TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XI (1997)

Jean GAUDANT
Analyse d'ouvrage
Francisco Pelayo : Del Diluvio al Megaterio Los origenes de la Paleontología en España

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 26 novembre 1997)


Consejo Superior de Investigaciones Cientificas (Cuadernos Galileo de Historia de la Ciencia, n°16), Madrid, 1996, 310 p.

Sous ce titre attrayant se cache un petit livre dont l'objectif est de traiter des Origines de la Paléontologie en Espagne jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. Il s'agit là, à l'évidence, d'un objectif de portée limitée quand on sait que, pour la période ainsi définie, l'Espagne ne peut s'enorgueillir que de deux célébrités de réputation internationale : José Torrubia et... le Megatherium. C'est pourquoi l'auteur a dû faire flèche de tout bois, recourant à toutes les sources disponibles, même obscures ou manuscrites. Pour étoffer son propos, il n'hésite pas à replacer les auteurs espagnols dans leur contexte historique et culturel, de manière à souligner leurs sources d'inspiration, ce qui permet de dresser au passage un bref tableau, qui ne prétend certes pas à l'exhaustivité, du développement de la paléontologie européenne.

En traitant des antécédents de la paléontologie espagnole, on remonte ainsi jusqu'aux Pères de l'Eglise qui, tels Paul Orose, au cinquième siècle, et Isidore de Séville, au septième, voyaient dans les fossiles des témoins laissés par le Déluge. L'auteur évoque également l'influence exercée sur les esprits, à partir du seizième siècle, à la fois par les mythologies véhiculées par les civilisations précolombiennes du Nouveau Monde et par la découverte, au Pérou et au Mexique, de dents et d'ossements de forte taille considérés comme les restes d'hommes gigantesques qui peuplaient autrefois ce continent, comme le rapporte José de Acosta dans son Histoire naturelle et morale des Indes (1590).

Dans la mère patrie, les premières conceptions relatives aux fossiles furent formulées par Alvaro Alonso Barba qui, dans son Art des Métaux (1640), expliquait leur formation par l'action d'une "vertu active" qui se manifesterait à travers l'action d'un jus pétrifiant. Au contraire, dans sa Philosophie curieuse et oculte (1643), Juan Eusebio Nieremberg, un jésuite qui enseignait l'histoire naturelle à Madrid, admettait que les glossopètres et les os pétrifiés étaient des restes d'anciens êtres vivants. Par ailleurs, José Antonio Gonzalez de Salas défendit dans sa Dissertation sur la Terre découverte et couverte par les eaux (1644), l'idée que l'alternance des terres et des mers fut une constante de l'histoire terrestre.

Ensuite, lorsque l'auteur consacre un chapitre aux «théories de la Terre» et à I'"origine du Diluvianisme", c'est avant tout pour évoquer rapidement Descartes, Burnet, Whiston, Woodward, Leibniz et Bourguet. De même, lorsqu'il traite de "l'influence de la paléontologie française en Espagne", il insiste principalement sur les idées de Tournefort, Réaumur, et Antoine de Jussieu. Il introduit alors un long exposé des idées paléontologiques de Benito Jerônimo Feijoo, un bénédictin qui joua un rôle important de diffusion des idées scientifiques en Espagne mais dont les opinions paléontologiques paraissent avoir été caractérisées par une certaine inconstance. Dans la "critique des thèses diluvianistes" sont évoquées les conceptions d'auteurs français comme le Père Castel, Voltaire, Pierre Barrère, Benoît de Maillet, sans oublier la Théorie de la Terre de Buffon...

A l'évidence, le plus célèbre paléontologiste espagnol du dix-huitième siècle, José Torrubia (1698-1761) est l'auteur du premier traité consacré à ce sujet dans son pays : l'Apparat pour l'Histoire naturelle d'Espagne (1754), qui fut bientôt traduit en français. D'une part, admettant la nature organique des fossiles il en proposait une interprétation diluvianiste, tandis que, d'autre part, il se déclarait adepte convaincu de la gigantologie. Pendant l'époque des Lumières, Antonio de Ulloa qui avait participé à l'expédition géodésique de Bouguer et La Condamine en Equateur et au Pérou, publia, après son retour au pays, une Relation du voyage en Amérique méridionale (1748) dans laquelle il s'interrogeait sur la signification des coquilles fossiles observées autour de la baie de Concepción (Chili). Ayant remarqué qu'elles sont semblables aux coquilles actuelles, il pensait qu'elles témoignent de l'action du Déluge. Un demi-siècle plus tard, Antonio José Cavanilles, dans ses Observations sur l'Histoire naturelle... du Royaume de Valence (1795-1797) prenait le contre-pied de ces idées après avoir constaté que les coquilles fossiles témoignent généralement d'un dépôt dans un milieu peu agité, incompatible avec les conceptions diluvianistes.

L'histoire s'achève par une évocation du Cabinet royal d'histoire naturelle de Madrid dont le principal fait d'armes est d'avoir acquis le squelette du célèbre Megatherium, découvert en 1787 aux environs de Buenos Aires, un squelette auquel s'intéressa Cuvier, qui eut à sa disposition des planches gravées à partir des dessins réalisés à Madrid par Juan Bautista Bru.

Voilà donc un livre utile et d'une lecture aisée, qui apporte un éclairage intéressant, non seulement sur la naissance de la Paléontologie espagnole, mais aussi sur l'histoire du développement de cette science dans les pays voisins. On regrettera toutefois que l'absence d'index complique quelque peu sa consultation et qu'il faille déplorer un certain laxisme typographique.