TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.I (1987)

Charles POMEROL
Histoire géologique de Paris à travers les noms de rues.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 27 mai 1987)

Au cours de sa longue histoire Paris a conservé, à travers ses noms de rues, non seulement la mémoire de son passé historique mais aussi celle de ses ressources en eau, des matériaux extraits de son sous-sol, de leur utilisation et de leur rôle dans la morphologie, sans oublier le nom de quelques-uns de ses enfants qui, devenus des savants, ont illustré les Sciences de la Terre.

La substance de cet article est extraite du Guide géologique "Paris et environs. Les roches, l'eau et les hommes" par Ph. Diffre et Ch. Pomerol, Masson éditeur, Paris, 1979.

I. Les pierres de Paris.

Les principales exploitations ont été celles du Calcaire grossier sur la rive gauche de la Seine, du gypse sur la rive droite, de l'argile plastique à Vaugirard et des alluvions grossières des terrasses de la Seine.

1°)-Emplacement d'anciennes carrières.

Carrières (Impasse des) (16ème arr.) - Exploitation de calcaire grossier à Passy.

Carrières d'Amérique (19ème arr.) - Ancien chemin des carrières, doit son nom aux exploitations de gypse qui était expédié, transformé en plâtre, en Amérique française.

2°)-Argile.

Auteuil (16ème arr.) - Peut-être altus locus - lieu élevé au-dessus de la Seine - ou ad tegulum - vers les tuiles - à cause des gisements d'Argile plastique (Sparnacien).

Briqueterie (14ème arr.) - La briqueterie qui existait dans cette rue exploitait l'Argile platique du quartier de Vaugirard au 19ème siècle (Sparnacien).

Tuileries (jardin des) (1er arr.) - Le palais des Tuileries fut commencé par Catherine de Médicis sur l'emplacement d'anciennes fabriques de tuiles exploitant sur place les limons quaternaires. Les jardins contenaient plusieurs curiosités dont la grotte de Bernard Palissy, précurseur de la géologie, qui y avait établi ses quartiers. On a retrouvé les vestiges de ses ateliers, de son four et de ses moules vers le Carrousel. Il est vraisemblable qu'il a utilisé les alluvions argileuses de la Seine pour ses célèbres travaux sur la céramique.

3°)-Grès et graviers.

Gravelle (12ème arr.) - Du lieu-dit dans le bois de Vincennes en relation avec les graviers des alluvions anciennes de la haute terrasse.

Gravilliers (passage des) (3ème arr.) - Du nom des ouvriers chargés de l'extraction des graviers dans les alluvions anciennes de la Seine ou bien des "graveliers" qui préparaient la "cendre gravelée" par calcination des lies de vin séchées utilisées comme mordant pour la préparation de la teinture des peaux et des étoffes.

Grès (place des) (20ème arr.) - Elle se rapporte à un ancien dépôt de pavés.

Gros Caillou (7ème arr.) - Un bloc alluvial de grandes dimensions transporté par les glaces lors de la débâcle de printemps en climat périglaciaire, appelé le Gros-Caillou était situé vers l'intersection de nos rues Saint-Dominique et Cler. Il indiquait les limites des terres des abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève et aurait été détruit avec des explosifs vers 1738.

4°)-Sables.

Grenelle (7ème arr.) - Au 15ème siècle, grand chemin de Gamelle à cause de l'ancienne Garenne où il conduisait, appelé plus tard chemin de la Forest, petit chemin de Grenelle, rue Garanelle, des Guarnelles, de Guernelles : terrain sablonneux ingrat (alluvions) si pauvre que l'on y installa le Champ de Mars.

Sablière (14ème arr.) - Elle conduisait à une sablière d'alluvions anciennes dans le quartier de l'avenue du Maine.

Sablonnière (15ème arr.) - L'ancienne ruelle de la Sablonnière formait avec l'actuelle rue Miollis un chemin conduisant de la barrière des Paillassons (Bd Garibaldi) à la Sablonnière de Vaugirard (alluvions anciennes).

Sablons (16ème arr.) - Sur l'affleurement des sables de Beauchamp de la colline de Passy ; jusqu'en 1891, cette rue comprenait également la partie dénommée maintenant rue Cortambert.

5°)-Calcaire grossier (Caillasses).

Chaillot (10ème arr.) - Chaille est un des plus anciens mots de la langue française, antérieur aux Romains et aux Celtes, donc pré-indoeuropéen. Variante du mot caillou, il désigne comme celui-ci une pierre dure ; chaillot, une grosse pierre dure. Précisément, on est ici au niveau des caillasses, niveau supérieur du Lutétien, à bancs silicifiés, durs. D'où le chaillot, gros bloc dur. Il est possible que celui-ci ait été érigé en menhir par les Mégalithiques et qu'il y ait eu ici un lieu de culte antérieur au christianisme.

Les abords du Palais de Chaillot sont un des rares endroits de Paris où l'on peut encore voir en place des bancs de Calcaire grossier, toujours bien exposés, par ailleurs, dans quelques carrières souterraines comme les catacombes.

6°)-Gypse et marnes associées.

Plâtre (4ème arr.) - Elle portait déjà ce nom en 1280 à cause du gypse que l'on y cuisait.

Platrières (20ème arr.) - Ancienne impasse des Carrières à cause des exploitations de gypse.

Portes Blanches (18ème arr.) - Cette rue est située au NE de la butte Montmartre (entre le boulevard Ornano et la rue des Poissonniers) à la limite du gypse exploitable (3ème et 4ème masses). Elle se prolongeait autrefois jusqu'à la rue du Ruisseau.

Blanche (9ème arr.) - Partie d'un ancien chemin conduisant aux carrières de Montmartre - appelée d'abord "de la Croix blanche" de l'enseigne d'un cabaret. De Rochegude (Promenades dans toutes les rues de Paris par arrondissements, Hachette 1910, 20 vol.), propose deux explications pour cette couleur : poussière due au passage des voitures chargées de plâtre ou expression "Porte blanche" appliquée à l'entrée d'une carrière située vers la rue Tholozé. Elle aboutit à la place Blanche, autrefois place de la Barrière Blanche, qui désignait, à cet endroit, le mur des Fermiers Généraux.

Fours à chaux (19ème arr.) - Anciennement passage des carrières, et à 200m au Sud, la rue des Chaufourniers, attestent que les calcaires et marnes, intercalés entre les couches de gypse, étaient eux aussi utilisés.

II. Evolution morphologique et topographique

Cloche (20ème arr.) - Elle doit son nom à une fondrière de carrière appelée La Cloche à l'Eau.

Renard (4ème arr.) - Contrairement aux apparences, cette rue ne doit pas son nom à l'animal, mais à la présence d'une fissure où se perdent les eaux d'un égout superficiel. Ce genre de trou est toujours appelé "renard" par les hydrogéologues, et cette rue s'appelait "Chemin du Renard St-Merri" au 11ème siècle.

Glacière (13ème arr.) - Autrefois, ne sachant pas obtenir de la glace en été, on conservait celle de l'hiver précédent dans des trous creusés dans le sol, calorifuges au mieux, et appelés glacières. C'était une application de la propriété thermique du sous-sol d'être à température constante, 11° à Paris, nettement en dessous de la température moyenne de juillet (18°). Les glacières étaient des trous profonds de 5 à 12m, en cône renversé, creusés sur des versants nord ou est, sous des ombrages (interception de la radiation solaire par la chlorophylle), recouverts d'un épais toit de chaume (excellent isolant). Ainsi la fonte était lente ; l'eau s'infiltrait à travers les fissures du fond ou bien s'écoulait par un conduit souterrain vers la vallée voisine, ici celle de la Bièvre.

Butte aux Cailles (13ème arr.) - Relief moyen surplombant la vallée de la Bièvre, qui dit-on, était peuplée de cailles quand les terrains étaient couverts de vignobles.

Buttes Chaumont (parc des) (19ème arr.) - Ce "Mont dénudé" était une voirie jusqu'en 1765 et un dépôt d'immondices jusqu'en 1850, qui recelait dans ses flancs les fameuses carrières d'Amérique encore exploitées au début du 19ème siècle mais qui furent très vite habitées par une population flottante de vagabonds. Ce terrain a été transformé en parc par Alphand. On peut voir dans la grotte l'ancienne bouche de cavage d'une des carrières.

Tertre (place du) (18ème arr.) - Ce nom provient d'un lieu-dit le Tertre ou le Tartre dû à sa situation au sommet de la Butte. Déjà indiquée en 1371, cette place était alors contre le mur de l'abbaye de Montmartre ; son aspect actuel date de 1672.

Javel (quai de) (15ème arr.) - D'un mot gaulois qui voulait dire "ce qui est rassemblé par tas ou par poignée" ; ancien français javel, français javeau : "dans une rivière : île formée par un amas de sable et de limon, résultat d'un alluvionnement". Une fabrique d'eau de Javel s'y installe en 1777.

Dessous des Berges (13ème arr.) - D'un lieu-dit qui porte bien son nom, cette rue qui passe sous les voies de l'avant-gare d'Austerlitz est sans doute la plus basse de Paris.

III. Les eaux de Paris.

Abreuvoir (18ème arr.) - Cet abreuvoir, qui se situait au bas de l'actuelle rue Girardon (J. Hillairet, 1964) était alimenté par une source émergeant sur le flanc N de Montmartre (nappe perchée des marnes vertes).

Aqueduc (lOème arr.) - Elle suit le tracé d'un aqueduc construit en 1808 pour distribuer les eaux du canal de l'Ourcq dans Paris, notamment à la fontaine des Innocents.

Bac (7ème arr.) - Ce bac fut établi sur la Seine sous Charles IX, pour transporter les moellons venant des carrières de la rive gauche et destinés aux chantiers du palais des Tuileries, sur la rive droite.

Bièvre (5ème arr.) - Cette rue doit son nom à une ancienne dérivation de la Bièvre qu'elle longeait. Elle s'appelait déjà ainsi en 1250 (J. Hillairet). Le nom Bièvre lui fut attribué par les Romains à cause des nombreux castors qui l'habitaient.

Cascades (20ème arr.) - Son nom rappelle les chutes qui y avaient été aménagées pour recueillir les eaux de Belleville dans le regard Saint-Martin.

Château d'Eau (lOème arr.) - Voisine de la place du Château d'Eau (maintenant place de la République) où s'élevait une fontaine construite en 1811 par Girard, ingénieur des Ponts et Chaussées, compagnon de Bonaparte pendant l'expédition d'Egypte. Cette fontaine a été transportée place Félix Eboué (12ème arr.).

Cour des Noues (20ème arr.) - Ce nom évoque le souvenir des petits ruisseaux (ou noues) qui provenaient des sources de Ménilmontant (nappe perchée des Marnes vertes).

Eaux vives (passage des) (11ème arr.) - Pour Hillairet (1956) ce nom est dû au voisinage de la Seine. Il s'agit peut-être plutôt d'un ruisseau descendant de Ménilmontant car on est loin du cours actuel de la Seine. Ce passage, plein de poésie avec ses quinquets fumeux, a été décrit par Zola dans Une page d'amour.

Duée (20ème arr.) - Une duée était une source jaillissante.

Flache (18ème arr.) - Du latin flaccus "penché, mou", flâche désigne un endroit boueux, détrempé ; ici, sur les marnes à Pholadomies (Ludien).

Fonds Verts (12ème arr.) - Zone marécageuse située au confluent du ruisseau de Montreuil et d'un petit affluent, le ruisseau des Orgueilleux.

Fontaine—à-Mulard (13ème arr.) - Nom d'une petite source émergeant du Calcaire grossier vers l'extrémité sud de la rue actuelle sur le coteau dominant la Bièvre.

Fontaine—au-Roi (11ème arr.) - Appelée autrefois chemin du Mesnil car elle conduisait à un moulin à Ménilmontant - vers 1750, lorsqu'elle commença à être bâtie, elle fut dénommée rue des Fontaines-au-Roi à cause des conduites d'eau qui depuis Philippe-Auguste amenaient dans Paris les eaux des hauteurs de Belleville (Sources du Nord), puis rue Fontaine en 1806, puis rue Fontaine-au-Roi en 1814.

Fontaine d'Hautpoul (Impasse de la) (19ème arr.) - Du nom d'une source sur l'Argile verte, aux Buttes-Chaumont, qui alimente une fontaine à l'entrée de cette rue.

Fontaine du But (18ème arr.) - Du nom d'une source de la nappe d'Argile verte sur le flanc nord de la colline de Montmartre. But, anciennement bue, de bucca, la bouche.

Fontaines du Temple (3ème arr.) - Rue des Madelonnettes, puis rue des Fontaines, puis rue des Fontaines du Temple en 1939, à cause des eaux de l'aqueduc de Belleville qui après avoir desservi le prieuré de Saint-Martin-des-Champs alimentèrent le prieuré du Temple.

Mare (20ème arr.) - Ancien chemin du 17ème siècle qui descendait de la mare située sur le cours du ruisseau de Ménilmontant.

Réservoirs (16ème arr.) - Ces réservoirs furent construits en 1828 pour recevoir l'eau de la Seine distribuée ensuite dans les communes d'Auteuil et de Passy.

Rigoles (20ème arr.) - Il s'y réunissait de petits canaux qui conduisaient les eaux de ruissellement vers les regards des aqueducs de Belleville et du Pré-Saint-Gervais.

Ruisseau (18ème arr.) - Ancien chemin du Ruisseau le long duquel finissait de couler l'eau en provenance de la fontaine du But.

Saules (18ème arr.) - Sur les marnes supragypseuses (Tertiaire, Eocène supérieur, Ludien), sous-sol humide.

Saussaies (8ème arr.) - Il y poussait des saules, au bord de l'ancien bras de la Seine.

Les eaux minérales de Passy dont l'historique est présenté en détail dans le Guide Géologique "Paris et environs" sont évoquées par deux noms de rues :

Eaux (16ème arr.) - Ancienne ruelle des Eaux, puis passage des Anciennes Eaux, cette voie a été ouverte vers 1650 sur une parcelle appartenant au maître couvreur Le Gendre. C'est lors de cette ouverture que l'on y découvrit les eaux minérales de Passy. Cette source disparut vers 1770.

Cure (16ème arr.) - Un établissement d'eaux minérales existait dans cette rue, à l'angle de la rue Mozart. On pouvait y consommer des eaux sulfatées ferrugineuses provenant de la base du Calcaire grossier.

IV. Quelques "faux amis".

Ce sont des noms qui apparemment appartiennent au domaine des Sciences de la Terre et qui, en fait, ont une toute autre origine. L'un d'eux est particulièrement curieux car il résulte d'une substitution pour le moins inattendue.

Eugène Carrière (18ème arr.) - Peintre et lithographe français ; ancienne rue des Grandes Carrières - Exploitations de gypse à ciel ouvert sur le flanc ouest de la colline de Montmartre. Les 3 masses de gypse étaient exploitées entre le square Carpeaux et l'avenue Junot, les marnes supra-gypseuses étaient extraites entre la rue Lepic et la rue de l'Orient.

D'autres sont tout autant insolites.

Coquillière (1er arr.) - Aucune relation avec la géologie. Cette rue devrait son nom à un bourgeois du XIIIème siècle qui en fit bâtir une partie.

Dunes (19ème arr.) - Aucune allusion géologique locale : cette rue doit son nom à la bataille des Dunes gagnée par l'armée de Turenne en 1658 (il s'agit des dunes du littoral des Flandres, près de Dunkerque).

Grange Batelière (9ème arr.) - Dans un ancien bras droit de la Seine, ensablé par les alluvions, subsiste un sous-écoulement important qui est à l'origine de la légende de la Grange Batelière, cette prétendue rivière souterraine qui provoqua tant de difficultés lors de la construction des sous-sols de l'Opéra et sur laquelle on pouvait paraît-il se promener en barque. En fait c'est le nom d'un ancien fief où les quatre fils Aymon auraient organisé devant Charlemagne une course de chevaux : Granchia Batilliaca, Grange Bataille, Batellière ou Batelière par corruption. Sur la devanture d'un café, au n°2, une inscription entretenait la légende : "La Grange Batelière, ou ruisseau Ménilmontant, contournant le couvent édifié à la place de la Mairie de la rue Drouot, à quelque distance de la Butte de Bonne Nouvelle".

Rocher (8ème arr.) - Son nom est hérité d'une ancienne enseigne, représentant plusieurs rochers, qu'un riverain avait suspendue au-dessus de sa porte d'entrée...

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Pour clore cette chronique évoquons les noms de quelques-uns de nos "grands anciens", immortalisés dans les rues de la capitale : Bernard Palissy (1510-1589), puis ceux du XIXème siècle, âge d'or de la géologie, avec Elie de Beaumont, Dufrénoy (prénommé Ours), Belgrand, Cuvier, Darwin, Dolomieu, Hericart (Héricart de Thury), Lamarck et enfin Henri Moissan (1852-1907) et Albert de Lapparent (1839-1908) qui nous conduisent à l'aube du XXème siècle.

Pour en savoir plus :

DIFFRE Ph. et P0MER0L Ch. - Paris et environs. Les roches, l'eau et les hommes. Collection Guides géologiques régionaux, Masson, Paris, 1979.

HILLAIRET J. - Dictionnaire historique des rues de Paris. Editions de Minuit, 1964.

STEPHANE B. - Dictionnaire des noms de rues, Editions Mengès, 1977.