Eckley Brinton COXE
par Edouard SAUVAGE

Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Mars 1896.

L'année 1895 a vu disparaître un des membres étrangers de l'Association les plus attachés à l'École des Mines, Eckley Brinton Coxe. Nos camarades qui ont voyagé aux États-Unis ont toujours trouvé auprès de M. Coxe un accueil obligeant et amical ; c'était pour eux un correspondant toujours disposé à fournir les documents qu'on lui demandait ; les collections de l'École des Mines doivent à sa générosité de précieuses séries d'échantillons. (La valeur commerciale d'un des envois de M. Coxe, comprenant des minéraux rares, a été estimée 10,000 fr.)

Aux États-Unis, le monde des ingénieurs, et, en Pensylvanie, la population tout entière a vivement ressenti sa perte ; la presse américaine n'a pas ménagé les éloges en annonçant la triste nouvelle. On comprend aisément que la perte d'Eckley Coxe ait causé les regrets les plus vifs : doué des qualités qui gagnent la sympathie, l'affabilité et la bienveillance, il n'a pas cru que sa tâche unique devait être de s'enrichir en développant ses grandes mines d'anthracite ; mais, dans ce développement, il ne séparait jamais l'intérêt général de ses intérêts privés : c'est ainsi qu'il recherchait surtout les méthodes d'exploitation pouvant réduire les déchets considérables laissés par les procédés habituels, et les dispositions permettant de brûler les menus d'anthracite, pendant longtemps jetés au remblai. Par ses publications, par ses conférences, par la description des résultats qu'il obtenait, il attirait sur ces questions importantes l'attention de tous les exploitants et de tous les industriels.

En outre, Eckley Coxe s'est beaucoup occupé du bien-être du nombreux personnel de ses mines. Il paraît avoir bien réussi dans cette partie délicate de sa tâche d'industriel. Les simples libéralités patronales ne sont plus considérées comme suffisantes; il est difficile, en effet, que ces libéralités ne se confondent pas à la longue avec les salaires ; l'ouvrier finit par croire qu'il y a droit, tandis que le patron persiste à y voir une faveur ; ce qui était une mesure bénévole prise en faveur du personnel, devient trop souvent une cause de froissement et de troubles. Eckley Coxe s'est surtout occupé de procurer à ses ouvriers des habitations convenables et d'installer des écoles, des hôpitaux, des églises, plutôt que de créer des institutions dont le fonctionnement doit se continuer pendant de longues années. Si l'on tient compte en outre de la cordialité de ses rapports avec les ouvriers, on comprend que la bonne harmonie n'ait jamais été sérieusement troublée aux mines de Drifton, même aux époques des grandes grèves qui ont désolé les bassins houillers de Pensylvanie, en 1871.

Tout en combattant énergiquement avec le parti de l'ordre, dans la lutte contre les associations qui avaient établi le règne de la terreur dans les régions houillères de Pensylvanie, il n'oubliait pas les malheureuses victimes des grèves; aidé de Madame Coxe, il sauva de la plus affreuse misère bien des familles de mineurs.

Par sa situation prééminente en Pensylvanie, Eckley B. Coxe ne pouvait échapper aux sollicitations de ses concitoyens, désireux de le compter parmi leurs représentants élus : Eckley B. Coxe ne crut pas pouvoir se dérober à ce qu'il considérait comme un devoir de citoyen dans un pays où les fonctions électives sont peut-être encore moins qu'ailleurs désirables en elles-mêmes. Son élection au Sénat de Pensylvanie, en 1880, l'ut marquée par un incident curieux : comme toutes les élections, elle ne put se faire sans quelques dépenses électorales. Or le sénateur élu doit prêter serment de n'avoir fait pour son élection aucune dépense qui ne soit expressément autorisée légalement. Les dépenses indiquées par la loi sont tellement définies qu'il est pratiquement impossible de s'y limiter à coup sûr, et le candidat doit compter avec le zèle des agents électoraux qu'il est obligé d'employer. Aussi E. B. Coxe refusa-t-il le serment demandé et son élection dut être cassée. Il fut aussitôt réélu avec une grande majorité.

Eckley B. Coxe était né à Philadelphie le 4 juin 1839. Après des études à l'Université de cette ville, il se rendit en Europe, où il suivit les cours de l'École des Mines, à Paris. Il étudia aussi quelque temps à l'École des Mines de Freiberg, en Saxe. La grande fortune de ses parents ne ralentit jamais son zèle pour le travail. C'est ainsi qu'il publia une traduction anglaise du traité de mécanique du professeur Weisbach. De retour aux États-Unis, il commença, avec ses frères, l'exploitation de l'anthracite dans le district de Lehigh, sur une propriété de leur famille. Celte exploitation se développa jusqu'à devenir la plus importante exploitation d'Amérique restée entre les mains de ses propriétaires. Tous les détails de l'exploitation et de la préparation de l'anthracite étaient étudiés avec le plus grand soin à Drifton, dont les établissements étaient de véritables modèles. On sait que la préparation de l'anthracite, en Pensylvanie, est très minutieuse: le combustible est classé en de nombreuses séries dont les morceaux sont de grosseur uniforme et soigneusement séparés des schistes ; cette préparation exige des ateliers immenses, munis d'une machinerie compliquée. Plusieurs appareils spéciaux, notamment une table à secousses, fort ingénieuse, sont dus à E. B. Coxe. Un atelier de construction, établi à Drifton pour le service des exploitations, exécutait aussi des types d'appareils destinés à la combustion des anthracites, notamment les grilles spéciales pour les menus difficiles à brûler dans les foyers ordinaires.

En 1871, il fut un des principaux organisateurs de l'Institut américain des ingénieurs des Mines, dont il fut pendant de longues périodes vice-président ou président. Il fut aussi président, en 1893. de la Société des ingénieurs mécaniciens d'Amérique.

Toujours préoccupé du développement de l'instruction dans son pays, bien convaincu de l'importance des établissements scientifiques et techniques qu'il avait appréciés en Europe, il fut pendant longtemps, et jusqu'à sa mort, administrateur de l'Université de Lehigh : pour bien remplir ces fonctions, il ne ménagea ni son temps, ni sa peine, ni son argent. L'éducation technique élémentaire le préoccupait également, et il avait installé à Drifton, pour ses ouvriers, une école professionnelle. Dans un concours récemment ouvert à Washington pour les postes d'inspecteurs des Mines, les deux candidats choisis étaient élèves de cette école professionnelle.

Eckley B. Coxe habitait une maison simple au milieu de ses mines ; marié depuis longtemps, il n'avait pas d'enfants. Plusieurs membres de sa famille habitaient dans le voisinage, qu'il ne quittait guère que pour des voyages de courte durée : cependant ses amis de France l'ont vu à Paris en 1889.

Indisposé depuis quelques mois, une fluxion de poitrine l'emporta le 13 mai 1895. Il était membre de l'Eglise protestante épiscopale. Les obsèques eurent lieu au milieu de la foule émue de ses ouvriers et de ses amis. Son corps repose dans le cimetière de Drifton.

Tous les élèves de l'École des Mines s'associent aux regrets que laisse la mort prématurée de l'homme de bien, de l'éminent ingénieur qui avait toujours témoigné tant d'affection et de reconnaissance envers l'établissement où il avait reçu l'enseignement technique dont il avait si bien profité.

Ed. SAUVAGE