TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XXII (2008)

Histoire de la sismologie

Jean-Paul Poirier

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 mars 2008)

Résumé.
On résume l'histoire de la sismologie depuis Aristote. Après la théorie " pneumatique ", Sénèque invoqua le rôle de la vapeur d'eau pour expliquer les séismes. À la Renaissance, les embrasements et les explosions internes se substituèrent aux interprétations précédentes. Puis l'électricité eut, au cours du XVIIIe siècle, la faveur des savants, bien avant que la tectonique soit reconnue à la fin du siècle suivant comme la cause des séismes

Mots-clés : séismes - théorie pneumatique - explosions internes - électricité - tectonique - Antiquité - Renaissance - XVIIIe siècle - XIXe siècle

Abstract.
The history of seismology is summarized since Aristotle. After the "pneumatic" theory, Seneca invoked the role of water vapour. During the Renaissance, conflagrations and internal explosions were substituted to the preceding explanations. Later on, during the 18th century, electricity was favourably considered as being eventually responsible of earthquakes by learned people, long before the recognition, at the end of the 19th century, of tectonics as the true cause of seisms

Key words: seisms - pneumatic theory - internal explosions - electricity - tectonics - Antiquity - Renaissance - 18th century - 19th century

 

On peut distinguer deux aspects principaux de la sismologie : l'étude du tremblement de terre proprement dit et de la sismicité (mécanisme à la source, effets, répartition géographique et temporelle des séismes, etc.), et d'autre part l'étude, plus mathématique, de la propagation des ondes sismiques à l'intérieur de la Terre, qui fournit des renseignements sur la structure interne du Globe. Comme je m'adresse à des spécialistes de l'histoire de la géologie, j'insisterai évidemment sur le premier aspect, qui concerne davantage la géologie.

 

Théories scientifiques anciennes

Le " pneuma "

Aristote pensait qu'il y avait un lien entre les vents et les tremblements de terre. Dans ses Météorologiques, il traite des séismes après les vents, parce que, dit-il, leur cause est du même genre. Il existe des exhalaisons de deux espèces : une humide, dite vapeur et une sèche […].

Sous le nom de pneuma l'exhalaison sèche constitue un élément commun aux tremblements de terre et aux vents. En fait, la Terre produit une grande quantité de pneuma, soit par son feu intérieur, soit à l'extérieur, quand elle est chauffée par le Soleil. Parfois, le pneuma sort intégralement et donne naissance aux vents ; parfois, il se dirige vers l'intérieur de la Terre, où il s'accumule et provoque les tremblements de terre ; parfois encore, il se partage entre la surface et l'intérieur et peut produire de petites secousses telluriques. Cette théorie fut reprise par Lucrèce, Sénèque, Pline, etc. et tous les encyclopédistes du Moyen Âge (Isidore de Séville, Bède le Vénérable,…).

Joseph Needham trace un parallèle étroit entre la pensée grecque et la pensée chinoise, l'une voyant l'origine des séismes dans la difficulté que le pneuma éprouve à sortir, et l'autre dans l'emprisonnement du qì. Notons que les dictionnaires traduisent qì par : air, esprit, fluides, souffle , souffle vital, etc. c'est à dire par pneuma.

La vapeur d'eau

C'est une variante de la théorie pneumatique. Sénèque écrit :

" Nous voyons l'eau bouillonner sur le feu. Ce que nos foyers produisent sur ce peu de liquide dans une étroite chaudière, ne doutons pas que le vaste et ardent foyer souterrain ne le produise avec plus de force sur de grandes masses d'eaux. Alors la vapeur de ces eaux bouillonnantes secoue vivement tout ce qu'elle frappe. " [Sénèque, Questions Naturelles, VI, 11].

En 1888 encore, l'éminent minéralogiste Daubrée défendait une théorie que Sénèque n'eut pas reniée :

" Dans les profondeurs des régions disloquées, nous trouvons […] des cavités, de l'eau et une haute température, et, par suite, un agent capable à un moment donné de produire des effets dynamiques des plus considérables […]. En résumé, les tremblements de terre des régions dépourvues de volcans paraissent dus aux effets d'une sorte d'éruption volcanique qui ne peut aboutir jusqu'à la surface et semblent dépendre, aussi bien que ceux des régions volcaniques, d'une cause unique : la vapeur d'eau animée de la puissance énorme qu'elle acquiert dans les profondeurs de la croûte terrestre. "

Les embrasements et explosions internes

Vers l'époque de la Renaissance, la théorie aristotélicienne devait connaître un avatar qui ne changeait toutefois pas sa nature profonde. Les séismes étaient toujours dus à des tempêtes souterraines, mais c'étaient alors les gaz provenant de l'inflammation de matières combustibles (soufre, bitume, salpêtre, etc.), ou le souffle d'une explosion, qui secouaient le sol.

Le philosophe épicurien et chanoine de Digne, Pierre Gassendi (1592-1655), raisonne logiquement :

" […] celle qui rapporte la cause du Tremblement de Terre à l'Air simple, ou au Vent simple ne semble aucunement probable. Car ou ces cavernes sont bien bouchées, ou elles ont quelque ouverture ; si elles sont bien bouchées, l'Air, ou le Vent n'y pourra pas entrer de dehors ; et s'il y a quelque embouchure, il n'y entrera pas davantage qu'il feroit dans une chambre qui n'auroit qu'une seule fenestre ouverte. D'ailleurs quelle apparence y a-t-il que de l'Air, ou du Vent souterrain renfermé dans ces cavernes puisse en roulant et en choquant, et rechoquant contre ce qui luy fait obstacle, ebranler de si grandes masses de terres, et de montagnes ; veu que les cavernes estant pleines, ou il ne se fera aucun choc, ou l'effort ne sera pas plus violent que celuy des Vents de dehors ?

" Ainsi, il semble bien plus probable, que souvent les Tremblemens de Terre doivent arriver par l'inflammation soudaine de quelque exhalaison sulfureuse et bitumineuse, laquelle par le mouvement expansif et dilatatif du Nitre, entremeslé prenne feu dans les Grottes souterraines qui ne sont pas fort éloignées de la surface de la Terre […]. " [F. Bernier, Abrégé de la philosophie de Gassendi, tome V, chap. VII " Du Tremblement de Terre " (1674-1675), Corpus de Philosophie en langue française, Fayard, 1992.]

Buffon reprend les mêmes arguments, et, en 1756, Kant, dans une monographie consacrée au grand séisme de Lisbonne de 1755, écrit :

" Les tremblements de terre nous révèlent que, vers la surface, la terre est creusée de cavernes, et que, sous nos pieds, des galeries de mine secrètes courent de toutes parts en de multiples dédales. Ceci sera sans aucun doute établi par les progrès dans l'histoire des tremblements de terre. […] Les cavités contiennent toutes un feu ardent, ou du moins une matière combustible qui n'a besoin que d'une légère stimulation pour faire rage avec furie alentour et ébranler ou même fendre le sol au dessus. " [J.-P. Poirier, Histoire et description des plus remarquables événements relatifs au tremblement de terre qui a secoué une grande partie de la terre à la fin de l'année 1755 par M. Emmanuel Kant, Traduction et commentaires, 1999, Cahiers philosophiques, vol. 78, p. 85-121.]

Cette variante de la théorie d'Aristote présentait l'avantage que l'on pouvait alors expliquer par la même cause tremblements de terre et volcans, qui ont été associés jusqu'au début du XXe siècle. Les volcans seraient des évents par lesquels les vapeurs enflammées trouvent issue, et qui joueraient le rôle de soupapes de sûreté.

Le grand séisme du 18 avril 1906 à San Francisco, avait été précédé le 7 avril par une éruption meurtrière du Vésuve. Le professeur Matteucci, directeur de l'observatoire du Vésuve, écrivit :

" En dépit de la distance qui sépare le Vésuve de la Californie et malgré le manque de coïncidence exacte entre l'éruption du volcan et le tremblement de terre à San Francisco, je crois qu'il existe une relation étroite entre les phénomènes, que je considère comme des effets différents d'une cause commune. " [Banks, C.E., Read, O. (1906). The History of the San Francisco disaster and Mount Vesuvius horror].

L'électricité

Au XVIIIe siècle, l'électricité devint à la mode et concurrença même pendant un moment les embrasements souterrains comme cause des séismes.

En février et mars 1750, des chocs sismiques, d'intensité VII à VIII, ébranlèrent Londres, faisant tomber des cheminées et effrayant la population. Ils donnèrent lieu à de nombreux articles et rapports à la Royal Society, qui furent publiés dans un appendice aux Philosophical Transactions. On y trouve la première mention de l'électricité comme cause des tremblements de terre dans deux articles, intitulés " Sur la cause des tremblements de terre " [The Rev. W. Stukeley, MD & FRS to the President, on the Causes of Earthquakes, Phil. Trans. R. Soc., 46, 497, Being an appendix to those for the year 1750, consisting of a collection of several papers laid before the Royal Society, concerning several earthquakes felt in England and some neighbouring countries in the year 1750, XXIV, p. 641-646 ; XXXIII, p. 657-669] et " Philosophie des tremblements de terre " [The Philosophy of Earthquakes, by the Rev. W. Stukeley, MD, FRS, in a letter to the President, Ibid., LVIII, p. 731-750]. L'auteur de ces articles, le révérend William Stukeley (1687-1765), docteur en médecine, Fellow de la Royal Society, était un " antiquaire ", qui avait, notamment, attribué aux druides la construction des monuments mégalithiques de Stonehenge et Avebury.

Stukeley rappelle que " M. Franklyn ", de Philadelphie, a récemment donné une très jolie conférence [a very pretty discourse] à propos des orages, des aurores boréales et autres météores et qu'il a attribué ceux-ci à l'électricité. Il en conclut, " suivant les mêmes principes que, si un nuage non-électrique décharge son contenu sur n'importe quelle partie de la terre, lorsque celle-ci est dans un état hautement électrifié, un tremblement de terre doit nécessairement s'ensuivre. "

En Italie, en 1751, le Père Andrea Bina pensait que les cavités souterraines aux parois revêtues de soufre et de bitumes et remplies d'eau agissaient comme des bouteilles de Leyde, dont les décharges produisaient les secousses des tremblements de terre. [Bina, A., (1751). Ragionamento sopra la cagione de' terremoti ed in particolare di quello della terra di Gualdo di Nocera nell'Umbria seguito l'a. 1751, Perugia].

L'idée que les tremblements de terre étaient des phénomènes électriques analogues à la foudre eut une conséquence inattendue, mais au demeurant assez logique : certains de ceux qui s'opposaient aux paratonnerres au motif qu'ils attiraient la foudre, trouvèrent une raison supplémentaire d'inquiétude dans la pensée que ces appareils puissent provoquer des tremblements de terre. C'est à Boston, que cette crainte s'exprima d'abord.

Un tremblement de terre avait eu lieu à Cape Ann, au nord de Boston, le 18 novembre 1755, qui avait fort effrayé la population et causé des dommages assez sérieux à Boston (on avait pensé, à tort, qu'il était lié au séisme du 1er novembre à Lisbonne). Le révérend Thomas Prince (1687-1758), pasteur de l'Old South Church de Boston, attribua le séisme aux " pointes inventées par le sagace Mr Franklin ". En effet, dit-il, " Plus on érige de pointes de fer autour de la terre pour soutirer la substance électrique de l'air, plus la terre doit en être chargée. Et donc on peut avec raison se demander si quelque partie de la terre, étant pleine de cette terrible substance, ne peut pas être plus exposée à de plus forts tremblements de terre. A Boston, on en a érigé davantage que n'importe où ailleurs en Nouvelle Angleterre et Boston semble plus terriblement secouée. Oh ! On ne peut échapper à la puissante main de Dieu. " [Cohen, I.B. (1952). Prejudice against lightning rods, J. Franklin Inst., vol. 253, p. 393. ]

John Winthrop (1714-1779), professeur de mathématiques et de philosophie naturelle à l'université Harvard, répondit à Prince par A Lecture on Earthquakes, dans laquelle il montre que si Franklin avait expliqué avec sagacité et succès les phénomènes de la foudre et de l'éclair, ce n'était pas un argument valable pour prétendre que l'électricité était la cause des tremblements de terre. Il explique que la terre étant un conducteur, toute l'électricité que l'on peut y décharger se répand immédiatement partout, que l'on ne peut avoir de concentration locale de charge et donc pas de tremblement de terre électrique. Mais, vingt ou trente ans plus tard, les judicieuses objections de Winthrop étaient inconnues ou bien oubliées, et les plus illustres des " physiciens " se montrèrent partisans de la théorie électrique.

En 1779, l'abbé Bertholon, professeur de physique expérimentale des États du Languedoc, à Montpellier, et membre de très nombreuses académies de province , publia un Mémoire sur un Para-tremblement de terre, & un Para-volcan, dans lequel il prétendait démontrer que les tremblements de terre sont des phénomènes électriques. [Poirier, J.P. (2008). Un électricien des lumières en province : l'abbé Bertholon. Hermann, Paris, VI + 223 p.]

" Les tremblements de terre ne sont donc que des tonnerres souterreins, comme Pline l'a anciennement reconnu, & puisqu'il est démontré que le tonnerre est un effet d'électricité, on ne peut s'empêcher de reconnoître que la cause des tremblements de terre n'est autre chose que la matière électrique. Si le fluide électrique est surabondant, ce qui peut arriver par mille causes, il cherche, suivant les lois de l'équilibre propre à tous les fluides, à se porter vers l'endroit où il y en a moins ; il s'échappera donc quelquefois du globe de la terre dans l'atmosphère. Si ce rétablissement de l'équilibre peut se faire facilement, c'est un simple tonnerre ascendant ; si des obstacles considérables & multipliés s'y opposent, c'est un tremblement de terre dont la force et l'étendue sont proportionnées à la grandeur du défaut d'équilibre, et à la profondeur du foyer, & aux obstacles qu'il y a à vaincre.

" Si ce foyer électrique est abondant et assez profond, & qu'il puisse se former une issue, on aura un Volcan par où se feront successivement des éruptions plus ou moins fréquentes qui, dans la réalité, ne sont que des répulsions électriques des matières contenues dans le sein de la terre. "

La solution s'imposait donc : " Pour soutirer le plus loin qu'on pourra la matière fulminante de la terre, il faut enfoncer dans la terre, le plus avant qu'il sera possible, de très grandes verges de fer dont les deux extrémités, celle qui est cachée & celle qui se trouve au dessus de la superficie, seront armées de plusieurs verticilles ou pointes divergentes très aiguës. […] Si l'on convient du pouvoir des pointes électriques pour préserver de la foudre, ce qui est actuellement un dogme de physique, on ne peut nier, sans inconséquence, celui du nouveau préservateur des tremblements de terre. "

Buffon qui, dans la Théorie de la Terre (1749) voyait la cause des tremblements de terre dans les inflammations et explosions souterraines, se montre, une trentaine d'années plus tard, dans les Époques de la Nature (1778) , partisan des tremblements de terre électriques. [Buffon, Théorie de la Terre, 1749. Buffon, Des Époques de la Nature, 4e époque, 1778 (cf. p. 131-164).]

Si Buffon approuva grandement la solution préconisée par Bertholon, Marat la critiqua vivement avec d'excellents arguments, semblables à ceux de Winthrop [Marat, Recherches physiques sur l'électricité, Paris, Clousier, 1782, p. 427-461]. Il écrit aussi : " Pour l'Auteur, l'instantanéité des secousses ressenties dans des lieux très éloignés, lors d'un tremblement de terre, fait preuve que ces terribles phénomènes sont des phénomènes électriques. […] Quoiqu'il n'y ait rien de moins démontré que l'instantanéité de ces secousses, admettons-la comme incontestable. […] Pour propager à la fois & à une distance immense une énorme quantité de fluide électrique, il faut un grand corps déférent continu & dans le sein de la terre il ne s'en trouve point d'autre que l'eau. Mais quelle apparence que des fleuves souterrains s'y prolongent d'un bout à l'autre ! […] Il est faux qu'il n'y ait que la commotion électrique qui se propage en un instant à des distances prodigieuses ; & l'Auteur est certainement trop instruit pour ignorer que l'impulsion imprimée à l'extrémité d'un solide continu se fait, au moment même, sentir à l'autre extrémité, quelle que soit leur distance. Toute cause capable de produire une violente percussion sur quelque partie de ces masses énormes, qu'on appelle les ossemens du globe, produira donc le phénomène en question. […]. Ainsi, Marat est peut-être le premier qui ait attribué les secousses à l'arrivée d'ondes sonores.

Vivenzio, premier médecin du roi des Deux-Siciles, était partisan de Bertholon et le cita abondamment dans l'ouvrage qu'il écrivit sur le grand séisme de 1783 en Calabre. Malgré tout, la théorie électrique ne survécut pas au XVIIIe siècle.

Il est intéressant de noter, qu'après le séisme ligure du 23 février 1887, qui causa une grande frayeur à Nice, un certain M. Leroy écrivit à l'Académie des sciences pour lui communiquer sa découverte : il avait réinventé le para-tremblement de terre de Bertholon !

Quant à la la théorie pneumatique, qui " sauvait les apparences ", elle perdura, pour l'essentiel, pendant vingt-trois siècles, jusqu'à l'aube du XXe siècle. Comme le remarque Montessus de Ballore : " Ainsi, l'influence d'Aristote a peut-être plus duré en séismologie que dans toute autre branche du savoir humain. "

Une des conséquences de la théorie pneumatique était la croyance, véhiculée par tous les écrivains depuis Pline, que le remède le plus efficace contre les tremblements de terre était les puits qui permettaient aux gaz de s'évacuer sans faire de dégâts. Au XVIIIe siècle, de nombreux traités préconisaient encore les puits.

La croyance en la vertu des puits eut un succès durable. Elle a peut-être même encore de beaux jours devant elle, comme le montre la lettre que j'ai reçue, en 1997, du directeur d'un bureau d'études de génie civil. Arguant de sa longue expérience, cet ingénieur assurait : " Il est erroné de croire que le renforcement des structures permet de résister aux séismes. Le seul moyen de protéger les habitations existantes consiste à supprimer la pression due aux gaz dans le sol par des puits de décompression, enlevant tout effet sismique. "

La tectonique

Dolomieu avait commencé à s'intéresser à l'aspect géologique des séismes et avait fait des observations sur le terrain après le tremblement de terre de Calabre de 1783. Dans le même esprit, Robert Mallet fit un rapport célèbre sur le séisme de la Basilicate de 1857.

Par ailleurs, Alexis Perrey cataloguait tous les séismes anciens et contemporains, posant ainsi les bases de ce qui devint la sismologie historique, qui permet maintenant, grâce à des catalogues critiques (par ex. E. Guidoboni), d'identifier les zones à risque et les intervalles de récurrence des séismes.

Mais, c'est seulement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que l'on commença à s'intéresser vraiment aux effets géologiques et tectoniques, à identifier les régions sismiques et à comprendre les mécanismes à la source des séismes. Une des raisons de ce progrès est sans doute que plusieurs grands tremblements de terre affectèrent, en l'espace d'une vingtaine d'année, des régions très peuplées : Noël 1884 en Andalousie ; 1887 en Ligurie ; 1891 à Mino-Owari au Japon ; 1906 à San Francisco ; 1908 à Messine, etc.

En particulier, Bunjiro Koto identifia pour la première fois la faille dont le jeu avait causé un tremblement de terre, lors du séisme de Mino-Owari, 1891 (faille de Neo), et Harry Fielding Reid proposa le mécanisme du rebond élastique après avoir étudié le séisme de San Francisco.

Montessus de Ballore, fondateur du service sismologique du Chili, chercha à relier la répartition des séismes dans les différentes régions du Globe à des structures géologiques (Les Tremblements de terre, géographie séismologique, 1906 ; La science séismologique, 1907). Rothé, dans sa monographie sur Alexis Perrey écrit : " Montessus de Ballore a dit, en parlant des stations sismologiques, "que nul n'entre ici s'il n'est géologue" ".

Enfin, depuis 1968, on considère les tremblements de terre dans le cadre de la tectonique des plaques (Isacks, Oliver & Sykes).

Dans un petit opuscule intitulé Du rôle comparé des diverses nationalités dans les progrès de la sismologie moderne, publié à Modène en1916, Montessus de Ballore écrit :

" On peut enfin se demander quels sont les sismologues dont les travaux ont marqué les principales étapes du progrès de la science des tremblements de terre. Nous pensons que tout le monde sera d'accord pour accepter la liste suivante, limitée aux morts et rangée par ordre chronologique : Perrey, Robert Mallet, Cecchi, Bertelli et de Rossi, Milne, Rudolph et le Prince Galitzine. Nous y ajouterons le géologue Edouard Suess. Leur rôle est facile à caractériser en peu de mots.

" Comme on sait la première impulsion est venue des catalogues de Perrey qui, on peut le dire, ont permis de songer à l'établissement d'une géographie sismologique ; Mallet a eu le mérite de reconnaître dans les tremblements de terre un phénomène de mouvement que rien d'essentiel ne distingue des autres mouvements périodiques étudiés en physique ; il est donc le père de la sismologie mathématique et mécanique ; en outre, sa fameuse monographie du célèbre tremblement de la Basilicate (16 XII 1857) a été et sera encore longtemps le modèle des travaux de ce genre ; Suess a démontré que notre phénomène naturel appartient surtout à la géologie par ses causes profondes ; de Rossi et Bertelli ont découvert les microséismes et avec Cecchi ils ont créé la sismographie ; Milne a su éclaircir un très grand nombre de questions de détail et posé les principes généraux de l'architecture antisismique ; Rudolph a montré que le sol des océans n'est pas moins instable que celui des continents ; le Prince Galitzine enfin a donné un merveilleux essor à l'étude mathématique des sismogrammes […]. "

Les ondes sismiques et la structure du Globe

Le déplacement du sol dû au passage des ondes élastiques sonores engendrées à la source des séismes est détecté par des sismographes. L'étude des sismogrammes permet d'assigner une magnitude aux tremblements de terre (qui en général n'est pas la magnitude de Richter).

Il y eut d'abord des sismoscopes qui indiquaient seulement la direction d'un tremblement de terre (Zhang Heng, 132 ap. J.C.). Un des premiers sismographes proprement dit fut celui inventé en 1784 par Nicola Zupo (1752-1806), professeur de médecine et de mathématiques à l'École royale de Cosenza. C'était un pendule vertical constitué d'une sphère de plomb munie d'un clou qui inscrivait son déplacement dans un lit de cendre fine . [Zupo, N. (1784). Reflessioni su le cagioni fisiche dei Tremuoti accaduti nelle Calabrie nell'anno 1783. G.-M. Porcelli, Napoli.]

Le sismographe de Cecchi (1876) comprenait deux pendules oscillant dans les plans NS et EW pour enregistrer les mouvements horizontaux et une masse suspendue à un ressort pour la composante verticale. Au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, de nombreux types différents de sismographes furent inventés. Mentionnons en particulier les sismographes de Zöllner (1869) et de Milne (1894) comportant un pendule horizontal, et le sismographe de Wiechert (1900) constitué d'un pendule inversé stabilisé par des ressorts, pouvant osciller dans toutes les directions.

Le 17 avril 1889, à Potsdam, von Rebeur Paschwitz observa une soudaine déviation importante de son pendule horizontal destiné à mesurer les variations de la verticale. Il reconnut que le pendule avait été mis en mouvement par l'arrivée des ondes sismiques d'un tremblement de terre survenu à Tokyo. C'était le premier enregistrement d'un téléséisme.

L'étude des temps d'arrivée des ondes des téléséismes aux stations sismographiques sur tout le Globe constitue l'outil essentiel de la connaissance de la Terre profonde. Les ondes sont réfractées par les régions de densité et de modules élastiques croissant avec la profondeur, et réfléchies sur les discontinuités entre ces régions. C'est ainsi que l'on identifia la croûte, les manteaux supérieur et inférieur, le noyau et la graine. Après les travaux de Birch (1952) et avec l'aide de la physique des minéraux à haute pression, dont les pionniers furent Bridgman, Ringwood et Akimotoon, l'étude de la vitesse des ondes sismiques permet de tirer des conclusions sur la composition des différentes régions du Globe.