Louis Edmond Séraphin CHARVET (1901-1987)


Louis Charvet, élève à l'Ecole des mines

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1920N, sorti major), et de l'Ecole des Mines de Paris (entré classé 1 et sorti classé 2). Corps des mines.

Petit-fils de Joseph Edmond GRANDIDIER (X 1861).
Louis CHARVET épouse Lydie du BUIT, soeur de François Jean-Marie Arsène du BUIT (1915-1997 ; X 1935) et fille de Eugène Charles Jean du BUIT (X 1907).


Il s'occupe d'abord du contrôle des Chemins de fer et participe à plusieurs recherches minières, il est directeur de la Compagnie du Platine en 1931. Puis il passe en 1934 à l'aéronautique comme directeur général adjoint de la Compagnie Air France qu'il quitte à la nationalisation de 1945. Il devient alors président des automobiles Saurer et vice-président des automobiles Unic. Mais l'essentiel de sa carrière se déroule dans la sidérurgie; délégué général de la Chambre syndicale après guerre, il crée et préside plusieurs sociétés. Membre du Conseil économique puis du Conseil économique et social. Poète sous le pseudonyme d'Evrard des Millières, il succède à Abellio à la présidence du groupe X-littérature. Membre de l'Académie de Savoie.


LOUIS CHARVET (20 N) 1901-1987
par F. du BUIT (X 1935)

La Jaune et la Rouge, novembre 1987 :

FILS d'une ancienne famille de Savoie, Louis Charvet descendait, par sa mère, d'un X de 1861, Edmond Grandidier. Son père, magistrat, termina sa carrière comme président de la cour d'appel de Grenoble.

L. Charvet sort major de la promo 1920 normale [de l'Ecole polytechnique]. Au Service des Mines, il s'occupe surtout du contrôle des Chemins de fer (pas encore nationalisés) et participe hors service à plusieurs missions de recherche minière. Il est ainsi conduit, en 1931, à la Direction de la Compagnie du Platine qui opère alors dans les cinq parties du monde.

En 1934, Charvet passe du souterrain à l'aérien, dans la Compagnie Air France nouvellement fondée par la fusion de sociétés antérieures, avec une forte participation de l'État. Il y est bientôt adjoint du directeur général, Louis Allègre. Commencent alors des années exaltantes, sur un travail de pionnier dont on n'a plus l'idée aujourd'hui. Air France héritait de la prestigieuse Aéro-Postale et de son personnel : Jean Mermoz, Didier Daurat, Guillaumet, et bien d'autres dont Saint-Exupéry a laissé le souvenir littéraire. La ligne d'Amérique du Sud s'allongeait par étapes jusqu'à Dakar, puis, par un relai d'avisos rapides, jusqu'au Brésil où les vols reprenaient jusqu'au-delà des Andes. Technique et diplomatie se mêlaient dans cette aventure dont il faut bien dire qu'elle était insuffisamment soutenue par une industrie, inventive, mais pas assez performante. Les statuts et l'organisation d'Air France lui imposaient l'usage d'avions français dont la production devait être combinée avec les exigences militaires. La concurrence allemande était vive et on savait, sans oser le dire, à quel point elle allait en arriver. La guerre civile d'Espagne, l'Anschluss de l'Autriche, mettaient en question le maintien d'escales indispensables et faisaient baisser le prestige de la France.

Air France, réquisitionnée à la mobilisation de 1939, put être repliée en 1940 sans qu'aucun document d'importance ne tombât aux mains de l'ennemi. De Carcassonne (!) elle passa à Marseille d'où quelques liaisons étaient maintenues vers l'Afrique. A travers un minuscule volume où Charvet a récemment condensé ses souvenirs, je devine une activité intense pour faire face à des situations incertaines avec des moyens de misère. Après l'automne 1942, de retour à Paris, il ne restait plus qu'à dissimuler le matériel restant, à abriter les hommes, à préparer clandestinement l'avenir. Il y eut des contacts avec la Résistance, mais je n'en sais pas plus. Louis Charvet ne m'a jamais paru avoir été un gaulliste inconditionnel, en tout cas il ne l'était pas du tout en 1968. Et le hasard d'une conversation m'a convaincu (me trompais-je ?) qu'il était resté l'ami de Georges Bidault quand celui-ci dut s'exiler de France après l'indépendance algérienne.

Charvet n'est pas resté à Air France, nationalisée en 1945 dans des conditions qui ne lui convenaient nullement. Il est passé à la présidence des Automobiles Saurer, puis à la vice-présidence des Automobiles Unic.

Mais l'essentiel de sa carrière s'est déroulé dans la sidérurgie, comme secrétaire général de la Chambre syndicale (1945) puis comme délégué général. Dans l'après-guerre et à la suite du Plan Charbon-Acier, il crée et préside le Groupement pour la reconstruction des enteprises sinistrées, et la Société sidérurgique de participation et approvisionnement des charbons. Puis, dans les années du développement, ce sont le Comptoir français des produits sidérurgiques et l'Office technique pour l'utilisation de l'acier, dont Charvet était président quand il prit sa retraite en 1972.

Ces activités le conduisent au Conseil économique, où il crée la Commission des questions sahariennes, puis au Conseil économique et social, où il est vice-président de la section des Investissements et du Plan, et de celle de l'Expansion économique intérieure.

En tous ces travaux, Charvet n'était pas animé seulement par une grande ambition, et je pense même pouvoir dire que le style technocratique des dernières années ne lui plaisait pas du tout. Récemment encore, je l'entendais évoquer «cette chère Lorraine» avec un accent de regret qui ne trompait pas. Disons que l'ambition de construire était, chez lui, inséparable d'une vraie amitié pour les hommes.

Louis Charvet, en effet, fut toujours désireux d'élargir son cercle affectif. Il devint vice-président, dès 1924, des « Équipes sociales » fondées par Robert Garric et rédigea pour elles plus d'un article ou livret. Je ne sais ce que les équipes ont réalisé pour la promotion de la classe ouvrière (ni Garric ni Charvet n'auraient aimé ces mots). Mais il est sûr qu'elles ont entraîné des éléments de grande valeur de la classe intellectuelle : qu'il me suffise de citer notre Antique Leprince-Ringuet. Ce fut une pépinière de générosités, de talents et d'expériences qui ont contribué à remettre sur pied notre pays au lendemain de la Libération. Beaucoup de choses, alors, ne sont point passées par la politique, le journalisme ni la culture officielle, mais par des voies plus discrètes et plus profondes.

On voyait souvent la signature de Charvet dans les revues des Dominicains de Paris alors au maximum de leur rayonnement, dans celles des Jésuites, et d'autres encore.

A la mort de R. Garric (1967), Charvet a fondé une Association des Amitiés dont les Cahiers rassemblent documents et témoignages qui seront précieux pour les historiens du XXe siècle.

La même sympathie, qui portait Charvet vers les humains, l'a conduit à enseigner, plusieurs années durant, à l'Institut d'études politiques de l'université de Paris, ainsi qu'au collège des Sciences sociales et économiques, où il transmettait l'essentiel de son expérience d'homme d'action.

La même ouverture de sensibilité le portait vers les Arts. Il s'est toujours intéressé à la peinture et à ses dernières recherches. Il aimait les lectures difficiles, poètes, essayistes, romanciers. Et c'était pour lui un plaisir d'étudier à fond un point d'histoire où d'écrire un livre sur Rimbaud. Il était poète, il réserva toujours une part de lui-même à la poésie et, sous le pseudonyme d'Evrard des Millières, il nous a laissé de nombreux recueils de vers : Outre rêve, Eté aux faibles feux, Grand Erre,... « Une pensée forte, un texte admirablement ciselé, font la valeur de cette œuvre ». Charvet succéda à Raymond Abellio à la présidence du groupe X-Littérature, qu'il conserva jusqu'à sa mort ; il trouva là l'un des plaisirs de ses années de retraite et de finale lassitude.

Très attaché à sa province natale, Louis Charvet accepta, en 1959 la Mairie de sa commune, La Chapelle Blanche, où l'appelaient ses camarades d'enfance. Il la défendit énergiquement contre l'administration qui tendait, alors, à regrouper les petites unités avec de plus grosses voisines. Charvet a toujours pensé que les humains gagnent à conserver leurs racines. Membre de l'Académie de Savoie, il mettait beaucoup de zèle et apportait beaucoup d'aide matérielle, à la promotion des souvenirs locaux : depuis Saint Hugues d'Avalon devenu évêque de Lincoln en Angleterre jusqu'à une poétesse française et patoise du siècle dernier, Amélie Gex, dont les effigies ornent la place de l'église.

Louis Charvet avait épousé, en 1936, Lydie Du Buit, fille de Jean Du Buit (1907) et ma sœur. C'est ce qui me permet de glisser dans cette notice quelques notes personnelles, bien que je n'aie sans doute pas assez profité de la conversation de mon beau-frère. Il parlait beaucoup de ses projets et expériences culturels, mais peu de sa vie professionnelle, et peu du passé. Son ménage était uni par un amour que la religion fortifiait et inspirait, par une commune fidélité aux ancêtres, aux maisons, à l'avenir de trois enfants. Un veuvage prématuré et imprévisible a assombri les dernières années de Charvet et, je l'imagine, compromis sa santé qui a longtemps laissé à désirer avant la crise finale. Le baptême d'un cinquième petit-enfant dans la maison familiale a été la dernière et très grande joie de Louis Charvet.

F. DU BUIT (X 35)