TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.I (1987)

Jean VOGT

Un projet original de surveillance volcanique et sismique prévisionnelle dans le domaine rhénan au début du XXème siècle.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 27 mai 1987)

La période flamboyante de la sismologie naissante, à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, est riche en grandes envolées et en projets techniques qui annoncent, à s'y méprendre, certains propos et projets actuels. Les considérations planétaires et les suggestions pratiques du géologue badois Thurach, en 1905 (1) en sont un bon exemple. D'ailleurs, elles retiennent l'attention du Grand Duc de Bade, ce qui conduit à une expertise (2).

Plusieurs corrélations intercontinentales servent de point de départ, qu'il s'agisse de volcanisme ou de sismicité, étroitement associés. Ainsi, une prétendue anomalie thermique des vallées du Kaiserstuhl est-elle mise en relation avec l'activité volcanique des Caraïbes en 1903 : "Als es ... nach den grossen Ausbrüchen in Westindien im Mai 1903 bei uns empfindlich kalt wurde, ist es in den Talern des Kaiserstuhls ... auffallend warm geblieben. Eine Erklärung dafur bietet die Annahme, dass die vulkanischen Ausbruchsröhren im Kaiserstuhl noch weit heraus vielleicht bis ein paar hundert Meter unter der Oberfläche offen sind und dass diesen Spalten gleichzeitig mit den amerikanischen Eruptionen heisse Dampfe aufgestiegen sind, welche den Untergrund bis zur Oberfläche uber die normale Erdteraperatur erwarmten" (3). De même, un séisme majeur des Indes est mis à contribution pour rendre compte, par un processus de relais, d'une secousse mineure survenue près de Heidelberg : "...gleichzeitig mit dem indischen Erdbeben ein schwaches Erdbeben bei Heidelberg eingetreten ist " (4). S'ajoutant à trois séismes survenus récemment en Europe centrale, cette corrélation alimente une démarche prévisionnelle, en suggérant la possibilité d'un "retour" de la crise sismique survenue en 1903.

Cette démarche s'appuie sur une analyse structumle à plusieurs échelles. Pour commencer, l'accent est mis sur un axe sismo-tectonique filant de la région de Saarbrucken vers Munich et l'Autriche, en passant précisément par Kandel (Sud du Palatinat), siège d'une crise sismique en 1903. A ce propos est souligné le rôle sismogène des points de croisement avec des accidents Sud-Ouest/Nord-Est. En second lieu est mise en relief la similitude de l'architecture du domaine rhénan et de l'ensemble Fichtelgebirge / Vogtland / Monts Métallifères, précisément riches en interférences, de sorte qu'une corrélation est soupçonnée entre l'activité sismique survenue dans l'une et l'autre régions en 1903 : "Es ist also zwischen den Erdbeben im ... Vogtlande und im Fichtelgebirge und denen bei Karlsruhe und Langenkandel ein gewisser Zusammenhang vorhanden" (5). A l'échelle du domaine rhénan, un examen plus détaillé des interférences tectoniques conduit à une esquisse de zonage sismique. Passons sur la théorie des vides pour insister sur la mise en oeuvre de notions néotectoniques, à propos du Nord du fossé rhénan : "Noch in der Diluvialzeit haben bedeutende Absenkungen stattgefunden, bei Mannheim und Worms im Betrage von 150 bis 200 Meter" (6). - et du Massif schisteux rhénan : "...selbst zur mittleren Diluvialzeit zwischen Mainz-Bingen und Koblenz noch um 100 bis 200 Meter aufgesteigen ist" (7). Et c'est précisément de la sismicité qu'est déduite l'hypothèse d'un accident majeur au centre du fossé rhénan : "Besonders scheint ... eine durch die Mitte des Rheintales, ungefahr entland dem heutigen Rheinlauf ... ziehende Spalte Einfluss auf die Erdbebenbildung zu haben..." (8).

Outre un renforcement du réseau instrumental par une station au Kaiserstuhl, est souhaitée la surveillance du volume et de la température des eaux thermales de Badenweiler et de Baden, susceptibles d'avoir un comportement prémonitoire. Quant au Kaiserstuhl, une surveillance est proposée par des mesures de température au fond de sondages de 20 à 50 m, ce qui suscite un certain scepticisme.

Par ailleurs Thurach s'étend, fort à propos, sur le risque d'effondrement de cavités lors de séismes. A cet égard, est mis en oeuvre un précédent que nous ignorions, à savoir l'effondrement, par un processus de "déclic sismique", de cavités de dissolution dans le Muschelkalk de Rothenburg an der Tauber lors du célèbre séisme bâlois de 1356. Quoiqu'il en soit, ce précédent conduit à évoquer une telle possibilité pour les cavités salines du Nord du pays de Bade.

Les propos de Thurach sont certes composites. Si ses considérations sur le volcanisme paraissent exorbitantes même à un profane, si ses grandes corrélations sismotectoniques sont discutables, il a le mérite de saisir la complexité de la sismicité du domaine rhénan et de ses bordures, à la lumière de la néotectonique et inversement, de mettre l'accent sur les "noeuds" et d'esquisser un zonage sismique. Il reste à replacer sa vue d'ensemble dans le courant de pensée qui agite les spécialistes rhénans et à faire la part de chacun (9).

Ajoutons que dans cette atmosphère d'effervescence, d'autres vont beaucoup plus loin. Si ma mémoire ne me trompe pas, est suggérée en France, à la même époque, une action préventive par la mise en oeuvre de procédés électriques au fond de puits ... Je compte y revenir, tant cette idée présente un parfum d'actualité, même si elle est susceptible de relever de la science-fiction.

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Notes