Le 5 mai 1807

Mon bon ami,

La loi sur les écoles de service public nous fit en l'an IV d'agence des mines Conseil des mines, elle ordonna le placement d'une école pratique près d'une mine productrice, elle confirma toutes nos autres attributions portées dans les deux arrêtés cy joints du Comité de Salut public.

L'école fut d'abord déterminée près des mines de Ste Marie, puis près de celles de Giromagny dans les Vosges où l'on parlait allemand (la langue des mineurs), où la nature semblait avoir tout réuni pour l'instruction, mais l'intrigue fit tout échouer.

M. Chaptal, apprenant en l'an X que l'on s'occupait de l'Ecole pratique au Conseil d'Etat, craignant d'être devancé, sans nous prévenir, proposa deux autres écoles pratiques qui auroient pu être mieux placées, et annonça qu'il ne demandait aucun fonds extraordinaire pour les financer. Le projet fut adopté.

Pour l'exécuter M. Chaptal voulut ne conserver que les trois membres du Conseil dont il augmenta le traitement, 3 inspecteurs généraux, quelques employés et réforma toutes les personnes attachées à l'établissement, tous les ingénieurs jeunes et vieux, en conservant 20 élèves pour recruter un corps qui n'existait plus.

Le Conseil, affligé, lui fit de vives représentations, je me permis de lui dire qu'en voulant organiser l'instruction, il détruisait le corps auquel elle était destinée. Il se mit tellement en colère contre moi qu'il se leva de son bureau en frappant du pied d'une manière violente et me disant des choses dures, mes collègues l'apaisèrent.

Il revint de la manière la plus aimable, nous nous embrassâmes et nous obtinmes enfin que l'on ne ferait à Paris qu'une réforme de 66 000 f ., que l'on conserverait les inspecteurs les plus utiles. Le Conseil imagina alors, pour venir à leur secours, de leur faire payer une somme de 600 f. par département pour les voiages que leur service y exigeoit.

M. Chaptal saisit ce moyen de conserver le corps, nous proposâmes une organisation faible, mal payée, mais proportionnée aux circonstances ; elle fut adoptée et nos traitements restèrent les mêmes, toujours au-dessous de nos besoins.

Haüy, Vauquelin passèrent au Muséum ; la mine de plomb de Pesey (Mont-Blanc) fut reprise et en 4 ans le Conseil par mes soins, par mes sacrifices, par le zèle éclairé des ingénieurs (que l'on représentait alors comme des théoriciens bons pour tenter des expériences auprès des autorités suprêmes, des hommes qui parlent d'or, mais n'en font point), le Conseil rétablit tout et mit la mine en bénéfices : en 4 ans on y a versé de Paris 264 000 f, mais elle marche actuellement toute seule et a donné à la fin de l'année dernière un bénéfice de 84 000 f avec tous ses magazins garnis.

Ce bénéfice est employé à établir la grande fonderie centrale de Conflans où l'on descendra les minerais de Pesey et où l'on fondera ceux environnans.

Il résulte de la bonne administration de cette école que l'on aura relevé et fondé deux grands établissemens qui aujourd'hui occupent plus de 350 personnes et bientôt en occuperont plus de 500 et rapporteront 100 000 f. environ sans aucun fonds extraordinaire de la part du gouvernement, mais en mettant dans la gêne tout le corps des mines, et ce n'est qu'en 1809 qu'elle pourra commencer à nous donner des secours puisans.

La nouvelle école de la Sarre, remise au Conseil depuis quelques mois, dont l'usine peut, en dépensant 160 000 f., fabriquer pour 200 000 f de fers-blanc, ce qui offre un bénéfice annuel de 40 000 f., manquant par le défaut d'adoption des mesures préparatoires que nou savions proposé en 1806, d'approvisionnemens en houille, en bois, en fer, en étain, ne présentant pas un seul logement disponible pour le directeur, pour les élèves, beaucoup de réparations à faire, ne pourra être remise, avec beaucoup de peine et d'économie, en bénéfice que pour 1809.

Il sera alors indispensable pour les progrès de l'instruction sur le fer en France d'y consacrer pendant plusieurs années ces bénéfices pour y établir la méthode connue, mais non encore assez pratiquée, de traiter le fer avec la houille ; ce n'est qu'après que cette mine sera ainsi montée qu'elle pourra être vraiement utile et rendre des bénéfice importans.

Si le Conseil attendait cette époque pour voir ses traitemens améliorés, les membres en seraient ruinés avant.

Agréer, mon bon ami, l'expression de mon tendre attachement, obtenez de Son Excellence de mettre le Conseil à la place où il doit être, et vous aurez rendu un service important à l'art des mines ; les affaires en iront mieux, moins de réclamations s'élèveront, parce qu'il jouira de la considération que doit avoir une administration responsable de ses avis, tandis qu'aujourd'hui tout le monde croit pouvoir réclamer, se plaindre du Ministre sous le nom emprunté du Conseil.

Gillet Laumont


(document aimablement communiqué par un conseiller maître de la Cour des Comptes et retransmis par Christian Scherer)