Ours-Pierre-Armand PETIT-DUFRENOY (1792-1857)

Fils de Simon PETIT-DUFRENOY, procureur au Châtelet, et de Adelaïde Gillette BILLET, femme de lettres.
Il épouse Caroline JAY, fille de Antoine JAY de l'Académie française, qui fut député et conseiller général de la Gironde et maire de Lagorce.
Ours-Pierre-Armand est le père de Jean Geoffroy Gustave Anatole Petit-Dufrénoy (1822-? ; X 1842, directeur des manufactures de l'Etat). Parmi les descendants de Armand DUFRENOY, on trouve notamment Benoît de la MORINERIE (X 1951) et sa soeur Cécile, veuve de Michel HORGNIES.

Ancien élève de Polytechnique (promotion 1811) et de l'Ecole des Mines de Paris. Il appartient au Corps des mines.

Biographie publiée dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III

Les Ingénieurs qui ont passé par l'Ecole des Mines de 1848 à 1857 se souviennent encore aujourd'hui, avec une affectueuse reconnaissance, du savant au coeur chaud, au regard bienveillant, au sourire plein de finesse, qui dirigeait alors ce célèbre établissement, sa création. « Je dis sa création, sans crainte d'être démenti par ceux qui l'ont connu tel qu'il l'avait reçu et... tel qu'il l'a laissé. » (de SENARMONT, Discours aux funérailles). Il avait pour ses élèves une sollicitude paternelle touchante. En était-il, parmi ceux qui se recommandaient par leur travail et leur valeur morale, auxquels leurs familles ne pouvaient donner une assistance suffisante, soit pendant leur séjour à l'Ecole d'Application, soit à leur sortie, pour leur installation du début, il allait à eux, les interrogeait avec bonté et, lorsqu'il en reconnaissait la nécessité, les obligeait à puiser dans sa bourse de quoi faire face aux difficultés matérielles de leur situation. Il se souvenait, en ces occasions, des premiers temps de son enfance, où la dure gêne avait visité sa famille ; il était heureux d'en épargner les amertumes à ses jeunes camarades, et n'eut d'ailleurs jamais à le regretter.

Ours-Pierre-Armand DUFRÉNOY est né à Sevran, le 5 septembre 1792. Son père, Petit-Dufrénoy, procureur au Châtelet, était très considéré pour sa science du droit et sa haute probité ; sa mère était la femme poète dont les oeuvres gracieuses ont charmé la jeunesse du commencement du siècle. Son enfance fut pénible ; son père ayant été ruiné par les misères du temps et, pour comble de malheur; ayant perdu la vue, sa mère était restée seule à subvenir aux besoins des siens, au moyen du maigre produit d'un travail à peine rétribué. L'esprit de l'enfant resta vivement frappé de cette pénible phase de sa vie, qui développa chez lui une maturité précoce.

Dufrénoy commença ses études en 1808, à Rouen, où il eut, comme condisciple et ami, Valenciennes, plus tard son confrère au Muséum et à l'Académie des Sciences; il les termina à Paris, au lycée Louis-le-Grand, où il se lia avec Legrand, le futur sous-secrétaire d'Etat des travaux publics, dont le souvenir est resté si vivace dans les deux corps des Ponts et Chaussées et des Mines.

Entré à l'Ecole Polytechnique en 1811, il en sortait deux ans après dans les Mines et partait pour Moutiers, en Savoie, où se trouvait alors l'Ecole d'application ; mais sa promotion devait être la dernière qui entrevît les Alpes. L'invasion dispersa, en effet, l'Ecole et força ceux des élèves qui avaient à continuer leurs études à rejoindre Paris. Dufrénoy se plaisait plus tard à raconter comment, avec ses camarades Juncker et Lambert, il fît à pied ce voyage, qui dura treize jours, d'abord en pays devenu très hostile, puis à travers les armées étrangères, n'ayant à eux trois, pour toute ressource, qu'une somme de 106 francs, qu'ils surent si bien ménager qu'à leur arrivée aux portes de la capitale il leur restait encore tout juste de quoi payer la voiture qui les ramena dans leurs familles (De Billy, Notice sur Dufrénoy).

L'École des Mines avait été rétablie à l'Hôtel de Mouchy, où elle existait avant son transfert en Savoie ; quelques semaines après son installation, elle dut déménager au Petit-Luxembourg, puis presque aussitôt, en août 1815, à l'Hôtel Vendôme, son emplacement définitif. Le résultat de ces pérégrinations multipliées et des difficultés qui en furent la conséquence fit que Dufrénoy ne put être nommé aspirant qu'en 1818; mais sa carrière n'eut pas à en souffrir. Brochant de Villiers, « digne appréciateur des jeunes talents», l'appela en 1819 à l'École naissante des Mines, qu'il ne quitta plus jusqu'à sa mort.

A cette époque, la constitution géologique de la France était mal connue ; les traits généraux en étaient à peine esquissés, et, après une discussion de plusieurs années, l'exécution d'une Carte géologique générale fut décidée en 1821. La direction en avait été confiée à Brochant de Villiers, auquel furent adjoints, sur sa proposition, Dufrénoy et Elie de Beaumont, chargés des voyages d'exploration.

On ne tarda pas à reconnaître que, pour mieux assurer le succès du travail, il était désirable qu'on s'y préparât par un voyage en Angleterre. C'est en effet dans cette contrée, où l'observation du sol est favorisée par de nombreuses falaises, qu'on avait perfectionné depuis vingt ans l'étude des terrains secondaires, jusque-là très peu avancée ; il convenait de visiter ces lieux devenus classiques, sur lesquels on avait basé les idées nouvelles, afin d'appliquer à la France les résultats de leur étude.

Dufrénoy et Élie de Beaumont, outre leurs travaux géologiques, rapportèrent de ce voyage des documents précieux sur les mines et la métallurgie du pays qu'ils avaient visité. Ces documents ont fait l'objet de Mémoires, réunis en 1827, sous le titre de Voyage métallurgique en Angleterre, en un volume, dont le major-général Portlock, président de la Société géologique de Londres, disait, en 1859, « qu'on ne possédait pas encore, en Angleterre, un travail aussi complet sur sa richesse minérale et sur les établissements industriels qui s'y rapportent ». Sur la demande du duc Decazes, Dufrénoy étudia l'application des procédés métallurgiques anglais aux richesses minérales du bassin houiller de l'Aveyron ; son travail eut une influence décisive sur la création des usines de Decazeville, de sorte qu'on peut, à juste titre, revendiquer pour lui une part de l'honneur d'avoir introduit en France les méthodes modernes de la fabrication du fer.

Vers 1832, l'attention des Ingénieurs fut appelée sur les essais qu'on faisait en Allemagne, en Angleterre et en Ecosse, pour l'emploi de l'air chaud dans les hauts fourneaux. Dufrénoy fut chargé d'étudier la question en Grande-Bretagne, et fit connaître à l'industrie française les procédés de travail auxquels le nouveau mode de soufflage avait conduit nos voisins et les avantages qu'ils en avaient tirés.

Ces études d'ordre technique ne lui avaient pas fait négliger celles qu'il avait entreprises en collaboration avec Elie de Beaumont, en vue du tracé d'une Carte géologique générale de la France. Les premiers voyages des deux amis avaient été entrepris isolément ; à Dufrénoy était échue la mission d'explorer la partie du territoire limitée à l'est par le Rhône et la Saône, au nord par une ligne passant à Honfleur, Alençon, Avallon et Chalon-sur-Saône. Les difficultés de toute nature qu'il eut à surmonter furent souvent fort grandes, mais elles ne faisaient qu'aiguiser sa bonne humeur et son énergie. En 1819, ses investigations étaient terminées.

La partie la plus ardue et la plus difficile de sa tâche avait été l'étude des Pyrénées. Avant lui, cette chaîne, « étudiée d'abord par Ramond, Palassou et de Charpentier, était assez connue... sous le rapport des roches et des minéraux qui les constituent ou qu'elles renferment accidentellement, mais... sous celui des relations stratigraphiques et de l'âge de ces roches, il restait à peu près tout à faire. Dufrénoy... était parvenu à jeter une vive lumière sur ce chaos». S'il ne réussit pas à tracer avec certitude les limites respectives des terrains si variés et parfois si enchevêtrés qui constituent l'ossature des montagnes pyrénéennes, ce qui était à prévoir et qu'on n'est d'ailleurs pas encore parvenu à réaliser au temps où nous sommes [article rédigé en 1896], du moins sut-il faire rentrer, dans la structure de la chaîne, l'ordre à la place de la confusion.

Le rapprochement des observations des deux explorateurs avait fait naître des doutes et des difficultés ; des résultats obtenus par l'un des voyageurs paraissaient ne concorder qu'imparfaitement avec ceux que l'autre avait réunis. Les campagnes qui suivirent celles de 1829 furent, en conséquence, employées en partie à des voyages faits en commun, afin de permettre aux deux amis de visiter ensemble les contrées sujettes à discussion, de se communiquer leurs doutes en face des points litigieux et de s'éclairer mutuellement par la discussion, toujours si profitable quand elle a lieu à la vue des faits. Il en résulta un accord tel que la Carte géologique, quoique exécutée par deux ingénieurs observant séparément, chacun dans une moitié de la France, eut bien le caractère d'un ouvrage d'ensemble, dont toutes les parties étaient en rapport entre elles. [BROCHANT DE VILLIERS, Notice sur la Carte géologique de la France, lue le 30 novembre 1835 à l'Académie des Sciences. Les résultats des observations personnelles de Dufrénoy ont fait l'objet de nombreux Mémoires, qui sont insérés dans les Annales des Mines, le Bulletin de la Société géologique, les Comptes rendus de l'Académie des Sciences, et dans l'Explication de la Carte géologique de la France.]

Pour apprécier cette grande oeuvre, qui a rendu inséparables les noms de ses deux auteurs, il faut se rappeler ce qu'était la géologie de la France à l'époque où elle parut. Sans doute, de nombreuses erreurs de détail y ont été relevées depuis ; elle n'en reste pas moins un monument impérissable élevé aux Sciences géologiques et qui fait le plus grand honneur au corps des Mines. Son apparition, en 1840, fut un événement dans le monde savant ; la Société géologique de Londres qui, depuis plusieurs années déjà, comptait Dufrénoy et Elie de Beaumont parmi ses membres, leur décerna la médaille de Wollaston et, par une dérogation flatteuse à la règle, en offrit un exemplaire spécial à chacun.

Dufrénoy professait, depuis 1826, la Minéralogie à l'Ecole des Ponts et Chaussées ; suppléant du même cours, depuis 1825, à l'Ecole des Mines, il en devint titulaire en 1835. Au Muséum, il succéda, en 1847, à Alexandre Brongniart, après l'avoir suppléé pendant plusieurs années. Il condensa son triple enseignement en un Traité [ La 2ème édition de cet ouvrage a été publiée en 4 volumes, dont les trois premiers seulement du vivant de l'auteur ] , qui a rendu de grands services, surtout aux ingénieurs que leurs fonctions obligeaient à y recourir.

Comme professeur, sa parole sobre et concise, mais toujours claire, « savait appeler l'attention sur les points les plus abstraits de la Science et donner un attrait véritable aux études les plus ardues. L'élève laborieux trouvait toujours auprès de lui un éloge et un encouragement auxquels la réserve habituelle de ses manières donnait un prix tout spécial (Hervé Mangon) ».

En même temps qu'il y professait la Minéralogie, Dufrénoy eut la charge de l'Administration de l'École des Mines, d'abord en qualité d'inspecteur-adjoint des études, plus tard comme inspecteur titulaire ; c'est à son initiative et à ses efforts énergiques qu'on doit les développements donnés à cet important établissement, dont il est devenu le directeur depuis janvier 1848. A dater de ce moment, en effet, tout a changé de face : « Des collections de toute nature se sont ouvertes à l'étude dans des constructions nouvelles ; l'Administration et l'industrie privée ont trouvé un Laboratoire toujours prêt à répondre à leurs demandes; un grand nombre de jeunes ingénieurs sont venus, chaque année, puiser des connaissances spéciales à un enseignement presque transformé (de Sénarmont). »

Par ses travaux de tous genres, scientifiques, techniques et administratifs, Dufrénoy avait conquis une grande notoriété. Membre de l'Académie des Sciences depuis 1840, il était entré au Conseil des Mines en 1846, et promu au grade supérieur de son corps en 1851.

Dans aucune des situations qu'il a occupées, il n'a connu le repos; partout où s'agitait une question nouvelle, l'Administration avait recours à ses lumières, à son jugement, à son expérience; c'est lui qui, en Sologne, a fixé les bases des travaux exécutés pour assainir et fertiliser un sol ingrat ; qui, à Vichy et ailleurs, a tracé la voie suivie avec succès pour assurer le captage de leurs précieuses sources d'eau minérale.

Dufrénoy est mort en 1857, laissant le souvenir d'un homme sympathique et bon, d'une honorabilité rare, qu'une vie entière consacrée au travail et des services éminents rendus au pays, comme savant ingénieur et parfait administrateur, permettent d'offrir en exemple.

A. DAUBRÉE.


Extrait de Annales des Mines, 1857 :

Discours de M. DE SENARMONT,
ingénieur en chef des mines, membre de l'Académie des sciences.

Messieurs,

L'événement funeste, qui vient porter le deuil au l'Académie des sciences, frappe au coeur le corps des mines. Il perd aujourd'hui un illustre représentant des sciences, dans l'administration, dans l'industrie. L'École des mines pleure une de ses gloires un chef dévoué, presque un fondateur.

Partout, en effet, dans nos travaux, dans nos institutions, dans nos annales, le nom de Dufrénoy est écrit en traits ineffaçables.

A peine sorti de l'école de Moutiers, il devenait déjà l'un de nos maîtres. Un digne appréciateur des jeunes talents, M. Brochant de Villiers, l'avait appelé à l'école naissante de Paris ; et bientôt après se formait, entre M. Dufrénoy et M. Élie de Beaumont, cette union intime de deux esprits d'élite, cette noble association, si féconde pour la science, pour leur commune gloire, et qui devait jeter tant d'éclat sur le corps des mines tout entier.

On connaissait mal alors la constitution géologique de la France : MM. d'Omalius d'Halloy et Coquebert de Mombret n'en avaient esquissé que les traits généraux; MM. Dufrénoy, Élie de Beaumont furent chargés, sous la direction de M. Brochant de Villiers, d'une étude complète et détaillée de notre sol; tâche immense quand il faut marcher sans guide, que la science hésite encore et que l'observateur ne peut devoir qu'à lui même le fil conducteur capable de le diriger dans le dédale de ses propres découvertes.

En 1823, MM. Dufrénoy et Élie de Beaumont commençaient leur oeuvre, tout était à faire; après dix huit ans tout était fait, et ils avaient élevé aux sciences géologiques un monument impérissable, auquel demeureront à jamais attachés les noms inséparables des deux amis, des deux glorieux collaborateurs, comme celui de l'illustre Cassini au premier monument des sciences géodésiques.

Je n'essayerai pas, messieurs, de rappeler ici la série des travaux qui venaient chaque année signaler les progrès de ce prodigieux labeur. Avant de le commencer, les jeunes ingénieurs étudièrent en Angleterre les contrées devenues classiques pour la géologie. Ils venaient chercher des leçons, et tout d'abord ils se montrent capables d'enseigner les maîtres eux-mêmes, en posant, dans les terrains de transition d'un pays où ils arrivaient pour s'instruire, les bases des divisions fondamentales dont les plus éminents géologues n'ont eu plus tard qu'à ressaisir et à suivre les traces.

M. Dufrénoy apporte ensuite, pour sa part dans l'oeuvre commune, de nombreux mémoires. On le voit, par exemple, révéler en Auvergne l'alternance des formations lacustres et des phénomènes volcaniques; montrer qu'aux environs de Paris, même après MM. Cuvier et Brongniart, il pouvait encore rester quelque chose à découvrir sur les terrains tertiaires; signaler les caractères exceptionnels de la craie dans les Pyrénées, et faire rentrer dans la structure de cette chaîne, en apparence si compliquée, l'ordre et la simplicité à la place de la confusion et du chaos.

Ces publications, bien d'autres encore, que je suis forcé d'omettre, n'ont pas fait seulement mieux connaître le sol de la France : elles ont contribué à répandre le goût d'une science aujourd'hui populaire; et par son exemple, par ses oeuvres, autant que par son nom, M. Dufrénoy doit être compté parmi les premiers fondateurs de la Société géologique.

Ces travaux ont ouvert à M. Dufrénoy les portes de l'Académie des sciences ; mais le savant n'avait jamais oublié les études de l'ingénieur. Déjà il avait publié, avec M. Élie de Beaumont, de précieuses observations sur la métallurgie de l'Angleterre; plus tard il rapporte, d'une mission spéciale dans le même pays, un traité complet sur les perfectionnements récents de l'industrie des forges.

Membre actif des jurys de nos expositions nationales , il était encore le délégué de la France à l'exposition universelle de Londres; et une commission, qui comptait des représentants de toutes les nations, le choisissait pour son vice-président et son rapporteur.

Partout où s'agitait une question nouvelle, l'administration avait recours à ses lumières. C'est ainsi qu'en dehors même de ses fonctions, déjà très-laborieuses, il venait à peine de terminer de longs travaux sur l'assainissement de la Sologne, sur l'aménagement des sources minérale de Vichy et de Plombières. Son zèle, sa facilité , ses vastes connaissances suffisaient à tout ; mais sa santé devait y périr.

Parmi tant de travaux utiles et glorieux, le plus utile, le plus glorieux peut-être est la création de l'École des mines. Je dis la création sans crainte d'être démenti par ceux qui l'ont connue telle que l'avait reçue M. Dufrénoy, et qui la connaissent telle qu'il l'a laissée.

Entre ses mains, tout a changé de face : des collections de toute nature se sont ouvertes à l'étude, dans des constructions nouvelles; l'administration et l'industrie privée ont trouvé un laboratoire toujours prêt à répondre à leurs demandes; un grand nombre de jeunes ingénieurs sont venus chaque année puiser des connaissances spéciales à un enseignement presque transformé, et les étrangers eux-mêmes ont brigué à l'École des mines une place comme une faveur.

Tant de services, depuis longtemps reconnus, avaient reçu un prix bien mérité. M. Dufrénoy était membre de l'Académie des sciences, professeur au Muséum, inspecteur général des mines, directeur de l'École, commandeur de la Légion d'honneur. Aucune distinction ne lui a manqué; mais il a toujours regardé comme sa plus précieuse récompense tout ce qu'il obtenait pour cette école, à laquelle il avait identifié sa vie.

Pour cette création, dont il avait droit de s'enorgueillir, il fallait, en effet, une grande influence légitimement conquise, la confiance entière d'une administration libérale et éclairée; ce n'était pas assez encore , il fallait de rares qualités, de l'intelligence et du coeur.

Qui de nous, en effet, messieurs, pourrait jamais publier la modération affectueuse, la tolérance conciliante et sereine de l'excellent confrère dont nous déplorons la perte prématurée? Et parmi ces jeunes gens qui m'entendent, combien ont été l'objet de son active sollicitude, combien même ignoreront toujours la reconnaissance qu'ils doivent à ce chef paternel !

Aussi, dans cette école qui était son ouvrage, tous ceux qui avaient appris à le connaître, tous, depuis les plumiers jusqu'aux plus humbles, ont voulu apporter ici le pieux tribut de leur affliction et de leurs regrets.

Quel plus bel hommage que ce deuil universel devant une tombe ! Puisse-t-il au moins adoucir d'autres douleurs, pour lesquelles il n'est pas de consolations!

Discours de M. ÉLIE DE BEAUMONT, inspecteur général des mines, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences.

MESSIEURS,

Des voix éloquentes et toujours heureusement inspirées vous ont retracé mieux que je ne saurais le faire, surtout en ce moment, les titres éminents qui feront vivre dans la science le nom de M. Dufrénoy. Mais son nom vivra aussi dans les coeurs, et la place que j'ai eu le bonheur d'occuper dans le sien m'était et me sera toujours trop chère pour que je ne réclame pas le privilége d'ajouter encore quelques mots aux paroles si bien senties que vous venez d'entendre sur les nobles et rares qualités qui le distinguaient.

Lié avec lui depuis plus de trente-six ans, appelé à faire avec lui de nombreux voyages, à concourir avec lui à de longs travaux, j'ai eu avec M. Dufrénoy, pendant des années entières, ces rapports de chaque jour où rien ne peut demeurer caché, même au fond de la pensée. Chaque jour j'ai eu de nouveaux motifs d'aimer et d'admirer cette riche et excellente nature. Sa franchise, l'égalité de son caractère, sa volonté toujours ferme et jamais cassante, rendaient les relations avec lui aussi faciles que sûres. Il avait fait un de ses premiers voyages scientifiques dans la Bretagne, dont il parlait souvent avec une prédilection particulière, peut-être parce qu'il y avait en lui quelque chose de la fermeté tenace et de la loyauté primitive du caractère breton.

Il restait toujours le même. En trente-six ans son âme n'avait pas vieilli d'un jour. Sa fraîcheur de sentiment, son inaltérable droiture, son amour pour tout ce qui est bon et beau, dans la conduite de la vie aussi bien que dans la science, justifiaient encore, dans ses derniers jours comme dans sa première jeunesse, ces vers charmants qu'une main tendre et chérie, longtemps éprouvée par le malheur, traçait pour lui à la fin de ses études :

Oui, mon fils, oui, ma noble idole,
De mon été qui fuit ton printemps me console.
Eh, comment du passé garder le souvenir,
Quand les mâles vertus de ton adolescence,
Et tes savants travaux, suivis avec constance,
Répondent de ton avenir !

Madame Dufrénoy, dont le nom est consacré par tant de succès littéraires, avait célébré en beaux vers, que l'Académie française a couronnés, les derniers moments de Bayard. Elle s'y était montrée la digne interprète du chevalier sans peur et sans reproche. Héritier de ses nobles sentiments comme de ses qualités aimables, son fils y puisait une élévation d'un caractère littéraire et presque poétique qu'il était plus facile de sentir que d'exprimer. Un homme dont le nom vivra aussi à plus d'un titre, M. Jay, qui n'était pas moins bon juge des sentiments que des écrits, l'avait apprécié de bonne heure; et sa fille, que tant de douleur accable aujourd'hui, était devenue le gage d'union de deux familles si dignes l'une de l'autre. Notre ami était à l'unisson de ces âmes élevées, et il trouva près d'elles un bonheur qui est pour lui-même un éloge et le plus digne peut-être de sa mémoire.

Il le goûtait sans apparat, avec la modestie qui était un des traits les plus aimables de son caractère. Des sujets de distraction si doux ne le détournaient pas d'études ardues dans lesquelles on ne peut réussir que par un long travail. Le travail était son élément. Doué d'une instruction aussi solide que variée, dans les lettres comme dans les sciences, il écrivait avec facilité et toujours avec une lucidité parfaite, réalisant le vers de Boileau :

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.

Familier dès l'enfance avec nos meilleurs littérateurs, il avait puisé près d'eux un goût sûr, dont la première règle était pour lui l'absence de toute enflure et de toute inutilité. Ses nombreux écrits, les fréquents et lumineux rapports qu'il a faits à l'Académie, attestent sa facilité autant que son vaste et profond savoir.

Il portait les mêmes qualités dans le professorat. Toujours clair et substantiel, il savait fixer l'attention sur les sujets les plus arides et rendre saisissables les vérités les plus ardues. Jamais peut-être la cristallographie n'eut un interprète plus facile et plus élégant.

M. Dufrénoy restera parmi nous le modèle des directeurs. Avec sa modestie, sa douceur, sa constante volonté d'être juste, son désir infatigable d'être utile, M. Dufrénoy était toujours écouté. Pendant les quarante ans qu'il a passés à l'École des mines, l'ordre le plus parfait n'a jamais cessé d'y régner. Il ne parlait jamais de rigueur ; personne ne songeait à lui désobéir, et chacun aurait été désolé de l'affliger; il y vécut constamment entouré d'amis.

Adieu, mon cher Dufrénoy, adieu pour toujours en ce monde !