TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XXVII (2013)

Jean-Claude PLAZIAT

La controverse sur l'âge des « Sables bleutés du Var » (1966-1980) :
Les paradoxes méthodologiques d'une polémique caractéristique de la fin du XXe siècle, entre un géologue amateur, Fernand Touraine, un paléomalacologiste, Roger Rey, et des spécialistes académiques de la paléontologie des mammifères et de la tectonique alpine

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGÉO)
TROISIÈME SÉRIE, t. XXVII, 2013, n° 1 (séance du 13 mars 2013)

Résumé.
Entre 1966 et 1980, une polémique a opposé deux géologues quelque peu marginaux aux spécialistes de la biostratigraphie des mammifères et de la tectonique provençale. Cette controverse entre des protagonistes de statuts différents a faussé le développement d'une intéressante discussion concernant l'âge, soit éocène inférieur, soit oligocène inférieur, d'un ensemble de dépôts isolés dans des synclinaux et fossés de l'intérieur de la Provence. Ce sont les derniers terrains affectés par une intense tectonique de chevauchements que l'on doit rattacher soit à une phase de serrage pyrénéo-provençale (éocène) qui n'aurait eu qu'une extension limitée, soit à une phase post-oligocène que l'on peut qualifier d'alpine. Le contexte éditorial de cette époque était particulièrement favorable, grâce à l'activité de la Société géologique de France, qui ouvrait alors ses portes et ses colonnes aux discussions. Les découvertes de mollusques continentaux par Fernand Touraine et leur identification par Roger Rey comme caractéristiques de l'Oligocène inférieur ont donc été confrontées publiquement à celles de restes de mammifères de l'Éocène inférieur, soit isolés, soit en nombre (dans le riche gisement très localisé de Rians). Le conflit qui a opposé l'interprétation de l'origine autochtone des mammifères et, par conséquent, de l'âge éocène des dépôts qui les contenaient, à celle de leur remaniement à l'Oligocène (Touraine), a été déplacé vers une opposition entre la valeur stratigraphique respective des vertébrés et des mollusques. Les multiples arguments réunis par Touraine, à l'aide d'organismes différents, ont été écartés et les indices sédimentaires n'ont pas été pris en compte, au point que les riches débats publics n'ont abouti qu'au refus de prendre une décision. Cette indécision a été diffusée comme la seule conclusion acceptable... jusqu'en 2012. Notre étude réunit les arguments pour un âge oligocène qui ont été négligés, y compris ceux qui ont été ajoutés après la disparition des trublions (en 1978 et en 1980). L'intérêt historique de l'analyse détaillée de cette controverse réside surtout dans la comparaison entre le contexte d'organisation et de diffusion des débats, qui caractérise les premières décennies de la deuxième moitié du XXe siècle en France, et celui qui résulte d'une volonté d'adaptation à la mondialisation de la recherche en géologie, apparue avant la fin de ce siècle. L'évolution de la place des géologues amateurs dans la recherche géologique régionale est abordée en conclusion.

Mots-clés : Épistémologie - géologues amateurs - mammifères - mollusques continentaux -Oligocène - Provence - Société géologique de France - XXe siècle.

Abstract.
Between 1966 and 1980, a polemic raised, opposing two amateur and somewhat fringe geologists to academic specialists of vertebrate biostratigraphy and alpine tectonics of Provence. Such a dispute involved protagonists of different status, which certainly warped the progress of an interesting controversy about the Early Eocene versus Early Oligocene ages of an overthrusted sequence outcropping in synclines and grabens of the inner Provence. This compressive tectonic phase would therefore be interpreted as belonging either to the local Eocene Pyreneo-provençal phase or to a more extensive Oligocene alpine phase. The favourable research context was then especially open to fair discussions, owing to a broadminded policy in debates organization and publication of the French Geological Society. The increasing number of finds of continental molluscs in limestones underlying the Sables bleutés, by Fernand Touraine, referred by Roger Rey to an Early Oligocene age, faced several records of Early Eocene mammals, including a recently discovered fossiliferous lense at Rians, in the sand unit. The initial disagreement between the assumed autochtony of the Eocene mammal remains and the new interpretation by Touraine of their reworking in Oligocene deposits, turned into a simplistic opposition between the respective stratigraphic values of mammals and continental molluscs. The varied additions by Touraine of biostratigraphic data from different groups of fossils and sedimentary observations were turned down and led to the conclusion of an impossibility to choose between the opposed datations. That indecision persisted until 2012, in spite of the numerous arguments in favour of the Oligocene age, added by Touraine and, after his death, by others. The post-polemic story is also told in this paper, in order to document the actual statements repeatedly distorted. The main interest of this case-study of a minor controversy for the geological research history would be to show the contrast between the decades following the mid-twentieth century times, and the subsequent period, when the trend to a necessary adaptation to globalisation in the geological research, in France, modified the approach to scientific debates. An evolution of the role of amateur geologists has resulted from such a submission to global ambitions, to the detriment of regional studies.

Key words: Epistemology - amateur geologists - mammals - non-marine molluscs - Oligocene -Provence - French Geological Society - 20th century.

 

Introduction

Cette contribution à l'« histoire immédiate » de la géologie française contemporaine est consacrée à une controverse qui met en évidence une opposition méthodologique et des a priori contestables contre les apports scientifiques majeurs d'un « amateur », Fernand Touraine, dont la compétence régionale n'a pas été acceptée par tous les géologues universitaires, et d'un chercheur solitaire, Roger Rey, spécialiste d'un groupe de fossiles décriés, parce que méconnus de la part des autorités de la recherche académique (Université, CNRS et Muséum national d'Histoire naturelle) (Fig. 1).


Fig. 1. Les instigateurs de la controverse, quelques années seulement avant son déclenchement. À gauche, Fernand Touraine en 1960 ; photo d'identité de l'ancien fichier des membres de la Société géologique de France. À droite, l'abbé Roger Rey en 1957. Cliché d'un auteur inconnu, aimablement communiqué par J.-M. Viaud.

C'est cependant dans un contexte véritablement ouvert aux discussions que la pression des paléomammalogistes et des tectoniciens s'est exercée, c'est-à-dire dans le cadre de la Société géologique de France pour l'essentiel. Un contexte relativement favorable aux débats scientifiques qui, hélas, est représentatif d'un autre siècle, puisqu'il a succombé à l'évolution des moeurs scientifiques avant la fin du XXe siècle. En effet, aujourd'hui, on ne peut que regretter la disparition des débats contradictoires publics de la Société géologique de France, publiés jusqu'en 1997 dans le Compte rendu sommaire des séances de la Société géologique de France, et qu'ils n'aient pas été remplacés par l'offre d'un autre média matériel. Mais il ne faut pas s'étonner qu'il n'existe plus d'espace de discussion reconnu, protégé des luttes d'influence par une large diffusion, lorsque les controverses scientifiques sont systématiquement considérées comme des querelles de personnes et, de nos jours, sont le plus souvent taxées de « vaines polémiques », en vertu d'une horreur généralisée de toute contestation publique.

Après la mort de Fernand Touraine, en 1980, on a pu croire à la fin de la controverse engagée par lui en 1966, lorsqu'il a contredit l'âge éocène des déformations tangentielles provençales, la plupart de ses arguments objectifs étant acquis et publiés depuis 1973. Mais il faut reconnaître aujourd'hui que la façon dont les discussions, de 1966 à 1978, ont été diffusées systématiquement à charge contre l'âge oligocène des « Sables bleutés », justifie encore, jusqu'en 2012, l'opinion qu'il n'a pas été possible de décider si le dernier niveau tectonisé (chevauché) par la phase paroxysmale provençale appartient à l'Éocène ou à l'Oligocène. Le refus de prendre parti, en prétendant avoir pris en compte tous les arguments des uns et des autres, a naturellement conduit à un immobilisme favorable à l'ancienne conception chronologique que Jean Aubouin et Léonard Ginsburg n'ont cessé de diffuser. Le débat a été figé, à partir de 1973, dans ce constat d'incertitude présenté sous la forme injustifiée d'une unanimité anonyme : « tout le monde sait que l'on n'a pas pu trancher et conclure cette controverse ».

Un remarquable ouvrage sur l'histoire de la découverte de la géologie de la Provence vient de paraître (Philip, 2012). Son auteur résume de manière détaillée et objective les arguments des principaux protagonistes de cette controverse (p. 170-173), et conclut à « l'acuité toujours actuelle du problème biostratigraphique posé par les sables bleutés du Haut-Var ». Il constate en effet que « Les contradictions d'âge [...] entre les mammifères [...] et les ostracodes et les gastéropodes [...] demeurent tout aussi radicales ». L'argument du remaniement des restes de mammifères étant « rejeté catégoriquement » par les spécialistes de ces fossiles, on retrouve l'impossibilité de conclure : « la question soulevée par Fernand Touraine reste, décidément, encore d'actualité ». Ce qui était la position que les géologues structuralistes et les paléontologues spécialistes des mammifères fossiles se sentaient autorisés à imposer, dès 1973, en raison de l'infaillibilité (incontestable à leur avis) des datations par les mammifères.

Dans ce cas particulier, c'est parce que l'âge oligocène (et non éocène inférieur) des « Sables bleutés », proposé en 1966 par l'abbé Roger Rey (du CNRS) et un professeur d'École normale d'instituteurs moins connu, Fernand Touraine, était en contradiction avec les conclusions de plus de trente ans de publications largement diffusées des différentes disciplines reines de la géologie, attribuant à ces dépôts un âge éocène inférieur, à la suite de celle, particulièrement prestigieuse, de Pierre Teilhard de Chardin et Albert-Félix de Lapparent (1933).

Cette note fondatrice avait fait connaître la découverte sous les sables, c'est-à-dire dans le même calcaire qui allait livrer à Fernand Touraine des mollusques de l'Oligocène, d'une mandibule incomplète de Paramys, un rongeur indiscutablement caractéristique de l'Éocène inférieur (le Sparnacien selon Teilhard de Chardin), ou plutôt un autre genre de Paramyidé : Meldimys selon J.-L. Hartenberger (in litteris, 1978), dont l'âge est proche de l'extrême base de l'Éocène inférieur (niveau de Dormaal) (fig. 2, à dr.).


Fig. 2. Le reste de mandibule de « Paramys » découvert en 1933, par Albert F. de Lapparent, dans un bloc de calcaire non en place de la série du bassin de Bauduen, « à l'Est de la Chapelle Notre-Dame (N D) » selon la publication de Cécile Cornet (1978). Dessins de ce fossile par Teilhard de Chardin, qui l'a décrit dans le mémoire paléontologique de l'abbé de Lapparent (1938). Sa localisation dans le « Calcaire à Bithynies » de ce fossé cartographié par Cécile Cornet est éloignée des affleurements de l'Éocène inférieur (e /-//) correspondant aux « Marnes à Oiseaux ». À cette date et selon cette auteure, le calcaire qui a livré le bloc contenant ce fossile -et les « Sables bleutés » qui n'en sont pas séparés sur la carte - étaient cependant encore considérés comme d'âge incertain ; bien que Cécile Cornet ait récolté un « Potamides cf. lamarcki « un peu au nord de St Barthélemy » (notre flèche, au nord de « St B ») et soupçonné que les charophytes éocènes du niveau calcaire soient remaniés. Ailleurs, le « Calcaire à Bithynies » est attribué au Stampien par le même chercheur (Cornet, 1976), sans le moindre doute. L'incohérence résultant de ce raccourci chronologique (1933-1978) montre la situation bloquée du débat après la réunion de 1973, résultant de l'absence d'une prise en compte équilibrée des arguments exposés alors par Fernand Touraine et par Roger Rey.

Le refus répété de prendre en compte l'information fournie par des mollusques « continentaux », allait empoisonner le débat et empêcher l'examen serein de l'hypothèse que Fernand Touraine avait immédiatement envisagée : le remaniement sans grand déplacement latéral des restes de mammifères fossiles. Ce refus d'examiner l'hypothèse d'un dépôt oligocène accueillant des fossiles éocènes resédimentés, après érosion de leur dépôt d'origine yprésien, a été accompagné de demandes réitérées de preuves biostratigraphiques supplémentaires, auxquelles Touraine s'est d'ailleurs plié entre 1966 et 1978. Aucun des nouveaux arguments n'a été pris en compte, comme s'ils ne méritaient même pas d'être discutés. C'est, en partie, ce qui justifie notre désir de rouvrir le débat et de mieux faire connaître les données que Touraine avait réunies, pour l'essentiel, pendant cette première décennie de la controverse. Mais ce dossier n'a cessé de s'enrichir après la disparition de Roger Rey et de Fernand Touraine, ce qui nécessite de traiter de contributions biostratigraphiques ultérieures, méconnues, qui s'échelonnent au moins jusqu'en 1996.

C'est donc Fernand Touraine qui est à l'origine de la discussion et à qui revient le mérite d'avoir cherché à multiplier et diversifier les arguments favorables à l'âge oligocène de l'ensemble des dépôts surmontant le Sparnacien à coquilles d'oeufs d'oiseaux. Sa démonstration répétée de la fréquence des remaniements de fossiles mésozoïques et éocènes dans les divers faciès de l'Oligocène varois (Fig. 3), bien que cruciale, est restée ignorée ou a été simplement évacuée par la plupart de ses détracteurs qui, par conséquent, ont figé les recherches sur un constat d'incohérence des données biostratigraphiques provenant respectivement des mollusques et des mammifères récoltés dans le même ensemble de dépôts.

Pourtant, en 1966, lorsque Fernand Touraine fonde sa contestation sur les identifications de gastéropodes par Roger Rey, il montre déjà l'importance des remaniements de fossiles du Crétacé dans le Tertiaire du nord de la Provence calcaire, dans un contexte tectonique favorisant les érosions, où les dépôts tertiaires sont seulement conservés dans des fossés et des synclinaux aux bordures fortement tectonisées (Fig. 6 et 9).

Cette explication des contradictions, à l'intérieur des assemblages de fossiles des calcaires et des sables, c'est-à-dire correspondant à des juxtapositions ou à des superpositions de mollusques et de mammifères indiquant paradoxalement des âges différents, est fondamentale et revient dans toutes les publications de Touraine, avant 1973 comme après, et jusqu'à la fin (1978).

Fig. 3. En haut, extraits du premier article de Fernand Touraine annonçant la découverte de l'Oligocène à Montmeyan (1966). La cartographie sommaire (qui n'est pas de lui) sera détaillée en 1978 (voir Fig. 15), complétant et confirmant ce schéma. En bas, la synthèse des données biostratigraphiques exposées devant les membres de la Société géologique de France, lors de la réunion de 1973, reportée sur un schéma de la série des fossés du Haut-Var. La séparation des fossiles remaniés (Crétacé-Tertiaire) et des fossiles autochtones, de l'Oligocène inférieur (Stampien = Rupélien), est donc déjà complète. Les attributions plus précises, à un « Sannoisien » et à un « Stampien », semblent aujourd'hui plus contestables. C'est cependant sans grande conséquence puisque, depuis 1964, ces deux termes sont réunis dans un seul étage qui reprend la définition originelle par Alcide d'Orbigny, du Stampien, étage unique de l'Oligocène inférieur (voir l'historique dans le volume Stratotype Stampien, Lozouet, 2012, détaillé dans le CDROM joint au volume).

La première note de Touraine (1966a), en moins de deux pages, met en évidence les conséquences tectoniques, à l'échelle régionale, de ces nouvelles datations fondées non seulement sur les mollusques d'eaux salées, étudiés par Roger Rey, mais aussi sur les gyrogonites de charophytes que Louis Grambast a identifiées. Les preuves de remaniement de fossiles de la série sous-jacente sont brièvement répertoriées. La même année, Fernand Touraine (1966b) montre que cette séquence de dépôts oligocènes déborde le Haut-Var puisqu'elle existe aussi dans l'est du Bassin d'Aix (dans le synclinal perché du Cengle ; Fig. 4).


Fig. 4. Mise en évidence de dépôts oligocènes au sommet de la série du Cengle, au pied de la montagne Sainte-Victoire (NE du Bassin d'Aix-en-Provence). Les mollusques identifiés par Roger Rey comme étant représentatifs du « niveau à striatelles » (Sannoisien) se situent dans le calcaire marneux du sud et dans le grès grossier du nord (région de St Antonin), sous les « calcaires à silex ». Cette note au Bulletin de la Société géologique de France a été présentée en 1966, sept mois après celle sur la découverte de l'Oligocène de Montmeyan.

Les faciès sont évidemment variables d'un affleurement à l'autre, ce qui complique la présentation synthétique des données biostratigraphiques, mais ce qui explique aussi une position structurale localement différente : par exemple, les « conglomérats oligocènes » des Bourdas sont discordants sur les marno-calcaires de la formation à Bithynies (Fig. 5) (Touraine, 1974), alors que d'autres conglomérats de la région surmontent les « Sables bleutés » (Fig. 12). Cette disparité paraît impliquer un serrage plus précoce de la série préservée dans le fossé des Bourdas, avant la fin de l'Oligocène inférieur, mais ne remet en cause, en aucun cas, l'âge des calcaires. En dehors des restes de mammifères dispersés, tous les fossiles sont incompatibles avec un âge éocène inférieur.

1973 est le moment-clé de cette controverse : une réunion de la Société géologique de France est consacrée à la question qui fait débat depuis 1966. Touraine y expose le bilan de ses recherches de terrain et des identifications qui lui ont été fournies par divers spécialistes reconnus, après le coup de tonnerre des déterminations de mollusques d'âge « sannoisien » (Stampien inférieur = Rupélien inférieur) par Roger Rey. Il insiste sur la notion de remaniement stratigraphique qui doit expliquer, selon lui, les contradictions apparentes. Cécile Cornet précise, avec la prudence qui caractérise le contexte universitaire d'alors (où il n'est pas bienvenu de contredire les idées reçues des « patrons »), que, pour elle, les « Sables bleutés » correspondent à une seule nappe alluviale et qu'il n'est pas insensé de les considérer comme oligocènes : « les présomptions en faveur de l'Oligocène moyen sont peut-être plus grandes ». Les communications écrites, plus nombreuses, et les « Observations et réponses » aux exposés donnent cependant une bonne idée des arguments qui sont proposés par les participants à cette réunion réellement contradictoire.


Fig. 5. La série conservée dans le petit fossé de Bourdas (Var), à la terminaison septentrionale de la bande triasique de Barjols, est constituée de deux termes principaux : plus de 200 m de marnes et calcaires (maladroitement figurés sur la carte par un pointillé), repliés en synclinal, et les conglomérats qui représentent l'extension extrême des « poudingues oligocènes » qui bordent, de façon discontinue, les affleurements d'orientation méridienne de la bande de Barjols, où affleure le Trias supérieur (trois figures extraites de Touraine, 1974). Les fossiles du niveau à Striatelles étaient connus depuis 1966 (Touraine, 1966, 1967) et attribués au Sannoisien (notre Stampien inférieur). Des conglomérats remanient en galets ce niveau fossilifère, mais ce sont seulement des poudingues plus méridionaux qui auraient été datés du « Stampien supérieur ». La relation entre ces poudingues discordants et les « Sables bleutés » sous-jacents n'est pas visible aux Bourdas mais dans les coupes de La Combe et de Laval (voir notre figure 12). La discordance angulaire est cependant comparable à celle des poudingues sur les marno-calcaires des Bourdas. La lentille de calcaire à fossiles sannoisiens au sommet des conglomérats de la Combe (Angelier, 1971 et Touraine, 1971) est interprétée ici comme une des nombreuses klippes (habituellement de Jurassique) des fossés du Haut-Var. Voir aussi la figure 2. Pour Touraine, il n'y a donc pas d'exception à la succession régionale : de bas en haut, les marno-calcaires à Bithynies et Striatelles, les « Sables bleutés » (présents ou pas) et les conglomérats sommitaux, discordants ou pas ; le tout s'étant déposé pendant l'Oligocène inférieur (Stampien = Rupélien).

L'un des nouveaux arguments contre l'âge oligocène de ces sables est la récente découverte, signalée par Ginsburg, Mennessier et Russell (1967), dans la formation des « Sables bleutés » du bassin de Rians, d'un assez riche gisement de mammifères d'âge sparnacien (Yprésien inférieur = Éocène le plus inférieur), au-dessus d'un calcaire qui a été corrélé avec celui dans lequel Teilhard de Chardin a identifié la mandibule de « Paramys », dans un bassin voisin (Bauduen, voir les figures 6, 7 et 9). La contradiction est donc indéniable entre l'âge indiqué par l'ensemble des mollusques des calcaires et l'ensemble des mammifères du calcaire et des sables.

Mammifères contre mollusques continentaux !

La comparaison des réputations de fiabilité respectives est évidemment défavorable aux mollusques qui ont introduit la remise en question de la chronologie tectonique régionale. D'autant plus que les mammifères fossiles d'Europe occidentale ont été proposés, à la même époque, comme le support exclusif d'une biostratigraphie de zones (et même d'étages) de la stratigraphie continentale fondée, pour une bonne part, sur les faunes de mammifères des gisements français (synthèse dans Schmidt-Kittler éd., 1988). Le gisement de Rians est situé « entre les niveaux repères de Dormaal et d'Avenay » (Godinot, 1977), puis au niveau exact du gisement de Dormaal (Belgique), équivalent du Clarkforkien, « étage continental » d'Amérique du Nord (Godinot, 1981), c'est-à-dire à l'extrême base de l'Éocène inférieur. Tout remaniement est formellement exclu par les paléomammalogistes, en raison de l'homogénéité chronologique de la faune de Rians et de la qualité de préservation des restes osseux. Il ne peut s'agir que d'un dépôt sans transport postérieur à l'enfouissement, car il n'est pas envisageable qu'un tel transport ait respecté l'assemblage de fossiles et n'ait pas affecté leur préservation. Un déplacement en masse est hors de propos, contrairement à ce que Fernand Touraine propose, considérant le dépôt argileux fossilifère « rouge » dans les sables gris (« bleutés ») comme une « lentille de 2 m x 0,5 x 0,1 », là où Mennessier, Ginsburg et Russell, puis Godinot ont vu un ensemble de couches s'étendant sur plus de 4 mètres, avec des pièces osseuses isolées jusqu'à 10 mètres de là.

Dans ce premier temps qui s'achève par la réunion de 1973, l'apport biostratigraphique des charophytes, des ostracodes et des poissons n'est pas discuté ni accepté. Cependant, le grand mérite de Fernand Touraine, à notre avis, est justement d'avoir fait appel à des spécialistes indépendants et d'avoir guidé sur le terrain ceux qui souhaitaient s'informer, y compris ses détracteurs. Nous pouvons en témoigner puisque nous en avons bénéficié, comme Jacques Angelier et Marc Godinot, d'ailleurs. Nous soulignons aussi le fait que nous avons été partie prenante dans le débat (Plaziat, 1973 ; Plaziat et Gaudant, 1984), ce qui nous oblige à d'autant plus de rigueur scientifique. Nous sommes parmi les derniers témoins de cette controverse qui nous paraît caractéristique de la recherche, en France, à la fin du XXe siècle. C'est donc, pour nous, un devoir de montrer, au-delà de la polémique sur les « vertus » respectives des différents fossiles, l'opposition entre la rigoureuse méthodologie d'un « géologue amateur » et la force d'inertie des idées reçues défendues par la coalition académique des paléomammalogistes et des géologues structuralistes.

Mais en dehors de la réhabilitation des travaux résultant, au départ, de la collaboration de Roger Rey et de Fernand Touraine, il nous semble utile de montrer que cette controverse est un chapitre intéressant de l'évolution des relations entre « géologues amateurs » (régionaux ou spécialisés dans un groupe paléontologique) et géologues professionnels, les uns comme les autres plus ou moins bien formés et encadrés dans des équipes de chercheurs contrôlées par le CNRS et de plus en plus confrontées à une recherche mondialisée. L'évolution concerne aussi la hiérarchie mouvante des disciplines : la prééminence des paléomammalogistes en stratigraphie continentale est aujourd'hui concurrencée par les sédimentologues (analystes séquentiels, cyclostratigraphes) et les géochimistes, dont la haute technicité justifie une position dominante, caractéristique du XXIe siècle. Cela explique en partie notre choix de réexaminer le déroulement de cette controverse dans le cadre de l'histoire de la géologie.


Fig. 6. Carte simplifiée de la Provence calcaire, d'après la figure publiée par Aubouin et Mennessier (1963) et reprise par Aubouin dix ans plus tard (fig. 161, p. 386 in Debelmas, 1974). La distinction entre les bassins éocènes et les bassins oligocènes a été maintenue, ce qui montre que, pour Jean Aubouin, l'Oligocène n'existerait pas dans le département du Var (à l'est de la limite administrative figurée par la ligne de croisillons).

Les enjeux de la controverse sur l'âge des derniers dépôts chevauchés par des lambeaux du Mésozoïque nord-provençal

Le problème de l'existence d'un Éocène inférieur indéniablement daté par des fossiles, à l'est du bassin d'Aix-en-Provence, débute donc assez discrètement avec la découverte, en 1933, d'une « mandibule droite [sic] de Rongeur », par l'abbé Albert-Félix de Lapparent, qui se fait alors encore appeler Albert de Lapparent, au risque d'être confondu dans les listes bibliographiques, avec son grand-père, le professeur Albert de Lapparent (Albert-Auguste, 1839-1908), dont le Traité de géologie a marqué la fin du XIXe siècle. Cette pièce osseuse incomplète a été identifiée comme appartenant à un Paramys proche du P. lemoinei, que Pierre Teilhard de Chardin avait récemment décrit en 1922 parmi les « Mammifères de l'Éocène inférieur français » (restreint au Bassin de Paris). Teilhard de Chardin (in Teilhard de Chardin et Lapparent, 1933 ; in Lapparent, 1938) lui laisse ce nom d'espèce malgré le doute qui s'impose en raison des imperfections de la préservation du fossile (Fig. 2). La note au Compte rendu sommaire des séances de la Société géologique de France, de Teilhard de Chardin et Lapparent, fait aussi le point sur la stratigraphie des dépôts de la « vallée de Baudnen » [sic, pour Bauduen ; peut-être parce que les manuscrits déposés chez l'imprimeur étaient alors véritablement écrits à la main] et des autres synclinaux situés à l'est d'Aix-en-Provence : des Grès à reptiles aux calcaires rognaciens (alors considérés comme du Danien, étage qui correspondait au dernier terme du Crétacé jusqu'en 1970, cf. Plaziat, 1970). Les séries locales sont bien moins fossilifères que celle du bassin d'Aix, où la série éocène du pied de la montagne Sainte Victoire est réputée monter jusque dans un Sparnacien à Physa (Macrophysa ou Aplexa) columnaris (Deshayes, 1824 ; Rey, 1962). C'est donc simplement la confirmation qu'un « Sparnacien » existe aussi dans le Haut-Var.

En cette année 1933, Albert-F. de Lapparent présente une note à l'Académie des sciences « Sur le synclinal de Rians (Var) », qui met en évidence, dans la même région, des « lambeaux de recouvrement importants [...] sur les argiles et sables éocènes ». Les chevauchements de Jurassique sur le Tertiaire sont interprétés, non comme les indices d'une grande nappe de charriage provençale (cf. les conceptions de Marcel Bertrand), mais comme des plis d'âge éocène supérieur « repris et déversés au sud lors de mouvements alpins ». Une conception qui sera précisée dans les recherches ultérieures, correspondant à la thèse d'État (1938) de l'abbé de Lapparent, et, bien plus tard, à celle de Guy Mennessier (1959), et aux travaux de Jean Aubouin. La synthèse cartographique présentée par Aubouin et Mennessier en 1963 (Fig. 6) et maintenue par Aubouin dans l'ouvrage collectif sur la Géologie de la France, à vocation de manuel d'enseignement universitaire (in Debelmas, 1974), figure tous les dépôts paléogènes du département du Var comme étant de l'Éocène, ainsi que la totalité de la série du Cengle (Bouches-du-Rhône) (Fig. 7).

L' Essai sur la structure de la Provence, d'Aubouin et Mennessier (1963), place donc les bassins du Haut-Var, au nord-est du bassin d'Aix, dans un ensemble « Maestrichtien-Éocène », avec les conséquences tectoniques que cela implique. Jean Aubouin, dans la Géologie de la France, résume à nouveau la conclusion de cette synthèse en plaçant la phase de « décollement général de la couverture provençale », c'est-à-dire la « phase provençale des auteurs », « à la fin de l'Éocène ». Pour lui, les chevauchements du Varois appartiennent à cette phase de compression et non à une phase oligocène qui devrait être qualifiée d'alpine.

Les derniers dépôts chevauchés sont datés exclusivement de l'Éocène inférieur puisque les travaux de Touraine et de Rey sont considérés comme non avenus.


Fig. 7. Une autre figure du chapitre sur la Provence de Jean Aubouin (in Debelmas, 1974, fig. 166 A, B, p. 363, en deux parties ici regroupées). Ces cartes, supposées être paléogéographiques (ce n'est pas le cas de celle qui figure les bassins oligocènes ; d'ailleurs, la mer alpine n'existerait qu'à l'Éocène), sont accompagnées d'un commentaire audacieux : « Il n'a pas été tenu compte du fait que les Sables bleutés nord-varois, considérés comme éocènes inférieurs, pourraient être d'âge Oligocène ; il n'en résulterait pas de modifications fondamentales ». Cette désinvolture apparente correspond à une volonté de ne pas remettre en cause les conceptions antérieures qui singularisaient l'histoire géologique de la Provence. En particulier, l'auteur insiste sur l'originalité tectonique de la Provence : « A la fin de l'Eocène, se produisent les principaux chevauchements provençaux » - la phase provençale ou pyrénéo-provençale, cf. la phase pyrénéenne de Hans Stille, d'âge éocène supérieur -, suivie seulement par des « mouvements fini-Oligocènes ». En revanche, dans les Alpes, le paroxysme des plissements des zones internes (et la mise en place des nappes) se produirait « au tout début de l'Oligocène ». Les deux régions jointives auraient donc des histoires tectoniques différentes, sans effet synchrone du serrage régional ; à l'époque, les plaques lithosphériques rigides n'ont pas encore leur place dans l'enseignement de la géologie alpine.

L'abbé Albert-F. de Lapparent, dans le cadre de sa thèse, avait produit deux ouvrages : une monographie géologique essentiellement axée sur l'histoire structurale de la région Var-Durance (publiée dans le Bulletin du Service de la Carte géologique de la France), et une étude de paléontologie stratigraphique consacrée aux faunes continentales de ce domaine, sous forme d'un Mémoire de la Société géologique de France, presque jamais cité. C'est pourtant dans cette dernière publication que la mandibule de « Paramys » est décrite et figurée (sous la plume de Teilhard de Chardin, voir notre figure 2, à dr.). Lapparent s'y consacrait aux mollusques mésozoïques et tertiaires et proposait de créer l'espèce Bythinia [sic, pour Bithynia, avec la caution de Paul Jodot] bauduensis pour le petit gastéropode du calcaire où le rongeur a été découvert. L'âge sparnacien de son « Calcaire à Bythinies » est donc fixé par celui du petit mammifère, mais la grande aptitude à la fossilisation des coquilles, et surtout de l'opercule calcitique caractéristique de ce genre, en ont fait, ultérieurement, le marqueur de l'Éocène inférieur dans un grand nombre de bassins du Nord-Varois, lorsque ce calcaire existe : à Rians, Fox-Amphoux, Montmeyan, Aups et Bauduen. C'est beaucoup plus tard (Dughi et Sirugue, 1959, 1962, 1968 ; Touraine, 1960, 1961 ; Fabre-Taxy et Touraine, 1960) que les oeufs d'un genre d'oiseau coureur archaïque (Ornitholithus), présents sous forme de débris dans les limons fluviatiles sparnaciens, les remplaceront en jouant le rôle de marqueur régional de l'Éocène inférieur (les « Marnes à oeufs d'oiseaux », qualifiées de sparnaciennes).

Les protagonistes de la controverse

Encore une fois, c'est une note de moins de deux pages, publiée par Fernand Touraine en 1966, qui est déterminante. On notera qu'aujourd'hui ce type de publication factuelle, régionaliste, est quasi impossible à faire accepter dans une revue scientifique largement diffusée. On a vu que cette Découverte de l'Oligocène à Montmeyan et dans les bassins tertiaires du Var amorce la controverse en mettant l'accent sur les conséquences tectoniques régionales. La part du travail paléontologique de l'abbé Rey est déterminante (son article intitulé Notes malacologiques sur l'Oligocène de Montmeyan (Var) est publié trois mois après celui de Fernand Touraine), mais la vision synthétique n'appartient qu'à Touraine qui souligne, d'emblée, l'importance de cette nouveauté pour l'histoire tectonique de la Provence. C'est la responsabilité de Touraine, depuis l'échantillonnage des fossiles jusqu'à la mise en place d'une discussion publique des nouveaux arguments paléontologiques et sédimentaires concernant l'âge véritable des Sables bleutés du Haut-Var.

Il est donc juste de commencer notre présentation des acteurs de cette découverte par Fernand Touraine, qui a compris les enjeux des identifications des fossiles qu'il avait patiemment récoltés, replacés dans la perspective de l'histoire géodynamique régionale, à l'échelle de toute la Provence sinon de ses relations avec les Alpes. Touraine est, en effet, un géologue de terrain bien au fait de ces enjeux, dont les recherches en Provence ont débuté avant 1960, dans le bassin d'Aix-en-Provence et la montagne Sainte-Victoire. Sa ténacité et sa rigueur méthodologique (contestée encore aujourd'hui) justifient aussi une première place et notre respect, d'autant plus que l'on doit considérer Fernand Touraine comme un amateur en géologie, même s'il est passé par l'École normale supérieure de Saint-Cloud (en 1923), pépinière de grands chercheurs, dont ses détracteurs.

Fernand Touraine (1902-1980) est issu d'une famille d'instituteurs de l'Indre. Il a d'ailleurs préparé son baccalauréat à l'École normale d'instituteurs de Châteauroux, avant d'être sélectionné pour « intégrer Normale Sup » de Saint-Cloud. C'est un naturaliste complet, qui s'intéresse d'abord à la zoologie, nous apprend Nicolas Théobald qui l'a bien connu et qui a rédigé sa notice nécrologique (en 1981). Nommé à l'École normale d'instituteurs de Grenoble après son agrégation, il commence sa carrière de chercheur par l'étude de la parasitologie de la carpe, dont il tire ses premières publications (1929, 1931) et il rédige des manuels d'enseignement des sciences naturelles. Pour des raisons de santé, il se fait nommer ensuite à l'École normale d'Aix-en-Provence, où il choisit de s'orienter bien tardivement vers la géologie. Il y terminera sa carrière d'enseignant et c'est après sa retraite qu'il réalisera, pour l'essentiel, une oeuvre de géologue innovante dont les publications s'étendent sur vingt ans (1960-1978). Cette nouvelle carrière d'amateur est initialement solitaire, mais elle est cautionnée par les universitaires de Marseille (notes en collaboration avec Suzanne Fabre-Taxy et Georges Corroy en 1960 et 1961), ce qui lui donne accès à une reconnaissance de la communauté géologique au niveau national. Ensuite, il publie seul, mais en mettant en avant ses nombreuses collaborations, en véritable « maître d'oeuvre ». Les recherches qui manifestent le mieux sa grande indépendance d'esprit et la solidité de son approche sont ses travaux sur l'Oligocène de Provence et ses réflexions sur les remaniements de fossiles.

Le rôle de Touraine dans l'amélioration de la stratigraphie de l'Éocène de Provence (1960-1966) ne sera pas développé ici, puisque cela précède la controverse qui nous intéresse. L'épisode de la controverse sur l'âge des « Sables bleutés » (et des calcaires sous-jacents) suffit à montrer les qualités du chercheur de fossiles et la perspicacité du géologue régional qui lui ont permis de valoriser les apports des spécialistes les plus divers, mis à contribution dans la « bataille scientifique » où il a manifesté jusqu'au bout, pendant quinze ans, une combativité de bon aloi (évitant les manifestations de mépris).

Les premières découvertes biostratigraphiques qu'il a publiées concernent les oeufs d'oiseaux du Tertiaire, dont la répartition stratigraphique sera affinée en quelques années, autour de 1960 (Dughi et Sirugue, 1959-1968 ; Fabre-Taxy et Touraine, 1960 ; Touraine, 1960 ; Rey, 1962b ; Villatte, 1966 ; Dughi et al., 1969). Attribués jusqu'en 1961 au seul Thanétien (Paléocène), la majeure partie des gisements de coquilles d'oeufs d'oiseaux du Sud de la France est rapidement corrélée avec le Sparnacien (Éocène inférieur), ce qui fait qu'à partir de 1968, les « Marnes à oeufs d'oiseaux », situées sous l'Oligocène de Touraine, sont attribuées définitivement au Sparnacien (Touraine, 1968a).

En quoi peut-on qualifier Fernand Touraine de géologue amateur ? Ce n'est pas simplement parce qu'il est resté dans le cadre professionnel de l'enseignement secondaire, où il a été salarié uniquement pour enseigner les sciences naturelles (les enseignants-chercheurs de l'Université ont les mêmes doubles activités, il est vrai quelque peu allégées en ce qui concerne l'enseignement), mais surtout parce qu'il a conduit ses recherches en solitaire, sans être reconnu, ni soutenu par la recherche académique. C'est cependant, paradoxalement, un solitaire qui a su faire appel a un grand nombre de spécialistes en paléontologie pour l'étude de ses récoltes et qui a toujours cherché le contact avec ses contradicteurs et d'autres chercheurs compétents dans des spécialités de la géologie qu'il ne maîtrisait pas, la sédimentologie par exemple. Il a guidé sur le terrain tous ceux qui le lui ont demandé, soucieux de confronter ses arguments à ceux de connaisseurs complémentaires. C'est ainsi que le jeune Jean-Claude Plaziat, étudiant les fossiles et les dépôts du Sparnacien languedocien (cf. Plaziat, 1970), a été convié, en 1972, à visiter les sites où les mollusques fossiles d'âge contesté avaient été récoltés et le site de Rians d'où les mammifères sparnaciens avaient été extraits. Une copie du manuscrit de la note de 1973 m'a d'ailleurs été communiquée, accompagnée, pour avis, d'un montage de photos figurant le Potamides lamarcki du Haut-Var (projet d'une planche qui ne figurera, remaniée, que dans la note de 1976, publiée dans Géologie Alpine : notre Fig. 16). Bien d'autres chercheurs ont bénéficié de la disponibilité de Fernand Touraine et en ont témoigné dans leurs écrits.

En dehors de l'âge des derniers dépôts affectés par la tectonique pyrénéo-provençale, d'autres thèmes ont été abordés par Touraine avec plus ou moins de bonheur. La signification des couches rouges qualifiées « argilites ferrugineuses », à la base de la série post-sparnacienne, et par conséquent rattachées à l'Oligocène par Touraine, serait plutôt du Bartonien selon Triat (1973) et Truc (1973). Ce dépôt qualifié d'argilites, identifié comme un « paléosol tropical », précèderait de peu la « transgression rupélienne », même si une possible lacune le séparerait des couches « marines » (Deschamps et Touraine, 1969), c'est-à-dire des « Calcaires à Bithynies » et des « Sables bleutés ».

Le deuxième thème que nous considérons comme contestable est celui de cette « transgression » lagunaire, puis marine, au Rupélien-Stampien, sur une grande partie de la Provence. En fait, c'est Roger Rey qui, en 1966, a introduit ici cette conception et ne cessera de la défendre à partir des mollusques d'eaux salées dont il interpréta la paléoécologie en fonction d'une connaissance actualiste insuffisante. La documentation concernant les milieux de vie lacustres (lacs salés) des mêmes formes de mollusques et de certains foraminifères et ostracodes, dans l'Actuel, ne sera mise à la disposition des géologues français qu'après la disparition de Roger Rey et de Fernand Touraine (cf. Plaziat, 1982, 1989, 1991, 1993 ; Gasse et al., 1987). Il est donc vrai que la présence de foraminifères et de nannoplancton calcaire pouvait être alors considérée comme une preuve irréfutable de milieu marin. Denise Nury (1968) a adopté la même position pour les « dépôts à gypse d'Aix », d'âge Oligocène supérieur, où les mêmes groupes de mollusques (surtout les potamides), puis des crevettes et une méduse, semblaient des arguments solides. Aujourd'hui, parce qu'on connaît des représentants de ces groupes dans des environnements séparés de la mer, il ne paraît plus possible d'être aussi catégorique. Ce n'est d'ailleurs pas la conclusion des auteurs de la confrontation des données paléoécologiques (mollusques et poissons) et géochimiques (Fontes, Gaudant et Truc, 1980), qui insistent sur la domination des dépôts d'eau douce et d'eau très faiblement salée par évaporation d'une nappe phréatique émergeante, y compris lors du dépôt du gypse dans la cuvette d'Aix. Une origine marine du gypse est clairement exclue selon ces auteurs. Il s'agit d'« étendues d'eaux saumâtres continentales, à salure variable, relativement proches du littoral marin ». Toutefois, Jean Gaudant (1982) admettait que la présence de muges paraît indiquer « l'existence de communications, au moins temporaires, entre le bassin de sédimentation et la mer », alors que des poissons indiscutablement d'eau douce (cyprinidés) ont été récoltés à trois niveaux de la série d'Aix (Gaudant, 2013). La thèse de Denise Nury (1988), axée sur l'ensemble des bassins de la Nerthe, de Marseille et d'Aix-en-Provence, a repris l'interprétation d'épisodes marins en ce qui concerne le Chattien du bassin d'Aix, la « lagune » de la formation gypseuse étant supposée avoir communiqué avec la mer au niveau de Carry-le-Rouet, à l'est de la Nerthe (Fig. 8). En revanche, les « Sables bleutés » du Haut-Var ne sont pas interprétés comme appartenant à la vaste transgression rupélienne provençale (Oligocène inférieur) que Rey et Touraine ont proposée et qui aurait dû être considérablement plus profonde vers le nord-est que celle qu'elle a envisagée pour l'Oligocène supérieur de la série du gypse d'Aix. Selon Denise Nury, le domaine de sédimentation lacustre et fluviatile de l'Oligocène inférieur qui s'est étendu du Haut-Var jusqu'au Cengle (au pied de la montagne Sainte-Victoire), vers l'ouest, était donc sans relation avec le minuscule bassin stampien de l'ouest de la Nerthe, le seul dont elle admet la communication avec la mer. Sa reconstitution paléogéographique rejoint celle de Cécile Cornet (1973a, b) qui affirmait clairement que les « Sables bleutés » faisaient partie d'une nappe alluviale de grande extension, ultérieurement morcelée par la tectonique et l'érosion ; ce qui est admis également par Jean-Marie Triat (1973).


Fig. 8. Reconstitutions paléogéographiques des dépôts oligocènes de la Provence méridionale (occidentale) selon les travaux de thèse de Denise Nury, publiés en 1988. Les schémas correspondant au Stampien et au Chattien (Oligocène supérieur) synthétisent plusieurs étapes de la sédimentation de ces étages. Au Stampien, les « Sables bleutés » forment un ensemble indépendant des bassins de Marseille, de la Nerthe et d'Aix, alimenté par des cours d'eau venant du Sud-Est. Au Chattien terminal, les sédiments carbonatés et les gypses d'Aix se déposent dans un bassin qui communique avec la mer seulement au niveau de Carry-le-Rouet. La reconstitution plus détaillée du Stampien moyen présente les « Sables bleutés » (pointillés) comme un « dépôt fluviatile exotique », c'est-à-dire comme formant une nappe alluviale unique et non des remplissages de fossés d'origine locale.

Nous devons cependant souligner que le milieu de dépôt (et de vie des potamides et des mélaniens) des « Calcaires à Bithynies », lagunaire pour Touraine et Rey, c'est-à-dire dont la communication avec la mer expliquerait la salinité, n'a jamais été réellement discuté, ni en 1973 ni plus tard (cf. la trop brève note de Plaziat et Gaudant, 1984). Il n'est nulle part question de lacs périodiquement salés par évaporation, ce qui, aujourd'hui nous semble l'hypothèse la plus vraisemblable. Le tout jeune Jacques Angelier (1947-2010), qui est le seul à avoir analysé en détail deux coupes de ce calcaire, 2 km au nord-ouest de Rians (15 lames minces sur 24 échantillons), dans un premier travail de recherche tout à fait honorable (thèse de Troisième cycle, soutenue en 1971), parle d'« influences lacustres et saumâtres » sans oser envisager, lui non plus, la notion de lac à salinité variable.

D'autre part, nous ne traiterons pas du problème qui a occupé Fernand Touraine le plus longtemps et qui lui a aussi tenu à cour : la structure tectonique et l'évolution géomorphologique de la montagne Sainte-Victoire, abordée dès 1964 (Les grands traits d'une structure nouvelle...) et clôturé par son Guide géologique pour non géologues qu'il fait publier par le Centre régional de Recherche et de Documentation pédagogique (CRDP) de Marseille (1973e). Son opposition aux conceptions de Corroy, Durand et Tempier (1964) y est explicitée (cf. ses figures 27 et 29). La question du bien-fondé de la structure proposée par Touraine s'éloigne trop de notre propos pour être détaillée ici mais il est évident que cette autre controverse n'a pas manqué d'influer sur les relations entre Touraine et les tectoniciens marseillais, pendant le débat sur l'âge des « Sables bleutés » qui se développait parallèlement. En effet, on peut dire qu'il n'a pas été soutenu par la communauté régionale, à de rares exceptions près.

Nous avons vu que Fernand Touraine semble avoir toujours pris la précaution de se démarquer de Roger Rey, en ne publiant pas un seul article avec lui sur l'Oligocène du Haut-Var. Cela ne signifie pas qu'il ait mis en doute les identifications de fossiles et les âges proposés par l'abbé. Bien au contraire, il se fait le porte-parole fidèle des conceptions de Roger Rey, de 1966 à 1978, dans les publications où il assume seul les conclusions stratigraphiques et tectoniques tirées de ses récoltes nouvelles de fossiles, dans les petits bassins isolés comme au sommet du Cengle, dans le bassin d'Aix (1966d, 1970, 1975a). Peut-être a-t-il agi ainsi en accord avec Roger Rey qui ne maîtrisait pas les données de terrain ? Ou bien est-ce une stratégie pour éviter d'endosser les critiques malveillantes qui cherchaient alors à disqualifier les travaux biostratigraphiques de l'abbé Rey ? Ou bien encore est-ce une volonté partagée de séparer les contributions respectives, en raison de relations humaines particulières ? Pourtant, nous n'avons pas trouvé trace d'une quelconque animosité, et les dix ans de collaboration ne semblent pas avoir été troublés par la nécessité, pour Touraine, de faire confirmer les conclusions biostratigraphique de l'abbé Rey par d'autres malacologistes. Nous ne résoudrons pas cette énigme, faute d'informations telles que les nécessaires échanges épistolaires auxquels nous n'avons pas eu accès.

Les publications de Touraine postérieures à la réunion de la Société géologique de France de 1973 n'ont pas apporté de révélations fracassantes. Elles ont précisé quelques points comme les relations entre les « Sables bleutés » et les calcaires ou les conglomérats fossilifères, en particulier dans le fossé de Montmeyan (Touraine, 1978 : notre Fig. 15) qui n'avait pas fait l'objet d'une cartographie détaillée. Dans des publications à diffusion restreinte, il préfère souligner à nouveau les preuves de remaniement de fossiles éocènes et crétacés dans les dépôts où ont vécu les mollusques oligocènes. Ses dernières années, marquées par la maladie, l'ont vu s'éloigner du terrain, mais il semble avoir assumé le silence succédant à la controverse, avec sérénité et constance. C'est nous qui nous sentons obligés de réagir devant ce qui nous paraît être un traitement injuste, paradoxalement réservé à un modèle de rigueur scientifique (pour l'époque), de la part de la communauté des géologues français, peut-être parce que nous jugeons aujourd'hui que nous ne l'avons pas soutenu assez vigoureusement pendant les années 1970.

L'abbé Roger Rey (1912-1978) est l'autre protagoniste responsable de la contestation de l'âge éocène du « Calcaire à Bithynies » et des « Sables bleutés » qui lui sont associés. D'abord avec Fernand Touraine, puis, après 1968, en retrait derrière lui, tout en continuant de fournir, par ses identifications de fossiles confiés par Fernand Touraine, Cécile Cornet et Jacques Angelier, de nouvelles justifications de l'âge oligocène des mollusques, au fur et à mesure des récoltes.

Sa biographie, basée sur l'Hommage posthume rédigé par Jean-Marc Viaud (1979), nous montre que la carrière de l'abbé Rey est aussi celle d'un géologue amateur, longtemps isolé et délibérément solitaire. C'est alors un parcours classique, de professeur de l'enseignement secondaire (en sciences physiques) devenu géologue de terrain par une pratique d'amateur, puis se spécialisant dans l'étude d'un groupe de fossiles dont il devint un temps l'expert inévitable (on pense à Alphonse Blondeau pour les nummulites) : pour lui, ce sont les mollusques continentaux et laguno-lacustres de la fin du Crétacé et du début du Tertiaire. Du point de vue académique, sa formation n'est donc pas du tout conforme au parcours des géologues professionnels universitaires des années 1960, bien qu'il soit entré au CNRS en 1956, après quatorze années d'enseignement secondaire.

Sa formation de géologue de terrain, il la doit à Jean Jung, professeur de pétrographie éruptive, qu'il rencontra pendant la période troublée de l'Occupation, en Auvergne (en 1944). Il effectua ses premières recherches personnelles sur les séries sédimentaires tertiaires du Massif Central pendant qu'il enseignait à Saint-Flour. Avant de se fixer à Marseille pour raisons de santé, puis à Montpellier où le professeur Georges Denizot, dont il suivit l'enseignement de stratigraphie, l'engagea à se spécialiser dans la malacologie continentale des bassins du Nord-Ouest de l'Europe. Il termina sa carrière au CNRS à Nantes. Il était alors rattaché à l'université de Rennes, où il a soutenu sa thèse de doctorat d'État, en 1966, sur les Corrélations entre bassins oligocènes de l'Europe occidentale à l'aide des gastéropodes continentaux, thèse qu'avait dirigée de loin Georges Denizot. C'est donc presqu'en autodidacte de la malacologie que l'abbé Rey devint le spécialiste recherché des mollusques continentaux du Tertiaire, fort négligés en France (contrairement à l'Allemagne) et même décriés (voir plus loin, le pamphlet de Léonard Ginsburg). Il ne se pose d'ailleurs pas en systématicien des groupes variés qui constituent les peuplements terrestres et d'eau douce, ni de ceux d'eaux salées (les potamides et les mélaniens) qu'il rattachait, comme on le faisait à l'époque, à des transgressions marines. Il traite ces fossiles comme des peuplements successifs qui permettent des attributions stratigraphiques précises (biostratigraphie) de séries jusqu'alors difficilement datées. Il se comporte donc en stratigraphe plutôt qu'en paléontologue. Au début des années 1960, il est l'un des seuls en France à posséder à la fois la culture stratigraphique du Tertiaire européen et une connaissance approfondie des faunes continentales (avec Georges Denizot et Paul Jodot). Cependant, chaque géologue de terrain est alors à la fois structuraliste et stratigraphe et, par conséquent, se considère comme compétent en paléontologie stratigraphique. Le maniement des listes de fossiles, sans esprit ni compétence critiques, revient souvent à de simples compilations de travaux antérieurs, eux-mêmes plus ou moins contestables. L'ouvrage de l'abbé de Lapparent (1938) sur les faunes continentales de Provence en est un exemple. C'est vraisemblablement pour cette raison que ce travail de Lapparent, annexe de sa thèse de géologie régionale, est si rarement cité, alors qu'il a le mérite de proposer une figuration photographique précieuse, à côté, il est vrai, d'un texte mal fondé (cf. sa Bythinia bauduensis).

Les principales critiques contre les travaux de l'abbé Rey ne sont donc pas le fait des paléontologues mais de géologues généralistes, en désaccord avec les conséquences stratigraphiques (et tectoniques) de ses identifications. Lorsque les fossiles sont à l'état de moules externes dans des calcaires, comme ici, la contestation peut même aller jusqu'au déni de fiabilité des identifications, alors que ce mode de fossilisation est le plus fidèle, les vides négatifs fournissant des moulages positifs parfaits (par de la plastiline, à cette époque).

En 1965-1966, lorsque la controverse débute, Roger Rey vient de soutenir une thèse (février 1966) mais, sans reconnaissance universitaire, il a surtout publié ses résultats dans une revue provinciale à diffusion restreinte : la Revue scientifique du Bourbonnais, de Moulins, dans l'Allier, à laquelle il restera fidèle jusqu'à la fin de son activité (1978). Le résumé de sa thèse se limite à 75 pages où ne figurent malheureusement pas les fossiles caractéristiques des corrélations qu'il a établies et condensées sous forme de tableaux reliés à la stratigraphie du Bassin de Paris et de l'Île de Wight. C'est bien plus tard qu'il donne à la même revue ses Notes malacologiques illustrées (Rey, 1974, 1975).

On comprend mieux les réserves qui ont accueilli le coup de tonnerre de l'identification d'un Oligocène laguno-lacustre en Provence, dans des couches jusque là attribuées à l'Éocène inférieur, et les réticences de la communauté des connaisseurs de la géologie régionale, ou les « timidités » des géologues universitaires pris pour arbitres de la controverse. Ce manque de visibilité des arguments paléontologiques, qui a affecté la crédibilité des conclusions stratigraphiques de l'abbé Rey, peut être, à nos yeux, c'est-à-dire trente cinq ans plus tard, mis au compte de maladresses d'amateur. Mais il ne faut pas oublier qu'à cette époque c'était un défaut généralisé : le plus souvent, on ne donnait pas à voir, par la photo ou le dessin, les arguments paléontologiques nouveaux. Même ceux qui remettaient en question les acquis stratigraphiques essentiels.

En 1966, Roger Rey étaie donc les réflexions de Fernand Touraine par les listes des fossiles qu'il a identifiés, dans une communication lue en son absence lors de la réunion de la Société géologique de France du 9 mai. Parmi ses Notes malacologiques sur l'Oligocène de Montmeyan (Var), il précise que les potamides P. lamarcki et P. laurae ne sont pas les seules preuves de l'âge oligocène du « Calcaire à Bithynies » : non seulement les « striatelles » (un groupe de Mélaniidés à forte ornementation) sont associées à un Melanoides et à des Hydrobiidés oligocènes, mais la Bithynie qui caractérise ce calcaire, la B. bauduensis de Lapparent, n'est autre qu'une espèce connue depuis longtemps : Bithynia ugernensis Roman, 1910 = B. monthiersi Carez, 1880, qui est une espèce de l'Oligocène du Gard (la « butte Iouton »). L'âge de ces petits fossiles (les Striatelles), passés facilement inaperçus mais répandus du Languedoc à l'Alsace (Pechelbronn), du Bassin de Paris à la Bretagne et au Sud de l'Angleterre (Ile de Wight), serait plus précisément le début de l'Oligocène (le Sannoisien et la base du « Stampien » des années 1960 qui ne sont, pour nous comme pour d'Orbigny, que la partie inférieure du Stampien-Rupélien). Aujourd'hui, on sait que le Potamides lamarcki n'entre dans le Bassin de Paris qu'au début du Stampien supérieur (voir Lozouet, 2012), avec la faune de mollusques marins d'origine méridionale qui caractérise le « niveau de Pierrefitte » ; il ne semble donc pas y avoir d'objection à son existence en Provence, un peu plus tôt pendant l'Oligocène (avant la fin du Stampien inférieur).

Les rebondissements de la controverse sur l'attribution à l'Oligocène inférieur de couches réputées éocènes, à partir de 1967

Au-delà de l'âge des « Calcaires à Bithynies », c'est évidemment l'âge des « Sables bleutés », dernier dépôt recouvert par les chevauchements, qui est le véritable enjeu de la controverse. C'est la découverte dans ces sables du gisement de mammifères sparnaciens de Rians (Ginsburg, Mennessier et Russell, 1967) qui a relancé la contestation de l'apport des mollusques : J. Dufour, élève de Guy Mennessier professeur à Amiens, a découvert ce gisement au début de 1967 et la fouille qui a immédiatement suivi a livré neuf espèces de mammifères et trois de reptiles, identifiables au moins au niveau générique, qui caractérisent incontestablement le Sparnacien. Le gisement de La Neuve, situé à 2 km à l'est du village (Fig. 11), « à 150 m de la base des sables » et 200 m au-dessus du « Calcaire à Bythinia bauduensis », est un argument jugé sans égal pour confirmer l'absence d'Oligocène dans ce bassin. Son étude en sera confiée à Marc Godinot en 1976, qui en fera le sujet d'une thèse de Troisième cycle (1977) confirmant l'âge éocène inférieur de la faune.

Léonard Ginsburg (1973) n'hésite pas à déduire de l'âge des mammifères de Rians l'incohérence des données malacologiques, car il n'est pas concevable que les mollusques continentaux indiquent un âge plus fiable que les mammifères : « On sait combien ces identifications sont délicates » et, par conséquent, il est incontestable que « les échelles stratigraphiques de Vertébrés » sont « les seules valables en milieu continental ». Si « F. Touraine croyait en 1966 pouvoir remettre en cause l'interprétation » de Teilhard de Chardin et de Lapparent (1933) « à partir d'une petite faune de mollusques déterminés comme oligocènes », la découverte de Rians « nous permet de régler facilement aujourd'hui un désaccord fondamental ». Mammifères contre mollusques, le combat est trop inégal pour que les vertébristes puissent envisager qu'il existe un problème sédimentologique dans la formation de ce gisement. D'ailleurs, ce site sera vidé en deux fois (1967 et 1976), sans que le moindre spécialiste de la sédimentation continentale puisse l'examiner. Il ne s'agit pas seulement d'une pratique destinée à prévenir les pillages de fossiles, car c'est alors la tradition d'une pratique d'autarcie dans les fouilles des paléomammalogistes français, qui n'a eu que de très rares exceptions. Par exemple, celle du fameux gisement historique du Miocène de Sansan (Gers) où Léonard Ginsburg aura la bonne idée de convier, en cours de fouille, un sédimentologue de terrain dont l'étude, complétée au laboratoire, permettra de proposer une interprétation tout à fait nouvelle des conditions environnementales de la création de ce gisement fluviatile (un bras mort s'ouvrant vers l'aval, et des contre-courants de fin de crue) et de sa diagenèse dans un contexte enrichi en calcaire, ce qui explique la réunion et la préservation des carcasses de vertébrés fossiles et celles des mollusques continentaux et des ossements dispersés (Plaziat et Baltzer, 2000). Une expérience isolée.


Fig. 9. La carte qui accompagnait la note de Fernand Touraine (1976) sur L'Oligocène nord-varois : nouvelle mise au point. Cette figure montre bien que l'Oligocène n'est pas cantonné aux fossés subméridiens, mais la séparation du Sannoisien des Bourdas et du Plan d'Auron, par un figuré différent de celui des autres séries oligocènes, est une maladresse : pour Touraine, il est évident que le Sannoisien existe dans tous les bassins où le Stampien a été identifié. Nul n'est parfait !...

Fernand Touraine ne se laisse pas décourager. Dès mars 1967, il apporte des compléments à la démonstration de l'âge oligocène des calcaires, à partir de bassins fossilifères supplémentaires : aux séries de Montmeyan, Bauduen, Bourdas et Plan d'Auron, il ajoute celles des fossés de La Mourotte et de Ginasservis (localisés sur les Fig. 6, 7 et 9). À La Mourotte, les potamides (Tympanotonos labyrintus, P. longispira, P. laurae) seraient situés au sommet de la série oligocène, en l'absence de « Sables bleutés » et du « Calcaire à Bithynies ». La malacofaune est enrichie aux Bourdas, à Montmeyan et surtout à Bauduen où le calcaire du lieu-dit Saint-Barthélemy a fourni Potamides lamarcki, P. laurae, des mélaniidés de la faune à Striatelles du Gard et des formes d'eau douce différentes selon les bancs, dont la Bithynia ugernensis au sommet.

Il ne s'agit donc plus d'un gisement unique dont les fossiles mal conservés pourraient être contestés. Le rapport de ces calcaires avec les « Sables bleutés » et les conséquences tectoniques qu'il implique sont explicites depuis 1966 et les structuralistes prennent d'ailleurs acte de la remise en question du calendrier des déformations provençales d'Aubouin et Mennessier (1963)... mais seulement si l'on devait cesser de se fier au Paramys du calcaire de Bauduen et aux mammifères des sables de Rians. Ce n'est donc plus l'âge des calcaires qui est le cour de la controverse mais celui des sables.

Touraine prend de plus en plus conscience que son argumentation doit se diversifier pour ne plus reposer sur les seules identifications de l'abbé Rey. En géologue moderne des années 1960 et 1970, il sollicite la collaboration d'autres paléontologistes et de sédimentologues.

Nicolas Grekoff est le premier, en tant que spécialiste des ostracodes. Dans le calcaire de La Mourotte, il reconnaît des formes proches de celles de l'Oligocène de Manosque, de Forcalquier et de La Nerthe, et non de celles de l'Éocène (voir plus loin).

Marc Deschamps apporte des arguments sédimentologiques concernant les « argilites oligocènes » qui forment des « poches » sous les « Sables bleutés » ou sous les « Calcaires à Bithynies », en discordance sur la série qui va « du Trias au Montien » (Deschamps et Touraine, 1969) (voir notre Fig. 2, en bas). La composition minéralogique à dominante d'« illite-vermiculite » qu'il parallélise avec l'Oligocène de Limagne et du Sud-Est de la France, s'oppose à celle du « Sidérolithique » éocène. Il faut reconnaître qu'aujourd'hui cette argumentation ne paraît ni claire ni probante pour assurer un âge oligocène.

En revanche, dans un paragraphe présenté comme une hypothèse, une observation fondamentale est révélée (que l'on peut contrôler puisque photographiée et figurée dans la thèse de Plaziat, 1984, fig. 90, p. 450 : notre Fig. 10) mais utilisée maladroitement. Il s'agit de l'existence, à proximité du gisement de Rians, de « boules roulées d'argilites ferrugineuses » de 0,5 à 1 m3, « véritables olistolithes » selon Touraine, « dont certains pourraient être éocènes ». C'est ainsi qu'« un olistolithe semblable » pourrait avoir « apporté un gisement exceptionnel à ossements », « dilué à l'arrivée dans une mare salée à Ostracodes ». Cela expliquerait « la présence de fossiles éocènes dans l'Oligocène de Rians, leur localisation en lentille restreinte et leur état de conservation ». Il est vrai que cette conception des « Sables bleutés charriant dans leur sein ces grosses boules d'argilites » n'est pas tout à fait satisfaisante pour le sédimentologue des dépôts fluviatiles. Les volumes importants des blocs de limons de crue argileux, dont la couleur brique contraste avec le sable gris, ne semblent pas être interprétables autrement que comme des masses de matériaux glissés depuis la berge, dans un faciès de bordure de chenal, et arrondis ou délayés sur place, dans l'eau. Les vagues indices de stratification oblique que nous avons observés dans les sables suggèrent aussi un talus d'éboulement proche d'un rivage.


Fig. 10. Figure extraite du mémoire de thèse de Jean-Claude Plaziat (1984), dessin d'après une diapositive prise en compagnie de Fernand Touraine (en 1972), après avoir constaté que le gisement de mammifères de Rians (une faune incontestablement d'âge Éocène inférieur) était constitué de limons rougeâtres, formant une lentille d'assez petite taille pour avoir été entièrement vidée en quelques semaines d'exploitation manuelle. L'observation avait été consignée auparavant, dans le compte-rendu des discussions de la réunion de 1973 (Plaziat, p. 21). Cet argument en faveur du remaniement de dépôts éocènes dans les « Sables bleutés » n'a jamais été discuté.

Notons que ce n'est pas ce que veut dire Marc Godinot (1979) quand il propose son Esquisse taphonomique d'un talus fossilifère à Rians (Var) en évoquant un contexte de berge éocène, dans un chenal où une crue (« en saison humide ») a « concentré les ossements en certains points » et « transporté en outre des débris de petits animaux terrestres ». Il nous paraît impossible de reconstituer l'environnement du dépôt éocène où les restes osseux se sont accumulés initialement, mais il est indéniable que le site où cette lentille s'est mise en place dans les « Sables bleutés » est un milieu soumis rapidement à une émersion. Celle-ci est marquée par des traces de fouissage caractéristiques d'un paléosol, comme le prouvent les terriers de type « striotubule » que Marc Godinot a signalés et interprétés correctement. Cependant, cette pédogenèse peut aussi bien s'être exercée sur un matériel resédimenté dans un chenal fluviatile oligocène dont l'écoulement se limitait aux épisodes de crue. Nous pensons à un contexte local de « marigot », dans le réseau de chenaux fluviatiles de l'Oligocène entaillant localement un affleurement de Sparnacien fossilifère.

La thèse de Troisième cycle de Marc Godinot (1977), sous la direction de Léonard Ginsburg, n'a fait que préciser les conclusions stratigraphiques de la note préliminaire de Gingsburg, Mennessier et Russell (1967). La nouvelle fouille n'a pas apporté beaucoup de matériel osseux nouveau mais la comparaison avec des formes franco-belges bien datées permet de compléter les connaissances sur la transition Paléocène-Eocène et d'ajouter des arguments pour l'existence de relations biogéographiques avec l'Amérique du Nord, au Sparnacien. La faune de ce site, avec ses 29 espèces (31 dans la publication de 1981), en fait donc un gisement important pour la construction d'une échelle biostratigraphique des paléomammalogistes européens, ce qui peut expliquer en partie le désir d'affirmer son autochtonie. Et pourtant son allochtonie (que nous considérons comme démontrée par Fernand Touraine) ne remet pas en question les importantes conclusions biostratigraphiques et biogéographiques résultant de l'étude de ces fossiles, tout comme celles que l'on tire, sans contestation possible, de l'étude des récoltes des siècles passés qui ne peuvent plus être étudiées que dans les musées, à partir des tiroirs où elles ont été rigoureusement archivées.

En 1968, Touraine et Rey ont répondu aux conclusions péremptoires de la note de Ginsburg, Mennessier et Russell (1967), par deux notes présentées dans les mêmes colonnes du Compte rendu sommaire des séances de la Société géologique de France. Mais, cette fois oralement, le débat qui s'ensuivit étant enregistré sous forme d'observations et de réponses. Touraine souligne que, dans le synclinal de Rians, c'est bien un Sparnacien (à oeufs d'oiseaux) qui constitue le substratum des dépôts discutés. La série comporte, sur des argiles rouges et un poudingue, le « Calcaire à Bithynies » et 200 m de « Sables bleutés » sous le gisement de mammifères sparnaciens de La Neuve. L'identification du « Calcaire à Bithynies » basal sera confirmée peu après (Angelier, 1971) par sa faune de mollusques également étudiée par l'abbé Rey, associant la Bithynie (B. ugernensis), des Melanoides et des potamides. Ces fossiles ne sont pas encore pris en compte dans la note de Roger Rey (1968) qui reprend les arguments biostratigraphiques déjà publiés (40 formes de mollusques du niveau à Striatelles), en invoquant le contrôle de ses identifications par des malacologistes allemands (F. Gramman et H. Zoebelein), spécialistes de l'Oligocène à faune continentale et lagunaire. D'autre part, la présence de Potamides lamarcki est interprétée comme la preuve d'une transgression marine dont l'âge est incompatible avec la paléogéographie du Sparnacien méridional (cf. Plaziat, 1981). Nous avons vu que nous devons récuser cet argument écologique mais que l'habitat lacustre de cette espèce ne pouvait pas être envisagé, car il ne fut démontré que bien plus tard (Briot, 2008), par une étude géochimique des isotopes du strontium, à partir d'un matériel exceptionnellement bien conservé du bassin d'Aurillac (Cantal).

Dans la discussion, les arguments de Ginsburg et Mennessier se limitent à l'affirmation de l'autochtonie du gisement de Rians, sous forme d'une lentille de sables argileux interstratifiée dans les sables. Jean Goguel et Jean Aubouin, en géologues structuralistes, soulignent l'importance de la controverse mais concluent en jugeant que les dossiers doivent être renvoyés dos-à-dos, étant « également valables », ce qui implique des recherches complémentaires. C'est d'ailleurs à ce moment que le professeur Aubouin confie à Jacques Angelier le soin de reprendre l'étude de ce secteur litigieux, ce qui donna lieu à une curieuse thèse de Troisième cycle (Angelier, 1971), en deux parties, dont l'une est focalisée sur la série de Rians. C'est un travail de débutant, mais celui d'un esprit bien formé, rigoureux pour ce qui concerne les observations. Mais n'anticipons pas.

Cécile Cornet, en connaisseur de la Provence sédimentaire au Tertiaire mais sans compétence sur le Paléogène nord-varois, renouvelle la suggestion d'Aubouin, en 1966, envisageant l'existence de deux formations sableuses ayant le faciès « Sables bleutés », l'une sparnacienne et l'autre oligocène. C'était évidemment nier la présence de la faune oligocène des calcaires sous les sables les plus inférieurs. Mais c'est aussi le point de départ de ses propres recherches qui ont abouti, dès 1968, à confirmer l'existence d'« une seule nappe alluviale morcelée ultérieurement », identifiable par ses minéraux des argiles et ses minéraux lourds des sables. Même si l'objection des mammifères de Rians est encore invoquée pour justifier le doute, dans une formulation ambiguë : « les présomptions » sont « peut-être plus grandes en faveur de l'âge Oligocène moyen » de ces sables.

Les réponses de Touraine et de Rey sont de nouvelles formulations, très diplomatiques, des arguments développés auparavant et replacés dans le contexte de la controverse. Une mise en cause discrète de la préservation du fossile de Paramys et une contestation feutrée d'un possible abus du « prestige hautement mérité » des mammifères fossiles ne sont pas des nouveautés convaincantes. Il faut attendre la note de Touraine présentée lors de la réunion de 1973 pour trouver une argumentation complète, justifiant à nouveau l'hypothèse du remaniement, à l'Oligocène, des mammifères sparnaciens.

Mais depuis 1966, les conséquences tectoniques de la nouvelle datation des « Sables bleutés » sont clairement la priorité de Fernand Touraine, géologue de terrain possédant mieux que quiconque la connaissance des séries régionales. Il prend le risque calculé de défier sans détour les plus éminents représentants des spécialités géologiques alors les plus en vue. Il est vrai que ce géologue amateur est issu de la même « grande école » que ses opposants structuralistes, ce qui a dû lui éviter les complexes d'infériorité qui retiennent souvent les amateurs les plus hardis. Dans une note enfin bien illustrée, au Bulletin de la Société géologique de France (Touraine, 1969), axée sur la « gouttière de Rians -Salernes », il explique la structure actuelle de ces « gouttières » et leurs chevauchements par une déformation en quatre phases :

Touraine insiste sur la multiplicité des épisodes de compression qu'il nomme « phases tangentielles ». L'âge oligocène inférieur des « Sables bleutés », considéré comme acquis, sert juste à définir la limite inférieure de la fourchette de temps où se situe cette importante phase de compression, à proprement parler « alpine », responsable des chevauchements du Haut-Var. Cependant, il ne pointe pas, comme il aurait pu le faire, la communauté de calendrier du scénario de l'histoire tectonique de la Provence avec celle des Alpes.

En 1971, il publie aux Annales Guébhard, (à Neuchâtel, en Suisse), un premier bilan très documenté sur L'Oligocène nord-varois. Sa position stratigraphique et sa signification dans la tectogenèse subalpine. Il a choisi de diversifier son lectorat en allant chercher dans cette revue de réflexion, une tribune ouverte aux points de vue originaux, aux contributeurs prestigieux (Bernard Kubler vient d'y publier Géologie et humanisme). D'ailleurs, Roger Rey l'y a précédé (1968), en publiant L'Oligocène à partir des mollusques continentaux qui a fait connaître la liste complète des fossiles du « niveau à Striatelles » des Couzes (environs d'Issoire, Puy-de-Dôme) et du Sud de la France.

La contribution de Touraine est équilibrée, reprenant en détail les données lithostratigraphiques et biostratigraphiques des différents bassins : Montmeyan, Les Bourdas, Salernes et un site nouveau découvert par Jacques Angelier : le synclinal pincé des poudingues de la Combe-Engarande, fossilifères (la faune à Striatelles), chevauchés par un lambeau de Jurassique. La phase de distension qui a ouvert les fossés méridiens au début de l'Oligocène, si caractéristiques de cette partie du domaine péri-alpin, est traitée de façon plus approfondie. Cette phase stampienne de distension (étirement affectant aussi le socle), de grande extension géographique (on pense aux grands fossés des Limagnes qui font partie du Rift d'Europe occidentale, d'Oslo à la Méditerranée), est présentée comme responsable de la localisation des produits d'érosion oligocènes que sont les « Sables bleutés » du Var et les « Grès d'Annot » d'origine plus orientale. C'est cette distension régionale stampienne que Denise Nury a eu quelques difficultés à faire accepter dans sa thèse, en ce qui concerne les bassins d'Aix et de Marseille (cf. Nury, 1988 et travaux en cours).

D'autres publications consacrées à l'aspect biostratigraphique sont datées de 1972, mais correspondent à la poursuite de sa quête permanente d'arguments convaincants de l'âge oligocène. La spécialiste des coccolithes alors internationalement reconnue, Clara Muller, a examiné un grand nombre d'échantillons du Sud-Est de la France (Nury et Touraine, 1972), dont un seul parmi ceux du Haut-Var s'est révélé significatif. Situé à la base des « Sables bleutés » de Saint-Maime, à cinq kilomètres au nord de Montmeyan, il a livré quatre formes caractéristiques du Stampien inférieur, connues dans le Fossé rhénan et le bassin de Barrême. Dans le bassin d'Aix-en-Provence, en revanche, les couches terminales du Cengle n'ont fourni que du matériel remanié du Crétacé, les mêmes formes que dans l'Oligocène des Plâtrières d'Aix. C'est un nouvel indice de la banalité des remaniements, surtout dans les sables d'origine fluviatile plus ou moins lointaine, même si Touraine les considère comme déposés en milieu marin.

Une autre note, qui concerne les ostracodes de Rians, fait connaître la révision par Gilles Carbonnel (à la demande de Grekoff) du matériel de la ferme de La Neuve (Touraine, 1972b). Sur quatre espèces non identifiées au niveau spécifique, deux sont cependant considérées comme très proches d'espèces de l'Oligocène de Suisse et du bassin d'Apt. En tout cas, rien de comparable aux formes bien connues du Sparnacien de France méridionale. La conclusion du spécialiste est nuancée mais sans ambiguïté : « l'âge sparnacien [...] me semble exclu ; l'âge oligocène me semble très fort probable ». Cette conclusion fut confirmée bien plus tard (Apostolescu et Dellenbach, 1999) puisque les niveaux calcaires sous-jacents aux « Sables bleutés » ont fourni, à La Fabresse, une vingtaine d'espèces, pour la plupart remaniées (du Crétacé à l'Éocène moyen) mais aussi deux espèces oligocènes, du Chattien de Suisse et du bassin de Forcalquier. Ces derniers auteurs espéraient « mettre le point final à la polémique ouverte il y a quelques décennies, au sujet de l'âge de ce faciès, qui dans le Nord-Varois représente l'essentiel de la sédimentation oligocène ». Nous savons qu'il faut relativiser ce succès mais il faut aussi signaler que l'attribution péremptoire à l'Oligocène supérieur (Chattien et non Stampien) lance un nouveau débat : celui de la position exacte de ces dépôts à l'intérieur de l'Oligocène, qui dépend de la durée de vie des espèces fossiles, rarement connue complètement, avec certitude.


Fig. 11. Extraits du mémoire de thèse de Troisième cycle de Jacques Angelier (1971). Une grande partie de ce travail est consacrée à la série du bassin de Rians, dont il propose une coupe représentative, qui confirme la superposition des « Sables bleutés » sur le « Calcaire à Bithynies », l'ensemble étant chevauché par une faille inverse qui est associée à une klippe de Jurassique prouvant l'amplitude de ces chevauchements provençaux. Un agrandissement partiel permet de localiser les termes utilisés par Angelier. Nous avons ajouté sur la carte originale la localisation du gisement de mammifères de l'Éocène inférieur publié par Ginsburg et al. (1967) et étudié en détail par M. Godinot (1977, 1979 et 1981), ainsi que celle des sites de Gigeri, Laval et La Combe, dont les relations sont détaillées par Angelier (notre figure 12). Le fossé des Bourdas se situe un peu plus au nord (cf. la figure 9).

Nous laissons de côté, pour le moment, la question du poisson provenant des Calcaires à Bithynies, décrit en 1971 par Fernand Touraine sous le nom de Barbus rudeli, ce qui en aurait fait un Cyprinidé. Les recherches ultérieures de Jean Gaudant ont montré qu'il s'agit en réalité d'un Characidé (la famille des Characidés est aujourd'hui considérée comme un ordre : celui des Characiformes), dont l'identification a donné lieu tardivement (De la Pena, 1996) à une contestation stratigraphique, traitée plus loin, attaquant les conclusions des travaux de Jean Gaudant, en fonction de l'âge éocène supposé indiscutable, des « Sables bleutés ».

Les résultats équivoques de la thèse de Troisième cycle de Jacques Angelier sur La partie septentrionale de la bande triasique de Barjols (Var), et le Crétacé terminal et le Paléogène du bassin de Rians (Var)

Ce mémoire, présenté le 26 avril 1971, est resté presque confidentiel. C'est pourquoi il nous semble nécessaire de lui donner la publicité qu'il mérite (Fig. 11 et 12). Jean Aubouin avait suscité ce travail à partir de l'opinion selon laquelle : « A l'heure actuelle » (en 1969), « aucune unanimité ne s'est dégagée en faveur de l'une ou l'autre théorie », c'est-à-dire en faveur de l'âge éocène inférieur ou oligocène des couches impliquées dans la tectonique tangentielle du Nord-Varois. Pour y voir plus clair, le professeur Aubouin confie donc à un « candide » formé, comme lui, à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, le soin de reprendre le dossier suspect, ouvert par des amateurs. Le choix d'Angelier s'est avéré judicieux. Sa carrière de chercheur et de professeur en témoigne, qui l'a porté aux responsabilités internationales que l'on connaît. Mais l'influence de Jean Aubouin est restée déterminante, jusque dans la seule note brève qu'ils aient signé sur ce sujet (Angelier et Aubouin, 1973). La discussion concernant la stratigraphie, dans le mémoire de thèse, n'est pas moins ambiguë.

En revanche, le travail de terrain (levé de coupes, échantillonnage paléontologique, cartographie de détail, formation par formation) est tout à fait exemplaire. Il est soutenu par les identifications des nouvelles récoltes de fossiles confiées à des spécialistes qui sont les mêmes que ceux qui ont été sollicités par Touraine. Roger Rey contribue largement à la liste des fossiles nouveaux pour les sites connus, rééchantillonnés, et les nouveaux gisements découverts par Angelier. Louis Grambast intervient pour les Charophytes, Jeanne Signeux pour les dents « tricuspides » de poissons (que Jean Gaudant va réinterpréter comme des dents de Characidés) et l'abbé Jacques Blot pour le squelette du poisson (cf. Leuciscus sp. et non plus Barbus rudeli Touraine 1971 - un changement minime), qui va devenir Eurocharax tourainei (Gaudant, 1980). Dans le fossé de Quinson-Montmeyan, le même poisson est identifié par l'abbé Blot comme un Cyprinidé appartenant probablement au genre Leuciscus ou Proleuciscus (Cabanis, 1970).


Fig. 12. Reconstitution des variations des dépôts cénozoïques de la bordure occidentale du Trias de la Bande de Barjols, à l'extrémité orientale du synclinal de Rians. Extraits de la thèse d'Angelier montrant la rigueur du travail de terrain de ce chercheur débutant : les corrélations lithologiques proposées s'appuient bien sur de nombreuses coupes. De même que les âges des différentes couches du Tertiaire sont étayés par de nouvelles récoltes et une analyse critique des données antérieures.

Angelier distingue trois unités que l'on pourrait qualifier aujourd'hui de formations lithostratigraphiques : les Calcaires (à Bithynies ou à Striatelles), les Conglomérats et les « Sables bleutés ». Elles affleurent de manière très discontinue et, selon lui, ne sont pas superposées dans une séquence unique, générale (bien qu'il montre le contraire, justement dans le synclinal de Rians, fig. 2 et p. 18 ; notre Fig. 11). D'où l'étrange discussion de deux « possibilités » de corrélation entre les séries des fossés de La Mourotte et des Bourdas-Plan d'Auron. En effet, dans ces autres bassins, il ne serait pas évident que les « Sables bleutés » soient superposés aux « Calcaires à Bithynies », sur la même coupe. Une alternative est donc envisagée : ou bien les sables sont à la base, sous les couches à Striatelles et les conglomérats, ou bien ils sont intercalés entre les calcaires et les conglomérats ; ce qui est, on le sait, la position de Touraine. Angelier penche pour la première possibilité, sans aucun argument de terrain, mais il ne remet pas en question l'attribution des trois unités à l'Oligocène. Tout au plus discute-t-il de la position respective des unités à l'intérieur du Stampien : les « Sables bleutés » étant soit entièrement dans le Stampien inférieur (= Sannoisien), soit, en partie dans le Stampien moyen (= les « Sables de Fontainebleau »). Les conglomérats correspondraient au passage latéral de ces deux unités, allant du Stampien inférieur à un « Chattien pro-parte », possible mais non certain. Il ne s'agit donc pas d'une contestation de l'âge oligocène des « Sables bleutés » mais d'un léger rajeunissement (partiel) de la série à l'intérieur de l'Oligocène.

Cette conclusion générale résulte, pour l'essentiel, des nouvelles récoltes d'empreintes de mollusques et de gyrogonites de characées, qui complètent ou confirment celles de Touraine dans le Calcaire à Bithynies de La Mourotte et dans le « Rupélien calcaire » des Bourdas, du Plan d'Auron, de Bellevue, de Pierrette et de la lentille d'Engarande, ainsi que dans les « conglomérats oligocènes », que ce soit dans la matrice ou dans les galets. L'âge chattien de ces conglomérats n'est d'ailleurs pas considéré comme indiscutable : « Chattien pro parte (?) », ou encore « peut-être Chattien ».

Dans le bassin de Rians, en revanche, Angelier confirme non seulement la position du « Calcaire à Bithynies » sur le Sparnacien limoneux, à coquilles d'oeufs d'oiseaux (coupe au nord-ouest des Toulons), mais aussi la localisation des « Sables bleutés » au toit des « Calcaires à Bithynies » (p. 18, le long du canal de Provence, près de Pigoudet). On ne comprend donc pas pourquoi il a développé la discussion précédente sur leurs positions relatives (« les deux possibilités ») dans la première partie de sa thèse qui est d'ailleurs séparée formellement de l'étude de la série de Rians.

L'âge sannoisien (Oligocène basal) des calcaires, affirmé par l'abbé Rey, n'est pas vraiment remis en question par les nouvelles gyrogonites de Characées que Louis Grambast a examinées : Gyrogona gr. caelata est assez différente de la forme nordique pour que l'on soit encouragé à prendre plutôt en considération dans son entier l'extension stratigraphique du groupe d'espèces constituant ce genre au Paléogène : du Lutétien à l'Oligocène inférieur. Nodosochara cf. foveolata est également incompatible avec un âge éocène inférieur : l'espèce n'est connue que dans le Ludien (= Priabonien = Éocène supérieur) - et non dans le Bartonien, qu'on plaçait alors dans l'Éocène supérieur -, mais « il n'est pas établi que les échantillons de Rians correspondent tout à fait à la même espèce ». La conclusion d'Angelier est donc forcée jusqu'à l'excès : « les Characées indiquent un âge Lutétien-Bartonien, à la limite Oligocène inférieur ». On verra plus loin que les conclusions plus argumentées de Janine Riveline (1984) retiennent l'âge oligocène. De même, la conclusion de la partie de la thèse d'Angelier consacrée à Rians paraît excessivement « prudente », en contradiction avec ses propres observations de terrain qui confirment la superposition des sables sur les calcaires, et avec toutes les données paléontologiques qu'il a passées en revue et qui confortent l'âge oligocène de la série (calcaires et sables) qui ravine localement le Sparnacien. Le jeune chercheur conclut cependant courageusement que « le Paramys de Bauduen et les mammifères de Rians demeurent les seuls fossiles à affinités paléocènes (en réalité, éocène inférieur) des Sables bleutés : les autres fossiles stratigraphiques indiquent un âge au moins Lutétien ». Nous retiendrons aussi que, pour Angelier, cela « pose le problème d'un éventuel remaniement des vertébrés », ce qu'affirment Touraine et Rey depuis 1966.

En revanche, on ne peut pas être plus contradictoire dans la rédaction des conclusions générales ; ambiguïté que l'on retrouve d'ailleurs dans la brève note d'Angelier et Aubouin (1973) qui se termine par la formulation suivante : « les Sables bleutés... sont antérieurs aux conglomérats », comme probablement « antérieurs aux calcaires lacustres à striatelles du type Bourdas. Ce qui, pour autant, ne tranche pas de leur attribution à l'Éocène ou à l'Oligocène ». Il nous paraît vraisemblable que les réserves et les incohérences d'Angelier s'expliquent par un désaccord entre le thésard et son directeur de thèse. Elles se seraient transformées, sous l'influence d'Aubouin (dans Angelier et Aubouin, 1973), en pétition de principe : les « Sables bleutés », « engagés dans les plis de direction E-W » (en fait, chevauchés par des unités décollées de Jurassique) ne pourraient pas être datés de l'Oligocène de manière fiable puisque les vertébristes s'opposent à ce que l'on fasse la moindre confiance aux mollusques continentaux (cf. Ginsburg, 1973). D'autre part, selon Aubouin, la tectonique post-« Sables bleutés » (supposés sparnaciens) serait antérieure à la sédimentation des conglomérats fossilifères (oligocènes) dans le synclinal de Rians, alors que le plissement de la bande triasique de Barjols serait postérieur au dépôt de ces conglomérats oligocènes mais antérieur au « Vindobonien continental ». Les chevauchements de plusieurs kilomètres de flèche visible, passés sous silence, ne seraient plus attribuables à une phase de compression provençale d'âge Lutétien ou Priabonien, mais ils devraient donc se situer dans un Oligocène ou un Miocène non précisé. D'ailleurs, la « phase pyrénéo-provençale » ne s'applique plus qu'à la déformation en larges plis qui correspond à la surface d'érosion post-sparnacienne des synclinaux. Parce qu'on s'interdit de conclure à l'âge oligocène des « Sables bleutés », il n'y aurait donc pas, en Provence, une phase tectonique post-oligocène aussi générale que la « phase provençale éocène » (non datable avec rigueur puisque l'Éocène moyen et supérieur n'est pas connu dans ces séries provençales), mais plusieurs épisodes de serrage, échelonnés dans l'Oligocène et le Miocène inférieur seraient enregistrés, seulement de façon locale. Cette succession de phases tectoniques conduit à minimiser l'intérêt des chevauchements de la série des fossés et synclinaux du Haut-Var, par leurs bordures jurassiques, en les attribuant à l'une des phases ultérieures, sans qu'il soit nécessaire de prononcer le nom de « phase oligocène ».

Cette façon de disperser les manifestations de la tectonique provençale, en escamotant la découverte de Touraine, a porté ses fruits dès la publication des contributions de 1973 (Aubouin, 1974 ; Gouvernet et al., 1979). Le problème de l'âge des « Sables bleutés » a été vidé de son importance géodynamique et, par conséquent, sa solution a perdu de son urgence. Le doute peut s'éterniser, cela ne change plus rien à la question de la « phase provençale ». La plupart des écrits des quarante années qui ont suivi reflètent, en effet, ce point de vue tendancieux : puisque l'indéniable pouvoir discriminant des mammifères utilisés pour dater de l'Éocène inférieur les « Sables bleutés » ne saurait être contesté, on admet que la proposition du remaniement en masse d'un bloc de dépôts fossilifères éocènes, à l'Oligocène inférieur, n'a plus grand intérêt et ne mérite pas la reprise d'investigations. D'autre part, sans que cela soit dit, on préfère ne pas envisager une prise de position favorable au remaniement, qui pourrait incriminer les pratiques de fouilles des paléomammalogistes de l'époque ; ce ne serait pas courtois, ni même convenable.


Fig. 13. Un montage d'extraits du fascicule 1 de la publication (aujourd'hui fossile) du Compte Rendu sommaire des séances de la Société géologique de France de 1973. Celui-ci contient non seulement les traces écrites de la réunion sur « Les Sables bleutés varois », mais aussi un éditorial du président de la société, Georges Millot, qui souligne l'importance de ce forum, tout en évoquant les risques de sa disparition. Les réunions thématiques ont sauvé l'activité de la Société, mais la publication du Compte Rendu des séances mensuelles a cessé après l'année 1997. Les trois rubriques habituelles, « communications orales » et « écrites », et « observations et réponses », les trop fameuses « obs. à la com. » (critiquées par les provinciaux, plus difficilement présents lors des réunions à Paris), sont illustrées par les premières lignes de leur premier texte, qui donnent le ton plus ou moins polémique des auteurs.

Le contexte conflictuel de la réunion spécialisée consacrée aux « Sables bleutés » varois par la Société géologique de France (5 février 1973)

Ce cadre parisien était le plus démocratique possible : une des manifestations du dynamisme éclectique de la communauté française des géologues qui ont fait honneur à la Société géologique de France jusqu'aux dernières décennies du XXe siècle. On ne peut que se réjouir de la publication des interventions, dans le Compte Rendu sommaire des séances, sans la moindre censure, puisque l'on peut ainsi, à distance, consulter un témoignage contemporain des conditions dans lesquelles Fernand Touraine a défendu publiquement, dans deux réunions contradictoires (1968 et 1973), ses arguments présentés pour la première fois en 1966, dans le même cadre (Fig. 3 et Fig. 13). Même si la réunion de 1973 est un forum déséquilibré, où les points de vue opposés à un âge oligocène s'expriment avec le plus de véhémence, consignés par écrit dans les colonnes du Compte Rendu sommaire, en privilégiant une argumentation contestable (fondée sur des arguments d'autorité) qui fige les positions en faisant croire aux lecteurs de bonne foi que les indices réunis par Fernand Touraine ne sont pas décisifs.

La séance comporte trois communications orales, suivies de débats, et est complétée par six communications écrites. Mais l'assistance est évidemment plus nombreuse, ce que reflètent en partie les observations orales, dont les résumés sont regroupés après les textes des communications orales. Le professeur Jean Aubouin est l'animateur de cette réunion sur un sujet qui le concerne particulièrement. Les travaux de Fernand Touraine et de Roger Rey sont désignés comme le principal objet de critique mais ce ne sont pas les seuls éléments. Les méridionaux ont fait le déplacement mais les Parisiens sont plus nombreux, même s'ils sont peu intervenus, sans doute faute de compétence sur le sujet ou à cause des contestations péremptoires de l'argument malacologique. Il ne s'agit évidemment pas d'un tribunal puisqu'aucun verdict n'est résulté de cette confrontation entre l'âge éocène inférieur défendu par les paléomammalogistes et la parole du seul contestataire soutenant que les mollusques (qu'il n'a pas identifiés lui-même) indiquent un âge oligocène impliquant le remaniement des restes de vertébrés. Touraine est en effet seul, en l'absence de Rey, et maladroitement ou timidement soutenu par peu d'assistants, plus ou moins impressionnés par l'atmosphère passionnée de cette assemblée.

Le rappel des arguments paléontologiques et topographiques, accumulés par Touraine en dix ans, est accompagné de quelques précisions : sur la taille du gisement de mammifères, une lentille « extrêmement exiguë », 200 m au dessus du Sparnacien à oeufs d'oiseaux ; sur l'identification de Potamides lamarcki qui est confirmée par un spécialiste allemand, identification à laquelle il ajoute Nystia compsensis et N. allardi appartenant à la faune de mollusques de l'Oligocène basal ; sur les ostracodes, charophytes, poissons, coccolithes et empreintes de feuilles de phanérogames qui sont invoqués seulement pour montrer que ces fossiles n'ont « aucun point commun » avec un Sparnacien méridional. La discordance de ravinement des calcaires sur le Sparnacien, jusqu'au Crétacé à dinosaures, et l'absence de Lutétien, associées à l'interprétation paléoenvironnementale des calcaires (lagunaires, une interprétation selon nous erronée) justifient, pour Touraine, qu'il tienne ces dépôts postérieurs au Sparnacien pour les « débuts de la transgression rupélienne ». Ce qui n'est pas cautionné par Cécile Cornet qui considère les « Sables bleutés » comme une nappe alluviale unique, originaire des Maures (et non des Alpes comme le pensait Denise Nury, in Nury et Touraine, 1972).

En conclusion, pour Touraine, qui tient compte de la thèse d'Angelier (il figure un extrait de sa carte du bassin de Rians, dans le secteur de La Combe), il n'y a plus place pour le moindre doute : les « Sables bleutés » datent de l'Oligocène et plus précisément de l'Oligocène inférieur (du sommet du Sannoisien à un Stampien plus ou moins élevé, le tout faisant partie du Stampien-Rupélien tel que l'a défini Alcide d'Orbigny, cf. Lozouet, 2012) et « aucune trace de Chattien n'a été relevée dans le Nord-Varois ».

Jean Aubouin conteste ces conclusions en invoquant un vice méthodologique : Touraine supposerait le problème résolu. Cet argument de mauvaise foi élude la nouvelle tentative de démonstration que Touraine présente dans cette communication, à partir des arguments paléontologiques accumulés et mis à la disposition de la communauté au cours des sept dernières années, dans des publications connues de tous. Nous ne reviendrons pas sur les motivations tectoniques d'une telle contestation, par Jean Aubouin, mais nous soulignons que la formulation n'est conciliante qu'en apparence : « l'Éocène discuté peut être oligocène ». Il ajoute en effet que « les Sables bleutés [...] reposent sur l'Éocène dans deux types de structures », les synclinaux E-W et les fossés N-S, et « l'identité admise pour tous les Sables bleutés [...] devrait être discutée [...] ». « Bref, aucune conviction ne pourra être retirée qu'en séparant » les données, « gisement par gisement ». L'unicité des « Sables bleutés » est donc à nouveau contestée et l'âge de certains sites, aux mollusques assurément oligocènes, est même mis en doute à cause d'identifications de characées et d'ostracodes pourtant reconnues comme très peu fiables par leurs déterminateurs.

Ensuite, dans deux communications, Cécile Cornet (1973a, b) donne une réponse de sédimentologiste à la première proposition d'Aubouin : pour elle, « le complexe des Sables bleutés représente une seule nappe alluviale » dont la minéralogie des sables et des argiles est homogène. Non seulement une partie des mollusques est incontestablement stampienne, mais toutes ses nouvelles récoltes de characées, d'ostracodes et de restes de poissons sont en accord avec les conclusions stratigraphiques de Touraine. Mieux : une étude palynologique de Jean-Jacques Châteauneuf permet de montrer que les faciès de la base des « Sables bleutés » de Mallavasse et de Bauduen sont en accord avec l'âge stampien (respectivement, « tout à fait » et « probablement »), tandis qu'un échantillon du centre du fossé de Bauduen fournit un spectre palynologique typique de l'Éocène inférieur. comme les restes de vertébrés de Bauduen et de Rians. On ne trouve pas de meilleur argument à l'appui des phénomènes de remaniement en masse. Et pourtant, Cécile Cornet se contente de la formule : « Il est bien malaisé de conclure », après avoir reconnu que « les présomptions sont en faveur de l'Oligocène moyen ». Respect de l'autorité ?

La véritable pensée de Cécile Cornet est peut être à rechercher dans ses réponses aux questions du débat : selon elle, des calcaires à faune de Striatelles, localement avec Potamides lamarcki, existent bien sous les « Sables bleutés ». D'ailleurs, quelques années plus tard, ses études détaillées de plusieurs bassins (Cornet, 1974, 1976, 1978) ont confirmé que les « Sables bleutés » reposent partout sur ces termes indéniablement oligocènes. En particulier, dans le bassin de Montmeyan où le chevauchement de calcaires mésozoïques sur le Tertiaire (sur les « Sables bleutés » au niveau de Fox-Amphoux) est attribuable à « une phase probablement stampienne, en tous les cas anté-aquitanienne » (Cornet, 1976). En 1978, c'est à propos du bassin de Bauduen, dont la série est « très exactement la même que celle que l'on trouve dans tous les autres fossés Nord-Varois », qu'elle tente enfin d'expliquer ses hésitations précédentes par une excessive subordination aux conclusions des vertébristes : « il paraît néanmoins plus logique d'admettre que l'âge soit donné par les fossiles les plus récents, les autres étant alors remaniés, ce que leur état de conservation laisse fréquemment soupçonner » (comme dans le cas des gyrogonites). C'est cependant un argument contestable : les paléomammalogistes l'ont utilisé pour justifier leur affirmation de l'autochtonie des fossiles de Rians, très bien conservés, et pour exclure par conséquent tout remaniement, fût-il en masse : « Très frais et très fragiles, tous ces fossiles n'ont visiblement subi aucun remaniement et sont bien en place dans les sables bleus » (Ginsburg et al., 1967). Ce qui est d'autant plus déraisonnable que l'usure des fossiles n'est réellement intense, c'est-à-dire visible, que lorsqu'elle est provoquée par une trituration sur place, comme sur une plage, ou au terme d'un long transport par un courant qui aurait d'ailleurs dispersé les fossiles. On a vu qu'un glissement en masse, provoqué par l'érosion du relief de la berge lors d'une crue, est, pour nous, l'explication la plus vraisemblable des caractéristiques du gisement de mammifères de Rians. Les pièces isolées comme la mandibule incomplète de Bauduen et les phalanges de Phénacodontidé de Salernes (Ginsburg et Mennessier, 1973) seraient plutôt en accord avec un transport après érosion. En tout cas, il n'est pas justifié de s'appuyer sur les travaux de Cécile Cornet, pas plus que sur ceux de Jacques Angelier, pour contrer les arguments de Fernand Touraine.

Il est cependant nécessaire de revenir sur le contenu de la note de Léonard Ginsburg (1973) consacrée à La signification des faunes de Mollusques continentaux. La mise en cause des déterminations de l'abbé Rey est peu convaincante et le nécessaire synchronisme de la vie des mollusques et du dépôt du sédiment calcaire correspondant à l'environnement lacustre dans lequel ils ont vécu, n'est même pas envisagé. La généralisation de la contestation d'une valeur biostratigraphique réelle aux mollusques continentaux, en général, est évidemment excessive. S'il est certain qu'une affirmation absolue de la fiabilité stratigraphique de fossiles mal conservés de mollusques (ce n'est pas le cas des moules externes dans une boue calcaire, comme ici) est contestable, cela ne devrait pas empêcher de donner crédit à la distinction entre des niveaux aussi éloignés dans le temps que le Sparnacien et le Sannoisien, à partir d'une faune variée, bien conservée, comme celle des « Calcaires à Bithynies et Striatelles ». C'est pourtant ce qu'affirme Léonard Ginsburg qui, d'ailleurs, n'envisage pas d'étendre cette exigence de rigueur aux pièces osseuses incomplètes de mammifères qu'il présente comme des indicateurs fiables (ce dont nous ne nous permettons pas de douter). Notons seulement que le spécialiste reconnu des vertébrés s'est laissé emporter en dehors de ses compétences en ce qui concerne l'autochtonie du sédiment contenant les fossiles.

À cette date, les contributions concernant la formation sédimentaire des « Sables bleutés » sont nombreuses. Nous avons vu ce que Cécile Cornet a apporté lors de cette réunion, mais ses travaux antérieurs (Cornet, 1968 et 1973) doivent être ajoutés à ceux de T. Vogt-di-Poppa (1968), Jean-Marie Triat (1973) et Georges Truc (1973). Pour ces sédimentologues, la composition des matériaux déposés à la périphérie des Alpes et de la Provence cristalline a nécessairement évolué au cours du Paléogène, en fonction des changements du climat (les conditions pédologiques de l'altération) et surtout de l'intensité de l'érosion. C'est pourquoi les caractéristiques minéralogiques communes entre l' « Oligocène » de Touraine et les dépôts périalpins dont l'âge oligocène n'était pas contesté, ont fait que tous se sont accordés sur l'âge oligocène des « Sables bleutés », en même temps que sur le contexte continental, fluviatile, de ce dépôt. Ce qui exclut, soit dit en passant, l'interprétation environnementale de Rey et Touraine qui en faisaient la plus grande partie de leur « transgression marine rupélienne ». En outre, la retouche apportée par Triat au tableau stratigraphique proposé par Fernand Touraine, qui suggère que les « argilites rouges » de Touraine sont des dépôts résiduels éocènes (Ludien = Priabonien), prouve une indépendance d'esprit qui donne du poids à l'identification, par cet auteur, de l'Oligocène sous les chevauchements du Haut-Var.

Ces notes et observations publiées avec quelque délai, dans le supplément au tome XV du Bulletin de la Société géologique de France (voir l'en-tête de la fig. 13), sont disponibles l'année suivante, mais le psychodrame de la réunion contradictoire est désormais oublié, et puisqu'aucune conclusion n'a été tirée en séance, c'est une impression de renvoi dos-à-dos qui est restée et qui affecte encore la mémoire des rares chercheurs qui se soucient de la solution de ce problème. Parce qu'on a choisi de ne pas trancher, tout se passe comme si on n'avait pas eu les éléments probants pour conclure. Les contradicteurs (Touraine et Rey) ont perdu la partie médiatique en face de l'honorabilité des idées reçues. Et pourtant, les recherches ne s'arrêtent pas en 1973 et les résultats favorables à Touraine sont de plus en plus concordants.

Le problème de l'âge des « Sables bleutés » après 1973

Touraine propose une Nouvelle mise au point publiée en 1976, dans Géologie Alpine, où il illustre ses arguments de terrain avec une carte soulignant les enjeux tectoniques. Il sépare une « érosion éo-oligocène », une « distension oligocène », une « compression post-stampienne » (la phase des chevauchements) et une « phase post-miocène ». Quatre planches photographiques réunissent les figurations des fossiles jusque-là connus seulement par leurs noms. On peut considérer cet article comme le testament spirituel de Fernand Touraine sur ce sujet. Il a cependant encore publié, en 1978, une monographie structurale très détaillée (avec cartes : voir notre Fig. 15) sur le fossé de Montmeyan, qui complète celle de Cécile Cornet (1976) et réunit « les résultats de 15 années d'exploration et de discussion ». En revanche, la note de Cécile Cornet sur Le Paléogène du bassin de Bauduen (1978, dont la carte est intégrée dans notre figure 2) n'apporte pas de véritable nouveauté.

D'autre part, Touraine reprend, en 1977, le thème général, déjà évoqué en 1973, sur L'utilisation rationnelle des fossiles remaniés en stratigraphie. Il s'agit de publications quasi confidentielles, dans des revues de vulgarisation : les Annales de la Société de sciences naturelles S.S.N.A.T.V. (1973d) et la Riviera scientifique (1977), ce qui manifeste probablement l'abandon de son espoir d'être entendu de son vivant sur l'âge oligocène des « Sables bleutés ». Cela n'est pas une manifestation de découragement devant le refus de la communauté « officielle » de reconnaître la rigueur de ses contributions, mais la dernière défense des notions de bon sens d'un vieux pédagogue qui ne s'illusionne pas sur son auditoire.

Peu avant sa disparition, il est associé à la mise au jour du gisement de mammifères de Venelles (Bouches-du-Rhône), au nord-est d'Aix-en-Provence (Aguilar et al., 1978), qui comporte des potamides de l'Aquitanien de Carry-le-Rouet et le typique Caseolus ramondi, escargot marqueur du Chattien. Ce qui participe d'une nouvelle controverse, non moins passionnante, sur l'âge des couches oligo-miocènes provençales, c'est-à-dire sur la limite des deux systèmes, dans la région de Carry-le-Rouet. Mais ni Touraine ni Rey (décédés respectivement en 1980 et en 1978) n'y prendront part, bien que ce soit une première étude, par Roger Rey, des mollusques continentaux et des potamides (Nury, Rey et Roux, 1970), qui avait permis de préciser que la partie inférieure, continentale, de la série de La Nerthe devait être rapportée au Chattien. L'Oligocène supérieur est donc sous-jacent à la véritable transgression, que l'on peut considérer comme aquitanienne puisqu'elle renferme les potamides caractéristiques du Miocène le plus inférieur, et non le Potamides lamarcki qui avait été identifié par erreur, par Georges Denizot (1933) et France Catzigras (1943). L'intérêt de cette association d'une faune de mollusques continentaux et de mammifères d'âge Chattien terminal (de la zone de Coderet) est la confirmation tardive de la fiabilité des identifications de mollusques par l'abbé Rey et, plus généralement, de la valeur stratigraphique d'une biozonation établie sur la succession de mollusques continentaux.

À la même époque, on peut mesurer la fortune respective des deux opinions concernant l'âge des « Sables bleutés », à travers les ouvrages de synthèse, sinon de vulgarisation scientifique, que sont le Guide géologique régional de Provence (deuxième édition : Gouvernet, Guieu et Rousset, 1979), publié dans la fameuse collection des « Guides rouges » éditée par Masson, et la Géologie de la France de Jacques Debelmas (t. 2, 1974), destiné plutôt aux étudiants. Ces ouvrages qui ont été conçus pour faire le point des connaissances à travers les plumes de géologues structuralistes, ont largement dépassé cette ambition puisqu'ils restent les références les plus accessibles sur la géologie régionale.

Claude Gouvernet, Gérard Guieu et Claude Rousset (1979) distinguent « dans le Var moyen (Nord Varois des auteurs) [...] deux groupes de formations dont la cartographie ne se superpose pas [...], la formation de sables bleutés [...] et des dépôts calcaires et des dépôts conglomératiques ». Les « Calcaires à Bithynies » « riches en striatelles » sont discordants sur une série qui se termine par le Sparnacien. Il s'agit bien d'un Oligocène, mais l'âge des « Sables bleutés » « paraissant impliqués dans les recouvrements tectoniques de Rians et de Salernes » est présenté comme « Éocène pour les uns, Oligocène pour les autres ». Dans ce dernier cas, les chevauchements étant attribués à la phase tectonique majeure provençale, « cela conduirait à rajeunir les déformations tangentielles de cette partie de la Provence » (située précédemment à l'Éocène), « mais l'on voit mal comment le Stampien pourrait à la fois sceller, à Aix, des failles transversales recoupant les structures charriées vers le nord et, 20 à 30 km à l'est, supporter la même structure ». L'utilisation de cet argument est étonnante, en contradiction avec la conception des manifestations d'activité tectonique présentées ici comme locales. Par exemple, dans le chaînon de la Nerthe, les discordances nombreuses indiquent des déformations répétées, dont l'une, tangentielle, pendant l'Oligocène moyen, avant un nouveau plissement à la fin de l'Oligocène. Le résumé de l'histoire tectonique est tout autre et ajoute à la confusion: « une première phase de plissement dans les Baronnies, au Crétacé supérieur », la « phase majeure provençale à la fin du Lutétien », « une phase importante (de plissement) se place à l'Oligocène supérieur [...] avec déversement vers l'extérieur de l'arc alpin » (en Provence, paradoxalement « vers le nord », [sic]), « une phase de relaxation » serait la responsable des fossés nord-sud au nord du Var, et enfin, viendrait « la phase tangentielle majeure, postérieure aux dépôts de la mer périalpine miocène ». Il n'y a donc plus place, avant le Miocène, pour une tectonique distensive (créatrice des fossés), puis compressive (de chevauchement des bordures de ces fossés). La Provence n'aurait donc rien à voir avec les Alpes pourtant si proches.

Dans l'ouvrage de synthèse de Jacques Debelmas, spécialiste de l'histoire géodynamique des Alpes, c'est Jean Aubouin (1974) qui traite de la Provence. L'ancienne synthèse d'Aubouin et Mennessier (1963) est à l'origine de l'essentiel des données, leur carte géologique, à peine modifiée, étant d'ailleurs reproduite en conclusion (cf. notre Fig. 6). Dans le chapitre qui nous concerne, les illustrations sont plus ou moins en contradiction avec le texte, ce qui arrive dans ce genre d'ouvrage, et l'auteur s'en excuse comme s'il n'était pas impliqué dans le problème (ce qui est peut-être supposé montrer la bonne foi du compilateur). Ainsi, sur une carte paléogéographique de la Provence à l'Éocène, des sables figurés en pointillés couvrent le domaine des bassins nord-varois, en continuité avec le bassin d'Aix. La légende précise : « Il n'a pas été tenu compte du fait que les Sables bleutés nord-varois, considérés comme éocènes inférieurs, pourraient être d'âge oligocène ; il n'en résulterait pas de modification fondamentale [...] ». Sur la même figure, la carte correspondant à l'Oligocène se limite à représenter un petit nombre des affleurements attribués à l'Oligocène : ceux des Bourdas, du Plan d'Auron, de Comps, d'Eoulx, de Castellane et de Barrême, à l'est du grand ensemble bassin de la Durance - bassin d'Apt-Forcalquier qui inclut le bassin d'Aix-en-Provence mais qui est bien séparé du bassin de Marseille et des petits bassins de Saint-Pierre (la Nerthe) et de Saint-Zacharie. Une note infrapaginale règle en quelques mots le problème de l'âge des « Sables bleutés » : le désaccord entre mammifères et gastéropodes est présenté comme une « controverse qui tient sans doute au faciès assez voisin entre les Sables bleutés et l'Oligocène proprement dit ».


Fig. 14. Superposition des données de deux cartes de l'atlas de la Synthèse géologique du Sud-Est de la France, éditée par le BRGM (Debrand-Passard et al., 1984). Ces cartes ont plusieurs auteurs sous la direction de Claude Cavelier, qui était aussi coordonnateur du chapitre « Paléogène ». Un parti étonnant a été adopté, qui démembre les « Sables bleutés » du Haut-Var en deux unités : une partie inférieure qui serait éocène (avec le gisement de Rians, Éocène inférieur), et une autre regroupant « Sables bleutés et calcaires lacustres du type Montmeyan » (avec le Potamides lamarcki et les Striatelles que Cavelier a authentifiés), qui serait de l'Oligocène inférieur (Stampien = Rupélien). Cela, bien que les calcaires se situent partout sous les « Sables bleutés », en particulier dans le synclinal de Rians (Fig. 11), loin au-dessous du gisement de mammifères. Ce compromis n'a pas d'autre justification que le désir de ménager les susceptibilités des protagonistes de la controverse encore en vie (Rey et Touraine ont disparu respectivement en 1978 et 1980), tout en maintenant l'acquis biostratigraphique incontestable concernant les mollusques oligocènes des calcaires, ce dont Cavelier se portait personnellement garant. Cette position contredit toutes les études de terrain publiées à cette date ou plus tard, et met en évidence les faiblesses de telles synthèses rédigées sous influence, par des auteurs qui ne maîtrisent pas toutes les données régionales.

Il y aurait donc deux ensembles sableux, réunis abusivement sous le même nom par Touraine. Les travaux de Cécile Cornet et des autres sédimentologues depuis 1968 sont donc nuls et non avenus. C'est d'ailleurs ce que doit admettre la Synthèse géologique du Sud-Est de la France (1984), qui figure sur les cartes paléogéographiques de l'atlas (notre Fig. 14), respectivement « P2 -Paléocène - Éocène inférieur » et « P5 - Oligocène », qui séparent des « Sables bleutés pars » et des « Sables bleutés du Var (inclus les calcaires lacustres de type Montmeyan) ». La justification de ce choix assumé par Bruno Alabouvette, Guy Berger et Claude Cavelier, auteurs des cartes, est explicité dans le texte par Claude Cavelier qui a, pourtant, toujours affirmé que la présence du Potamides lamarcki est avérée et signifie un âge Stampien (supérieur) pour les couches qui le contiennent. L'ancienne hypothèse des deux âges du faciès des « Sables bleutés » (antérieure à 1968) est reprise, sans tenir compte des progrès des études de terrain qui ont montré l'unité de cette formation systématiquement superposée aux calcaires à P. lamarcki et autres mollusques oligocènes : « En résumé, [...] il est vraisemblable que la controverse reflète l'extrapolation de données paléontologiques bien étayées localement, à des ensembles non homogènes. [...] il n'existe pas une mais deux séries de Sables bleutés respectivement sparnacien et stampien ». La phrase suivante est plus sibylline : « l'âge stampien s'applique à une série unique où les éléments plus anciens sont remaniés individuellement (fossile isolé) ou massivement (sédiments fossilifères), hypothèse la plus plausible ». Ce qui semble donner raison à Touraine, excluant l'âge éocène inférieur des sables qui contiennent le gisement de Rians. Cela nous permet de mettre en doute la rédaction par Cavelier de la phrase précédente. On sait combien les ouvrages rédigés collectivement risquent de juxtaposer des opinions divergentes sans que ce soit explicite.

Pour en revenir à la tectonique provençale, on doit noter que, dans cette synthèse, les mouvements concernant le Paléogène sont limités à deux. Les « mouvements fini-éocènes », responsables des ondulations nécessaires à la création des bassins à remplissage oligocène, et les « mouvements fini-oligocènes » (et par conséquent postérieurs à l'Oligocène supérieur) qui précèdent les dépôts transgressifs du Miocène. Les premiers correspondraient à la « phase pyrénéenne » de Hans Stille, d'âge éocène supérieur. Cependant, dans le texte, on note que la phase paroxysmale serait située avant le Ludien, comme dans les Pyrénées. Dans les Alpes, Debelmas (1974) précise que c'est « au tout début de l'Oligocène que se produit le paroxysme de plissement des zones internes », avec la mise en place des nappes. La Provence ne serait donc pas solidaire des Alpes, au point que leurs manifestations du serrage principal soient bien distinctes dans le temps. Cela reflète le paradigme dominant d'une époque qui refusait la rigidité des continents. C'est pourquoi la datation précise des déformations locales avait tant d'intérêt aux yeux des tectoniciens. D'où, en particulier, une attention pour l'âge précis des dernières couches impliquées dans les chevauchements du nord de la Provence. L'examen de ce problème sort cependant du cadre de notre analyse des contradictions des dernières décennies du XXe siècle, le siècle qui a pourtant adopté la notion de relative rigidité des plaques lithosphériques impliquées dans la « tectonique des plaques », supposées transmettre les contraintes à l'échelle du continent européen. Notion difficilement compatible avec celle de la dissociation des histoires tectoniques de régions adjacentes : la Provence, les Pyrénées et les Alpes, qui sont si proches dans le système alpin, à l'échelle globale.

Questions de méthode concernant la façon de dater ces couches et de déterminer le milieu de dépôt (marin ou continental)

Nous avons brossé le déroulement chronologique de la controverse sur l'âge des « Sables bleutés », qui implique fondamentalement la caractérisation et la datation des calcaires dits « à Bithynies », dont la position sous-jacente est le plus souvent admise.

En commençant par présenter les deux personnalités qui ont mis le feu aux poudres, deux « amateurs » aux yeux des éminents chercheurs académiques, nous avons montré comment l'influence du statut des protagonistes a réellement joué un rôle. Il est, en effet, important de comparer les différences d'exigence méthodologique entre ces amateurs et les professionnels académiques qui se voient contestés. Ce qui doit retenir notre attention, du point de vue épistémologique, c'est la rigueur des pratiques respectives montrée dans la démonstration par les arguments soutenant les opinions qui se sont affrontées. Il est difficile de séparer les critiques de bonne foi des a priori, en particulier en ce qui concerne les jugements affectant la crédibilité des acteurs. Au départ, il existe un double préjugé : entre les deux disciplines paléontologiques, que l'on oppose sur le plan de la valeur théorique, en tant qu'outils biostratigraphiques ; et aussi, plus insidieusement, dans l'appréciation du sérieux, des compétences techniques des responsables de cette remise en question de connaissances non seulement stratigraphiques mais aussi géodynamiques. Cependant, on a généralement oublié de considérer ce qui nous semble le plus important : la fiabilité de la pratique des fouilles paléontologiques (en ce qui concerne la taphonomie, c'est-à-dire le contexte sédimentaire du gisement) et la rigueur des recherches stratigraphiques de terrain (les études de bassins), dans ce cas concret. Les apparentes contradictions signalées par Fernand Touraine sont recevables comme de simples mises en garde, mais c'est le traitement ultérieur de ces contradictions qui départage les chercheurs. C'est, en effet, sur le plan de la réflexion et de la recherche de nouvelles données que Fernand Touraine a fait preuve d'une maîtrise et d'une ténacité supérieures, qui méritent notre respect et une seconde chance dans l'appréciation de son apport à la géologie de la Provence. Il nous donne aussi, sur un plan plus général, une leçon de retenue dans une polémique où les injustices ne lui ont pas été épargnées. Le plus injuste étant la contestation (sans examen concret) de la valeur des mollusques continentaux fossiles qu'il avait fait l'effort, insuffisamment respecté, de récolter dans les marno-calcaires, clés de l'argumentation biostratigraphique (Ginsburg, 1973).

On a vu que Touraine est un « amateur » dont la formation initiale, universitaire, ne diffère pas de celle de ses détracteurs académiques. Mais il faut souligner surtout que la frontière entre professionnels et amateurs, pendant la seconde moitié du XXe siècle, n'est pas aussi nette que celle qui se manifeste aujourd'hui par l'extrême (l'excessive ?) spécialisation mondialiste qui nécessite un apprentissage parfois prolongé (les « post-doc ») dans des laboratoires bien dotés en cadres et en matériel. À l'époque, autour de 1960, les meilleurs des enseignants-chercheurs recrutés comme assistants avec une simple licence (équivalant au Master 1), comme des chercheurs à plein temps débutants du CNRS, n'avaient pas reçu une formation scolaire de haut niveau, ni une initiation solide à la recherche puisque le « Troisième cycle » n'avait pas encore été organisé. On doit même considérer que les enseignements universitaires n'avaient pas été sensiblement renouvelés depuis le début du siècle. Il restait beaucoup à apprendre et à découvrir, à travers la littérature internationale (américaine, soviétique et « pétrolière »), elle-même souvent fourvoyée dans des voies sans avenir (par exemple la sédimentométrie d'échantillons prélevés de façon aléatoire)... et ce fut par les initiatives des débutants eux-mêmes. On a peine à admettre le niveau de médiocrité de certains enseignements. C'est pourtant le moins que l'on puisse dire en ce qui concerne des spécialités comme la sédimentologie (cf. la controverse franco-française sur la bathymétrie des flyschs et des molasses, entre 1960 et 1970) et dans bien des branches de la paléontologie. Heureusement que les réunions de la Société géologique de France permettaient alors de confronter des opinions portées par des esprits formés dans des contextes divers, dont l'émulation garantissait l'objectivité. Bien d'autres controverses franco-françaises ont profité de ce contexte favorable au cours des années 1960 à 1980, où la Société géologique de France remplissait correctement son rôle de forum contradictoire, malgré un regrettable parisianisme dominé par les ténors de l'Université. Certaines controverses, animées par un joyeux folklore (cf. les poèmes de François Ellenberger), comme la « bataille de la Pinède de Durban » (Aude) qui a bénéficié de la ténacité de survivants de cette période (Durand-Delga et Charrière, 2012), ou celle, plus âpre, sur la place relative de l'Ilerdien dans la stratigraphie de l'Éocène, ont eu un épilogue sérieux, basé sur une synthèse rigoureuse des études anciennes, grâce à un retour sur le terrain. D'autres, attendent depuis longtemps une conclusion, malgré un calme illusoire, comme celle sur les causes de la rythmicité des séquences unitaires du flysch (répétition admirable de régularité de crues réglées par le climat, ou ruptures mystérieusement systématiques de la stabilité gravitaire des pentes sous-marines, ou tempêtes... ou récurrence nécessaire des séismes orogéniques ?). Mais c'est sans doute à cause de l'éloignement et de l'internationalisation des problèmes, avec leur effet démobilisateur sur les naturalistes, comme celui qui est résulté de la révélation des paradigmes magiques de turbidite et de debris-flow et de leur théorisation.

Il faut, en effet, replacer la controverse des « Sables bleutés » dans le cadre dynamique des nécessaires progrès en cours, pendant les années soixante du XXe siècle. En ce qui concerne la stratigraphie et les diverses disciplines de la paléontologie, on s'est débarrassé difficilement de la notion simpliste du « fossile caractéristique » pour la remplacer par les assemblages d'espèces indicatrices d'un épisode plus ou moins précis : les « assemblages de fossiles » choisis pour être des fossiles de zone en raison d'une (toujours) relative vaste répartition géographique. Les paléomammalogistes sont en avance dans cette recherche. Mais la biostratigraphie des dépôts continentaux est encore isolée, le plus souvent, de celle qui justifie ce que l'on ne nomme pas encore la chronostratigraphie, discipline-reine dont les étages et leurs subdivisions en zones ne peuvent être fondés que sur des fossiles marins. Les « étages continentaux » des paléomammalogistes ont d'ailleurs gardé un usage restreint au milieu des paléontologues spécialistes de vertébrés fossiles.

Chaque spécialiste défend « sa » biozonation, et bien des controverses de l'époque sont personnalisées à l'excès. Qu'on se souvienne du « binôme » de chercheurs tant décrié en France, de Hans Schaub et Lucas Hottinger, qui ont réussi à révolutionner nos connaissances sur les nummulites et les alvéolines, mais qui ont eu l'inconscience de proposer, seuls, des étages nouveaux, en partie fondés sur des séries françaises : l'Ilerdien et le Biarritzien (Hottinger 1960 ; Hottinger et Schaub, 1960). L'opposition au « scandale » de cette introduction d'étages intercalés à l'intérieur de l'Éocène s'est focalisée sur les innovations chronologiques en partie contestables (mais seulement en partie) de ces chercheurs étrangers. Au point que l'intérêt majeur des connaissances biostratigraphiques révélées par ces spécialistes, sans égaux, ni véritables successeurs, en ce qui concerne la paléontologie de ces foraminifères, a été nié ou marginalisé, bien au-delà de la décennie de controverse. Les nouveaux étages ont été incorporés dans des anciens, en excluant sans démonstration la notion de hiatus à cheval sur les limites d'étages, dans les séries stratotypiques. Ce qui a permis d'éliminer ces termes de la nomenclature officielle des étages. Les commissions internationales « infaillibles » ont statué, puis le silence a fait oublier l'existence même du problème. La discussion des relations respectives du Biarritzien, avec le Lutétien et le Bartonien, a même été oubliée dans le volume sur le Stratotype Lutétien (Merle, 2008) qui devait faire le point sur le Lutétien du bassin de Paris et les limites de cet étage. Il est pourtant difficile d'exclure sans examen l'hypothèse que le Falun de Foulangues (Oise), découvert en 1965 (Cavelier et Le Calvez, 1965) ne représente qu'une petite partie du Biarritzien, tel qu'il a été décrit en Catalogne et dans d'autres régions du domaine mésogéen. Le Lutétien néo-stratotypique, proposé en 1964, non loin de Foulangues, dans la vallée de l'Oise (Blondeau, 1964), ne saurait répondre à cette question.

Même dans les dépôts marins, dont l' « ubiquité » des peuplements est supposée plus grande, la notion de « biozonations parallèles », à partir d'organismes de groupes différents, n'a pas été privilégiée durablement. On a préféré la recherche de la panacée, qui a d'ailleurs triomphé en prenant la forme du choix de la biozonation du nanoplancton calcaire pour le Tertiaire, avant la fin du siècle écoulé. Parallèlement aux coccolithes marins, nouveaux promus, les mammifères ont continué à être reconnus comme les étalons des subdivisions continentales de la stratigraphie du Cénozoïque. C'était déjà le cas dans les années 1960, où leur classement sans égal dans la hiérarchie de la fiabilité des fossiles continentaux était déjà nettement établi.

Les mollusques continentaux sont, alors, encore moins bien considérés que les mollusques marins, « hégémoniques » du temps de Cossmann (au début du XXe siècle) mais de plus en plus contestés à la suite de graves erreurs comme celle sur l'Ilerdien (= Yprésien moyen). Ce niveau marin riche en mollusques dans les Corbières septentrionales et le Minervois avait été confondu avec le Lutétien (Doncieux, 1908-1926 ; Boulanger, Massieux, Plaziat et Toumarkine, 1967), en grande partie par référence à la grande monographie de Doncieux, dont les espèces étaient attribuées à des formes très proches de celles du Lutétien du Bassin de Paris (pour des raisons environnementales et en particulier paléoclimatiques), et non de celles du Cuisien (ce qui s'est révélé inexact). La controverse sur l'âge de l'Ilerdien a aussi duré une dizaine d'années, les rectifications des corrélations stratigraphiques de Hottinger et Schaub (1960) n'étant acceptées qu'après un long examen critique (Plaziat et Mangin, 1969 ; Plaziat, 1975). C'est une controverse semblable à celle des « Sables bleutés », qui a échauffé les esprits à la même époque, mais avec un résultat plus clair : l'Ilerdien a été situé dans le temps avec précision avant de tomber finalement dans l'oubli, moyennant une redéfinition de l'Yprésien, pas sur le terrain mais par l'adoption, en commission, de nouvelles limites arbitraires aux étages Thanétien et Yprésien, choisies dans les échelles biostratigraphiques des planctons pélagiques mais non documentées dans les dépôts des stratotypes historiques (Angleterre, Belgique, France).

Il ne faut donc pas s'étonner si la controverse sur l'âge des « Sables bleutés » du Haut-Var, plus étroitement régionaliste, n'a pas retenu l'attention bien longtemps, pendant une période si riche en remises en question sollicitant les stratigraphes. Pourtant, la prise en compte des mollusques continentaux du Tertiaire méridional n'en était pas à ses balbutiements : Paul Jodot et Suzanne Fabre-Taxy, après François Fontannes (1885) et surtout Frédéric Roman (1903, 1910), avaient établi les successions de malacofaunes terrestres, d'eau douce et d'eau « saumâtre » qui ont permis de dater, à l'échelle de temps de l'étage, les séries tertiaires du Languedoc et de la Provence. Roger Rey s'est donc inscrit dans une tradition qui n'avait pas la « meilleure presse » mais qui avait fait ses preuves. Il a pu s'appuyer sur une biostratigraphie régionale, établie dans les proches séries du Languedoc et de la Provence, même s'il n'a pas toujours su y faire clairement référence.

En revanche, l'ambiguïté du terme saumâtre n'a pas fini de susciter des discussions paléoécologiques, l'eau plus ou moins salée pouvant soit provenir de la dilution d'eau de mer, soit résulter de l'évaporation cumulée sur le long terme d'eaux continentales faiblement minéralisées (cf. Plaziat, 1982). Saumâtre est alors un terme ambigu, qui indique une salinité non marine : instable, d'eau sursalée ou dessalée, d'origine généralement marine plutôt que continentale ; mais... à l'époque, on parle de « faunes continentales », sans entrer dans une discussion, alors qu'on a préféré, depuis, parler de faunes « non marines » (un anglicisme de plus) pour les peuplements terrestres, d'eaux douces courantes (fluviatiles), d'eaux douces stagnantes (lacustres), mais aussi d'eaux stagnantes à salinité variable (de lacs salés s'évaporant parfois en playas). La possible confusion entre les peuplements de lacs salés et les peuplements lagunaires ou estuariens (de milieux communiquant librement avec la mer) est alors rarement envisagée, ce qui explique le succès incroyable de la notion de « milieux margino-littoraux » qui est proposée par Alain Lévy (1971) pour réunir les environnements à peuplements qualifiés de « thalassoïdes », parce que leurs fossiles appartiennent à des familles en partie marines, qu'ils soient marins ou continentaux. Non seulement les potamides et des bivalves comme les coques (Cardium), mais aussi des ostracodes et des foraminifères, des crevettes et des méduses (cf. les lacs à méduses de Palau, en Indonésie, ou d'Australie occidentale), que l'on a progressivement découverts dans des lacs d'eau douce ou plus ou moins salée, à des distances de la mer de quelques dizaines de mètres à plus de 400 kilomètres (cf. Gasse et al., 1987). Avant que l'on ait pris conscience de ces risques d'erreur paléogéographique aussi considérables qu'entre des environnements maritimes et des environnements continentaux, il faut souligner que les peuplements « thalassoïdes » étaient toujours systématiquement interprétés comme la preuve de transgressions marines.

C'est cette confusion qui a induit Alain Lévy à rechercher, bien au-delà des années 1960, c'est-à-dire pendant trente ans, des transgressions marines jusqu'au cour du continent africain (en altitude), au Quaternaire (Lévy, 1987). Elle a aussi justifié la description d'une « transgression rupélienne » dans le Massif Central (par Lévy et bien d'autres : cf. Bodergat et al., 1999) indépendamment de la « transgression stampienne (rupélienne) de Provence » que Rey et Touraine ont déduite également de l'existence de fossiles d'eau salée (saumâtre ou sursalée).

Il est plus difficile d'admettre aujourd'hui qu'il y ait encore des partisans de cette terminologie trompeuse puisqu'elle réunissait des environnements maritimes et continentaux. On doit au moins revoir les justifications des dénominations environnementales « classiques ». Comme dans le cas des « Calcaires à Bithynies » de Provence, dits « laguno-lacustres », qui correspondent, pour nous, à l'intercalation d'épisodes correspondant à un lac salé (lors du dépôt des lits à potamides, à foraminifères ou à striatelles), pendant les milliers d'années où le milieu était dominé par des conditions de vie de lac d'eau douce, indiquées par les Bithynies et peut être par les calcaires sans macrofossiles. C'est seulement en 2008 que Danielle Briot a démontré (par la géochimie du strontium) que le Potamides lamarcki du bassin d'Aurillac avait vécu dans un lac nécessairement salé mais sans rapport avec la mer, comme le fait son descendant moderne en Afrique et au Proche Orient (cf. Plaziat in Gasse et al., 1987).

Dans le domaine de la biostratigraphie, les conclusions de l'abbé Rey ont été contestées de plusieurs points de vue à la fois : comme résultant de difficultés d'identification des fossiles de ces calcaires (en moules externes) mais aussi d'incertitudes sur la définition des espèces de mollusques (affectant leur précision, c'est-à-dire leur pouvoir séparateur stratigraphique), autant qu'en ce qui concerne sa compétence de spécialiste soi-disant auto-proclamé (bien que reçu docteur es-sciences par l'université de Rennes). Il est vrai que Roger Rey a donné des raisons de douter de ses compétences : il a pu se tromper quelquefois et il n'a pas fourni les illustrations qui auraient permis de clore à son avantage certaines discussions. Mais les défauts de comportement de Roger Rey sont alors fort répandus, dans le cadre de mémoires de thèses, dont la qualité était extrêmement variable (comme aujourd'hui, d'ailleurs, bien que la forme et l'esthétique des mémoires de soutenance aient considérablement progressé). La lisibilité de bien des travaux de paléontologie stratigraphique de cette époque a, en effet, beaucoup souffert d'une insuffisance d'illustration de qualité.

Fernand Touraine a tenu compte de ces faiblesses et, s'il ne les a corrigées que tardivement en ce qui concerne l'illustration, il a élargi rapidement le nombre des cautions de spécialistes, en faisant appel à des compétences multiples : d'autres chercheurs connaissant les faunes de mollusques du Sparnacien et de l'Oligocène, et surtout des spécialistes de groupes fossiles variés (charophytes, nannoplancton calcaire, ostracodes). On peut y ajouter un palynologue et une sédimentologue minéralogiste qui n'ont pas été sollicités par Touraine.

Par conséquent, il serait plus juste de considérer Fernand Touraine comme un géologue régional modèle, représentatif de cette période de la recherche géologique en pleine mutation. La réévaluation des connaissances stratigraphiques, à cette époque si riche en confrontations, n'a pu se faire, à travers les congrès internationaux réunis en France, sur le Paléogène (1964) et sur l'Éocène (1968), qu'en fédérant les compétences des spécialités les plus diverses. De 1966 à 1980, Touraine, à son échelle, face à un problème particulièrement difficile, a aussi montré la nécessité de conduire une collecte de données pluridisciplinaires, garanties par des spécialistes. C'est une démarche individuelle encore rare et qui n'est pas celle des professionnels confrontés au même problème, enfermés par une confiance aveugle dans leurs spécialités, dont ils défendaient la réputation comme si elle était contestée. Quand les paléomammalogistes ont affirmé que l'âge des « Sables bleutés » ne pouvait être que celui des fossiles du gisement de Rians, il n'était même pas concevable, pour eux, d'envisager l'allochtonie de ce dépôt fossilifère lenticulaire sans y voir une remise en cause de la valeur biostratigraphique des mammifères fossiles en général. On peut admettre que l'existence d'os isolés (à Bauduen et à Salernes), du même âge sparnacien que ceux du gisement de Rians, ait pesé sur l'adoption de cette position ; mais on peut s'étonner que les mêmes auteurs ne se soient pas préoccupés des arguments fournis en faveur des remaniements de fossiles : la présence particulièrement fréquente de Toxaster du Crétacé, également signalée par Touraine dans les dépôts de la série tertiaire, aurait dû retenir leur attention. L'argumentation favorable à un remaniement des mammifères et des autres fossiles dispersés, comparée à l'autochtonie nécessaire des mollusques formant des peuplements d'eau douce et d'eau salée, n'a même pas été reçue et discutée sereinement. Ne parlons pas des arguments sédimentologiques : la géométrie du gisement, les blocs de limons dans le sable, à Rians. Ils appartiennent à une autre culture géologique et il faut reconnaître qu'ils étaient difficilement recevables par les paléontologues chevronnés de cette époque, bien qu'ils soient observables par tous, ayant pour nous valeur d'évidence.

Quoi qu'il en soit, il nous semble tout à fait injustifié de traiter les innovations apportées par Fernand Touraine, dans la stratigraphie du Tertiaire de Provence, d'« idées provocatrices », aventurées par un géologue amateur dont l'incompétence ruinerait la fiabilité. Il est possible que certaines maladresses de formulation ou d'illustration (fig. 5 et 13) aient desservi l'accueil de ses travaux, mais la solidité de ses observations de terrain est attestée par son dernier travail qui réunit cartographie (Fig. 15) et interprétation des affleurements observés inlassablement pendant quinze années de recherches. D'ailleurs, ce n'est pas le type de contestation qui a été mis en avant par les géologues structuralistes pendant la controverse. C'est par la suite que Touraine et ses défenseurs se sont heurtés à une rumeur d'incompétence que leurs détracteurs ont soutenue jusqu'à aujourd'hui et qui a fait de cet agaçant problème de datation un « problème insoluble, faute d'arguments recevables ». « On » a décidé, une fois pour toutes, qu'il était impossible de trancher. malgré toutes les contributions qui ont apporté, avant et après 1978, des arguments tous en faveur de multiples remaniements enregistrés dans les dépôts continentaux, lacustres et fluviatiles, d'âge oligocène inférieur : le mélange de fossiles de l'Éocène inférieur, de l'Éocène moyen ou supérieur et de l'Oligocène, en ce qui concerne le Tertiaire, dans les « Sables bleutés ».


Fig. 15. Fernand Touraine a tenu à montrer, en 1978, peu avant sa disparition, qu'il était aussi capable de fournir une cartographie de qualité des bassins qu'il avait étudiés avec tant de minutie. Le fossé de Montmeyan fait alors l'objet d'une monographie stratigraphique et structurale publiée au Bulletin du BRGM, dont nous avons extrait ce montage. Comparer avec la carte schématique de 1973 (notre figure 3). Cette persévérance nous inspire un profond respect pour Fernand Touraine et le refus du silence injuste qui accompagne la négation de la valeur de ses contributions à la connaissance de la géologie de la Provence.

Il nous reste à montrer, à partir de trois sous-dossiers biostratigraphiques (charophytes, ostracodes et poissons), comment les recherches ultérieures ont consolidé la démonstration ébauchée par Touraine en 1966 et clairement exposée en 1973, quitte à détailler un peu longuement une autre controverse, concernant l'âge oligocène des poissons characiformes de Provence, qui a mis en cause Plaziat et Gaudant avec des arguments indéfendables (De la Pena Zarzuelo, 1996). Cette contestation est, en effet, importante du point de vue paléo-biogéographique mondial puisque l'âge attribué aux « Calcaires à Bithynies » et aux « Sables bleutés », selon ce dernier auteur, conduisait à exclure l'existence de ce groupe en Europe occidentale après l'Éocène inférieur.

Les Charophytes

Après l'énorme travail de synthèse réalisé à partir de nouveaux échantillonnages, par Janine Riveline (1984), il est possible de réexaminer les conclusions tirées, avant 1978, des déterminations du matériel récolté par Fernand Touraine, Jacques Angelier et Cécile Cornet. Les identifications de Louis Grambast ne sont pas remises en cause ; c'est l'interprétation chronologique de celles-ci, au niveau du genre ou de l'espèce qui mérite une mise à jour, dans le cadre de la nouvelle échelle biostratigraphique (Riveline, 1983).

Fernand Touraine a commencé par publier, en 1971 et 1973, la présence de Gyrogona sp. dans le « Calcaire à Bithynies », de Tectochara meriani, Harrisichara tuberculata, Gyrogona sp. et Chara sp., dans les argiles associées au conglomérat supérieur de Gigeri, et, dans le faciès marno-calcaire de Bourdas, de Rhabdochara cf. stockmansi. En 1978, il n'a rien ajouté.

Jacques Angelier (1971) cite les mêmes espèces à partir de ses récoltes dans les dépôts de ces mêmes sites. Les gyrogonites signalées comme « très usées ? » ne sont pas celles qui indiquent un âge sparnacien, mais les Gyrogona sp. sont indiquées comme appartenant à un genre qui n'est connu que du « Lutétien supérieur au Stampien inclusivement », ce qui exclut nécessairement un âge sparnacien.

Cécile Cornet (1973) a récolté dans le calcaire inférieur Harrisichara cf. bressoni, H. cf. squarrulosa, H. sp., Peckichara nov. sp. ornée, Nodosochara nov. sp., Maedleriella nov. sp. et une Tectochara sp., qui se trouvent « un peu partout et dans chaque bassin ». Louis Grambast avait rapproché ces formes non identifiables au niveau spécifique, de formes de l'Eocène inférieur mais « sans pouvoir certifier qu'il ne s'y associe aucune forme oligocène », les gyrogonites étant généralement mal conservées. En 1978, la liste des gyrogonites du Paléogène du bassin de Bauduen, plus réduite, est donnée « de l'Éocène inférieur ». avec « de fortes chances d'avoir été remaniée ».

En 1973, l'observation écrite de Louis Grambast, rédigée lors de la réunion, souligne également les contradictions entre les âges des restes de charophytes : une espèce assurément de l'Éocène inférieur, et un genre dont les plus proches espèces (Gyrogona gr. coelata) « indiquerait l'Eocène supérieur (Bartonien) [sic] ou peut-être moyen, mais certainement pas l'Oligocène ». Notons aussi qu'aucun échantillon des « Sables bleutés » n'a livré de gyrogonites.

Monique Castel, « opposante à Touraine de 1969 à 1975 », est absente de cette discussion parce que sa divergence n'est pas fondée sur les récoltes du Var de Fernand Touraine. Le réexamen de ses récoltes complémentaires et de tout nouveau matériel peut être déterminant, mais il appartient à une autre phase de la reprise du dossier stratigraphique et ne sera pas traité ici.

À partir des travaux de Janine Riveline (1984), nous devons réviser comme suit les conclusions préliminaires de Grambast :

Cette confrontation des données échelonnées sur quinze années de recherches, identifiées par deux auteurs différents, est particulièrement instructive du point de vue de l'évolution des connaissances d'un groupe de fossiles, qui n'ont été maîtrisées, du point de vue biostratigraphique, qu'au cours de cette même période. Les « Calcaires à Bithynies » prennent donc place dans la nouvelle biozonation, au niveau d'un Stampien vraisemblablement inférieur, comme l'ont toujours dit Roger Rey et Fernand Touraine. Les doutes de Grambast ne sont plus justifiés et la certitude, selon Touraine, du remaniement d'éléments de l'Éocène inférieur est confirmée, parallèlement au remaniement des mammifères, vraisemblablement à partir des mêmes dépôts sparnaciens de la série érodée.

Les ostracodes

La première référence aux ostracodes du Haut-Var est celle des identifications de Nicolas Grekoff (citées par Touraine, 1968, p. 277), à partir de récoltes dans le calcaire à Potamides lamarcki de La Mourotte. Malgré l'état de conservation imparfait, les seuls rapprochements envisagés sont avec des formes de Metacypris du Chattien de Manosque, de Neocyprideis du Rupélien de Forcalquier, d'un possible Cytheromorpha oligo-miocène, et d'un Haplocytheridea de l'Oligocène qui venait d'être reconnu près de La Nerthe. La conclusion de Grekoff est par conséquent étonnamment prudente : « Oligocène possible mais non prouvé absolument par les ostracodes examinés ; Éocène probablement exclu ».

À la demande de Grekoff, Gilles Carbonnel a réexaminé ces identifications à partir d'un matériel plus important. Touraine (1972) en rend compte : il s'agit en fait de l'Hemicyprideis aff. genavensis connu dans l'Oligocène de Suisse ; d'un Neocyprideis très proche de la sous-espèce cerestei du N. rara, de l'Oligocène du bassin d'Apt ; d'un Cytheromorpha et d'un autre Neocyprideis, probablement nouveaux. En conclusion, Carbonnel prend parti : « l'âge Sparnacien du gisement de Rians me semble exclu ; l'âge oligocène me semble très fortement probable ». Même si la formulation est maladroite, puisque ce n'est pas le dépôt du gisement des mammifères qui a fourni les ostracodes mais des dépôts encadrants, c'est ce que retient Touraine (1973), c'est-à-dire « une certitude quasi-totale de l'âge oligocène » des « Sables bleutés ».

Vingt-cinq ans plus tard, l'un des successeurs de Grekoff dans la spécialité, en France, Vespasian Apostolescu publie une synthèse sur les ostracodes oligocènes de Haute-Provence (Apostolescu et Dellenbach, 1999) qui réexamine, à cette occasion, la question de l'âge des « Sables bleutés ». Le cadre stratigraphique est élargi et amélioré, en particulier à partir des corrélations entre le bassin de Forcalquier, 40 à 50 km au nord des petits bassins tectoniques du Haut-Var, mais aussi par rapport aux séries d'Alsace, de Bavière et de Suisse. Dans le Haut-Var, un nouvel échantillonnage des dépôts sous-jacents aux « Sables bleutés » (leurs fig. 10-12), des séries de Rians, Montmeyan et Bauduen, a confirmé les travaux antérieurs. Parmi la vingtaine d'espèces distinguées, dont la plus grande partie provient du remaniement de formes du Maastrichtien et de l'Éocène, deux espèces sont connues de l'Oligocène : Hemicyprideis genavensis et H. aubenasensis qui, selon ces auteurs, indiqueraient un âge Oligocène supérieur. Cependant, Denise Nury m'a signalé (in litt.) que l'échelle biostratigraphique provençale des ostracodes doit être décalée, les couches dont ils proviennent étant d'âge rupélien d'après la palynologie (travaux en cours).

En revanche, dans la même note, on trouve une intéressante réflexion sur les données concernant le nanoplancton calcaire (déterminé par Carla Muller et publié par Nury et Touraine, 1972), envisageant que sa répartition ne soit pas « strictement limitée au Rupélien inférieur ». Bien entendu, les auteurs n'appliquent pas la même prudence en ce qui concerne l'âge chattien qu'ils retiennent pour les ostracodes. Selon nous, cela reste un intéressant problème méthodologique qui n'a pas été souvent abordé : la marge d'erreur des corrélations stratigraphiques basées sur une biostratigraphie à l'échelle de la biozone. La moindre méconnaissance de la longévité exacte d'une espèce référente peut faire basculer d'une zone dans une autre, et par conséquent d'un étage dans un autre ou, au pire, d'un système dans le suivant. Par exemple, nous avons vu que la présence en Provence de Potamides lamarcki, avec d'autres mollusques qui sont réputés caractéristiques du Stampien le plus inférieur, peut paraître étonnante puisque ce potamide n'est connu dans le Bassin de Paris que dans le Stampien supérieur. À moins que l'on considère que cette répartition chronologique parisienne ne soit pas la véritable durée de vie de l'espèce : elle apparaît dans la région d'Étampes avec une partie de la faune de mollusques marins des « Sables de Pierrefitte », qui a immigré depuis la province paléo-biogéographique méridionale (Aquitaine, bassin de Rennes) à la limite entre Stampien inférieur et Stampien supérieur (voir Lozouet, 2012). Elle a donc pu apparaître un peu plus tôt dans le Stampien des régions méridionales. Il s'agirait alors d'un léger diachronisme (retard local), comme celui qui a été envisagé pour la biozone de nanoplancton calcaire (z. à Ericsonia disticha) qui a été proposée pour définir la limite Éocène-Oligocène, selon Claude Cavelier (1975, 1979). C'est une question qui est considérée comme malsaine, puisqu'elle remet en question la confiance absolue que le biostratigraphe met dans la connaissance de la longévité des espèces choisies pour être les matériaux de la biozonation. Par conséquent, elle a peut-être été éludée trop systématiquement. Quoi qu'il en soit, il paraît évident qu'un excès de précision n'est ni souhaitable ni défendable à l'échelle du continent, dans ces séries continentales.

Mais il faut « raison garder » : cela ne remet pas en cause l'âge oligocène, et non éocène inférieur, de ces dépôts du Var ; cela relativise tout au plus l'affirmation d'un âge oligocène inférieur pour la totalité de la série, depuis les « Calcaires à Bithynies » et jusqu'au sommet des « Sables bleutés », une centaine de mètres plus haut.

Les poissons characiformes des « Calcaires à Bithynies » et des « Sables bleutés »

En 1971, Fernand Touraine a publié un premier article concernant le petit poisson osseux (32-55 mm) récolté dans les calcaires provençaux par divers chercheurs : avec lui, Jacques Angelier, Jean Chorowicz et Bruno Cabanis. Il a rattaché ces squelettes plus ou moins bien conservés au Cyprinidé Barbus rudeli décrit du Stampien de Limagne (Piton, 1936), identification confirmée par Nicolas Théobald (Piton et Théobald, 1939). La comparaison directe entre le fossile du Massif central et celui de Provence a été possible, et Nicolas Théobald, ami de Fernand Touraine, a précisé in litteris que le poisson du « Calcaire à Bithynies » serait « un Cyprinidé [...] voisin de l'espèce Barbus rudeli », ce genre et le genre voisin Leuciscus « ne paraissant connus dans la littérature que depuis l'Oligocène ». La similitude des dessins comparatifs que Touraine a publiés semblait déterminante. Il a donc adopté la dénomination de Barbus rudeli dans toutes les publications ultérieures ; le figurant à nouveau sous ce nom, dans sa Nouvelle mise au point de 1976 (pl. II, fig. 1,2). Nous avons vu que l'abbé Blot l'identifiait à un autre Cyprinidé (Leuciscus ou Proleuciscus, in Cabanis, 1970 ; Leuciscus in Angelier, 1971).

En 1979, Jean Gaudant a décrit des dents isolées de « Characidae », la famille des poissons à laquelle appartient le terrible piranha d'Amazonie, à partir de récoltes « dans les calcaires à Bithynies et les Sables bleuté du Var ». Ces dents minuscules (moins de 0,5 mm), caractérisées par leurs multiples cuspides (tubercules), proviennent des lavages sur tamis de sédiments, sables et marnes associées aux sables et dans le calcaire sous-jacent aux « Sables bleutés », que Cécile Cornet et Fernand Touraine lui ont fournis, bien après que Touraine ait lui-même signalé la présence de dents de poissons isolées dans les calcaires.

L'intérêt de ce matériel, illustré de manière incontestable jusqu'alors, récolté uniquement dans l'Éocène inférieur du Bassin parisien, du Bassin de Londres, du Languedoc et de Sardaigne est évident. On peut en juger par les illustrations de Cappetta et al. (1972, 1974) et par celles de Théodore Monod et Jean Gaudant (1998) lorsqu'ils ont donné Un nom pour les poissons characiformes de l'Éocène inférieur et moyen du bassin de Paris et du Sud de la France : Alestoides eocenicus nov. gen., nov. sp. Une étude encore plus récente (Gaudant et Smith, 2008) a fait connaître des dents de poissons characiformes de Dormaal (Belgique), à la limite Paléocène-Éocène, c'est-à-dire exactement au même niveau que les mammifères du gisement de Rians selon Marc Godinot. Une dizaine de dents sont décrites comme correspondant au Palaeocharax belgicus nov. gen., nov. sp., qui se distingue à la fois de l'Alestoides de l'Yprésien et des formes provençales (l'Eurocharax) que Gaudant a attribuées à l'Oligocène, en accord avec les arguments de Touraine. Ces dents ont d'abord été considérées comme appartenant à « un Characidé de genre et d'espèce indéterminés », de milieu saumâtre, alors que les représentants actuels de cette famille sont dulçaquicoles. Ce qui pourrait suffire à expliquer leurs particularités. Cependant, aujourd'hui, on est tenté de remettre en question cette affirmation écologique, les « Calcaires à Bithynies » montrant une grande variabilité de salinité dans le temps, allant des eaux douces aux eaux salées d'une couche à l'autre (cf. Angelier, 1971). On a eu, en effet, tendance à privilégier l'information écologique apportée par les lits à Potamides lamarcki ou à striatelles, très espacés, comportant même, encore plus localement, un petit foraminifère très euryhalin, Rosalina bractifera, connu de divers niveaux lacustres parisiens (Le Calvez, 1970) et du Stampien d'Aquitaine (selon Armelle Poignant, 1995), que Jean-Pierre Margerel a identifié dans le calcaire provençal de La Mourotte. On a vu que les bancs à Bithynies, gastéropode dulçaquicole, suggèrent que l'environnement était plus fréquemment d'eau douce ; il serait donc nécessaire de revoir la distribution, couche par couche, des échantillons qui ont fourni respectivement les restes de ce poisson ou/et les mollusques.

En 1980, Jean Gaudant a repris l'étude des squelettes et des dents isolées provenant de quatre sites de « Calcaires à Bithynies » des bassins de Montmeyan (Costebelle et Montmeyan), La Mourotte et Saint Julien-le-Montagné (La Ricarde). C'est le matériel le mieux conservé, que Fernand Touraine avait sélectionné et cédé peu avant sa mort, et le fruit de récoltes nouvelles, dont celles de Costebelle, par Jean Gaudant, qui ont permis d'observer les dents en place sur les mâchoires des poissons. La description plus complète du squelette a conduit à séparer le Barbus rudeli de Piton (un véritable cyprinidé, sinon un Barbus, ce que Gaudant a pu vérifier sur des spécimens de Limagne) de l'espèce de Provence que Gaudant attribue à une espèce de characiforme, c'est-à-dire à un tout autre groupe de poissons : Eurocharax tourainei. Pour Gaudant, cette nouvelle espèce appartient à un nouveau genre « différant nettement par leur denture des Characidae de l'Éocène inférieur... ».

Il ne devrait donc pas y avoir d'ambiguïté sur l'affirmation par Jean Gaudant de la distinction et de la différence d'âge avec les formes de characidés du Sparnacien. Sans parler du contenu explicite du paragraphe concernant l'« âge du matériel étudié » (p. 685), qui rappelle les raisons de l'attribution de ce niveau à l'Oligocène. Cependant, il est vrai qu'un contresens difficilement explicable figure en tête de l'article, dans la rubrique « mots-clés ». Il s'agit de la substitution du mot Éocène à la place d'Oligocène, et de sa traduction (« Éocène inférieur » et « lower Eocene »). C'est en réalité, d'après l'auteur, une initiative du rédacteur de la revue Géobios (après la relecture des épreuves où ne figurait pas encore cette nouvelle rubrique des mots-clés), qui n'a pas cru nécessaire de consulter l'auteur. Erreur qui n'a pu être corrigée que de façon manuscrite, sur les tirés-à-part.

Ce n'est pourtant pas cette « coquille » qui est à l'origine de la nouvelle controverse, remettant en question l'âge oligocène des « Sables bleutés » varois à travers une nouvelle étude de poissons fossiles. En 1996, Antonio de la Pena Zarzuelo publie la découverte de dents de characidés dans l'Éocène inférieur du bassin d'Ager, en Catalogne (au sud des Pyrénées centrales), qu'il replace dans une synthèse sommaire de l'histoire biogéographique de cette famille, en malmenant quelque peu les données bibliographiques. De la Pena a rapproché les dents d'Espagne du genre Alestes mais s'est contenté de les rapporter à la famille des characidés. Il remet aussi en question tous les apports de Gaudant, et en particulier l'âge oligocène de l'Eurocharax tourainei (« doubtfull » [sic]), en utilisant de manière erronée les travaux de Plaziat (1981, 1984). Comment expliquer qu'il se réfère expressément à la thèse inédite (« Plaziat, 1984, pp. 449 et 450 ») pour écrire le contraire de ce qui y est écrit : « according to Plaziat, 1984 », Eurocharax se trouverait avec (« together with ») des restes de mammifères d'âge Éocène inférieur ? Il ajoute même que « based on data from Plaziat (1984), Eurocharax is from the lower Eocene too », alors qu'il admet que « Plaziat considered that the vertebrates remains » de Rians « were contained in reworked blocks in the sand formation ». Une difficulté de lecture du français est donc exclue. Il reste la possibilité d'un aveuglement lié à la volonté de faire « un coup » (on dirait aujourd'hui « le buzz ») en imposant une conception révolutionnaire mais déjà soutenue par les maîtres de sa directrice de thèse dès les années 1970. Il conclut donc ainsi : « Considering available data, characiforms are only known from the lower Eocene of Western Europe. A second characiform immigration (Gaudant, 1979, 1980, 1993) is not supported ». En effet, si les Eurocharax oligocènes de Provence étaient exclus, l'histoire des relations entre les provinces biogéographiques (ichthyologiques) continentales eurasiatique, africaine et américaine, devrait être évidemment réécrite. Notons, par ailleurs, que Jean Gaudant a montré l'existence d'une troisième vague de migration, depuis l'Afrique, au Miocène, avec d'autres characiformes proches du genre actuel Alestes dans le Miocène moyen de Sansan, dans le Gers (Gaudant, 1996).

La publication dans une revue réputée (Copeia, une revue de zoologie, ce qui est un choix pour le moins étonnant pour traiter d'un sujet essentiellement géologique), qui a largement diffusé ce jugement dogmatique préjudiciable à la réputation des travaux de Jean Gaudant, aurait dû justifier l'ouverture de ses colonnes à une brève justification. Le procédé répréhensible qui consiste à retourner les témoignages favorables (Plaziat, 1984) s'apparente fâcheusement à ceux des « négationnistes ». Mais le plus étonnant est que le comité de lecture ait refusé en 1998 ce droit de réponse à Jean Gaudant lorsqu'il a proposé un texte destiné à rectifier les erreurs factuelles de De la Pena. Du point de vue de l'histoire des sciences, cette décision éditoriale nous paraît surtout intéressante parce qu'elle nous permet de souligner l'évolution générale des comportements vis-à-vis des controverses. Il est vrai que nous sommes alors au tournant du siècle dernier, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà dit, au moment où le rejet des polémiques commence à justifier tout refus de publication des arguments qui pourraient nourrir des controverses, fussent-elles scientifiquement nécessaires. On peut aussi remarquer que la publication de contre-vérités engage plus ou moins le comité de lecture d'une revue, qui ne souhaite pas nécessairement se déjuger lorsqu'il a laissé diffuser ce type de remise en cause spectaculaire. erronée. C'est tout à fait représentatif de la nouvelle conception des discussions scientifiques, y compris en géologie, où le franc-parler était de tradition, qui s'est encore plus généralisée au début du nouveau millénaire, en même temps que la volonté de promouvoir le « politiquement correct ». Ce qui n'est pas anodin du point de vue éthique, mais aussi épistémologique,.

Il paraît inutile de commenter longuement les conclusions qui découlent des études concernant ces poissons. En effet, l'Eurocharax tourainei n'est pas connu en dehors de l'environnement bien particulier de cette partie de la Provence. On doit seulement souligner qu'il diffère nettement des autres Characiformes d'Europe d'âge éocène inférieur, ce qui est favorable à un âge oligocène et non à l'âge éocène inférieur, même limité à la base des « Sables bleutés ».

Conclusion

Nous avons voulu détailler dans le cadre des Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie le déroulement de la controverse sur l'âge des « Sables bleutés » du Haut-Var (et des dépôts associés), parce que cela semble un épisode représentatif de l'évolution des comportements des chercheurs et du contexte de la diffusion des progrès de la recherche, dans notre microcosme de la géologie française, pendant les cinquante dernières années : ce demi-siècle de bouleversements, qui a dû progressivement assumer les effets heureux et pervers de la mondialisation de la recherche. Les changements de priorités et l'émergence des disciplines géologiques plus proches des sciences dures ont redistribué les places dans la hiérarchie des besoins en moyens et en personnels. Nous verrons que, sur le point de disparaître, des disciplines ont accepté de se tourner vers les chercheurs amateurs ; cela ne va pas sans difficultés.

Pour caricaturer, on pourrait dire que cette controverse est, pour une bonne part, l'illustration polémique des relations difficiles entre amateurs et professionnels académiques, entre provinciaux et parisiens, entre « coquillards » et spécialistes des vertébrés fossiles, etc. Mais si l'on se penche sur le dossier, en prenant soin de donner la parole à tous les protagonistes et en mettant au clair les contributions qui ont été enfouies ou sont restées méconnues, il nous paraît évident qu'il s'agit d'une tranche d'histoire de notre discipline dont il n'y a pas de raison d'avoir honte. Malgré quelques dysfonctionnements, cette controverse s'est déroulée au grand jour, favorisée par un contexte éditorial qui permettait de prendre à témoin un vaste public, et dont on peut d'ailleurs regretter la disparition. Aujourd'hui, cette controverse mineure, régionale, ne trouverait plus de cadre respectueux des opinions contradictoires ; c'est une page tournée, qui appartient à l'histoire. Mais, pour les optimistes, il n'est pas inévitable que cette évolution que nous considérons comme une régression soit définitive : les nouveaux médias pourraient reprendre le flambeau s'il existait une volonté de recommencer à débattre.

Certes, la mondialisation en marche explique bien des détériorations structurelles apparemment irréversibles, en particulier en ce qui concerne les conditions de diffusion matérielle (imprimée, c'est-à-dire archivable durablement) des travaux originaux, mais qui ne peuvent pas prétendre révolutionner d'un coup la science. Cependant, il n'est pas interdit d'espérer que de nouveaux espaces de liberté soient réservés, à l'avenir, dans les colonnes de revues imprimées et numériques, qui ont l'ambition de tenir la communauté au courant de l'actualité géologique. Les conséquences de trouvailles locales sont parfois déterminantes à l'échelle des conceptions générales, comme par exemple, ici, dans la mise en évidence des relations géodynamiques inter-régionales (Pyrénées, Provence, Alpes occidentales) à l'intérieur du domaine alpin.

Il semble aussi utile de revenir sur le statut de géologue amateur et sur son évolution au cours des dernières décennies. Si nous avons qualifié d'amateurs d'anciens professeurs de l'enseignement secondaire, c'est que ces personnalités hors du commun n'étaient pas intégrées à des laboratoires universitaires ou autres. L'abbé Rey est entré tardivement au CNRS et il est resté solitaire ; Fernand Touraine n'a vraiment abordé la géologie du Haut-Var qu'après sa retraite de l'enseignement, à plus de soixante ans. Mais qu'en est-il de leur formation à la recherche et comment se différencie-t-elle de celle des professionnels de la même époque ?

Roger Rey était professeur de sciences dures (physique), sans rapport direct avec la paléontologie, qui est devenue sa spécialité au moment où nous nous intéressons à lui ; mais Fernand Touraine est passé par l'École normale supérieure de Saint-Cloud, dans le cadre de l'enseignement supérieur des sciences naturelles de la Sorbonne. Comme Jean Aubouin, Jacques Angelier et tant d'autres personnalités éminentes de l'encadrement de la recherche de la fin du XXe siècle. Cependant, il ne faut pas croire que les écoles supérieures et l'université fournissaient alors une véritable initiation à la recherche, avant la création de la thèse de troisième cycle (en 1970). Le seul « compagnonnage » que proposaient ces établissements était le Diplôme d'Études supérieures, obligatoire pour préparer l'agrégation, mais dont l'encadrement était extrêmement variable et le plus souvent réduit à peu de temps, sans véritable apprentissage jusqu'au moment de la rédaction du mémoire. Nous ignorons le sujet du mémoire demandé à Fernand Touraine, en 1925, mais tout porte à croire qu'il ne s'agissait pas de géologie. C'est donc en parfait amateur qu'il commença à se passionner pour la géologie de la région d'Aix-en-Provence, trente ans plus tard, peu avant 1960. Ses lectures et la fréquentation de l'université de Marseille sont les bases de sa formation régionaliste et l'origine de ses réactions critiques, plus que son lointain cursus universitaire parisien. Il faut d'ailleurs admettre que le niveau des enseignements reçus pendant l'entre-deux-guerres, comme de celui qui était encore proposé autour de 1960 (nous nous devons d'en témoigner), n'était pas favorable à une entreprise de révision critique des conceptions géodynamiques régionales. Il n'a pas reculé devant la complexité tectonique de la montagne Sainte-Victoire, mais il a d'abord publié sur la stratigraphie de la limite Crétacé-Tertiaire. Touraine a commencé, en effet, par chercher des fossiles, mais peut-être avec plus de méthode et avec plus d'acharnement que la moyenne des amateurs ses contemporains (oeufs de dinosaures et d'oiseaux, mollusques variés des calcaires connus jusque-là pour leurs seules Bithynies d'eau douce). Puis la confrontation de ses acquisitions avec les connaissances de l'époque l'ont amené à réfléchir sur les conséquences de ses découvertes en ce qui concerne la stratigraphie locale, mais aussi en les replaçant dans le cadre de l'histoire tectonique de la Provence. Le bon sens du néophyte l'a ensuite poussé à diversifier ses arguments, au fur et à mesure que ses idées se heurtaient à l'incompréhension et au refus des « savants ». En particulier, peu avant 1966, il a demandé l'aide de l'abbé Rey pour les mollusques des séries réputées continentales qui allaient se révéler oligocènes. Un choix aventureux, mais justifié par l'extrême rareté des spécialistes de ces faunes, à l'époque. En effet, les éminents représentants de la recherche académique ont naturellement douté d'une telle remise en question, par deux amateurs, de conceptions entérinées par des décennies de recherches (sans nouvelles découvertes jusque-là), et, qui plus est, venaient d'ailleurs d'être synthétisées (Aubouin et Mennessier, 1963).

La combinaison de recherches de terrain - échantillonnages de fossiles, identification d'unités stratigraphiques et de leur succession, report sur carte des données (il ne prétend pas à une véritable cartographie géologique, au début, puisqu'il reprend celle d'Angelier) -puis la recherche de paléontologues dont les spécialités reconnues puissent donner un avis non contestable, constitue une méthodologie tout à fait moderne. C'est alors ce qui se fait de plus rigoureux, dans l'esprit d'une rénovation des méthodes de la recherche scientifique : dans les sciences naturelles et surtout dans les sciences humaines comme l'archéologie et l'histoire, la pluridisciplinarité semble triompher. L'isolement, dans leur discipline, de spécialistes trop confiants en leur compétence, paraît dépassé. Mais pour combien de temps et après quels combats d'arrière-garde ? Touraine s'en est immédiatement aperçu, avec la levée de boucliers des paléomammalogistes. C'est en ce sens que la controverse - polémique sur l'âge des « Sables bleutés » - prend un intérêt épistémologique. Le refus de débattre sur le terrain, avant la fin de la fouille de Rians, est l'illustration d'une attitude malsaine d'exclusion de tout risque de mise en cause de la suprématie des mammifères fossiles. Alors que Touraine ne cesse de dire qu'il reconnaît l'âge « sparnacien » de ces fossiles et conteste uniquement leur autochtonie. Les paléontologues n'ont pas voulu l'entendre, ni entendre les sédimentologues qui avaient pourtant de solides arguments. Ce refus dépasse donc le seul rejet de l'amateur Fernand Touraine qui conteste un des fondements locaux (stratigraphique) des travaux des géologues structuralistes ; c'est aussi la personnalité de l'abbé Rey qui est la cible visée derrière Fernand Touraine, puisqu'il a été le premier à fournir les arguments favorables à l'âge oligocène des couches litigieuses.

Nous avons vu que la fiabilité des identifications de mollusques « continentaux » par Roger Rey est, à l'origine, le point le plus discuté de la controverse. Mais la priorité concernant le doute sur l'identification d'espèces oligocènes a fait rapidement place à une recherche plus invraisemblable mais plus classique en termes de géologie de terrain : on a essayé, dans un deuxième temps, de séparer artificiellement les dépôts finalement reconnus comme bien datés de l'Oligocène (les calcaires) de ceux qui sont désignés comme le dernier niveau paléogène en rapport avec la tectonique régionale (les sables), pour atténuer les dégâts de la démonstration de l'âge oligocène des « Calcaires à Bithynies ». Et pourtant, toutes les cartographies montrent que les calcaires (oligocènes) sont chevauchés, comme le sont les sables. Alors on a affirmé (Debrand-Passard et al., 1984, après la suggestion de Jean Aubouin, en 1966) que les « Sables bleutés » seraient constitués de deux unités sédimentaires identiques, séparées par une lacune de 15 millions d'années, imperceptible sur le terrain. En refusant de voir que « les sables supérieurs » associés aux « calcaires lacustres du type Montmeyan » se trouvent précisément sous les chevauchements. Il est vrai qu'à cette date il est devenu plus important de justifier l'autochtonie du gisement de mammifères de Rians que de discuter l'âge des chevauchements provençaux.

Touraine et bien d'autres avaient répondu à l'avance à ces deux types d'objections, mais les acquis bibliographiques, comme les autres apports historiques s'oublient si facilement ! Plusieurs auteurs, indépendamment, avaient balayé le doute sur la généralité de la position des « Sables bleutés » au-dessus des « Calcaires à Bithynies » (et potamides, striatelles, etc.). Dès 1966 et jusqu'à 1978, Fernand Touraine a, lui aussi, affirmé que cette succession est générale et que l'âge oligocène du terme inférieur doit être évidemment étendu aux sables chevauchés par des écailles de Jurassique. D'autre part, bien qu'il soit parti du changement de chronologie fondé sur l'apport de l'abbé Rey, il ne s'est pas contenté des informations biostratigraphiques des mollusques ; il n'a eu de cesse de diversifier ses informations, même s'il est vrai qu'il n'a pas été immédiatement récompensé de son éclectisme, les premiers spécialistes consultés (ceux des charophytes et des ostracodes) n'étant pas encore clairs dans leur interprétation chronologique du matériel examiné. Cependant, sa confiance dans la compétence de l'abbé Rey n'avait pas de raison d'être ébranlée puisque, lorsqu'il a fait appel à d'autres spécialistes des mollusques, étrangers ou français, le sérieux de ces identifications a été confirmé. Cela n'empêche pas que les mollusques soient formellement mis en accusation, en 1973, sous le prétexte (inexact) que la suprématie des mammifères fossiles serait contestée. Il s'agissait en réalité d'un abus d'interprétation des thèses de Fernand Touraine, qui n'a jamais contesté l'âge éocène des mammifères fossile de Rians, mais seulement invoqué leur remaniement, isolés ou en masse. L'attaque de Léonard Ginsburg (1973) n'est pas uniquement dirigée contre les identifications des fossiles du Haut-Var, mais c'est évidemment le principal objectif. La rumeur sur les erreurs stratigraphiques passées de Roger Rey incite à récuser le spécialiste des mollusques. C'est trop injuste, puisque c'est à Roger Rey que l'on doit la première caractérisation de l'Oligocène nord-varois, reconnue par la plupart des connaisseurs régionaux. Mais il est facile d'inoculer le doute en évoquant d'autres contestations (justifiées, celle-là). Même si Touraine et Rey nous paraissent avoir efficacement contré cette attaque en citant les nombreux spécialistes français et allemands qui ont confirmé les identifications et l'âge du Potamides lamarcki et de l'ensemble des striatelles. Mais il est évident que ces preuves sont, encore aujourd'hui, de peu de poids en face de la rumeur...


Fig. 16. Une maquette de planche photographique restée inédite, jointe à une copie-carbone d'une première version de la note présentée par Fernand Touraine lors de la réunion de la Société géologique de France du 5 février 1973. Ce « tapuscrit » m'a été envoyé par l'auteur peu avant la séance, et la figuration de Potamides lamarcki n'était probablement pas destinée à la publication. Je l'interprète comme une demande de confirmation de l'identification de cette espèce caractéristique de l'Oligocène, pour exclure tout risque de similitude avec les potamides de l'Éocène inférieur languedocien dont j'étais, à l'époque, l'un des connaisseurs. Mon avis, exprimé aussi dans mon intervention lors de la séance, a été repris par Fernand Touraine, avec ceux de Juliette Villatte et Georges Truc, dans la publication au Compte Rendu de la Société géologique de France, et Claude Cavelier l'a confirmé ultérieurement. Cette recherche de confirmation de la valeur stratigraphique des identifications de mollusques de Roger Rey, par de nombreux spécialistes et pour des groupes paléontologiques les plus variés, est une des caractéristiques de l'efficace modestie de ce chercheur courageux et persévérant. Après sa mort, tous les travaux biostratigraphiques traitant de ces dépôts (« Calcaires à Bithynies » et « Sables bleutés ») ont confirmé le bien fondé des résultats acquis avant 1980, qu'il n'avait pas réussi à faire entendre et qui n'ont pas été reconnus jusqu'à aujourd'hui, puisqu'en 2012 Jean Philip peut encore écrire que « la question soulevée par Fernand Touraine reste, décidément, d'actualité ».

En effet, ce qui est resté après la mort des deux perturbateurs (1978, 1980), c'est l'impression d'incertitude, fondée en partie sur une contestation vague mais persistante de la compétence des auteurs de la découverte de l'Oligocène nord-varois. D'autre part, cette « tempête » était ramenée aux proportions d'une querelle de clochers, sans grandes conséquences. Sans voir ce que les rapports entre l'histoire géodynamique de la Provence et des Alpes pouvait apporter aux discussions sur la véracité des nouveaux paradigmes : sur la rigidité des continents à la périphérie des grands systèmes montagneux, ou encore sur la notion de domaines adjacents dont l'histoire tectonique différerait cependant nettement. De telles problématiques (comme la tectonique orogénique gravitaire des années 1960-1970) ne sont peut-être plus de mode aujourd'hui ; c'est pourquoi nous nous contenterons de soulever ces questions de géologie structurale, sans même envisager d'attribuer à Fernand Touraine une telle ambition. Mais, autour de 1970, on constate que les géologues alpins n'ont pas prêté attention aux possibles pistes que les découvertes de deux amateurs provinciaux leur ouvraient. On préférait s'engouffrer dans les applications à toutes échelles de la tectonique des plaques lithosphériques, sans se rendre compte que ce « petit lopin de terre » provençal, du continent européen où est née la géologie alpine, pouvait servir à mieux comprendre les effets à distance des collisions génératrices de chaînes de montagnes, à travers une chronologie précise des épisodes de compression et de distension du proche avant-pays alpin.

On est loin de l'impression d'injustice personnalisée, affectant la réputation de deux chercheurs isolés, qui nous a inspiré initialement. Ce donquichotisme s'est renforcé de la prise de conscience que l'on n'avait pas encore, à la fin du XXe siècle, reconnu la valeur du précieux réservoir d'idées et de main d'oeuvre intellectuelle (et physique) que les géologues amateurs représentent (et ont toujours représenté) pour la recherche en géologie (mais aussi en astronomie, etc.), en France comme partout ailleurs dans les pays développés.

Nous voudrions laisser l'idée que le rôle de ces amateurs aurait pu être mieux reconnu et valorisé. Mais il est juste de replacer cet épisode dans son cadre historique. Par exemple, depuis la fin du XIXe siècle, la récolte et l'étude des mollusques fossiles est passée des mains des amateurs, presqu'exclusivement (on pense à Maurice Cossmann, au premier chef), à celles de spécialistes professionnels, dans le cadre d'équipes plus ou moins étoffées, où les connaissances se sont diversifiées en s'appuyant sur l'étude des formes actuelles les plus proches. À partir du milieu du XXe siècle, la professionnalisation s'est accélérée au-delà de la recherche universitaire (CNRS, Muséum national d'Histoire naturelle et musées provinciaux). L'abbé Rey en a bénéficié pour son recrutement au CNRS, en 1956, mais il est resté isolé comme il l'était auparavant, sans profiter de conseils de spécialistes expérimentés et des critiques d'alter ego. Ce fut donc, tout au plus, la reconnaissance d'un amateur de haut niveau. Il est vrai que beaucoup des géologues universitaires nouvellement recrutés se sont pris également pour des malacologistes (Jean-Claude Plaziat, par exemple), sans formation spécifique. La réputation de Roger Rey a donc pâti à la fois de son manque de formation initial mais aussi d'un manque de moyens dû à son isolement et de l'enfermement qu'il n'a pas su rompre, sauf peut-être en fin de carrière. Il est également vrai que, à cette époque, les mérites du travail en équipes n'étaient pas reconnus et encore moins valorisés, en France, à cause de la conception individualiste de la thèse d'Etat (pour Roger Rey, en 1966). L'innovation solitaire était encore privilégiée. La compétence collective garantie par un nombre suffisant de chercheurs dans la même spécialité n'a été reconnue comme indispensable au progrès que dans les décennies suivantes.

Cependant, l'intérêt pour les mollusques, du point de vue stratigraphique, a continué à décliner avec le succès croissant de la micropaléontologie, pendant la seconde moitié du XXe siècle. Leur utilité a progressivement été contestée et, le recrutement se tarissant à la suite du départ en retraite des spécialistes, le recours aux mollusques a périclité. D'ailleurs, la désacralisation des spécialités de la paléontologie stratigraphique des invertébrés fut alors un processus général, chacun pouvant se prétendre compétent en matière de biostratigraphie. C'est même la paléontologie des invertébrés dans son ensemble (en dehors de certains foraminifères et autres microorganismes) qui a été écartée des priorités et qui a été progressivement mise sur la voie de l'extinction, dans le cadre académique, bien avant la disparition de l'abbé Rey (1978). Pour la stratigraphie des dépôts continentaux, il n'y a plus eu de place que pour ceux des vertébristes qui étaient valorisés par les nouvelles conceptions de l'Évolution.

Mais l'extinction des invertébristes survivants dans les laboratoires du XXe siècle (jusques et y compris les spécialistes des ammonites) a conduit au retour à la nécessité de faire appel aux amateurs pour réunir des collections de qualité internationale. L'étude de ce matériel se partage, dès lors, entre les rares spécialistes professionnels de réputation mondiale, souvent étrangers, et quelques spécialistes amateurs dont la compétence est garantie par les échanges mondialisés et les exigences de leurs pairs professionnels lorsqu'ils osent se lancer dans la publication de leurs travaux (on pense aux spécialistes des Sélaciens). Cette association des forces et des compétences ne va pas sans difficultés et parfois sans défauts résultant des maladresses par insuffisance d'apprentissage de la communication écrite. Cependant, il est clair que le rôle des géologues amateurs, encadrés par des professionnels bienveillants, c'est-à-dire soucieux de mettre en valeur leurs contributions, doit être aujourd'hui un des projets de la recherche dans les domaines où une coûteuse technologie n'est pas nécessaire. Comme on a déjà commencé à le prouver en astronomie, en paléontologie et dans bien des activités de terrain liées à la sédimentologie. La synergie de ces collaborations fructueuses s'est révélée irremplaçable dans le contexte de pénurie de moyens humains du XXIe siècle. Faut-il y voir le nécessaire retour du rôle déterminant des amateurs en géologie ? Nous le souhaitons pour notre part, à condition que leur encadrement soit assuré et que la prise de conscience de la valeur de patrimoine collectif des collections soit contractuellement reconnue. Dans de telles conditions, on peut espérer qu'on ne serait pas aujourd'hui à regretter la disparition des collections de Fernand Touraine et de Roger Rey, indispensables pour clore cette controverse.

Est-ce qu'un tel plaidoyer a sa place dans une étude consacrée à un épisode mineur de l'histoire de la géologie ? Nous admettons que cela se discute, mais il est certain que les particularités de l' « histoire immédiate » encouragent à tirer des leçons que doit s'interdire l'historien des siècles éloignés. Peut-être y verra-t-on un témoignage légèrement partial d'un témoin encore vivant, qui peut faire rebondir la polémique, mais qui peut aussi faire réfléchir sur l'évolution de nos relations intellectuelles à l'intérieur de la petite communauté des géologues concernés par les données de terrain ; en espérant que les géologues qui affrontent les éléments du plein air, et les réalités têtues des affleurements géologiques, ne soient pas une race en voie de disparition.

Remerciements :

Jean Gaudant a su contrôler et guider cette délicate enquête dans les limites d'une véritable objectivité. C'est un difficile exercice, d'autant que plus d'un protagoniste est encore en mesure de contester les possibles inexactitudes de ce travail, qui ne peut d'ailleurs pas prétendre à une totale indépendance d'opinion. Comme tous les aventuriers de l'histoire contemporaine, j'en assume le risque, naturellement. J'ai découvert un peu tard l'intérêt porté à l'âge des « Sables bleutés » (plutôt qu'à cette controverse), par Jean Philip et par Éric Buffetaut. Ce travail d'historien-chroniqueur n'a certes pas la prétention de résoudre ce qui reste de l'énigme stratigraphique. Je remercie cependant tout particulièrement Jean Philip pour les compléments qu'il ma apportés lorsqu'il a eu en main mon travail, transmis dans une version extrêmement proche de celle-ci. Son désaccord sur mon appréciation des mérites de Touraine se fonde sur une expérience différente de la mienne, qui est aussi fonction des observations de terrain sur lesquelles il diverge de celles de Touraine, que je me contente de rapporter ici. J'insiste sur l'ambition strictement historique de ma contribution : je peux admettre que Fernand Touraine se soit trompé, mais ce que j'ai voulu mettre en évidence, c'est que les éléments dont on disposait (au moins à partir de 1973) auraient dû conduire à reconnaître que les arguments publiés par Touraine (et d'autres auteurs favorables à l'âge oligocène) l'emportaient alors. C'est ce que j'ai cherché à mettre en avant, quitte à les reconsidérer aujourd'hui s'ils ne sont plus suffisants. J'ai cependant complété le dossier avec des données acquises après la disparition de Touraine, pour montrer que de tels arguments n'étaient pas le fruit de son imagination, mais étaient dignes d'examen, et non de la dérision qui accompagne les jugements d'incompétence. Il est évident que le champ reste ouvert pour de nouveaux labours fructueux qui n'ont pas le même objectif que ce point de vue d'historien souhaitant démêler les rôles de la polémique et du contexte historique de la recherche à la fin du XXe siècle. J'ai requis l'aide précieuse de témoins des mérites de Fernand Touraine et de Roger Rey ; en particulier Denise Nury, ancienne élève du professeur d'École normale, et Jean-Marc Viaud, proche de l'abbé Rey, qui m'ont fourni des informations objectives sur leurs carrières respectives. Jean-Marc Viaud, m'avait d'ailleurs envoyé une collection complète des travaux de l'abbé Rey peu après son décès. Je les remercie tous deux très sincèrement. Fernand Touraine, en acceptant de me guider dans une visite « de curieux » des sites du Haut-Var (en 1972), m'a permis de joindre mes observations à celles des nombreux contributeurs de terrain, du temps de la controverse. C'était avant que le virus de l'histoire de la géologie n'ait atteint mon maître, François Ellenberger, et m'ait secondairement contaminé.

Mon interprétation du contexte écologique des malacofaunes oligocènes ne serait pas ce que je propose aujourd'hui, sans les connaissances acquises sur les environnements actuels, marins et continentaux, à salinité variable ou d'eau douce, des régions méditerranéennes aux tropiques. Parmi les aides bienveillantes qui m'ont été précieuses, en rapport avec ce sujet, je ne citerai que Jean-Charles Fontes et Bruce Purser, familiers des tropiques, pour mon incorporation dans leurs recherches sur la sédimentation moderne en Afrique et au Moyen-Orient, dans le cadre de missions « actualistes » et au laboratoire. Mais ils sont évidemment bien plus nombreux ceux qui m'ont permis d'accumuler des observations sur les peuplements méconnus de lacs salés, de lagunes et d'estuaires actuels et fossiles, au cours des quarante années écoulées. À tous, je dois de sincères remerciements, même si j'ai parfois dû voler un temps précieux sur les missions pour nourrir ma marotte de paléoécologiste environnementaliste. L'interprétation de la série oligo-miocène des Limagnes est le trait d'union entre ces études dans l'Actuel et celles des lacs salés modernes et fossiles, comme celui d'Aurillac qui m'a conduit jusqu'à la géochimie des coquilles de Potamides lamarcki lacustres, en collaboration avec Danielle Briot, à qui j'ai fourni les coquilles de référence, continentales et marines, dans l'Actuel et le Quaternaire. Pierre Lozouet a joué un rôle essentiel dans mon initiation aux étonnants problèmes de la stratigraphie de l'Oligocène, en France, lorsqu'il m'a entraîné dans l'aventure d'une synthèse en partie historique, pour la publication du volume Stratotype Stampien (2012). Après cette plongée de trois ans dans l'épaisseur des siècles de la mise au point de plusieurs des méthodes de la géologie, à partir du Tertiaire du Bassin de Paris (jusqu'aux conceptions cycliques eustatiques), l'intermède de six mois pour la mise au point, en historien, de ce compte rendu d'une controverse scientifique locale, est un retour rafraichissant à une réflexion personnelle, correspondant à une expérience partagée par une partie des lecteurs. Il me semble que cette analyse historique méritait bien d'être explicitée, ne serait-ce que pour les plus jeunes. Merci d'avoir été jusqu'au bout de ce dossier inhabituellement volumineux, lecteur ou lectrice de ce travail de témoin engagé, qui relève peut-être trop des conceptions personnelles de la recherche de l'auteur, que vous soyez bienveillant(e) ou très énervé(e), ou les deux.

Références

En espérant que cette interdiction ne soit pas généralisée à l'avenir !

Post-scriptum

Quarante ans après le refus de juger la démonstration par Fernand Touraine et Roger Rey de l'âge oligocène des Sables bleutés, j'ai tenté de faire rendre justice à leur démarche que je juge, pour l'époque, particulièrement respectable et satisfaisante (Plaziat, 2013, et surtout ce dossier présenté oralement). Aujourd'hui, selon Jean Philip (2013), de nouvelles données pourraient remettre (partiellement ?) cette conclusion en question. Le responsable éditorial de Géochronique m'ayant demandé de renoncer à mon droit de réponse, je me contenterai de demander au lecteur de vérifier que j'ai répondu (par avance) aux objections de Jean Philip. Mais cela n'atténue pas le regret que l'on doit avoir de pratiques dévalorisant les meilleurs géologues amateurs. Mon enquête historique veut aussi souligner l'évolution des conditions de diffusion des idées innovantes et s'attacher à l'évolution des modes de raisonnements qui devraient être logiquement plus intemporels. Je n'ai d'ailleurs pas trouvé de véritable argument décisif dans les observations de Jean Philip à la thèse que je défends. Seules les observations démontrées auront évidemment le dernier mot.

Références

    PLAZIAT, J.-C. (2013). La controverse sur l'âge des Sables bleutés du Var (1966-1980 ... 2013). Géochronique, 127, p. 13-15.

    PHILIP, J. (2014). Observations sur l'article de Jean-Claude Plaziat : « La controverse sur l'âge des Sables bleutés du Var (1966-1980 ... 2013) ». In GÉOCHRONIQUE, N° 127, p. 13-15. Géochronique, 128, p. 4-6.

Addendum

Au souci légitime de déplorer l'éventuelle disparition de la collection de mollusques de l'abbé Rey, une enquête récente apporte une réponse réconfortante : cette collection a été léguée, peu avant son décès, à l'université de Mayence (Johannes-Gutenberg-Universitat, Institut fur Geowissenschaften) et le professeur Kirsten I. Grimm est disposée à cataloguer les échantillons qui ne sont pas encore déballés. Un commentaire de ce catalogue sera mis à la disposition des chercheurs français dès que possible. Nous nous réjouissons que les paléontologues allemands aient fait bon accueil à ce matériel précieux que les Français n'ont pas su apprécier à sa juste valeur. La préservation des collections de professionnels et d'amateurs demeure d'ailleurs toujours un problème d'actualité.