'effondrement du Sous "s'étendent entre les chaînons du Tazeroualt et celui du Siroua-Reraïa. Aussi, la chaîne dite de l'Anti Atlas n'existe pas plus en tant que chaîne plissée que celle de l'Atlas occidental".

Alors que Brives avait perçu la chaîne de l'Ouest, il s'enfermait dans des oppositions contre L. Gentil et cultivait des coupures stratigraphiques très personnelles. Il faut regretter qu'au Maroc, en 1909 avec Brives, le "Silurien" ne signifie rien de plus que l'"interminable grauwacke" d'avant Sedgwick et Murchison.

En 1911, les Recherches géologiques et géographiques sur le Haut-Plateau de l'Oranie et sur le Sahara (Algérie et Territoires du Sud) de G. B. M. Flamand et Le Maroc Physique de L. Gentil s'inscrivent dans des synthèses dont les assises stratigraphiques pour le Paléozoïque inférieur restent dramatiquement faibles, mais dont les ensembles tectoniques se structurent grâce aux analyses de directions, héritages de Marcel Bertrand et Edouard Suess. L. Gentil parle, pour le Haut-Atlas, d'"Altaïdes africaines" rebroussées et injectées de roches intrusives à leurs points de faiblesse. Désormais, il distinguera un "Massif Central du Haut Atlas", un "Haut Atlas occidental" jusqu'au Cap Ghir et un "Haut Atlas oriental" ; une "Meseta marocaine" d'après la comparaison de Fischer avec la Meseta ibérique ; l'Anti-Atlas a le sens défini par Hooker et Bail ; le reste se nommera "Plateaux du Draa et du Tafilalet". Si le Moyen Atlas n'est guère connu pour sa jonction avec le Haut-Atlas, au Nord, il est nettement séparé du Rif par le "sillon Sud-Rifain". Le Moyen Atlas est encadré par la Meseta marocaine à l'Ouest et par la Meseta sud-oranaise à l'Est, qui s'enfonce elle-même en coin entre Moyen et Haut-Atlas.

Approfondissant son idée de horsts qui compriment des sédiments plus récents, il décrit un "horst algérien" soubassement des Hauts Plateaux, Hautes Plaines du Sud algérien et confins algéro-marocains et un "horst saharien" enserrant les dépôts de l'Atlas saharien. Le horst algérien se rapprochant, le horst saharien se comporta en bouclier. Par rapport aux boucliers de Suess, l'image est juste. Il est remarquable qu'il arriva à la notion de "bouclier saharien" par des mouvements profonds de translation relative d'un horst par rapport au butoir correspondant restant immobile.

Les relations entre Atlas et Rif restaient tout à fait inconnues mais il n'y avait aucun doute sur la continuité entre le Rif et la Cordillère Bétique.

L'esquisse de la carte de 1920 est alors présentée dans Le Maroc physique (Fig. 1).

C'est encore en 1911, que le géographe F. Rey découvre le deuxième gisement de graptolithes marocains dans le Tamlelt (Maroc Sud-oriental), déterminé par L. Dollé et attribué au "Llandovery supérieur, association typique de la zone à Monograptus gregarius" : Climacograptus rectangularis, Glyptograptus serratus, Gl. sacculifer, Petalograptus palmeus var. tenuis, Retiolites (Gladiograptus) sp., Monograptus communis, Rastrites peregrinus et R. reyi sont les premiers graptolithes marocains figurés par Dollé à la Société géologique du Nord. L'article de Rey intitulé Les territoires du Sud-Oranais et du Maroc Sud-Oriental. Recherches géologiques et géographiques paraît après sa mort en 1914. Il y cite un nouveau gisement de graptolithes, non déterminés, récoltés vers le ksar d'Ougarta en continuité avec les "grès à bilobites". L'ensemble est renversé sur des quartzites éodévoniens, "avec lesquels ils sont en concordance. On voit même entre les deux séries de couches, une sorte de zone de passage représentée au sommet par des schistes noirs charbonneux et pyritifères chargés de graptolithes, puis des grès micacés fissiles où se retrouvent des pistes de bilobites et qui se relient insensiblement aux grès quartziteux du Dévonien". Quelle que soit l'exactitude d'interprétation de la succession, cette remarque est importante car elle dissocie la tectonique calédonienne de la tectonique hercynienne en Afrique du Nord.

En effet, dans la recherche des directions au Maroc, personne n'a jamais contesté la direction N20°E décrite pour la première fois par Fischer à Casablanca. Chacun décrivait de plus des directions armoricaine et varisque, donc hercyniennes. Cette dernière orogénie était également omniprésente en Algérie et au Sahara. Mais bien que les contacts des schistes à graptolithes avec leurs terrains sous et sus-jacents ne fussent jamais clairement établis, son influence plus ou moins consciente de Haug, dont tous ces pionniers étaient plus ou moins les élèves, il "fallait" que les schistes à graptolithes fussent discordants sur leur socle et qu'ils supportent un Dévonien-Eodévonien-gréseux (du moins pour le Sahara) également discordant ; on "citait" ainsi gratuitement des manifestations calédoniennes à peine dubitatives mais sans preuves. Or Chudeau, au Sahara et en Mauritanie après quelques confusions de faciès, réussit à dégager un Eodévonien fossilifère dans les Tassilis du Nord, un Gothlandien reposant en discordance sur des terrains plissés NS affectant aussi le bouclier saharien et bien d'autres points de l'Afrique. Il s'ouvrit à Suess de ses réserves quant à l'expression "calédonienne" et ses arguments amenèrent le tectonicien autrichien à créer le terme "Saharides" pour ces plissements que Kilian datera de l'Algonkien en 1923.

La continuité du Siluro-dévonien jetait un nouveau pavé dans le beau schéma des traces calédoniennes et hercyniennes qui auraient dû se succéder. D'autres aventures "calédoniennes" allaient encore traverser la géologie marocaine.

De 1908 à 1912, le bureau topographique s'était organisé autour d'un officier permanent et de missionnaires géodésiens et topographes et pouvait procéder à ses propres reproductions.

Après la guerre et jusqu'en 1921, date de la fondation par P. Despujols du Service géologique à l'intérieur du Service des Mines, commence une période de transition avec les premières études analytiques de G. Lecointre, neveu de Lyautey et le dernier des pionniers à proposer de vastes synthèses structurales, le Docteur Ph. Russo.

Le long de la côte casablancaise Lecointre (1918) découvre des trilobïtes de l'Acadien surmontés de psammites rapportés avec doute au Gothlandien grâce à un mauvais Orthis peut-être d'âge Wenlockien. Les anticlinaux dissymétriques et la direction N20°E ne font que confirmer le cadre hercynien admis pour la partie occidentale de la Meseta marocaine.

Si Russo - souvent accompagné de sa femme - s'attaque à toute la géologie au long de ses nombreux voyages, il cherche des régions entre deux limites naturelles et privilégie une sorte de géomorphologie structurale. Pour le Paléozoïque, il apportera des résultats dans le "Maroc Central", unité "de la mer à l'Atlas entre le parallèle de Casablanca et le parallèle de Ben Guerir". Il s'agit essentiellement d'un plateau crétacé en "damiers losangiques" entaillé d'oueds - dont l'important Oum er Rbia - qui font apparaître le Paléozoïque.

Le Maroc Central est bordé au Nord par le massif des Zaër prolongé à l'Est par celui des Zaïan, nommés "Pré-Atlas" par Russo. Ils appartiennent au horst hercynien marocain de Louis Gentil ; les "sokhrats", ces flancs d'anticlinaux paléozoïques qui émergent à travers la Chaouïa, ainsi que les Rehamna et les Djebilet, ont la même histoire. Russo a cru voir une discordance entre "Silurien" et Dévonien dans le Maroc central en suivant un convoi militaire et relance la question de la chaîne calédonienne, s'appuyant sur une autre hypothèse de L. Gentil qui avait vu des conglomérats dévoniens plus à l'Ouest. Les faciès sont ceux décrit par Brives, schistes cristallins, schistes, quartzites, grès et il rapproche les "sokhrats" du grès armoricain d'âge ordovicien. Le Paléozoïque de Russo est le plus souvent indéterminé, en tout cas toujours jusqu'au Coblencien. Sa conception du Silurien est quelque peu étrange quand, pour les Rehamna, il avance "y faut-il voir du Silurien supérieur, quelque chose correspondant aux Lingula-flags d'Angleterre ?" Il cherche aussi du Paléozoïque dans le Maroc oriental.

Tectoniquement il est attentif aux failles, structures, plis : par exemple, en basse Chaouïa, des "plis courts, énergiques", lui semblent être des racines de longs plis et, dans les Beni-Snassen, il pose la question d'éventuels charriages du Trias et du Paléozoïque ; il pense aussi que le Moyen Atlas est détaché du Grand Atlas "par virgation d'un faisceau de plis en éventail" et que les Djebilet au moins orientales et le Moyen Atlas forment une chaîne unique.

Toutes ces observations et interprétations sont l'objet d'abondantes notes de 1919 à 1934, mais dès 1921, dans un ouvrage original intitulé La terre marocaine, il avait voulu faire partager le plaisir de voyager au Maroc avec un regard géologique en décrivant des itinéraires : "La zone maritime occidentale", "Les plateaux ou Perron de l'Atlas", "Le plateau central marocain", le Moyen Atlas, le Haut-Atlas, le Maroc oriental et les oasis de la Moyenne Moulouya, cependant que le Rif reste inconnu et l'Anti-Atlas encore interprété comme un plateau crétacé.

En 1919, le bureau topographique devient le Service géographique ; peu de temps après, avec le Service géologique, des cartes vont pouvoir être levées.

Le Paléozoïque de Rabat bénéficie tout de suite de la nouvelle structure avec Savornin (1921) qui doit tracer dans la vallée de l'oued Akrech toute proche un chemin de fer porteur de matériaux pour la construction du port de Rabat-Salé. Cette voie fraie son chemin sur des schistes argileux à Monograptus (troisième gisement à graptolithes du Maroc) surmontés de calcaires réglés avant un calcaire massif cristallin rappelant le "petit granite" de Belgique qui servira pour la construction de la jetée. Savornin remarque des directions complexes.

Lecointre (1922) poursuit ses études dans la Chaouïa et précise la stratigraphie de l'oued Akrech :

Au point de vue structural, tout donne l'apparence d'un grand désordre de superposition sur lequel il ne s'étend pas.

Rolland et Beaugé visitent en 1924 le Maroc central et se consultent. Le premier rapporte avec doute à l'Ordovicien, d'après un pygidium nommé Homalonotus, des quartzites qui percent la couverture crétacée dans l'oued Tamdrost ; il trouve ailleurs un Scyphocrinites elegans dont il fait l'équivalent "des couches de transition E1-E2 du Bohémien de J. Barrande, c'est-à-dire l'un des termes médians de l'étage Gothlandien".

Le second complète le "Gothlandien" dans la même région avec un Phacops et un Cheirurus mais ses attributions d'âge sont trop extrapolées à partir de faciès argileux devenant rouges, violacés ou lie-de-vin.

L'activité de ces deux géologues était surtout liée aux phosphates.

Après celle de Thomson (1888) et la carte générale de L. Gentil (1920), la troisième carte géologique du Maroc est un 1/200.000 des Djebilet et des Rehamna, levé par Barthoux (1924, parution en 1926). Il distingue :

Les faciès durs montrent des dislocations, les schistes ne "semblaient troublés par aucun bouleversement". Ainsi s'installe la légende de l'immense épaisseur des schistes gothlandiens au Maroc, premier indice de la perte du coup d'oeil structuraliste dans le Paléozoïque, lié au mode de représentation particulier qu'est une carte géologique.

Le Congrès de Bruxelles (1922, publications en 1925) permet de présenter la jeune géologie marocaine devant un aréopage international. Russo se chargea de l'Etat actuel des connaissances sur les terrains paléozoïques du Maroc (Fig. 4). Il faut préciser que pour lui le Silurien englobait encore le Cambrien.


Fig. 4 - Affleurements de Paléozoïque figurés par Ph. Russo in Etat actuel des connaissances sur les terrains paléozoïques du Maroc (13e Congrès international de Bruxelles, 1922, publications en 1925). Les grandes régions paléozoïques du Maroc de l'Ouest commencent à être bien perçues en particulier pour le Maroc central, la Meseta côtière, les Rehamna, les Djebilet.

Résumé des résultats de "l'ère des explorations" :

Cette période était certes constructive pour les analyses ultérieures et elle illustre bien la volonté marquée d'embrasser de vastes structures. A cet égard, il faut retenir :

Malgré le vocabulaire tectonique moderne de Russo, aucun déplacement important n'a été détecté dans le Paléozoïque et les études stratigraphiques vont malheureusement ancrer pour longtemps cet immobilisme.

Enfin, les liens géologiques avec le Paléozoïque de l'Algérie et du Sahara sont indubitables et se renforceront en particulier pour le Maroc du Sud.

3. L'ère des monographies (1925-1958).

Pour fabriquer des cartes, faut-il privilégier les Formations ou la chronostratigraphie ? La jeune géologie marocaine ne peut évidemment résoudre cette question. Les datations de fossiles et la pétrographie et la minéralogie dans une moindre mesure, constituèrent alors son seul lien avec la communauté scientifique internationale. En effet, le décryptage d'un territoire - souvent immense - pour aboutir à une carte et un mémoire isole des grands courants d'idées et éloigne des vastes schémas structuraux. La connaissance du Paléozoïque inférieur s'approfondit alors mais se figea également. En particulier en prêtant une oreille trop attentive à des critiques de datations paléontologiques, sans jamais remettre en question les conditions de récoltes, le maillage des assemblages ou tout simplement ses propres déterminations, l'on se persuada bien légèrement que les répartitions de fossiles sont différentes en Afrique du Nord et au Sahara. On oublia également les belles démonstrations qui, dès la fin du dix-neuvième siècle avaient établi la mobilité des terrains dans les orogénies paléozoïques : au Maroc, il n'y avait pas de déplacements admis sauf pour le Rif. Le recul permet de mesurer tout ce qui a été laissé sur le côté, mais était-ce appréciable dans la fièvre de l'établissement des cartes ?

La seconde guerre mondiale a bien entendu ralenti l'activité ; en revanche la préparation et la réalisation du 19e Congrès géologique International à Alger en 1952, avec son importante contribution marocaine ont remobilisé les ardeurs. Les publications du Congrès étaient juste achevées au moment de l'indépendance du pays en 1956, brève période d'expectative puisque dès 1958, le Service géologique du Maroc était invité à la première réunion - à Prague - de la sous-commission de stratigraphie pour participer à l'élaboration d'une limite admise mondialement entre le Silurien et le Dévonien.

Pour éviter les allers et retours d'une région à l'autre, les avancées dans la connaissance des terrains à graptolithes seront examinées région par région.

  • Le Rif

    En 1930, Paul Fallot donne une succession du Paléozoïque : gneiss, suivis de schistes phylliteux "couleur de fumée" cambriens ? ou ordoviciens ? ; puis un ensemble complexe de schistes, grauwackes, quartzites et conglomérats, surmontés dans la province de Malaga de calcaires fossilifères identiques à ceux de Coquand (1847). La cartographie conjointe des Espagnols et des Français a bien établi la continuité du Paléozoïque des deux côtés de la Méditerranée. Le Paléozoïque du Rif correspond à la nappe bétique de Malaga.

    En 1931, pour le même auteur, le petit massif de Talembote semble en place malgré ses complications, avec notamment un "Gothlandien à patine rose".

    Dans l'Essai sur la géologie du Rif de 1937, outre la description détaillée des successions établies en 1930, dans l'ensemble complexe (schistes, etc.) qui évoque un aspect de flysch dans le massif de Talembote, Fallot, accompagné de Dubar, ont observé des traces rappelant Dictyonema mais rendues indéterminables leur semble-t-il, par un léger métamorphisme. Au-dessus, sous réserve, se situeraient les calcaires de Coquand, nommés aussi "calizas alabeadas" : ils contiennent des orthocères plutôt gothlandiens selon Gortani. Ailleurs, au Dj. Izafogaltz, une succession de 380 mètres se découpe en 21 niveaux lithologiques avec 3 barres de calcaires à orthocères dont la dernière avec encrines et brachiopodes indéterminables. Ailleurs encore, un Favosites, polypier égaré, ou encore des plantes du Culm ou au moins du Dévonien supérieur dans la grauwacke du "flysch". Autrement dit, la succession du Paléozoïque est bien incertaine. L'âge du métamorphisme l'est tout autant : anté-silurien ? post-triasique ? ou lié à la mise en place des péridotites tertiaires ? Les déformations des roches sont faibles, Fallot pencherait pour des plissements calédoniens plutôt qu'hercyniens, mais l'âge des plantes suscite une réserve. La comparaison reste solide avec le Bétique de Malaga, moins claire avec la Kabylie et Minorque et sans relation avec le Maroc atlasique. Le déplacement de ce Paléozoïque semble limité, mais des études commencent en Algérie avec Louis Glangeaud et il faudra d'abord mieux connaître le Rif oriental entre les deux pour envisager de réelles corrélations.

    Entre 1948 et 1950, Henri et Geneviève Termier décriront deux niveaux d'Ordovicien avec entre autres des graptolithes dendroïdes, trois de Gothlandien, deux de Dévonien dans les Kabylies où Michel Durand-Delga (1951) complétera la série dans les Beni-Afeur avec de nouveaux graptolithes et pourra parler d'une "phase ancienne de l'orogenèse calédonienne" qui peut être étendue à "l'ensemble du domaine ancien kabylo-bético-rifain".

    De toute façon, géologiquement le Rif est resté étranger au Maroc. Le schéma structural de Choubert et Marçais dès 1948, comprend un "domaine rifain". Dans son Histoire stratigraphique du Maroc, E. Roch (1950) tente très prudemment de faire succéder dans une colonne stratigraphique au-dessus des calcaires à orthocères, le Favosites dans le Dévonien inférieur et les schistes à plantes dans le Dévonien supérieur.

    La zone paléozoïque du Rif n'a pas fait l'objet d'excursions particulières à l'occasion du Congrès d'Alger en 1952. Mais des forages pétroliers dans la plaine du Rharb ont atteint le Paléozoïque mésétien (livret-guide n° 9).

  • Le Maroc oriental

    En 1930, Russo, cette fois avec sa femme, s'attaque à la "jonction de l'Atlas et du Tell dans le couloir Taza-Oudjda (Maroc oriental)". Dans les trois groupes de massifs étudiés 1) Sud du Masgout et Beni-Snassen ; 2) Ghar Rouban et Naïma ; 3) Route de Berguent à Oujda ; le Carbonifère est fossilifère, le Dévonien détecté par des grès et schistes gréseux, le Silurien comprend les autres schistes, les quartzites, les phyllades et les ardoises. Les Russo insistent sur les déductions permises par les passages de faciès et reconnaissent l'état provisoire de datations sans fossiles.

    En 1932, Brichant - un des découvreurs du bassin houiller de Djerada en 1928 -tente de mettre à jour la connaissance paléozoïque du Maroc oriental. La série sédimentaire non métamorphisée comprendrait le Paléozoïque supérieur (Viséen, Culm, Dinantien) ; le Silurien correspondrait à tout le reste métamorphisé lors des venues éruptives hercyniennes. Sa conception du Silurien ne changera pas lors d'une nouvelle mise au point en 1935.

    Ce sera Lucas en 1938 qui rapportera les premiers graptolithes Monograptus et Retiolites de la région d'Oujda fossilisés dans des phtanites à radiolaires, il croit alors être le découvreur du faciès mais Dollé lui rappellera l'antériorité de Rey (1913).

    La même année, Owodenko, Termier et Delépine (1938) détaillent une autre coupe dans les Zekkara, au Sud de Naïma, feuille d'Oujda : encadrés de schistes micacés verdâtres, deux mètres de phtanites blancs contiennent des graptolithes de la zone 19 à Monograptus gregarius du Llandovery moyen (détermination G. Waterlot) ; au-dessus, un mince calcaire grauwacke soutient un calcaire coralligène très fossilifère de l'Emsien ou de l'Eifelien inférieur. La boutonnière paléozoïque voisine du Tazzeka décrite par Van Leckwijck et Termier (1938) comporte des grès zonaires verticaux suivis de schistes et grès à graptolithes du Llandovery inférieur (déterminateur G. Waterlot) continués par des schistes noirs laissant augurer - jusqu'au Ludlow - un Gothlandien complet, cependant que les éboulis d'oueds contiennent des phtanites rappelant les récoltes des Zekkara.

    A partir de cette région du Maroc oriental, G. Waterlot (1941) pourra distinguer trois niveaux de graptolithes dans les phtanites : l'un du Llandovery moyen (zone 19 d'Elles et Wood), un second du Llandovery supérieur (zone 21) et plus rarement un dernier de la base du Tarannon (zone 22).

    Le premier mémoire est dû à G. Lucas : Description géologique et pétrographique des Monts de Ghar Rouban et du Sidi el Abed (frontière algéro-marocaine) (1942). L'unique gisement de graptolithes - celui découvert en 1938 - qu'il détermine est attribué au passage Tarannon-Wenlock d'après un assemblage bien disparate. De toute façon, il parle plutôt de "Primaire indéterminé sans doute ancien", même quand il pense que cela puisse être du Gothlandien comme dans les deux anticlinaux serrés presque verticaux proches de la mine de Ghar-Rouban constitués de schistes et quartzites mais métamorphisés. C'est plutôt la pétrographie qui l'intéresse et ce faciès particulier des phtanites lui inspire des réflexions diverses. Les schistes sous les phtanites lui paraissent contemporains de ces derniers et leurs diaclases, les brèches et esquilles sont d'origine mécanique. Il conclura que l'abondance de radiolaires dans une roche n'a pas de signification bathymétrique. Au Nord de ce Gothlandien, il y a d'autres schistes et quartzites indéterminés dont certains sont probablement carbonifères. D'ailleurs il laissera de côté, les événements antérieurs au Carbonifère : "de ce qui a pu se passer entre le Wenlock et le Dévonien nous ne savons rien", pour ne retenir qu'une activité hercynienne "intense mais très localisée".

    Owodenko avec le Mémoire explicatif de la carte géologique du bassin houiller de Djerada et de la région au Sud d'Oujda (Maroc oriental français) (1946) va récolter beaucoup de graptolithes, mais toujours dans des lentilles de phtanites incluses dans des schistes, des grès, mais aussi dans des conglomérats viséens et namuriens. Il estime à 500 mètres la puissance d'un Gothlandien plutôt schisteux. Des calcaires dévoniens "en position aberrante" lui font accepter un "faible plissement calédonien", mais c'est la grande orogénie hercynienne qui a tout bouleversé. "On conçoit que les calcaires pouvaient se briser, être englobés dans des schistes, pincés dans des synclinaux, se décoller seuls ou avec une partie du substratum et être plus ou moins charriés". Ce fut là une timide et rarissime suggestion de déplacements dans le Paléozoïque.

    La colonne stratigraphique de Tifrit (département d'Oran), présentée par Lucas en 1950, n'apporte pas de nouveauté pour le Silurien.

    Au Congrès d'Alger, Owodenko résume son travail et suppose une émersion de son bassin liée aux mouvements calédoniens (1954).

    Le passage d'une excursion dans le Tazzeka (livret-guide n° 16) inspira une remarque de Fourmarier à Morin quant à la qualité de schistes métamorphisés attribués au Viséen. L'inventeur de la microtectonique se fit presque rabrouer (on sait maintenant que ces schistes sont ordoviciens).

    La Contribution à l'étude du Bassin houiller de Djerada (Maroc oriental) de Horon en 1952 reprend les points de vue de Lucas et Owodenko quant au Primaire indéterminé, Gothlandien et Dévonien. Les zones supérieures du Gothlandien pourraient exister sous la couverture secondaire. Et les phtanites qui semblent émerger du Carbonifère ou ceux observés dans les conglomérats pourraient provenir "du démantèlement des mêmes reliefs gothlandiens".

    Les graptolithes récoltés par Owodenko dans les phtanites ont fait l'objet d'un Diplôme d'études supérieures par Françoise Waterlot (1953) : Les graptolithes des phtanites gothlandiens dans les conglomérats du Houiller de Oujda. Ces graptolites, cantonnés dans les zones 19 et 20 d'Elles et Wood, sont malheureusement restés inédits.

  • Le Maroc occidental

    En 1926, Lecointre soutient une thèse sur les Recherches géologiques dans le Meseta marocaine avec une carte à 1/200 000 intitulée : Carte géologique provisoire des Chaouïa-Nord et Zaër-Ouest. Sa stratigraphie s'est affinée, le Silurien se décompose en Ordovicien à psammites à Arénicoles et Lingules et Gothlandien en schistes-carton dont les graptolithes, déterminés par Miss Elles, lui indiquent très prudemment un Wenlock et un Ludlow inférieur à Monograptus dubius, M. scanicus, M. bohemicus, etc., avant des calcaires à orthocères qui contiennent d'ailleurs encore des graptolithes déterminés Monograptus roemeri, puis les calcaires-marbres et dolomies grenues. Il y avait aussi les autres faunes de 1922. Ainsi le passage entre Silurien et Dévonien est problématique. Lecointre inaugurera une position peu orthodoxe qui deviendra très habituelle au Maroc : "Malgré cette incertitude d'ordre paléontologique, j'ai cru devoir placer ces calcaires dans le Silurien à cause de leur position entre les schistes du Ludlow et les schistes à trilobites..." Ces derniers consistaient en une récolte de Louis Gentil comportant entre autres une glabelle de Proetus datée, soit de la zone E, soit de la zone F de Barrande, donc alors d'âge dévonien. Cela complique évidemment le choix ou l'abandon d'événements calédoniens et il détectera la "Phase bretonne" de Stille avant les plissements hercyniens proprement dits.

    "La Berbérie est une dépendance de l'Europe accolée au rivage septentrional du Continent africain" conclut-il.

    Brives (1926) eut l'occasion de souligner qu'à Tiflet, territoire voisin de celui de Lecointre, il y avait des calcaires à orthocères et Cardiola interrupta, donc du Silurien supérieur, ainsi que du fer oolithique dans un grès ordovicien pétri de lingules, deux niveaux non trouvés par le doctorant.

    Jacques Bourcart et Le Villain (1930) crurent avoir trouvé des graptolithes du Llandovery associés à des calcaires à orthocères et C. interrupta à l'oued Akrech, gisement mal situé dans la note et mal daté car il s'agissait de formes qu'à l'époque on n'imaginait pas pouvoir trouver dans ces assises : ce casse-tête remplit d'interrogations les géologues de la région jusqu'en 1990 (El Hassani, Destombes et Willefert).

    Lecointre, poursuivant son travail vers l'Est, dans les Sehoul, retrouve des graptolithes toujours associés avec des calcaires à orthocères, erronément datés par Miss Elles en Tarannon, toujours pour des raisons de stratigraphie silurienne insoupçonnées à ce moment-là. Il crut donc qu'entre Rabat et Tiflet, le Silurien était complet avec ses quatre étages Llandovery, Tarannon, Wenlock et Ludlow, surmonté d'un Dévonien inférieur. Un mémoire en 1933 reprend ces données, ignore l'Ordovicien de Brives qui deviendra du Dévonien et ce sont de nouveau de nombreuses explications de failles, décrochement horizontal, mesures de directions pour tenter de débrouiller les manifestations de l'orogénie hercynienne.

    Termier (1931) indiquera du Silurien au voisinage de Mechra ben Abbou sous forme de schistes et quartzites sans fossiles et un gisement de Dévonien inférieur à Phacops fecundus et Rhynchonella proche de primaeva (découvreur Dubar). Il le rapproche du Siegénien de la route de Tedders à Oulmès car il a entrepris un travail important dans le Maroc Central (vide infra).

    A l'Ouest de Casablanca, Bigot et Dubois (1932) trouvent des grès ordoviciens à Calymènes, Orthis et "graptolithes Monograptus mal conservés, non déterminables sur une plaque de grès. Tous ces fossiles sont nettement ordoviciens", première mention officielle d'un graptolithe ordovicien au Maroc, bien qu'il ne puisse s'agir d'un Monograptus.

    En même temps, Yovanovitch dresse une succession entre Casablanca et Azemmour, de l'Ordovicien "moyen ou supérieur" avec Didymograptus jusqu'à l'Ordovicien supérieur à trilobites et brachiopodes d'après des déblais de puits sous la couverture récente. Il définit un "brachyanticlinal complexe" pour la région de Casablanca, posant aussi des problèmes de limite cambro-ordovicienne non résolus. La poursuite de ses études va lui permettre en 1936 avec Bondon de tracer un axe principal à coeur géorgien et des portions d'axes secondaires entre lesquels les synclinaux sont des domaines privilégiés pour les cuvettes siluriennes et parfois dévoniennes. Ce modèle s'étend au moins sur 600 kilomètres de Casablanca à Taïdalt "sans préjuger en rien de la position des plis éventuels".

    La carte générale à 1/1.500.000 du Maroc de 1936 est l'oeuvre de Yovanovitch qui continuera à émettre des idées nouvelles et intéressantes au 2eme Congrès mondial du pétrole à Paris (1937, "Faciès bitumineux du Paléozoïque marocain") et argumentera très solidement en faveur de mouvements calédoniens au Maroc en 1938. Il y a lacune de l'Ordovicien supérieur et d'une partie du Gothlandien, cela avec une juxtaposition de plissements, au lieu de rebroussement comme le pensait Gentil, ce qui permet d'affirmer "l'existence dans le Maroc occidental d'un avant-pays calédonien localisé approximativement à l'W du méridien de Casablanca".

    L'oeuvre rigoureuse et bien bâtie de ce pétrolier et hydrogéologue fut complètement occultée au Service Géologique et Gigout, son successeur sur le terrain, tout en le citant dans ses historiques, ne tient pas compte de ses conclusions. Sa Note préliminaire sur le Cambro-Ordovicien d'Imfout (cours inférieur de l'Oum er Rbia, Maroc) (1942), permet des corrélations avec la région de Casablanca, par un Acadien schisteux à Conocoryphe, quartzites à lingules, grès arkosiques, 700 m de schistes azoïques avant les alternances de grès et schistes à Calymene, Asaphus, Orthis etc., d'âge Llandeilo. Les schistes azoïques correspondraient à l'Arenig à Didymograptus de son prédécesseur. Dans un synclinal à Bou Laouane, l'Acadien est en contact par failles avec l'Ordovicien daté. En 1946, toujours entre Casablanca et Mazagan [El Jadida], il précise un passage Géorgien-Acadien, de l'Ordovicien à l'oued Merzey avec Didymograptus simulans de l'Arenig inférieur et retrouve un peu plus loin le Llandeilo d'Imfout.

    En 1947, à Mechra ben Abbou, Acaste, Spirifer, Proetus lui font écrire : "Les associations sont "siluro-dévoniennes" probablement gédinniennes" et lui permettent une corrélation avec un gisement voisin de Yovanovitch impliqué dans la recherche de mouvements calédoniens, ainsi d'ailleurs qu'avec un autre gisement du Haut-Atlas ( vide infra).

    L'Ordovicien inférieur des environs de Casablanca sera augmenté de Schizograptus quebecensis à Bou Skoura et Didymograptus bifidus à Bir Akhal (1948).

    L'article intitulé Le synclinal silurien et dévonien de Foucauld (Maroc occidental) publié en 1949 va marquer la rupture avec les conclusions de Yovanovitch car, sur des psammites ferrugineux à faune habituelle du Llandeilo, il observe en concordance, 100 mètres de schistes argileux avec des lits calcaires, donc l'expression du Gothlandien avec des graptolithes du Llandovery moyen-supérieur, d'autres du Wenlock inférieur Monograptus riccartonensis suivi de Proetus ; Strophomena du Ludlow et Spirifer inchoans du Downton, puis trois termes de Dévonien inférieur daté, une lacune du Dévonien moyen, et du Dévonien supérieur à goniatites. Il conclut : "Ces faits permettent d'affirmer l'absence de mouvements orogéniques calédoniens que l'on avait cru déceler dans la Meseta marocaine. Ils établissent une lacune de l'Ordovicien supérieur, puis une sédimentation marine probablement ininterrompue jusqu'au Gothlandien".

    La Notice explicative de la Carte géologique provisoire des environs de Casablanca au 1/200000 de Lecointre et Gigout (1950) reprend ce thème et explique des lacunes gothlandiennes par des allées et venues de la mer dues à des mouvements épirogéniques. A l'Ouest du secteur d'études un Monograptus priodon imposera son âge Tarannon aux encrines et lamellibranches habituellement connus dans le Gothlandien le plus récent. D'ailleurs il était difficile de séparer le Ludlow-Siegenien ; il fallait donc pouvoir caractériser le Gédinnien.

    Tout cela fut repris et détaillé dans sa thèse : Etudes géologiques sur la Meseta marocaine occidentale (arrière-pays de Casablanca, Mazagan et Safi) (1951). Ce qui reste frappant dans cette recherche de Gédinnien c'est l'absence de remise en question des listes aberrantes quant à leurs contenus fossilifères, même si les déterminations de graptolithes l'emportaient pour attribuer l'âge des autres faunes. Les graptolithes sont figurés schématiquement dans la partie paléontologique, révélant des fragments bien peu convaincants. La structure de la région subira les conséquences de cette malencontreuse interprétation stratigraphique. Même les Rehamna à "tectonique complexe" ne présentent pas de discordance révélatrice de "proximité immédiate de reliefs calédoniens". En revanche, Gigout reliera ses traces hercyniennes aux trois phases détectées par Termier dans le Maroc Central.

    Gigout prendra une part active aux excursions marocaines du Congrès d'Alger. Il reviendra jusqu'en 1956 ajouter des précisions à sa région à l'occasion de nouvelles récoltes de fossiles comme l'Azigograptus hicksii du Llanvim inférieur (1956, feuille Sidi Bennour) ou l'analyse de systèmes de cassures en Meseta et dans les Rehamna (1954, 1955). Mais comme ses répartitions de faunes restaient incohérentes, car fondées préférentiellement sur des graptolithes déterminés de façon erronée, au détriment de tous les autres groupes fossiles, la compréhension stratigraphique ne pouvait progresser, même si le regard attentif de Gigout sur les cassures et comportements de roches constituait une amorce d'approche microtectonique.

    Post-congrès l'Etude géotectonique de la région de Casablanca de Delarue, Destombes et Jeannette (1956) va réexhumer l'Ordovicien de Tiflet de Brives (1926), grâce à de nouveaux gisements de lingules, trilobites, lamellibranches et Didymograptus bifidus, D. cf. murchisoni, D. balticus ou murchisoni attribués au Llanvim, déterminés par G. Nègre-Mollet. Au point de vue structural, des "mouvements cadomiens" seront définis par des manifestations volcaniques fini-acadiennes à Fédala et les habituels "mouvements hercynien" rejoindront l'analyse de Gigout.

    Enfin, G. Cogney avec ses Recherches géologiques au confluent des oueds Bou Regreg, Grou et Akrech (Maroc occidental) (1957), précise le Ludlow à graptolithes (zones 33, 34, 35-36 d'Elles et Wood), trouve du Carbonifère en lieu et place des graptolithes de Bourcart et Le Vilain ; installe solidement le Gédinnien découvert par Choubert et Hindermeyer (1948) et se débat dans des directions anarchiques, ne reconnaissant que l'orogénie hercynienne, peut-être sous l'influence de son directeur, Marcel Gigout.

  • Le Maroc central

    Les vastes domaines du Maroc central et du Moyen Atlas furent étudiés par Henri Termier. Les terrains à graptolithes sont abondamment représentés dans le Maroc central et dès 1925, l'exploration géologique établit une première ébauche stratigraphique dans le Pays Zaïan :

    Il retrouvera des calcaires à orthocères et Cardiola en 1927 avec d'autres graptolithes entre les niveaux 2 et 3.

    L'Ordovicien schisteux à Trinucleus d'Ouljet bou Khemis sera longtemps le seul repère paléontologique du système. Mais Termier ne dissocie pas les schistes et quartzites du sommet du Silurien dont les reliefs constituent le Pays des Sokhrats. En 1930, il crut déceler des traces calédoniennes. En 1931, outre l'idée que "Le Maroc Central pourrait être considéré comme une des terres classiques du Silurien supérieur", étant donné l'abondance des graptolithes que lui détermine désormais Miss Elles (12 de ses 21 zones sont déjà identifiées), il cerne trois discordances qui signeront une "phase calédonienne tardive" ou "hercynienne précoce" ; un "vaste mouvement épirogénique" qui "apparaît à la lecture des cartes" ; la phase majeure qu'il assimile à la phase asturienne perçue d'ailleurs dans tout le Maroc et une hypothétique "phase saalienne".

    Tout est donc en place pour les Etudes géologiques sur le Maroc Central et le Moyen Atlas septentrional de 1936, mémoire-thèse modèle, analysant l'anticlinorium de Khouribga-Oulmès et celui de Ziar-Azrou.

    Dans le premier, l'Ordovicien est daté en Llandeilo et Asghill sans graptolithes. Le Gothlandien avec plus de 60 gisements de graptolithes dans des schistes d'âge Tarannon, Wenlock supérieur et Ludlow inférieur, ses calcaires à orthocères, lamellibranches bohémiens, graptolithes indéterminés mais qui doivent être des zones 35 et 36, doit être complet. Sa limite avec le Dévonien semble variée mais non compliquée. En réalité, la situation erronée de ses quartzites fausse tout.

    L'anticlinorium de Ziar-Azrou a un autre style. Le Gothlandien est en bandes allongées avec quelques petits anticlinaux. Termier lui admettra une structure plissée, avec l'ordre des coupes souvent perturbé. Une petite quarantaine de gisements à graptolithes a été échantillonnée, mais beaucoup d'entre eux, - ceux des phtanites non encore reconnus comme tels - ont été considérés comme indéterminables. Il y avait bien entendu beaucoup de trilobites, arthropodes, brachiopodes, crinoïdes, lamellibranches, gastéropodes, orthocères. Dans ses stages auprès de nombreux spécialistes européens, Termier s'était réservé les déterminations des trilobites et des brachiopodes, Waterlot avait identifié la plupart des lamellibranches alors que les graptolithes, outre la principale participation de Miss Elles, étaient parfois passés par les mains de Dehée.

    Malgré les différences entre les deux anticlinoria et en adepte des terminaisons périsynclinales et périanticlinales qui empêchaient d'identifier d'autres figures tectoniques comme des plis couchés, voire des nappes, Termier concluait : "A prendre les choses de haut, le territoire est peu disloqué et ne semble pas avoir subi une grande intensité de plissements : en comparaison avec les Alpes auxquelles sont habitués les géologues français, et même de la Bretagne dont la structure a fait l'objet d'une synthèse récente de Charles Barrois, on peut dire que ce fragment des Altaïdes africaines est une chaîne relativement simple".

    Rassemblant tout ce qui était alors connu pour le Paléozoïque du Maroc et du Sahara, Termier dressa des "schémas paléogéographiques" qui sont peut-être plutôt des situations de faciès et cela l'amène à étendre ses réflexions vers les relations entre continents et à souligner son intérêt pour la théorie des translations continentales de Wegener.

    En 1940, Termier organisa le nouveau Service géologique détaché du Service des Mines ; il le dota d'une remarquable bibliothèque et encouragea le rassemblement des collections.

    En 1948, G. Waterlot à partir de formes qualifiées à l'époque de "géantes", de "type sarde", par référence à leur pays d'origine, d'âge Wenlock supérieur, reconnues dans la région d'Oulmès et au Pays Basque, étend l'aire de la "Mésogée occidentale". A peu près dans la même région, à Tedders, Termier confia un Diplôme d'Etudes supérieures à Colo (1951) qui se débat dans les problèmes du passage Siluro-Dévonien. Mme Termier lui détermine un Monograptus aff. longus dans un calcaire à orthocères. D'autres calcaires à trilobites et brachiopodes, sont rapprochés des calcaires de Liévin et attribués au Downtonien. Cela conduit à admettre une correspondance entre Gédinnien inférieur et Downtonien et à placer ces étages dans le Dévonien. Donc le secteur étudié laissait apparaître une continuité de sédimentation entre Silurien et Dévonien. Mais si Van Leckwijck (1951) suivi de Colo, Morin et Suter (1951) croient trouver des preuves de mouvements calédoniens dans le Maroc central, cela repose sur l'erreur stratigraphique des quartzites attribués au fini-Silurien. Le Diplôme d'Etudes supérieures de Noesmen : Etude géologique et métallogénique de la région de Smala (Maroc Central) (1951), sous la conduite de Morin, subira la même influence.

    En tant que super-hôte du Congrès d'Alger, Termier ne put mettre un accent particulier sur le Maroc Central, mais cette région fut largement traversée et commentée par de nombreux itinéraires.

    Post-congrès l'activité des levés reprit et Van Leckwijck, Suter, H. et G. Termier (1955) détaillèrent la stratigraphie de l'anticlinorium de Khouribga-Oulmès. En même temps, P. Hupé (1956) rétablissait l'âge des quartzites du pays des Sokhrats en Caradoc avec des trilobites au lieu du Ludlow-Gédinnien si longtemps prôné (publication signée Choubert, Hupé, Van Leckwijck et Suter). Curieusement, les conséquences tectoniques n'en furent pas tirées et l'on admit encore que des quartzites puissent exister dans le Silurien, ce qui était un cas unique dans ce système au Maroc (Agard, Morin, H. et G. Termier, 1955 ; Morin, 1955, 1957). De nombreux autres gisements de graptolithes avaient encore été récoltés et déterminés par M.-L. Petitot et J. Delcroix, sans apporter toutefois de réelles nouveautés stratigraphiques. Le Diplôme d'Etudes supérieures de J. Delcroix Etude de la faune graptolithique gothlandienne de la région de Tamlelt et de quelques gisements voisins (1957) contient en fait un maximum de gisements du Maroc Central récoltés par Suter. Les listes ont été exhumées et les localisations des gisements précisées dans les Lower Palaeozoic Rocks of Morocco (Destombes, Hollard, Willefert, 1985).

    Si l'on admet provisoirement les boutonnières paléozoïques du Moyen Atlas dans le Maroc central, il faut relever des graptolithes gothlandiens non déterminés récoltés par Morin dans la boutonnière de Bsabis (1954) et quelques levés de Lévêque au NE de Sefrou (1952), mais la seule indication concernait leur complication. Ces boutonnières sont des jalons vers le Maroc oriental paléozoïque.

  • Les Djebilet et les Djebilet-Moyen Atlas

    La Carte provisoire des Djebilet à 1/200.000 de Barthoux paraît en 1926 et Beaugé et Russo (1929) complètent - au faciès - l'hypothèse du second relative à une jonction entre Djebilet et Moyen Atlas via le Djebel Dzouz. Roch (1932) visite les Djebilet orientales et le massif de Skoura en compagnie de Clariond et Gouskov. Il découvre dans des grès argileux des graptolithes "du Llandovery supérieur et de la base du Wenlock" (déterminés par Miss Elles), au Koudiat Moulay Ali sur des schistes à lentilles de calcaires à entroques qu'il attribue à l'Ordovicien ; dans le massif du Dzouz, à Moulay bou Anane, dans une séquence de 7 ou 8 niveaux de schistes argileux alternant avec des quartzites, se trouve le Llandovery le plus basai de l'époque avec, entre autres, Glyptograptus persculptus (détermination de Miss Elles) qui sera plus tard très impliqué dans la recherche de la limite Ordovicien-Silurien et rejoindra le premier système ; et enfin quelques graptolithes indéterminables vers l'Est avant que le Silurien ne disparaisse sous le Stéphano-Permien. Roch est frappé de l'alternance des schistes et des quartzites car il pensait que les couches de Koudiat Moulay Ali supportaient celles du Dzouz et les graptolithes ont prouvé le contraire. Il ne cherche pas d'explication supplémentaire.

    Russo tient compte de cette note en 1934 et introduit un double bombement du Dzouz qui ferait remonter le Llandovery inférieur par rapport au Llandovery supérieur et Wenlock, le Moyen Atlas comprimé par le Haut-Atlas fusionne avec lui, ce qui provoque de nombreux accidents mais les Djebilet orientales continuent sous le Moyen Atlas.

    Il sera de nouveau question des Djebilet avec Roch (1939) mais dans le cadre du Haut-Atlas (vide infra).

    Au congrès de 1952, les Djebilet furent traversées en direction de l'Anti-Atlas et les excursionnistes purent voir des schistes métamorphisés cambro-ordoviciens auréolant le massif de granite de Ram-Ram.

  • Le Haut-Atlas

    Cette région, quasi mythique pour les géologues marocains, sera l'objet d'un programme cohérent. Roch en 1930, en présentant son mémoire de thèse intitulé Etudes géologiques dans la région méridionale du Maroc Occidental a établi un découpage géographique et structural que tous ses collègues reprendront. Le Paléozoïque constitue la "sous-zone primaire" de la "zone axiale de l'Atlas" et le "Bled Ahmat" appartient à la "Meseta", lié aux Djebilet. Sa stratigraphie se lit de la sorte :

    Le Silurien se réduit au fur et à mesure que le Cambrien s'étend. En 1929, chez les Ida ou Zal, Roch a trouvé un Diplograptus ? ou Climacograptus ?, des trilobites, des brachiopodes et des gastéropodes de l'Ordovicien supérieur ou du Gothlandien inférieur selon P. Pruvost, qui les détermina. Les schistes siliceux, schistes à nodules calcaires à orthocères et les calcaires n'offrent que peu d'affleurements.

    Le passage Silurien supérieur/Dévonien inférieur reste délicat à cerner car les calcaires à orthocères et calcaires qui se succèdent ne changent que lentement de faunes avant les Spirifer et autres brachiopodes indiquant nettement le Dévonien inférieur.

    Tectoniquement, il détecte deux directions anciennes, mais ne peut en tirer aucune déduction. Les vrais constats ne peuvent se faire qu'avec la tectonique tertiaire.

    Immédiatement à l'Est du territoire étudié par Roch, le relais est assuré par Léon Moret (1931) et Louis Neltner (1935, 1938) qui harmonisent leur géographie structurale. Le second descendra jusque dans l'Anti-Atlas. Leur portion de Haut-Atlas présente également un grand développement du Cambrien et une réduction de l'Ordovicien ; d'ailleurs, il est souvent possible de parler seulement de Cambro-Ordovicien malgré le problème soulevé par le Potsdamien encore inconnu au Maroc. De même, le Gothlandien et le Dévonien semblent inséparables sur la bordure du Massif central du Haut-Atlas. Un nouveau Diplograptus est retrouvé dans les Ida ou Zal, Ordovicien pour Neltner, dans des schistes noirs micacés, ailleurs en lentilles à Trinucleus et Dalmanites : il n'est pas douteux que l'Ordovicien soit très plissé. Les auteurs détectent une tectonique hercynienne énergique mais s'accordent sur le fait que dans les successions, on ne peut distinguer ce qui revient à la stratigraphie et à la tectonique.

    Pratiquement, le Haut-Atlas occidental et une bonne partie de l'Anti-Atlas ont été visités et levés avec cartes et notices. Les fossiles sont évidemment très rares, au point de signaler deux nouveaux gisements paléozoïques, l'un à l'imini, l'autre dans la vallée de l'oued Tarouni (Moret, 1939) ou encore la rectification du Silurien en Cambro-Ordovicien à l'occasion d'une autre trouvaille (Roch et Desch, 1941). Chaque nouvelle précision est bonne à publier dans un aussi pauvre contexte stratigraphique que ce Paléozoïque inférieur.

    Gigout (1937) apportera des datations siluriennes et dévoniennes dans l'Adrar n'Dgout, entre les oueds Rdat et Tessaout à l'occasion de son Diplôme d'Etudes supérieures. Le Silurien s'enrichit de graptolithes gothlandiens (Tarannon et Wenlock supérieur, déterminations de G. Waterlot), calcaires à orthocères et cardioles, Phacops, surmonté d'un Gédinnien dont c'est la première reconnaissance aussi nette au Maroc.

    Dans le Pays de Skoura, c'est-à-dire sur le versant sud du Haut-Atlas, les coupes sont comparables à celle de l'Adrar n'Dgout en moins puissantes (80 m environ) ; au-dessus des grès sans fossiles, les schistes contiennent un niveau à graptolithes du Ludlow inférieur avant les nodules, puis calcaires à orthocères habituels du Ludlow supérieur (Waterlot et Roch, 1937). En revanche sur le flanc nord du Haut-Atlas, chez les Aït Mdioual (site historique de L. Gentil), Aït Mallahl et autres, de même faciès qu'au Nord, l'épaisseur est de l'ordre de 1000 mètres de schistes entrecoupés de grès et assimilés à un faciès flysch sans perturbation tectonique. Le Gothlandien donne l'impression d'être complet. C'était le cadre préliminaire de la Description des montagnes à l'Est de Marrakech (Roch, 1939). Le découpage naturel prolonge celui de Moret et le Paléozoïque inférieur sera étudié dans les Djebilet orientales et dans la zone axiale du Haut-Atlas, c'est-à-dire dans les boutonnières d'Aït Mdioual, Aït Mallahl, Aït Tamellil pour le revers nord et dans le Pays de Skoura pour le revers méridional. Dans ce dernier, l'Ordovicien s'enrichit de plusieurs gisements dont un Didymograptus nitidus de l'"Arenig moyen" (détermination de G. Waterlot). Le Gothlandien s'enrichit de très nombreux gisements de graptolithes. En les additionnant, les cinq étages, Llandovery, Tarannon, Wenlock, Ludlow inférieur - tous à graptolithes -, Ludlow moyen et supérieur à mollusques, Downton ou Gédinnien ou calcaire de Lochkov, donnent l'impression d'un Gothlandien complet, bien qu'aucune région n'illustre cette situation idéale. Enfin, aucune limite n'est facile à tracer entre Cambro-Ordovicien, ou Ordovicien et Gothlandien, ou entre Gothlandien et Dévonien, que ce soit dans la série à "faciès flysch" du revers nord ou dans la série à "faciès épicontinental" du revers sud. Pourtant, quelques trouble-fêtes, fossiles viséens dans des schistes par exemple, soulevaient des questions dans l'apparente tranquillité des successions. Mais Roch semble être convaincu de l'existence de quelques ajustements épirogéniques calédoniens et de manifestations hercyniennes modérées probablement en partie sous l'influence de la toute récente monographie de H. Termier dans le Maroc Central (1936). Décidément, les montagnes marocaines devaient être tranquilles. La sortie des cartes correspondantes s'échelonna entre 1941 et 1942.

    Un excellent cadre pour l'approche du Haut-Atlas lors du congrès de 1952 fut donné par Ambroggi et Neltner dans les fascicules guides n° 12 et 13. La stratigraphie y est présentée en "matériel hercynien" avec sa tectonique et "matériel alpin". La coupe de l'Aguedal du Tichka à l'Adrar n'Dgout traversa tout le Paléozoïque inférieur. Mais l'intérêt primordial revint au Précambrien et au Cambrien. Géomorphologues, mineurs et pétrographes sillonnèrent aussi le Haut-Atlas avec leur propre regard.

    Un vent de modernisme traversera la région des Ida ou Zal (Haut-Atlas occidental) avec la thèse de de Koning (1957). Pour lui, il y a lacune entre Acadien et Ordovicien daté au moins en ce qui concerne le Llandeilo. Cet Ordovicien est considéré comme la "dernière formation préhercynienne autochtone". Car le Gothlandien est inclus "dans un chevauchement comprenant également de l'Acadien, de l'Ordovicien et du Dévonien". Ce Gothlandien contiendrait un Monograptus sp. cf. sardous donc d'âge Wenlock supérieur, suivi des schistes et calcaires à Scyphocrinus et lamellibranches dits du Ludlow E2 de Barrande. Deux charriages principaux sont détectés au-dessus de l'Ordovicien. Un écho de la phase sarde est traduit par la lacune entre Acadien et Ordovicien, les charriages cachent une éventuelle phase taconique : de Koning rangera donc tout le reste dans l'Hercynien. Apparemment, il n'eut pas à sa disposition les travaux de Yovanovitch ; d'ailleurs, leurs résultats respectifs furent passés sous silence car ils ne pouvaient s'accorder avec l'hypothèse du géosynclinal situé en avant du socle africain, que Choubert imposa à travers ses schémas structuraux (...).

  • Maroc oriental Sud-Haut-Atlas oriental

    Lorsque Menchikoff lève les feuilles Talzaza et Bou Anane (1936), il doit évoluer entre une partie atlasique au Nord et une partie saharienne au Sud. Le contraste entre les séries paléozoïques est frappant : les séries du Nord sont plissées et métamorphisées, la tranquillité méridionale montre des affinités avec la Saoura. Il n'est pas possible de rapprocher les deux domaines.

    Clariond, Leca et Termier (1933) recherchent le prolongement du bassin houiller du Guir en territoire marocain. Les environs du Djebel Grouz montrent deux faciès dans le Cambro-Ordovicien, l'un schisto-quartzitique dit "faciès du Tamlelf, l'autre calcaire et gréseux. Le Silurien gréseux, argileux à Monograptus semble complet, le Dévonien et le Carbonifère, fossilifères, sont bien détaillés dans cette étude qui conclut d'après le style de la tectonique hercynienne, à l'impossibilité de gisements houillers au Nord de l'Antar.

    Menchikoff (1945) précisera la localisation du gisement de Rey dans le Tamlelt. Cette région sera ensuite étudiée par du Dresnay qui expose la Structure géologique du Haut-Atlas marocain oriental au Congrès d'Alger (1954). Il souligne la rencontre des directions hercyniennes de l'Anti-Atlas avec celles, alpines du Haut-Atlas. Le Tamlelt est un seuil entre les sommets de l'Ouest (région de Marrakech) et ceux de l'Est (Atlas saharien algérien). Les gisements de graptolithes récoltés par du Dresnay ont fait partiellement l'objet du Diplôme d'Etudes supérieures de J. Delcroix (1957, vide supra "Maroc Central"). Elle identifia du Llandovery en faciès de phtanites ; des schistes plus argileux du Llandovery supérieur - base du Tarannon ; du Tarannon supérieur ; une bande de Wenlock supérieur - Ludlow inférieur à nombreuses "formes sardes".

    L'excursion du Haut-Atlas central passa au Bou Dahar plus oriental. Le Silurien fut évoqué par un "noyau schisteux cambro-ordovicien comportant du Gothlandien à Monograptus", découvert par du Dresnay au Nord du Korima.

  • Anti-Atlas ou plutôt Maroc présaharien

    L'Anti-Atlas proprement dit se limite à la chaîne nommée par Hooker, Bail et Maw. Pour désigner l'immense pays primaire des anciens "plateaux du Dra" et du Tafilalet, il sera question ici de Maroc présaharien. Ce domaine était naturellement lié aux investigations sahariennes et les formations recherchées étaient influencées par le schéma général dressé par Kilian au Sahara en 1922 :

    La stratigraphie des terrains à graptolithes trouve sa voie entre ces faciès et ceux du Nord du Maroc. Il s'en dégagera finalement une grande unité.

    Jacques Bourcart (1929) fit paraître le récit de l'ultime voyage de 1923 de Gentil - décédé en 1925 - du Haut-Atlas à l'Anti-Atlas jusqu'à Agadir-Tissint et retour, pour essayer de comprendre la structure des montagnes entre Oued Sous et Oued Dra. Cette fois, le Primaire remplaça le Crétacé, mais en raison de quelques nouvelles datations acquises entre-temps, Bourcart dut modifier du Dévonien de Gentil en Cambrien dans la région de Tiznit (Jbel Tachilla) d'après des archéocyathes qu'il avait trouvés dans les environs de Sidi Moussa d'Aglou. Il reste que "la plaine du Sous aux oasis de Tata" sont pour eux une grande région dévonienne, d'après des déterminations, exactes, et fausses au moins pour le Bani. En tout cas pour Bourcart, la chaîne de l'Anti-Atlas "devient purement saharienne".

    La thèse de Menchikoff : Recherches géologiques et morphologiques dans le Nord du Sahara occidental (1930) constituera une référence pour cette région du Maroc. Un exemple de connexion étroite fut donné par l'assimilation des grès d'Ougarta (Dévonien d'après Rey, 1914) à de l'Ordovicien sans fossiles, mais confortée par la découverte d'un Trinucleus dans des grès quartzeux du Tafilalet par Louis Neltner. Menchikoff put détailler un bon passage Ordovicien-Gothlandien à Ougarta, un solide Gothlandien sur différents tronçons de coupes, comportant des schistes à graptolithes et jusqu'à quatre barres de calcaires à orthocères et Cardiola et autres mollusques bohémiens et enfin le passage Silurien-Dévonien. Selon sa prudente paléogéographie, la mer transgressive gothlandienne s'est étendue pour l'Afrique du Maroc au Sahara central et jusqu'en Guinée occidentale, déposant des graptolithes ; le schéma semble se répéter pour le Dévonien avec simplement davantage de dépôts détritiques au Sud tandis qu'au Maroc et au Nord de l'Anti-Atlas, une sédimentation de mer plus profonde a laissé des calcaires et des schistes.

    A l'Ouest, Bigot et Dubois rajeuniront le Jbel Tachilla (Cambrien de Bourcart) en Ordovicien (1931) grâce à un magnifique exemplaire d'Acidaspis. Segaud (1933) avec d'autres fossiles déterminés par Termier, le précisera en Llandeilo quartzeux, gréseux et à minerai de fer qui seront d'ailleurs exploités.

    Clariond et Bondon (1933) s'attaquent au massif du Sagho, y détectent au-dessus d'un Antécambrien et d'un Cambrien inférieur, un Cambro-Silurien de 1500 m d'épaisseur comportant 3 horizons fossilifères, mais au sommet, parmi les calcaires à orthocères, un Monograptus cf. priodon est surmonté de calcaires eiféliens à faune caractéristique. Ils en déduisent une lacune du Dévonien inférieur. Le M. cf. priodon ne peut être imaginé, ni erroné, et encore moins appartenir au Dévonien. Il faudra encore trente ans pour intégrer les graptolithes dans ce système. Les mêmes avec Leca (1933) dressent encore quelques coupes vers les confins algéro-marocains. Ils abaissent les Silurien et Dévonien de Russo en un prudent ensemble Cambro-Ordovicien, suivi d'un vrai Silurien à Monograptus et Cardiola et d'un Dévonien schisteux à lamellibranches avant un faciès griotte à orthocères, lamellibranches et trilobites identique à celui du Maroc Central et connu aussi dans l'Anti-Atlas. Pour le Tafilalet, Clariond parlera d'un "ensemble Gothlandien-Dévonien".

    C'est encore en 1933 que Roch, dans son Itinéraire géologique de Bou Denib au M'Hamid (Sud Marocain) se demande si les grès de Tikirt (Dévonien de Gentil) ne pourraient pas être ordoviciens, de même que le Bani. D'ailleurs Roch et Menchikoff s'apportent mutuellement des arguments pour étayer l'Ordovicien aussi bien au Nord de la chaîne d'Ougarta que vers le prolongement oriental des Eglab.

    Bondon, Clariond et Neltner (1934) complètent avec des fossiles l'Ordovicien et le Gothlandien du Sagho et du Tafilalet. Au Dj. Saredrar, le Dévonien inférieur commence au Coblencien et des coulées de dolérites sont repérées entre le Silurien et le Dévonien ou dans le Dévonien.

    En suivant un convoi d'Aqqa à Tindouf, Bondon et Clariond (1934) reconnaissent du Gothlandien à Monograptus et Cardiola interrupta ainsi que du Siegénien et décrivent la structure d'un Rich au Mersakhsaï. Le Primaire disparaît sous la Hamada.

    Neltner (1935) dans sa note Sur le Cambrien du Sud marocain, essai paléogéographique relève l'aspect néritique de tout l'Ordovicien suivi des schistes à graptolithes, reflets de mer profonde.

    Clariond (1935) va alors synthétiser la série primaire du Sagho, du Maïder et du Tafilalet, du Précambrien au Tournaisien inclus.

    Les passages au Dévonien s'enchaînent sans discordance. Lorsqu'il y a des dolérites, elles ne semblent pas dépasser le Dévonien inférieur.

    Menchikoff (1937) décrit du Gédinnien dans la Saoura depuis des schistes à Monograptus ultimus (détermination Boucek) du eβ bohémien suivis de calcaires à graptolithes indéterminables, Scyphocrinus et lamellibranches et surmontés de schistes noduleux à Pterinea migrans et Spirifer digitalis, donc du eγ bien caractérisé. Cette note fut d'ailleurs utilisée par Gigout pour son étude de 1937.

    Neltner publie alors le résultat de ses travaux : Etudes géologiques dans le Sud marocain (Haut-Atlas et Anti-Atlas) (1938). La grande découverte est bien entendu celle d'un important Cambrien. C'est également une mise au point solide sur le "Cambro-Ordovicien" ; le Bani couronné de grès qui porte à sa base un horizon ferrugineux qui est l'équivalent de celui, exploité, du J. Tachilla ; un Gothlandien classique, schisteux à Monograptus et calcaires à orthocères et cardioles, estimé à une centaine de mètres d'épaisseur. Les limites entre systèmes ne peuvent naturellement se définir, faciès et épaisseurs varient selon les régions. Neltner imagine une couverture au moins partielle d'Ordovicien pour l'Anti-Atlas, aujourd'hui décapée. Le Gothlandien, trop souvent caché sous des alluvions ne pouvait jamais être suivi en toute certitude. Les plissements archéens sont violents, d'autres post-algonkiens sont doux, le reste concerne l'Hercynien et même "Il est impossible de faire une discrimination certaine des plis hercyniens et alpins partout où manquent les affleurements secondaires..." Après tout remarque-t-il, la Hamada probablement crétacée est horizontale. Le pays du Sud peut être appelé "pays hercynien" par opposition au Haut-Atlas "pays alpin".

    Jacques Bourcart, lors d'une Coupe géologique de l'Oued Noun à l'Ouarkziz par Torkoz (Sahara marocain) (1938), est frappé par les plis sinueux en S de l'ensemble Gothlandien-Dévonien. Son étude, qui va du Géorgien au Viséen, lui fait conclure : "En allant vers l'Ouest, il semble que nous nous rapprochons donc d'une terre émergée".

    La première liste de graptolithes déterminés pour tout ce Sud, fut établie par G. Waterlot (1941). Il s'agissait de Tarannon inférieur à Monograptus priodon, M. halli, M. nodifer et autres, ainsi que de petits lamellibranches, récoltés par Fallot au Sud du Bani, entre Mrimina et Agadir-Tissint. C'est aussi le début du constat de la rareté des affleurements gothlandiens entre le Bani et les crêtes dévoniennes, toujours cachés sous des dépôts superficiels "feijas, alluvions ou regs selon les points".

    Choubert (1942) commence alors, à faire des points stratigraphiques avec mesures de puissance et qualités de faciès à la recherche de niveaux aquifères. Il établit les subdivisions toujours classiques de l'Ordovicien :

    Le Gothlandien, imperméable, est ainsi décrit : "schistes noirs à graptolithes du Gothlandien, suivis de schistes verts probablement déjà dévoniens de 700 à 1000 m. Un repère commode est fourni vers le milieu de la série par quelques bancs calcaires à orthocères".

    Apparemment, les Dévonien, Tournaisien, Viséen, Westphalien - au faciès -semblent se succéder sans accidents. Le Paléozoïque du Sud, du Géorgien au Westphalien, totalise 7000 à 8000 m de puissance.

    En 1943, il décrira l'extension progressive de la transgression commencée au Géorgien, poursuivie à l'Acadien sur tout l'Anti-Atlas, y compris le Tafilalet et la chaîne d'Ougarta ; à l'Ordovicien la mer atteint Tindouf et la bordure du massif de Yetti. Le maximum de la transgression est daté du Gothlandien qui repose sur le socle sur la piste Tindouf-Bir Moghreim et atteint les Tassilis.

    La Carte des plateaux et des chaînes du Sahro, Tafilalet, Maïder, Taouz à 1/200 000, signée de L. Clariond, paraît en 1945.

    En 1947, Choubert et H. et G. Termier parallélisent la stratigraphie de l'anticlinorium d'Oulmès et datent ainsi les grandes coupures du Sud :

    Les seuls graptolithes cités sont Didymograptus murchisoni et des dendroïdes provenant de l'Imini, revers sud du Haut-Atlas.

    Le trajet et l'âge de l'"accident majeur de l'Anti-Atlas" qui traverse la chaîne de l'Est à l'Ouest sur 400 km, sont définis en 1947. Responsable du "graben" de Zagora, il épouse les trajets des accidents anciens le long des boutonnières précambriennes et imprime une forme dissymétrique au Siroua. Choubert le considère comme contemporain du "soulèvement du pli de fond hercynien de l'Anti-Atlas" mais l'orogénie hercynienne a repris les accidents précambriens et, pour le Siroua, il faut aussi qu'il ait rejoué à l'Alpin.

    Dans Du Sous au Dra. L'extrémité sud-occidentale de l'Anti-Atlas marocain (1947), Jacques Bourcart redécrit les séries habituelles mais insiste sur la chaîne "en forme de chenille" NNE-SSW du Jbel Tachilla-Ouarzemine, ainsi que sur les autres pointements ordoviciens et constate qu'à l'Ouest ce système reste plissé jusqu'à Taskala ; ailleurs la bordure méridionale de la chaîne de l'Anti-Atlas reste monoclinale.

    Le Gothlandien, caché, occupe le couloir entre le Bani et le Rich, Bourcart l'assimile à la "dépression intratassilienne" de Kilian. Le Rich (Dévonien inférieur) "offre une série de plis très fortement couchés vers le Nord, contrairement au Bani qui est couché vers le Sud, avec la partie terminale des plis en coups de fouet'.

    Au point de vue structural, Bourcart réunit en un bloc le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas qui n'ont été séparés qu'au cycle alpin. Le bord méridional de l'Anti-Atlas jusqu'au coude du Dra est plus calme qu'au-delà et jusqu'au Tafilalet où recommence un système de plis. Le bord septentrional de l'Anti-Atlas est beaucoup plus compliqué par l'orogénie alpine. Bourcart prolongerait volontiers les manifestations hercyniennes à travers le Tichka et les Djebilet jusqu'au Maroc Central. Ces résultats seront repris et largement cités dans El Sahara Español d'Hernandez Pacheco et al. (1949).

    Henri et Geneviève Termier découvrent une "prairie à bryozoaires" au Tafilalet entre Khabt et Ajar au Nord et la colline de Merzane au Sud. Ils la datent du Llandeilo et la mesurent sur 380 m de puissance. Cela pose une énigme paléogéographique, même si des bryozoaires du Llanvim ont été récoltés en Grande-Kabylie.

    Choubert synthétisera les nouvelles acquisitions au Congrès de Londres (1948) dans ses Notes sur la géologie de l'Anti-Atlas. Les différentes formations de l'Ordovicien sont datées par des fossiles où dominent les trilobites. Cette fois, il admet une régression "contemporaine des mouvements taconiques" fini-ordovicienne, sauf peut-être dans la région du coude du Dra. Le Gothlandien a enregistré des mouvements calédoniens car le Gédinnien n'est pas connu dans les plaines du Dra.

    L'Histoire stratigraphique de Roch (1950) avait été conçue comme une sorte de "Notice explicative" du projet des 6 cartes à 1/500.000 sous la direction de G. Choubert. Lors de sa parution, en fait pour le Congrès d'Alger, seule la feuille "Hammada du Guir" était achevée. Cet ouvrage reste utile, encore de nos jours, à tout géologue débutant au Maroc.

    Les excursions dans l'Anti-Atlas ont constitué le sommet des trajets marocains du Congrès d'Alger de 1952. Celle de l'Anti-Atlas occidental présentait les coupes avec les nouvelles zonations de trilobites géorgiens qui deviendront des classiques ; les Rich dévoniens, et le Bani plissé. Les séries traversées étaient commentées, l'arrêt du "gué de Tensift" expliquait des ressemblances avec le Bani, en particulier pour le Jbel Isko qui se révélera être formé de Cambrien (Destombes, 1963). Le parcours dans l'Anti-Atlas central et oriental fut le plus fréquenté, géologues, géomorphologues, pétrographes, minéralogistes, pouvaient y trouver des intérêts liés à leurs spécialités. L'Histoire géologique du domaine de l'Anti-Atlas de Choubert (1952) résume les apports et les libertés prises avec la paléontologie : "la répartition des espèces n'est cependant pas toujours celle des pays classiques du Gothlandien" assure-t-il au sujet des graptolithes. Des faunes gédinniennes, posent-elles des problèmes ? Qu'à cela ne tienne : "D'après les tendances actuelles, il faudra, semble-t-il les classer dans le Ludlow supérieur".

    De même, l'absence d'Ashgill dans l'Anti-Atlas, constitue une preuve de l'orogenèse calédonienne, tandis qu'entre Silurien et Dévonien, contrairement au reste du Maroc, il n'y a aucune trace de "chaîne calédonienne (ou ardennaise)".

    Après le Congrès, il y eut quelques réajustements stratigraphiques dans l'Anti-Atlas. Le gisement du "Pont du Tansikht" (excursion de l'Anti-Atlas central et oriental) présenté comme de l'Arenig, devint Trémadoc après de nouvelles déterminations de trilobites par P. Hupé (1955). Cet étage avait été plus ou moins nié au Maroc ; pour l'occasion son extension de la Montagne Noire à l'Anti-Atlas fut soulignée.

    Destombes et Lucas (1956) signalent un gisement de graptolithes du Tarannon (déterminations M.-L. Petitot) dans la cuvette de Tazzarine, flanc du Sarhro ; la même paléontologiste reconnaîtra du Llandovery inférieur à Aïn Deliouine, extrémité SW des plaines du Dra (Sur l'âge de la transgression gothlandienne du Sud de l'Anti-Atlas (Maroc) de Hollard et Jacquemont, 1956). Les mêmes auteurs détailleront la même année Le Gothlandien, le Dévonien et le Carbonifère des régions du Dra et du Zemoul. C'est le début des récoltes rigoureuses et des corrélations entre territoires plus voisins. Le Maroc présaharien entre dans une période d'analyses avec le programme de cartes à 1/200 000 inauguré un peu avant le congrès d'Alger et dont la première Carte géologique de la terminaison occidentale de l'Anti-Atlas. Région de Goulimine et du Dra inférieur (feuilles Plage Blanche, Goulimine, Cap Dra et Taïdalt) parut en 1956.

    Résumé des niveaux à graptolithes connus au Maroc avant 1958 :

  • Graptolithes ordoviciens

    Ils sont tellement rares qu'on peut encore les citer dans leurs gisements :

  • Gisements de graptolithes gothlandiens

    Travaux généraux impliquant les graptolithes.

    Dans l'avancement des connaissances, quelques ouvrages ont impliqué plus ou moins directement les terrains à graptolithes. L'Ordovicien est plutôt caractérisé par des trilobites, le Gothlandien par des schistes à Monograptus et calcaires à orthocères avec leurs lamellibranches, Scyphocrinites et trilobites. Les comparaisons avec les faciès bohémiens sont rapidement devenues classiques.

    Le premier ouvrage à inclure tous les résultats connus à son époque est celui de H. Termier : Etudes géologiques sur le Maroc Central et le Moyen Atlas septentrional (1936) avec ses comparaisons marocaines et étrangères.

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    Fig. 5 - Première version (original en couleurs) du "Schéma structural du Maroc" publié dans La géologie marocaine in Encyclopédie coloniale et maritime (G. Choubert et J. Marçais, 1949). Ce schéma sera revu et complété pour le Congrès d'Alger de 1952, mais les subdivisions des trois domaines sont déjà bien élaborées en 1949.

    La carte générale de Yovanovitch (1926) à 1/1 500 000 synthétise aussi à sa manière la situation de ces terrains. De même, la première mouture et les suivantes du schéma structural présenté par Choubert et Marçais (1949) (Fig. 5) dans l'Encyclopédie coloniale et maritime : 1) le domaine précambrien de l'Anti-Atlas rattaché à l'Afrique ; 2) le domaine hercynien atlasique purement marocain, 3) le domaine rifain méditerranéen. Le jeu des régressions-transgressions décrites dans les monographies régionales montrait que le Paléozoïque inférieur avait subi des échos de la phase tectonique fini-acadienne, des mouvements taconiques à la fin de l'Ordovicien et qu'il n'y avait mention d'échos calédoniens que pour le Maroc central à Dévonien inférieur supposé absent (à cause de l'erreur stratigraphique des quartzites du Pays des Sokhrats dont l'âge ordovicien ne sera reconnu qu'en 1956). L'orogénie hercynienne assez faible, a plissé le domaine atlasique et soulevé l'Anti-Atlas, installant quelques granites syn- et post-tectoniques. Il en est résulté trois virgations, soit la chaîne atlasique proprement dite, la virgation de la Meseta et celle de l'Ougarta.

    Puis Choubert installera un "géosynclinal calédonien" traversant le Maroc en écharpe SW-NE du bloc occidental du Haut-Atlas jusque dans l'oriental. "Comme les serres de l'orogénie calédonienne ont été les mêmes que plus tard pour l'orogénie hercynienne, les directions de plis ont dû être les mêmes pour les deux chaînes", dit-il, balayant notament Yovanovitch et Bourcart. D'ailleurs, déjà à ce moment-là, les listes de fossiles pouvaient être quelque peu fantaisistes puisque l'idée des répartitions différentes pour l'Afrique du Nord était déjà bien ancrée. Le lexique stratigraphique du Maroc (1956) ne mentionne comme formation à graptolithes que les "schistes en plaquettes de Mokattam" (Agard, Morin, Termier H. et G., 1955, Llandovery).

    Pour les graptolithes eux-mêmes, trois ouvrages exercèrent des influences diverses. En premier lieu Les graptolithes du Maroc. Première Partie, Généralités sur les Graptolithes de G. Waterlot, parut en 1945. Comme le titre l'indique, il fallait attendre une description plus analytique des graptolithes marocains. Waterlot présentait son groupe fossile suivant les meilleures données paléozoologiques de l'époque et offrait une classification personnelle selon la forme des thèques en une série de clés dichotomiques illustrées fragmentairement d'après les principaux ouvrages descriptifs tels la monographie d'Elles et Wood (Grande-Bretagne), les oeuvres de Perner (Barrandien), celles de Gortani (Sardaigne), de Ruedemann (Amérique du Nord), etc. Il ne s'agissait que du Gothlandien. Alors que Waterlot souhaitait seulement orienter ses utilisateurs vers une bibliographie plus complète, son mémoire fut trop souvent pris comme une fin en soi et favorisa des déterminations approximatives.

    En second lieu, le mémoire de Philippot sur Les graptolithes du massif Armoricain (1950) avec ses doutes et même ses affirmations quant aux différences de distribution temporelle d'espèces de graptolithes entre la Grande-Bretagne et le massif Armoricain, conforta les géologues nord-africains dont les incohérences d'associations résultaient essentiellement de récoltes provenant de plusieurs niveaux : le premier exemple est celui de Lucas qui avait étudié à Rennes et était très préparé à ce genre de souplesse.

    Enfin, en troisième lieu, la Paléontologie marocaine de G. et H. Termier (1950), dont le quatrième volume incluait les graptolithes, persista dans les mêmes errances de répartitions stratigraphiques. Le projet initial était de faire de la Paléontologie marocaine des guides de terrain, mais il est difficile d'affirmer que ces volumes accompagnèrent souvent les géologues en mission. Pour ce qui concerne les graptolithes, l'illustration était constituée de dessins fragmentaires, parfois mal orientés et, dans certains cas, empreintes et contre-empreintes étaient affectées de noms différents.

    Conclusion

    Si, pratiquement, tout reste à faire pour des récoltes de graptolithes dans l'Ordovicien, ceux du Gothlandien commencent à être mieux lotis au Nord du Haut-Atlas, Rif excepté.

    L'état de conservation n'est jamais mentionné. Or ils sont tous aplatis, leur tissu originel a disparu et on ne voit pratiquement jamais de traces des fuseaux constitutifs de leurs squelettes ; ils sont parfois déformés, d'où les qualificatifs de "géants" de type sarde dans le Wenlock supérieur. Gigout (1951) remarquera toutefois quelques déformations tectoniques sur des spécimens ordoviciens.

    Les déterminateurs sollicités étaient des spécialistes chevronnés. Si G. Waterlot (1937, 1941 et 1948) a pu publier et venir en mission au Maroc, Miss Elles qui vit passer tant de graptolithes marocains sous sa binoculaire, dont ceux de Lecointre, Termier, et partiellement Roch, ne fut jamais associée à une publication alors que son rôle, en l'occurrence, était fondamental. Il y eut une certaine désinvolture à considérer les paléontologistes - car elle ne fut pas la seule victime - comme des machines à déterminer. Plus le temps du Congrès d'Alger de 1952 approchait, plus il fallait aussi que les résultats soient conformes aux attentes des géologues de terrains.

    Mais le problème qui ressort de cette introduction des graptolithes dans la géologie marocaine est bien celui de la limite siluro-dévonienne. Dans chaque région du Maroc où les graptolithes ont été associés avec des calcaires il y eut embarras :


    Les calcaires ont toujours été reconnus en position élevée dans le Silurien. Pourtant ce sont toujours les graptolithes qui ont eu la priorité pour la datation. D'où des situations aberrantes. Est-ce une raison de la liberté d'appréciation des répartitions stratigraphiques qui a connu son apogée au Congrès de 1952 ? La responsabilité des graptolithes ne serait alors pas négligeable ! En fait, les déterminateurs étaient peu assurés et les "cf." et "aff." sont fréquents : c'est qu'il s'agissait d'espèces nouvelles à découvrir dans d'autres contextes stratigraphiques, mieux exposés et plus riches. C'est d'ailleurs parce que les corrélations entre pays ayant un Silurien supérieur à Graptolithes et ceux possédant d'autres faunes, alors datées du "Downtonien" ou du "Gédinnien", étaient devenues problématiques que la Commission de stratigraphie choisit de régler cette question comme une sorte de test. La sous-commission chargée d'établir une limite mondialement reconnue entre le Silurien et le Dévonien tint sa première réunion à Prague en 1958. Le Maroc y fut invité parmi les pays susceptibles de contribuer à son édification.

    Bibliographie

    ANNEXE

    Ce tableau, extrait de Les graptolites du Maroc, première partie, généralités sur les graptolites de G. Waterlot (1945, Notes et Mém. Serv. géol. Maroc, n° 63) illustre le plus complètement le vocabulaire du Silurien employé jusqu'en 1958, avant la remise en question officielle de la limite siluro-dévonienne par la sous-commission de stratigraphie réunie à Prague en 1958.
    Les couches de Ludlow à Llandovery s'appelaient "Gothlandien" ;
    les couches de Caradoc à Arenig s'appelaient "Ordovicien".
    Cela entraîna l'approfondissement des connaissances sur le "Gothlandien" et sur l'Ordovicien dans tous les pays concernés, avec d'importants changements dans les désignations d'étages.