ANNIVERSAIRE 1810-2010 : BICENTENAIRE DU CORPS DES MINES

Discours de Pascal Faure
Vice-président du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies

Discours prononcé lors du colloque de clôture, le 18 novembre 2010. Publié dans Mines Revue des Ingénieurs • Novembre/Décembre 2010 • # 450

Mesdames et Messieurs, mes chers camarades,

Nous fêtons aujourd'hui 200 ans d'histoire du corps des mines. 200 ans. Comme il est d'usage de le dire lors des fêtes d'anniversaire : «Ça ne nous rajeunit pas».

L'année 1810 peut nous sembler très lointaine... Une autre époque. Elle a pourtant laissé des traces importantes.

1810, c'est l'année de publication du Code pénal, l'année du mariage de Napoléon Bonaparte avec Marie-Louise d'Autriche, l'année de l'inauguration de la colonne Vendôme, l'année de la naissance de Frédéric Chopin, Robert Schumann et Alfred de Musset. Et de la signature, il y a tout juste deux cents ans, le 18 novembre 1810, du décret impérial précisant l'organisation du corps des ingénieurs des Mines et créant le conseil général des mines.

Qu'avons-nous fait de ces 200 ans ? Sommes-nous devenus les ombres de nos prestigieux prédécesseurs aux uniformes si flatteurs ?

En vous regardant, devant moi, honoré que vous soyez venus aussi nombreux, je crois que la réponse est indiscutablement négative. Pourtant, peu d'espèces vivantes atteignent cette longévité. Jugez-en vous-même. L'éléphant, lui, vit 70 ans, le crocodile 80 ans, sauf en captivité, où on m'assure qu'il atteint alors 95 ans. Le record appartiendrait à la tortue des Galapagos, qui vit en moyenne 100 ans. On l'aurait même vu atteindre 185 ans.

Autant dire que le corps des mines, bon pied, bon oeil, avec ses 200 ans, est une espèce vivante à la longévité redoutable et qui a toujours su marquer le temps de son empreinte.

À ce propos, l'exposition organisée dans le cadre des journées européennes du patrimoine et présentée en ce moment même dans le hall Pierre Bérégovoy du ministère, retrace la carrière et l'œuvre de vingt personnalités remarquables sur cette période de deux siècles.

Certains se sont étonnés qu'aucune femme n'y figure ! En fait cela vient de ce qu'elles n'ont commencé à rejoindre notre corps que dans les années 1970, alors que le plus jeune des grands anciens présentés est né en 1927. Nul doute que les femmes seront très nombreuses lorsque sera célébré notre tricentenaire...

Je reviens à cette exposition, qui illustre la variété des contributions apportées à l'Etat par notre corps. On y trouve des hommes de réflexion, des savants, dans les sciences «dures», bien sûr, mathématiques et physique, avec Henri Poincaré et Louis Leprince-Ringuet, chimie avec Henry Le Châtelier, mais aussi en économie, avec Michel Chevalier, Maurice Lauré et Maurice Allais, récemment disparu, le seul Français ayant reçu le prix Nobel d'économie... et aussi en sociologie, avec Frédéric Le Play, considéré comme l'un des fondateurs de cette discipline, sans oublier Pierre Schaeffer, pionnier de la musique électronique.

On trouve aussi de grands ingénieurs, développant des techniques nouvelles qui s'imposent sur le marché : Conrad Schlumberger, pour la prospection pétrolière, Louis-Joseph Libois, l'inventeur des réseaux numériques intégrés alliant commutation temporelle et voix numérisée, Louis Armand, introduisant des innovations capitales dans le domaine de la traction ferroviaire. On trouve enfin des hommes d'action, sachant servir la Nation dans le service public comme dans les entreprises : Pierre Marzin, le créateur du CNET mettant l'innovation au service d'un projet industriel et le premier rénovateur de la DGT, Pierre Guillaumat et André Giraud, qui ont joué un rôle décisif dans la politique énergétique de la France, tant en matière pétrolière que nucléaire, Georges Besse, lâchement assassiné alors qu'il était à la tête de Renault.

La liste est déjà trop longue et je m'arrêterai là sur cette allée des glaïeuls, en dépit de l'injustice envers ceux qui auraient tout autant mérité d'être cités si le temps l'avait permis.

Les quatre journées de colloques historiques nous ont raconté l'histoire de ces hommes et, par là même, celle du corps, dans un esprit convivial mais, il me semble aussi, teinté de la légère solennité qui seyait à l'occasion. Je remercie chaleureusement tous les témoins et tous les historiens qui y ont participé et nous ont aidé à bâtir ces journées.

Vous le savez, quelques heures après le colloque sur l'histoire du corps des mines qui lui rendait hommage, un de nos illustres membres s'est éteint le mois dernier, Maurice Allais. Nous organiserons à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, en 2011, un événement à sa mémoire, en liaison avec l'école des mines de Paris, à laquelle il était si attaché.

Absorbés par l'urgence du présent, nous prenons rarement le temps d'étudier le passé et de nous en inspirer pour façonner l'avenir : il est pourtant sain de se livrer à cet exercice de temps en temps, de nous rappeler collectivement d'où nous venons, ce que nous avons incarné, pour mieux comprendre qui nous sommes et nous diriger avec peut-être davantage de discernement vers l'avenir.

Nous pouvons être fiers de l'héritage de nos aînés.

Ces grands hommes et leurs accomplissements ont contribué à l'élaboration d'une mémoire commune. Cette mémoire est le «squelette» de notre corps, sur lequel reposent notre culture et nos valeurs. Les liens qui nous unissent et qui en découlent, c'est-à-dire le «système nerveux» de notre corps si j'ose une dernière fois pousser la métaphore, sont riches et denses. Chacun de vous les comprend à sa façon et en retire ce dont il a besoin ou ce qu'il en souhaite.

Je me permettrais, quant à moi, de mettre en avant trois caractéristiques essentielles qui constituent le ciment fédérateur du corps.

Je crois que ce qui nous lie avant tout, c'est un souci partagé de l'intérêt général et du bien commun. Je n'opposerai surtout pas ici le secteur public au secteur privé, car je suis convaincu que le souci de l'intérêt général peut se manifester dans des contextes variés.

Montesquieu s'exprimait ainsi dans ses Pensées : «Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime».

Je crois que nous nous efforçons aujourd'hui de servir l'intérêt général dans un contexte qui s'est drastiquement compliqué au fil des temps. Car si nous avons en mémoire une époque où la notion d'intérêt général faisait à peu près consensus lors des grands choix, aussi bien au sein des organes de décision que, plus généralement, dans la société, ce n'est plus toujours le cas aujourd'hui. Dans tous les domaines où nous intervenons, que ce soit par exemple en matière de régulation économique, de maîtrise des risques et de sécurité, ou encore de politique industrielle, l'analyse des problématiques révèle des situations souvent très complexes pour lesquelles les réponses sont loin d'être évidentes. Mais nous recherchons les solutions, je crois, avec le souci qu'elles soient fondées sur le droit, qu'elles se révèlent pertinentes pour le plus grand nombre, qu'elles dépassent les clivages et s'imposent légitimement dans la durée.

Le deuxième point commun que je souhaite mettre en avant est notre culture scientifique. Elle ancre profondément en nous, je crois, l'approche rationnelle des sujets héritée de la philosophie des Lumières. Nous nous sentons une obligation d'observer les faits tels qu'ils sont, avec lucidité et, autant que possible, avec clairvoyance.

Nous savons que la réalité n'est pas le simple reflet de l'évocation intellectuelle et spéculative, que les transformations en cours ne résultent pas de notre seul bon vouloir, et nous en tirons une certaine humilité. Nous sommes des ingénieurs que je qualifierais d'humanistes.

Les problèmes difficiles et les grands enjeux ont toujours de multiples facettes : techniques, économiques, juridiques, sociologiques, éthiques, organisationnels, mana-gériaux, etc. Notre approche nous a conduits à prendre en compte tous ces aspects, pour éviter les approches partielles voire partiales. C'est sur cette philosophie qu'ont été bâties les écoles des mines et des télécommunications, considérant qu'il fallait dépasser la seule science, substrat au demeurant essentiel, pour appréhender la réalité dans toute sa complexité. L'apprentissage de la complexité a de ce fait toujours été un objectif explicite de notre formation de corpsards.

Cette culture d'ingénieurs humanistes a notamment été illustrée par le rôle pionnier que des ingénieurs des mines ont joué au XIXemc siècle ou au début du XXeme siècle en économie sociale.

Je citerai en exemple Frédéric Le Play, économiste et pionner de la sociologie de terrain, ou Arthur Fontaine, industriel et fondateur du bureau international du travail. Cette culture est imprégnée de l'expérience collective du corps dans les mines, qui étaient alors de véritables «laboratoires» techniques et sociaux où se concentraient à la fois les plus belles réussites et les plus grands défis de l'époque.

Elle se traduit aussi par une capacité d'innovation qui a contribué à ce que la France se place à l'avant-garde des grandes nations, alliant prouesses technologiques et progrès sociétaux. Le CNET dans le domaine des télécommunications ou le CEA en matière nucléaire ont ainsi constitué de brillants viviers de talents. Notre capacité à faire preuve de pédagogie sociale et à jouer un rôle d'éclaireur s'exerce aujourd'hui sur des sujets différents, mais elle est plus que jamais d'actualité dans un monde sans cesse plus complexe et qui connaît de profonds bouleversements technologiques et géostratégiques.

Le monde change, le rapport de la société à la technologie et à l'industrie a considérablement évolué, et, si notre positionnement et nos grands métiers s'adaptent en conséquence, nos valeurs demeurent.

Le troisième élément fédérateur est peut-être aussi le plus évident. Nous appartenons à une même communauté. Si nous formons à certains égards une famille, c'est une famille qui se distingue par son refus de la pensée unique et par la diversité des points de vue qui s'y expriment.

L'appartenance à une même communauté permet de riches débats, parfois passionnés, mais toujours menés dans un climat d'écoute, de confiance et de respect mutuels. L'Association Amicale, qui s'appuie sur le dévouement précieux de quelques-uns et sur la bienveillance de tous, joue à cet égard un rôle tout à fait primordial, et je salue notamment l'engagement de Jean-Louis Beffa, Président de l'Amicale, et Fabrice André, Vice-président. Les multiples événements et groupes de réflexion qu'elle anime sont autant d'occasions de se rencontrer, d'échanger et de confronter les points de vue pour, ensemble, mieux comprendre et analyser les situations, puis tracer des perspectives d'avenir.

Cependant, comme toute autre communauté, nous devons respecter des valeurs, nous imposer des règles déontologiques et ne pas franchir la ligne rouge qui fait passer de la bienveillance à la complaisance. L'un de nos rôles est aussi d'y veiller et je dis fermement que nous devons le faire avec la plus grande attention et sans faiblesse.

Notre communauté, unie par le souci de l'intérêt général et notre culture d'ingénieurs humanistes, doit continuer, comme par le passé, à inscrire son histoire dans celle de notre pays, en contribuant à forger le présent et à façonner l'avenir.

À nous de nous mobiliser et d'être présents sur les enjeux d'aujourd'hui et de demain. À nous d'en avoir l'ambition et de nous en donner les moyens. Dans un monde parfois accusé de frivolité, nous devons être des artisans de la modernité et du progrès en rompant avec les idées reçues et le prêt à penser.

Quels sont alors ces enjeux du futur sur lesquels nos compétences actuelles nous prédisposent naturellement à agir ?

J'en cite quelques-uns qui me semblent incontestables, mais vous voudrez sans doute compléter la liste. Je commence par ceux qui sont en relation avec les deux tables rondes organisées aujourd'hui, respectivement sur l'appropriation des nouvelles technologies et sur la politique industrielle.

Pour ce qui concerne ce dernier point, qui sera abordé cet après-midi, est-il utile de rappeler que l'économie française et l'économie européenne sont profondément transformées sous l'effet de la mondialisation ? Quel est le rôle de l'État, vis-à-vis des citoyens, qui sont à la fois producteurs, désireux de conserver l'emploi et la valeur ajoutée sur leur territoire, et en même temps, des consommateurs, attirés par des prix toujours plus bas et de meilleurs services pour améliorer leurs conditions de vie ? Comment stimuler les PME et les grandes entreprises dans un contexte de concurrence mondialisée, tout en étant aussi en position de réguler les activités économiques ? Nous sommes d'autant plus interpellés sur ces sujets et légitimes pour les traiter que nous sommes collectivement présents autant au sein de l'Etat, et en particulier au sein du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, désormais chargé de l'énergie et de l'économie numérique, que dans les entreprises.

À cet égard, je considère qu'il nous faut affirmer encore plus notre place sur le terrain de l'économie.

La volonté d'agir en matière de politique industrielle nous vient naturellement, et nous avons activement soutenu le regain d'intérêt de l'État pour ce sujet depuis la crise financière, qui a démontré à ceux qui en doutaient l'importance de l'action publique dans ce domaine. D'autres champs proches et connexes s'ouvrent aussi à nous.

J'en vois notamment deux.

Le premier concerne la régulation. L'État s'est profondément transformé au cours des dernières décennies ; autrefois surtout bâtisseur et exploitant, il est aujourd'hui avant tout régulateur. Notre corps s'est investi de longue date dans les questions de régulation, notamment en matière d'énergie et de télécommunications, aussi bien dans la conception stratégique et réglementaire que dans la prise de décisions opérationnelles. Je crois qu'il faut que nous capitalisions nos expériences, en développant et en croisant nos expertises, pour contribuer à faire émerger un savoir-faire partagé en matière de régulation au sein de la puissance publique.

Le deuxième sujet concerne notre capacité à développer une approche macroéconomique transverse. Notre expertise microéconomique, riche de nos expériences «terrain» et de notre connaissance fine du tissu industriel, doit aussi nourrir une réflexion d'ensemble, pour que nous soyons porteurs d'une synthèse reposant sur une réalité concrète que nous maîtrisons bien. Les autorités publiques n'en ont jamais eu autant besoin ; or, nous avons les ressources pour les appuyer et contribuer à la qualité des décisions. À nous de répondre à leurs attentes.

La maîtrise et l'appropriation des nouvelles technologies, thème développé ce matin, renvoient à des problématiques qui nous sont chères.

Comment faire en sorte que la France conserve et développe sa faculté d'innover, en faisant coopérer chercheurs et industriels, en attirant les meilleurs dans ses universités, écoles et entreprises ? Comment favoriser l'acceptation des nouvelles technologies par la société, par exemple pour ce qui concerne les biotechnologies ou encore le déploiement des réseaux de télécommunication ?

La crédibilité de l'État, à la fois incitateur et contrôleur, est mise en question ; et pourtant, les citoyens se retournent inexorablement vers la puissance publique, jugée garante de l'intérêt général. Il nous faut conforter notre positionnement dans la maîtrise du développement technologique fondé sur l'innovation, en associant nos experts de l'administration, nos chercheurs et nos entrepreneurs.

Nous avons des atouts pour relever ces défis : à nous de les mettre en valeur et de les exploiter.

Les colloques thématiques, sur les risques, l'énergie et les télécommunications, nous ont également donné l'occasion d'identifier quelques défis de demain, vers lesquels nous devons d'orienter nos efforts. Je sais que chacun de vous y œuvre déjà, que ces questions et sujets ne vous surprennent pas. Le corps doit toutefois trouver, en tant que communauté, les moyens pour que l'implication individuelle soit démultipliée par notre engagement collectif.

D'abord sur les risques. Quels sont aujourd'hui les enjeux majeurs ? Sécurité industrielle, sûreté nucléaire, sécurité informatique, etc. Ces thèmes, classiques pour nous, sont toujours d'actualité. Les échanges lors du colloque ont aussi montré que le périmètre des risques évolue et que ce sont aujourd'hui les risques globaux et sys-témiques qui inquiètent, parmi lesquels les risques naturels induits par le changement climatique, les impacts environnementaux et sanitaires diffus, l'effondrement brutal des réseaux informatiques, ou encore la faillite de certaines économies.

Ce dernier point m'amène à ouvrir une parenthèse sur les perspectives d'intégration du corps de contrôle des assurances au sein du corps des mines, sujet sur lequel j'ai organisé une réunion d'information et d'échanges il y a quelques jours.

Comme je l'ai dit à cette occasion, je considère qu'il y a là une opportunité pour nous d'étendre au domaine financier nos missions en matière de contrôle et de sécurité. Ceci constituerait un prolongement naturel de notre champ de compétences, et nous positionnerait sur un sujet essentiel pour notre économie et, en particulier, pour notre industrie, tant l'interdépendance des différents acteurs économiques est aujourd'hui étroite. La crise que nous venons de traverser a démontré l'importance de l'action de l'État dans ce domaine.

L'intégration du corps de contrôle des assurances, dans le respect des caractéristiques qualitatives et quantitatives du modèle adopté en 2009 pour le corps des mines, permettra donc à la fois de conforter notre ancrage au sein du ministère de l'économie, en étant davantage présents sur son cœur de métier, et d'investir des missions régaliennes en mutation sur lesquelles notre expérience nous donne une légitimité certaine.

Rappelons-nous ensuite les grands thèmes du colloque «énergie».

Si la nécessité du développement des énergies renouvelables n'est pas remise en cause, il apparaît désormais que ces énergies ne seront pas, avant longtemps, capables de répondre à elles seules à l'ensemble des besoins énergétiques dans des conditions économiquement viables et techniquement crédibles.

Notre corps doit donc maintenir ou accroître son implication sur quelques axes essentiels permettant tout à la fois de sécuriser l'approvisionnement énergétique de notre pays et de contribuer à la réduction de nos émissions de carbone :

Le colloque «télécoms» a été l'occasion de nous interroger sur notre vision de la société future. À quoi ressemble une société où tout est interconnecté, dématérialisé voire virtualisé ? Comment vont évoluer les relations sociales dans un univers où les échanges numériques font référence ? Qui contrôle et exploite nos données numériques ? Quelle place pour l'industrie des technologies de l'information en France et en Flurope, entre les géants américains et asiatiques qui captent l'essentiel de la valeur ajoutée dans ce secteur ?

Les ingénieurs des mines doivent contribuer à apporter des réponses à ces questions. Elles devront s'inscrire dans la durée, prenant en compte les trois piliers traditionnels du développement durable, économique, social, écologique, et dans un cadre institutionnel désormais largement européen, voire mondial. Les ingénieurs des mines doivent prendre position et faire avancer notre pays et l'Europe sur le chemin du progrès, au sein des services de l'État ou des entreprises, en conjuguant conception et action.

La nécessité de l'action nous est évidente. Je souhaite donc plutôt m'attarder quelques instants sur l'utilité de la réflexion.

À cet égard, les Écoles des Mines et l'Institut Télécom constituent une ressource exceptionnelle dans leur double mission, d'une part, de formation transmettant savoirs et valeurs de génération en génération, y compris au sein du corps des mines, et d'autre part, de recherche éclairant l'action et anticipant ses développements futurs.

C'est pourquoi il me paraît essentiel que les ingénieurs du corps continuent de jouer un rôle majeur dans l'activité de ces écoles.

C'est dire aussi l'importance stratégique des évolutions dans lesquelles ces écoles sont engagées, dans un contexte d'adaptation en profondeur de notre système d'enseignement supérieur et de recherche aux effets de la mondialisation.

Je mentionnerai en premier lieu le projet de fédérer ces écoles au sein d'un institut unique qui, tout en respectant les personnalités juridiques actuelles, poursuivra la double ambition, assignée par le ministre, d'une part, d'apporter une contribution accrue à la politique du ministère en matière de développement économique et d'innovation, et d'autre part, de conforter l'engagement des écoles dans la dynamique des partenariats locaux avec les autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche, notamment dans le cadre des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES).

C'est d'ailleurs à cette ambition que se rattache le deuxième projet majeur que je souhaite évoquer : il concerne nos deux écoles parisiennes des mines et des télécommunications, dont le Président de la République vient de confirmer la participation à la réalisation d'un campus scientifique de niveau mondial à Saclay.

Un autre acteur essentiel de notre réflexion collective doit être le Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies. Depuis sa constitution en février 2009, nous avons entamé une profonde démarche d'organisation et de modernisation, afin de nous assurer que nous fonctionnions de la meilleure manière pour répondre aux attentes des ministres et de nos partenaires. Je voudrais saluer ici l'engagement de tous les membres du conseil, et leur volonté d'œuvrer ensemble pour que cette institution, désormais riche de deux cents ans d'histoire, continue à être un lieu reconnu d'expertise et de propositions au sein de l'État.

Enfin, de manière transverse à toutes ces questions et tous ces défis, se pose pour moi une interrogation plus fondamentale, qui est celle du rôle des élites.

Nous pensons et prétendons en être. Or, la société française, bousculée, inquiète, parfois en perte de repères, les met régulièrement en cause et les accuse de maux divers. Les attentes de la société à notre égard, ainsi qu'à l'égard des autorités publiques, des intellectuels, des chefs d'entreprises, changent.

Incarner l'élite républicaine de notre pays conduit aujourd'hui, me semble-t-il, à une nécessité impérieuse. Celle de rester à l'écoute de nos concitoyens, de ne surtout pas nous isoler dans une tour d'ivoire où nous aurait menée notre histoire prestigieuse, de ne pas crier passivement à la décadence sans nous retrousser les manches pour agir. Je crois que nous devons y être collectivement très attentifs.

La nation a beaucoup investi en nous et continue à beaucoup investir : nous avons en retour le devoir de développer nos talents, de ne jamais nous satisfaire de l'acquis.

Le corps des mines n'a pas de devise. En ce jour d'anniversaire, je citerai alors celle de la République. Liberté, égalité, fraternité.

Préservons et assumons notre liberté de pensée indissociable de notre qualité d'ingénieur des mines. Maîtrisons une parole vraie et juste. Veillons à asseoir l'égalité des chances dans notre société, en questionnant notre rôle d'élite républicaine et en contribuant collectivement à relever les défis qui nous attendent, à la hauteur de l'investissement que notre pays a fait en nous. Que notre sens de l'intérêt général s'incarne dans la fraternité, la solidarité et la loyauté, entre nous, envers nos autorités publiques et nos concitoyens. Nous avons davantage de points communs qui nous rapprochent que de divergences qui nous séparent. Nous vivons ensemble et partageons des valeurs fédératrices : soyons en cela une illustration vivante et moderne des principes de notre République.

Joyeux anniversaire à tous. Je vous remercie.


Clôture du colloque du bicentenaire du corps des mines par Christine Lagarde, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. Au premier rang et à sa gauche, on distingue Marie-Solange Tissier (veste violette), Jean-Jacques Dumont et Pascal Faure. A sa droite, Fabrice Dambrine et Jean-Michel Yolin. En veste verte, à l'extrémité droite, Thierry Gaudin.