SOUVENIRS

1878-1893

Charles de Freycinet

Volume 2, paru en 1913 chez Ch. Delagrave éd.

CHAPITRE XIII
PRÉLIMINAIRES DE L'ALLIANCE RUSSE. - SUITE DES RÉFORMES MILITAIRES.

Chapitre précédent
Chapitre suivant

 

La législature faillit s'achever sans voir le vote de cette loi militaire,, que les populations attendaient avec impatience. Depuis 1887, un conflit persistait à son sujet entre la Chambre et le Sénat. La première voulait une durée uniforme du service : trois ans pour tous, sans exception. Le Sénat, on se le rappelle, désireux de ne pas accroître l'effectif normal, préoccupé aussi de ménager certains intérêts sociaux, avait introduit de nombreuses dispenses, qui aboutissaient à ne soumettre que les deux tiers de la classe aux trois années de service. Essayer de changer son point de vue eût été, de la part du gouvernement, tout à fait chimérique. Comment amener la Chambre, dévouée au principe égalitaire, à céder au vœu du Sénat? La question revint devant elle une dernière fois, les 8 et 9 juillet 1889. Allait-on, à la veille des élections générales, se borner encore à constater la divergence et clôturer cette longue élaboration par un avortement ? Je n'y pouvais souscrire et je crus devoir prendre la parole pour écarter une aussi fâcheuse éventualité. J'adjurai mes auditeurs de dominer leurs préférences, je leur représentai combien serait déçu le suffrage universel et frustrée la démocratie. Au moment où le parlement était accusé d'impuissance, quelle arme entre les mains des ennemis du régime! L'Assemblée se laissa convaincre, elle ordonna l'affichage du discours et adopta le texte du Sénat à l'énorme majorité de 371 voix contre 156.

La session close, nous entrâmes dans une des périodes électorales les plus animées que j'aie connues. Les fidèles du général Boulanger espéraient faire infirmer par le suffrage universel l'arrêt de la Haute Cour. Escomptant au gré de leurs désirs un grand nombre de sièges dans la prochaine Chambre, ils se flattaient d'y reprendre l'agitation que le départ du général avait affaiblie. Quant aux monarchistes, compromis dans une alliance aussi imprévue, ils avaient hâte d'expliquer leur conduite et de regagner la confiance de leur clientèle ébranlée par les derniers événements. Ils cherchaient à se justifier par la nécessité de libérer à n'importe quel prix la France du régime qui la perdait. Le discrédit de la République était, disaient-ils, leur excuse : la patrie avant tout! De leur côté, les républicains, sentant le péril, se promirent de ne pas renouveler l'imprudence de 1885 et de marcher au scrutin unis unis et compacts dès le premier tour. Leur propagande reçut un essor que les circonstances ne rendaient que trop nécessaire.

Du choc de ces passions sortit une Chambre qui, après le deuxième tour de scrutin, le 6 octobre, comptait trois cent soixante-six républicains et deux cent dix adversaires irréductibles, dont cent soixante-douze monarchistes ou impérialistes et trente-huit boulangistes. Le parti républicain, sous ce furieux assaut, avait gardé ses positions. Toutefois il comptait des perles sensibles : MM. Jules Ferry, Goblet, Jaurès n'étaient pas réélus. Pour l'honneur du parlement, ils ne devaient pas tarder à y rentrer. Parmi les nouveaux venus, on remarquait deux jeunes et fervents disciples de Gambetta, M. Joseph Reinach, qui avait pris la direction de la République française, et M. Delcassé, qui, dans le même journal, traitait les questions de politique extérieure. Le cabinet Tirard avait tenté de louables efforts de conciliation. Son chef s'était tenu vaillamment sur la brèche et, le 19 novembre, en prenant contact avec la nouvelle Chambre, il répétait : « Nous vous proposons d'écarter les questions qui irritent et divisent les esprits, et de diriger toute votre attention vers la solution des problèmes d'économie politique et de justice sociale qui, provoquant à juste titre l'étude des hommes éclairés de tous les partis, intéressent la nation toute entière. » Cet appel si large, ne devait pas être entendu de nos adversaires habituels. Ainsi que le disait quelques mois plus tard M. Léon Bourgeois, devenu ministre de l'Intérieur en remplacement de M. Constans, « L'apaisemen1 ne dépend pas des républicains, mais de la droite ».

Le détail suivant montre que les monarchistes avaient plutôt en tête des idées de lutte et jugeaient le moment favorable pour se rappeler à l'attention.

Le 7 février 1890, je reçus dans l'après-midi cette lettre écrite en entier de la main du signataire et dont les caractères décelaient une plume un peu juvénile : « Monsieur le Ministre, je me suis présenté aujourd'hui au bureau du recrutement de la Seine, pour demander à être inscrit sur les registres de la conscription et à faire mes trois ans de service comme tout bon Français. Du bureau du recrutement on m'a envoyé très courtoisement à la mairie, puis au ministère de la Guerre. Je n'ai pu obtenir aucune solution. Je viens donc la réclamer de vous.

« Je n'entends pas, en prolongeant mon séjour à Paris, donner des prétextes à des manifestations. Je n'ignore pas que la loi d'exception m'interdit tout grade dans l'armée française; mais je crois, Monsieur le Ministre, qu'elle ne m'interdit pas de servir mon pays comme simple soldat. C'est le grand honneur que j'ambitionne, et, sur ce point, j'attends une prompte réponse de votre équité et de votre patriotisme.

« Je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération, Philippe, duc d'Orléans. »

Les parents du jeune prince auraient du l'avertir que la loi du 22 juin 1886 lui interdisait non seulement de recevoir un grade, mais même d' « entrer » dans l'armée française et que, s'il passait la frontière, elle mettait le gouvernement dans l'obligation de l'arrêter et de le traduire en justice. Je transmis cette lettre à mon collègue de l'Intérieur, M. Constans, qui, en me la retournant, m'informa qu'il connaissait déjà la présence du duc d'Orléans et qu'il avait donné des ordres en conséquence. Le prince fut appréhendé le soir même et condamné, le 12 février, par le tribunal correctionnel, à deux ans d'emprisonnement. Il subit sa peine à Clairvaux, dans des conditions qui ne faisaient pas de lui un martyr. Moins de quatre mois après sa condamnation. M. Carnot le gracia, sur la proposition du ministère que je présidais.

Un incident, d'une tout autre nature, jeta le cabinet Tirard dans une certaine perplexité. La Confédération suisse venait d'inviter les puissances à envoyer des délégués à Berne pour conférer sur diverses questions intéressant les classes ouvrières. Nous avions adhéré. Tout à coup l'empereur Guillaume II, avec cette spontanéité dont il a multiplié les marques, négligeant la priorité suisse, lança de Berlin une invitation analogue. Allions-nous froisser nos excellents voisins et les délaisser pour le puissant monarque? Question d'autant plus délicate que le sentiment public en France n'était pas Favorable à Guillaume II. Il avait aggravé les mesures de rigueur en Alsace-Lorraine et affectait de se montrer la main appuyée sur le pommeau de son épée. Etait-ce le moment de s'empresser auprès de lui? D'un autre côté, devions-nous paraître indifférents à un objet qui touchait la démocratie et compliquer, en nous plaçant sur un mauvais terrain, nos rapports avec l'Allemagne? Heureusement nos hésitations furent levées par la résolution du Conseil fédéral qui eut le bon goût de renoncer à son initiative pour se rallier à celle de l'Empereur. Nous envoyâmes à Berlin une délégation de cinq personnes, dont le chef était M. Jules Simon et le principal membre, de l'ordre technique, mon camarade Linder, inspecteur général des Mines. Cette conférence se borna à peu près à des paroles. M. Jules Simon en revint à demi ébloui par le jeune Empereur, qui, soit coquetterie soit calcul, s'était attaché à gagner un personnage précédé d'une si juste réputation de savoir et d'éloquence. Guillaume II devait du reste, plus tard, exercer son art de séduction sur la plupart des Français de marque qui avaient occasion de l'approcher. Le résultat le plus important et le moins prévu de ces solennelles assises fut d'accélérer le divorce de l'Empereur et de M. de Bismarck. Ce dernier, qui croyait connaître son élève, se trompa étrangement en essayant de lui résister sur cette première manifestation de politique personnelle.

Les jours du cabinet Tirard étaient comptés. Il avait accompli son œuvre et dès lors devait s'attendre, comme le cabinet Floquet un an auparavant, à disparaître dans l'indifférence des partis. Ce fut le Sénat qui lui porta, un peu sans le vouloir, le coup mortel. On y discutait, le 13 mars 1890, sur la nécessité de négocier un modus vivendi avec la Turquie et sur les motifs qui avaient détourné le gouvernement de s'en occuper. Le débat ne visant pas le renversement du ministère, le président du Conseil aurait pu n'y prendre qu'une part modérée. Mais, en matière économique, M. Tirard avait l'épiderme très sensible. Lui et M. Spuller posèrent la question de confiance pour faire écarter un ordre du jour assez anodin et y substituer l'ordre du jour pur et simple. Les mécontentements se groupèrent et celui-ci fut rejeté à douze voix de majorité. M. Tirard, qui voyait bien qu'il avait perdu la faveur parlementaire, donna sa démission avec un empressement non dissimulé.

M. Carnot me pria d'assumer la succession. J'aurais voulu me dérober, la présidence du conseil se conciliant mal avec un ministère aussi absorbant que celui de la Guerre. J'avais en perspective diverses réformes et l'application fort laborieuse de la récente loi de recrutement. Toutefois un nouveau refus, après celui que j'avais formulé à la chute du cabinet Floquet, pouvait être mal interprété. Je me résignai donc et réussis assez promptement à m'entourer de notoires capacités. Le cabinet se trouva ainsi composé : Présidence du conseil et Guerre, M. de Freycinet; Justice et Cultes, M. Fallières; Affaires étrangères, M. Ribot; Intérieur, M. Constans; Finances, M. Rouvier; Marine, M. Barbey; Instruction publique. M. Léon Bourgeois; Travaux publics. M. Yves Guyot; Commerce et Industrie. M. Jules Roche; Agriculture. M. Jules Develle.

Notre déclaration du 18 mars 1890 adressait un cordial appel à toutes les fractions républicaines et les conviait aux réformes économiques et sociales, « conséquences du régime que la France s'est donné ». Nous nous proposions d'arriver à la formation de cette « République large, ouverte, tolérante et paisible, qui est l'état définitif et le terme désiré des luttes que nous traversons ». Ce langage dans ma bouche n'étonnait personne : il était l'écho de celui qu'on avait entendu à Nantes, à Montauban et à Toulouse. L'union des républicains, suivie de l'union de tous les Français, quel rêve! Et combien grande serait cette nation, s'il pouvait se réaliser! Une interpellation amicale de M. Lockroy nous permit, le jour même, de préciser notre penser et d'ajouter quelques développements, après lesquels la Chambre, par 309 voix contre 75, nous accorda sa confiance. L'extrême gauche s'abstint, non par malveillance, mais pour ne pas se solidariser avec un programme quelle jugeait trop modéré, et qui l'était, en effet, comparativement au sien. Ses organes dans la presse se chargèrent d'expliquer son attitude. Nous pouvions donc compter, de ce côté, sur une neutralité sympathique, grâce à laquelle notre ministère — par une exception qui ne s'était pas vue depuis M. Jules Ferry — vécut pendant deux ans. Et peu s'en est fallu que son existence se prolongeât davantage.

Au delà de nos frontières s'accomplissait un événement qui semblait être le début d'une ère orageuse. Le 27 mars 1890, l'empereur Guillaume accepta, que dis-je? exigea la démission de M. de Bismarck. La cause occasionnelle de cette brusque séparation n'importe pas. La cause réelle — et le fait n'en était que plus inquiétant — résidait dans l'impossibilité d'harmoniser deux volontés également impérieuses, également confiantes en elles-mêmes, également impatientes de tout contrôle. Désormais la nature impulsive et fière du Souverain ne connaîtrait plus de contrainte. Grave sujet de réflexion pour notre pays. M. de Bismarck ne nous aimait pas. Du moins il suivait une politique d'intérêts, il ne cédait pas à ses passions. Sa retraite n'augmenterait-elle pas les chances d'un conflit et serions-nous réduits plus tard à le regretter? Je me proposai de sonder à ce sujet l'ambassadeur d'Allemagne.

Le comte de Munster était un homme loyal, ennemi des conflits, désireux de maintenir la paix entre les deux nations rivales. Mes relations avec lui dataient de la fin de 1885, époque à laquelle il avait succédé au prince de Hohenlohe. Bien que je n'eusse pas occupé le quai d'Orsay depuis 1887, elles avaient continué. Il venait souvent me voir rue de la Faisanderie et nous causions avec abandon. Sa bonhomie et sa cordialité n'excluaient pas une finesse d'observation poussée très loin; il n'en faisait point étalage : elle se révélait, dans la conversation, par des traits piquants et des aperçus pleins de sens. Sa parole très simple allait droit au but. Un jour que j'étais seul dans son salon, avec lui et sa fille, la comtesse Marie, étroitement associée à sa vie, il me dit, sans transition : « Quel intérêt vous pousse à vous rapprocher de la Russie? Croyez-moi, rien de bon ne vient de l'est. » Il employait volontiers cette formule; il avait séjourné longtemps à Pétersbourg, comme chargé d'affaires, et n'en conservait pas un souvenir agréable. Il racontait des histoires étonnantes sur l'incurie administrative des Russes (dont les défaites de Mandchourie ont apporté la triste confirmation). Sa prédilection allait aux Anglais, dont il avait le port et les manières, puis aux Français, dont il appréciait l'esprit et la culture. « Mon cher comte, lui répondis-je, il existe entre les Russes et nous une vieille sympathie, qui s'est manifestée durant le premier Empire et plus tard sous les murs de Sébastopol. Il est du reste bien naturel que nous cherchions un contrepoids à votre Triple Alliance. » — « Où en est la nécessité? répliqua-t-il, cette Triple Alliance ne vous menace pas, tandis que vous, qui êtes des batailleurs, si vous parvenez à vous souder avec la Russie, vous nous attaquerez. » Je protestai; je l'assurai que nous voulions uniquement nous préserver. Et comme il en contestait de nouveau l'utilité, je poursuivis : « Que vous ne veuillez pas nous attaquer, je le crois. Mais avec votre nouvel Empereur, qui sait ce qui peut arriver? Maintenant qu'il a renvoyé Bismarck, il peut céder à son impulsion belliqueuse. » — « Détrompez-vous, me dit avec feu la comtesse Marie, qui jusqu'ici ne s'était pas mêlée à la conversation. Je connais Guillaume, j'ai bien souvent joué avec lui quand j'étais enfant. Je ne passe pas une fois à Berlin sans aller le voir. Il a des sentiments hautement religieux. Jamais il ne prendra l'initiative de la guerre. » L'ambassadeur continua le jugement de sa fille. Souvent, depuis, la comtesse Marie m'a dit : N'avais-je pas raison? Vous le voyez. Guillaume est pacifique. »

Cette conversation, par son ton d'absolue sincérité, m'impressionna. Cependant je conservais des doutes sur la perspicacité de mon interlocutrice. N'était-elle pas mal placée pour voir les choses exactement? D'ailleurs la sécurité d'un grand peuple ne doit pas reposer sur la bonne volonté des autres; elle doit résider en lui-même, en ses propres moyens, dans les précautions qu'il sait prendre par ses armements et par ses alliances. Tout en continuant donc d'affirmer au comte de Munster que notre rapprochement avec la Russie était purement défensif — ce qui était la stricte vérité — je n'en travaillai pas moins à le rendre plus étroit.

M. Ribot, que j'avais mis au courant de ce qui s'était passé sous les cabinets précédents, entra complètement dans mes vues et se montra non moins désireux que moi de faire cesser l'isolement de la France. Il trouva chez le baron de Mohrenheim une propension égale à poursuivre les conversations déjà engagées. Ce diplomate inspirait des doutes à quelques personnes, en raison de l'attitude qu'il avait eue à ses débuts à Paris. Il s'en expliqua un jour : « Je suis avant tout, me dit-il, le très dévoué serviteur de mon Empereur. Tant qu'il a cru devoir se rapprocher de l'Allemagne, j'y ai aidé dans ma petite sphère. Aujourd'hui j'ai la mission de travailler au rapprochement avec la France. Cette mission m'est extrêmement agréable, car j'aime votre pays, et vous pouvez compter que je m'emploierai de mon mieux à la remplir. Je sais que cette évolution de notre politique est motivée par des faits positifs et par les considérations les plus sérieuses. Je n'en demande pas davantage. Vous me verrez entièrement attaché à cette politique nouvelle. Les objections, soyez en sûr, ne viendront pas de mon coté. »

J'enregistrai bientôt une marque des bonnes dispositions de la Russie. Le 11 mai 1890, le grand-duc Nicolas, qui exerçait sur les choses de la guerre une influence considérable, vint à Paris. Le lendemain, je reçus le billet suivant, de la main du baron de Mohrenheim : « J'ai pris la liberté de passer aujourd'hui à votre porte pour avoir l'honneur de m'acquitter d'une démarche de Mgr le grand-duc Nicolas, qui est notre hôte depuis hier et qui doit repartir pour Saint-Pétersbourg jeudi. Son Altesse Impériale, qui, comme Votre Excellence ne l'ignore sans doute pas, est feld-maréchal des armées impériales et a commandé en chef nos troupes lors de la dernière campagne de Turquie, serait fort heureuse de pouvoir profiter de son trop court séjour à Paris pour faire votre connaissance et m'a chargé de vous en transmettre le vœu, en vous demandant s'il pourrait vous convenir d'accepter à déjeuner chez Elle, soit demain, soit après-demain, à votre convenance... L'accueil que le Grand-Duc a reçu à Nice de ceux qu'il aime à qualifier de ses frères d'armes le rend d'autant plus désireux de pouvoir en exprimer sa reconnaissance à leur chef. » Après le déjeuner, je causai pendant près de deux heures avec le Grand-Duc, dans un coin du salon. Son rôle militaire, sa rondeur, sa parfaite connaissance de notre langue, la variété des sujets qu'il abordait rendaient sa conversation particulièrement attrayante.

Il me remercia vivement des attentions que nous avions eues pour les officiers d'artillerie, ainsi que pour les ingénieurs des poudres qui se préparaient à édifier en Russie des fabriques sur le modèle de Sevran-Livry. Il s'enquit des réformes que je poursuivais, me disant qu'il s'intéressait à l'armée française comme à la sienne propre. « Si j'ai voix au chapitre, ajouta-t-il, les deux armées n'en feront qu'une en temps de guerre. Et cela, étant bien connu, empêchera la guerre. Car personne ne se souciera d'affronter la France et la Russie réunies. C'est ce que je répète dans ma famille. » Il me demanda des renseignements détaillés sur les forces dont nous disposions, sur le nombre de nos batteries, sur notre haut commandement, enfin sur l'état de notre flotte. Nous nous quittâmes dans les termes de la plus grande cordialité : « La France a en moi un ami ». dit-il en me serrant chaleureusement la main.

Quelques jours après, un incident resserra nos rapports avec la Russie. Le matin du 28 mai 1890, le baron de Mohrenheim se présenta chez M. Ribot et lui apprit que des nihilistes ourdissaient à Paris un complot contre la vie de l'Empereur. Il lui indiqua même certains points du bois de Vincennes où des bombes étaient enterrées. Il ne possédait pas encore tous les documents, mais il y avait urgence, selon lui, à procéder aux arrestations, car les conspirateurs se préparaient à quitter Paris. M. Ribot vint m'exposer les faits; nous mandâmes aussitôt M. Lozé, préfet de police, qui, de son côté, avait réuni les renseignements les plus précis et même avait déjà saisi le juge d'instruction Atthalin. La journée fut employée à remplir les formalités légales en vue d'arrestations pour le lendemain. Le soir M. Lozé se rendit à la gare de l'Est, afin d'aviser le ministre de l'Intérieur qui rentrait de voyage avec le président de la République. M. Constans prit l'affaire en main et, le 29 mai à la première heure, les fabricants d'engins furent incarcérés, au grand contentement de l'ambassadeur.

Vers la fin de l'année, mon ami Barbey, ministre de la Marine, m'entretint des très intéressantes informations qu'il recevait de notre attaché naval à Pétersbourg. Le ministre de la Marine russe, qui connaissait les témoignages de sympathie échangés à Paris entre les officiers d'artillerie des deux nations, lui avait dit que des témoignages pareils ne manqueraient pas de se produire, à l'occasion, entre les officiers des deux armées de mer. Mon collègue estimait que, si la France envoyait une escadre dans la Baltique, non seulement cette escadre serait bien reçue, mais qu'elle déterminerait des manifestations enthousiastes. Notre attaché reçut l'ordre de continuer à recueillir les impressions autour de lui et de les transmettre fidèlement au ministre. Au printemps, si les circonstances s'annonçaient décidément favorables, M. Barbey présenterait avec mon assentiment une motion au conseil dans le but d'être autorisé à procéder à cette importante démarche. Provisoirement nous convînmes de garder le silence pour ne pas risquer d'éveiller au dehors certaines susceptibilités qui pourraient mettre obstacle à ce projet. L'initiative de M. Barbey fut, comme ou verra, couronnée de succès ; c'est à elle qu'on doit la démonstration de Cronstadt.

J'avais hâte de réaliser la réforme qui me tenait le plus à cœur et dont la perspective m'avait retenu au ministère de la Guerre lors de la chute de M. Tirard : je veux parler de la création de l'état-major de l'armée. Depuis deux ans, j'attendais l'heure propice; elle me paraissait enfin venue. Les préventions entretenues autrefois contre le général de Miribel semblaient aujourd'hui entièrement dissipées. Par son passage au 6e corps, où il s'était montré le digne continuateur du général Février, il avait conquis, si je puis dire, droit de cité dans le haut personnel de la République. L'opinion s'habituait à voir en lui un de nos chefs les plus qualifiés. On pouvait donc, sans la heurter, l'appeler aux côtés du ministre de la Guerre.

Le Journal officiel du 7 mai 1890 enregistra le décret impatiemment attendu de l'armée. Les termes en avaient été mûris et discutés avec le général Saussier. Celui-ci se trouvait directement intéressé à la mesure, puisque le futur chef d'état-major devait être son major général en temps de guerre et pendant les grandes manœuvres du temps de paix. L'institution a subi quelques modifications dans ces dernières années, toutefois l'idée essentielle subsiste. Je ne serais pas surpris qu'on en revînt au texte intégral d'un règlement qui avait reçu l'approbation des hommes de guerre de L'époque, non seulement de Saussier et de Miribel, mais aussi de Février, Billot, Galliffet. J'en rappelle les dispositions essentielles.

En vertu de l'article premier, une partie du personnel de l'état-major de l'armée forme, au moment des hostilités, le noyau des états-majors des armées d'opération. Le chef d'état-major lui-même passe sous les ordres du commandant en chef des forces de l'est, qui n'a cesse de travailler avec lui pendant le temps de paix. Le surplus du personnel, avec le premier sous-chef, reste auprès du ministre, pour assurer sous ses ordres directs la marche du service central. Les grandes manœuvres d'automne offrant, dans la mesure du possible, un raccourci de l'état de guerre, j'expérimentai, en septembre 1891, le fonctionnement de la nouvelle organisation. Quatre corps d'armée et deux divisions de cavalerie indépendantes, répartis en deux armées adverses, évoluèrent pour la première fois sous les ordres du général Saussier, assisté du général de Miribel. Celui-ci, durant tout un mois, cessa de relever du ministre pour obéir exclusivement au commandant en chef. Le mécanisme se montra d'une solidité et d'une souplesse à toute épreuve. Les attachés militaires en emportèrent une impression profonde et j'ai su par notre ambassadeur à Berlin, M. Herbette. que le grand état-major allemand en avait conçu un surcroît d'estime pour nos institutions militaires.

Le décret donne à l'état-major des attributions fort étendues, qui n'ont pas été restreintes par mes successeurs. Elles visent, en principe, tout ce qui touche la préparation à la guerre et notamment : la mobilisation et la concentration; l'emploi des chemins de fer et des voies navigables; l'organisation et l'instruction générale de l'armée; la préparation et la coordination des travaux du conseil supérieur de la Guerre; les missions d'inspection confiées à ses membres. Le chef d'état-major est rapporteur permanent auprès du conseil et sert de trait d'union entre celui-ci et le ministre.

Cette réforme me permit d'en réaliser une autre, dont je n'avais que trop senti le besoin en 1870 : elle concerne les rapports avec les compagnies de chemins de fer. La législation en vigueur accordait au ministre un droit général de réquisition du personnel et du matériel en cas de guerre. Ce droit n'était ni précisé ni réglé, et surtout l'application n'en était pas préparée dès le temps de paix. Pendant ma délégation à Tours et à Bordeaux, je dus faire usage de procédés dictatoriaux, que les circonstances excusaient, mais qui ne constituent pas une bonne méthode. Il convient que les mesures de cet ordre soient concertées d'avance et que la mobilisation n'ouvre pas une ère d'improvisations et d'à-coups. Les Chambres adoptèrent, a la fin de 1890, une loi qui prévient les difficultés. Les décrets qui la développent ont institué, auprès de chaque compagnie, un commissaire militaire, délégué de l'état-major, qui s'associe intimement avec le délégué de la compagnie, pour résoudre toutes les questions concernant les besoins de l'armée. Aussitôt l'ordre de mobilisation lancé, ce commissaire, assisté à son tour du délégué de la compagnie, prend en main la haute direction du chemin de fer et le subordonne entièrement aux nécessités de la défense. Cette organisation, éprouvée dans les grandes manœuvres, n'a donné lieu à aucune retouche.

Je dois rendre cette justice aux compagnies que non seulement elles n'ont pas suscité d'obstacles au vote de la loi. mais qu'elles en ont facilité l'application autant qu'il était en leur pouvoir. Nonobstant le monopole d'Etat dont les chemins de fer sont l'objet en Allemagne, nous nous trouvons aussi bien partagés que nos voisins. En temps de guerre, nous aurons les mêmes facilités de transport, nous commanderons à un personnel également préparé et entraîné, nous rencontrerons, du haut en bas de l'échelle, tout autant de dévouement et non moins de patriotisme. Comme preuve de l'état d'esprit qui règne dans ces administrations au regard de la défense nationale, je citerai l'obligation bénévolement acceptée par elles, à ma demande, et depuis lors scrupuleusement exécutée, d'entretenir en tout temps, dans l'enceinte du chemin de fer, un approvisionnement de charbon suffisant pour assurer la marche de l'exploitation pendant un délai minimum de deux mois.

Il m'a été donné de voir combien l'attention du pays est en éveil, avec quel empressement les concours se présentent quand des indices de guerre même très vagues se montrent à l'horizon. La succession de ces réformes, les bruits qui couraient sur le tempérament du nouvel empereur d'Allemagne stimulaient au plus haut point les officiers du cadre de réserve. De tous cotés ils demandèrent à être exercés plus fréquemment, à multiplier les contacts avec les camarades de l'armée active, en un mot à se rendre plus aptes à jouer leur rôle au moment de la mobilisation. Je fus conduit à proposer au parlement des modifications aux conditions de la retraite, de façon que les officiers généraux arrivant à la limite d'âge pussent s'inscrire plus aisément au cadre de réserve et prolonger ainsi leur collaboration. Parmi les offres de concours qui passèrent sous mes yeux, je citerai cette lettre peu connue du duc d'Aumale :

Chantilly, 16 juillet 1890.

« Monsieur le Ministre,

« J'ai l'honneur de vous renouveler l'expression d'un vœu que j'ai déjà cherché à vous faire parvenir.

« Je vous demande de me mettre en mesure de servir en temps de guerre et je me tiens à votre disposition.

« Soyez assuré que le jour où le déclin de mes forces physiques me mettrait hors d'état de servir utilement, je serais le premier à vous en prévenir.

« Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.

« H. d'Orléans,

« duc d'Aumale. »

Si la décision n'avait dépendu que de moi, je n'aurais pas hésité à rapporter l'arrêté du général Boulanger (qui, à mon avis, s'était écarté de l'esprit de la loi) et à réintégrer le duc d'Aumale dans son grade de général de division, pour le placer au cadre de réserve. Le prince était en possession de toutes ses facultés physiques et morales, il en donnait tous les jours des preuves et sa lettre au besoin, par son écriture élégante et ferme, en aurait témoigné. Ses frères d'armes auraient salué avec joie son retour dans l'armée. Malheureusement ma bonne volonté se trouva paralysée par l'arrêt du Conseil d'État, qui avait rejeté son pourvoi de 1886. En présence d'un jugement souverain et quelle que fut mon opinion personnelle sur la mesure prise par mon prédécesseur, je ne pouvais que m'incliner. Le conseil des ministres estima de même que la pétition du prince ne comportait pas de suite. Je m'en expliquai avec M. Limbourg, venu me voir de sa part et trop bon juriste pour insister.
Le duc d'Aumale ne me garda pas rancune de l'incident Lorsque je lui rendis visite, faubourg Saint-Honoré, à l'occasion de ma candidature à l'Académie française, il me reçut de la meilleure grâce. Je ne lui demandai pas sa voix, il ne me la promit pas, mais je sais qu'il me la donna, au deuxième tour de scrutin. A l'Académie nos relations ont été, jusqu'à sa mort, des plus cordiales; il voyait toujours en moi l'ancien ministre de la Guerre.

En même temps que je poursuivais l'alliance avec la Russie, je désirais améliorer nos rapports avec l'Angleterre. Ils étaient demeurés empreints de quelque froideur depuis 1882; même vers la fin du ministère Ferry, ils avoisinaient la rupture. Bien qu'ils se fussent détendus en 1885 par suite de notre attitude dans la conférence relative au canal de Suez, ils n'avaient pas repris leur ancienne cordialité. M. Ribot, qui partageait mon sentiment, s'appliqua, dès la première année de son ministère, à négocier avec nos voisins, sur un ton très amical. Il entrevit d'abord la possibilité d'un accord au sujet de l'Egypte. Les circonstances permirent de rouvrir des pourparlers depuis longtemps suspendus. Le 16 avril 1890, l'ambassadeur de Turquie, Essad Pacha, lui posa cette double question : Le gouvernement français serait-il prêt à renouveler par écrit sa déclaration de 1888, à savoir que, si les Anglais quittaient l'Egypte, les Français ne prendraient pas leur place? Le Sultan pourrait-il faire usage de cette déclaration auprès du gouvernement britannique ? Sur les deux points, la réponse de M. Ribot fut affirmative.

On devait croire, dès lors, que des négociations ne tarderaient pas à se nouer entre la Porte et le cabinet de Londres et que nous serions appelés à y participer. Mais M. Waddington, mis au courant par M. Ribot, montra, dans une dépêche du 29 avril, que les Anglais étaient moins empressés que nous-mêmes : « J'ai dit à Lord Salisburv. écrivait notre ambassadeur, que je tenais à lui affirmer que j'avais trouvé chez vous un désir marqué d'arriver à une entente sur les affaires de l'Egypte, s'il était possible de le faire à des conditions honorables pour les deux pays, et je lui ai demandé sur quel terrain il entendait se maintenir aujourd'hui. Il m'a répondu que la convention Wolff était un minimum qu'il avait eu quelque peine à faire accepter par ses collègues... Il ne m'a d'ailleurs rien dit de nature à fermer la porte aux négociations. » Sur la base de la convention Wolff, nous ne pouvions entamer des pourparlers. Nous avions toujours la même objection à ce que les Anglais, une fois sortis de l'Egypte, pussent y rentrer, en vertu de cette même convention, si quelque danger inopiné venait, d'après eux. à menacer le pays. Nous en restâmes donc là. Néanmoins la tentative ne fut pas inutile, car elle montra à nos voisins les dispositions conciliantes dont nous étions animés.

M. Ribot eut plus de succès dans le règlement de nos possessions respectives à l'est et au centre de l'Afrique. Par une convention en date du 5 août 1890, la France, renonçant à se prévaloir des droits qu'elle tenait d'une convention antérieure, reconnut le protectorat britannique sur Zanzibar. De son côté, l'Angleterre reconnut le protectorat français sur Madagascar, ce qui nous donnait les coudées franches, les autres puissances étant presque désintéressées. En outre, les deux contractants déterminèrent leurs zones d'influence dans les régions qui s'étendent au sud de la Méditerranée. La ligne de démarcation fut tracée de Say, sur le Niger, au lac Tchad. L'Angleterre conservait les anciens domaines du roi Sokoto, tandis que la France exerçait son action sur le vaste territoire connu sous le nom de Sahara, dont certaines parties valent mieux que leur réputation. Nous avions ainsi toute liberté pour nous développer au sud de l'Algérie et plus tard du Maroc, de même que pour élargir vers le nord et vers l'est nos domaines du Congo. Cet arrangement était équitable et, malgré quelques plaisanteries d'un goût douteux hasardées par Lord Salisbury à la Chambre des lords, au sujet du « désert brûlé » qui nous était dévolu, elle produisit un réel soulagement des deux côtés du détroit. Nous faisions tomber le principal obstacle à notre expansion africaine et nous supprimions de nombreuses causes de frottement entre les deux pays. Le jour où la difficulté égyptienne disparaîtrait à son tour, rien ne s'opposerait plus à leur étroite entente.

A l'intérieur, la situation du cabinet, en apparence brillante, restait au fond assez précaire. Nous vivions par la tolérance de l'extrême gauche qui, en portant ses quatre-vingts ou cent voix du côté de nos adversaires irréductibles, pouvait, à tout instant, nous mettre en minorité. La conduite de ce groupe fut assez méritoire. Nous ne pratiquions pas sa politique et cependant il résista longtemps à la tentation de nous renverser. Nous étions souvent gênés par l'obligation de le ménager sans lui céder. Ce fut là une des faiblesses de la République depuis la démission du maréchal de Mac-Mahon. Le parti républicain désormais divisé avait pour arbitre la droite. Le danger ne diminua pas après les élections de 1889. Elles avaient eu lieu sous l'empire de passions exacerbées. Les monarchistes, déçus dans leurs espérances, avaient à cœur d'obtenir des revanches parlementaires, qui ne semblaient pas impossibles. En cinq ans, ils avaient vu succomber huit ministères (Ferry, mars 1885; Brisson, décembre 1885; Freycinet, décembre 1886; Goblet, mars 1887; Rouvier, novembre 1887; Tirard, mars 1888 ; Floquet, février 1889; Tirard, mars 1890). Le neuvième, le mien, résistait encore. Ils épiaient le moment où il subirait le même sort. L'extrême gauche jusqu'ici s'était refusée à favoriser leur dessein. Elle s'abstenait quand son vote eût entraîné notre chute. Mais une telle abnégation ne pouvait durer toujours.

Deux ordres défaits devaient fatalement nous mettre en désaccord avec le parti avancé. Dans les classes ouvrières s'accomplissait une évolution profonde. Elles prenaient de plus en plus conscience de leur force et de leur sort, trop souvent misérable. Déjà, en 1886, à Toulouse, j'avais signalé ces grèves répétées, indice d' « un problème qui n'est pas résolu ». Le malaise allait grandissant. Notre déclaration ministérielle du 18 mars 1890 reflétait nos sentiments à cet égard : « Nous sommes, disions-nous, à une époque de transformation sociale où la condition des travailleurs est justement l'objet de préoccupations nouvelles. » J'avais conçu un projet de loi sur les retraites ouvrières, que nous discutâmes au conseil l'année suivante et qui fut déposé sous les signatures de M. Constans, ministre de l'Intérieur, et de M. Rouvier. ministre des Finances.
Ce projet, qui reposait sur le principe de l'assurance facultative, parut alors bien hardi. Il est aujourd'hui singulièrement dépassé par les lois qui ont organisé l'assurance obligatoire, même dans les campagnes.

Une pareille évolution ne se poursuit pas sans heurts et sans secousses. La grève, arme à deux tranchants, est trop à la portée du travailleur pour qu'il n y recoure pas même à contretemps et pour qu'il ne l'accompagne pas souvent d'excès préjudiciables à sa cause. De là chez les gouvernements des soucis infiniment graves. Car leur rôle est aussi malaisé qu'ingrat. Il ne suffit pas à un ministre d'être bien intentionné et secourable à ceux qui souffrent; il reste à la merci des tristes hasards que les grèves font naître. C'est d'elles, peut-on dire, qu'on sait comment elles commencent, mais qu'on ne sait jamais comment elles finissent. Aussi observions-nous avec inquiétude l'agitation qui s'accusait dans le monde du travail, particulièrement en cette année 1890.

Une seconde cause d'appréhension se révélait à nous, de nature très différente. Nous assistions au réveil de cet esprit qui, de 1871 à 1880, avait fomenté la lutte de laquelle étaient sortis l'article sept et les décrets sur les ordres religieux. Le clergé, qui durant quelques années avait gardé l'altitude convenable à sa haute mission, s'était de nouveau laissé glisser sur la pente dangereuse de la politique. Les élections de 1885 et, plus encore, celles de 1889 l'avaient montré, sur plusieurs points du territoire, donnant la main au parti monarchique. Certains évèques le prenaient de haut avec le gouvernement. Des mandements, des lettres pastorales respiraient plutôt la polémique que la sérénité évangélique. Le ministre des Cultes, bien connu cependant pour sa pondération, M. Fallières, ne rencontrait pas les égards auxquels il avait droit. La méconnaissance de l'autorité civile perçait fréquemment dans la correspondance des prélats. Des mesures de rigueur ne tarderaient pas à s'imposer et d'avance nous savions qu'elles paraîtraient aux uns excessives, aux autres insuffisantes. Ainsi se nouerait par la force des choses la coalition redoutée de la droite et de L'extrême gauche. Nous arrivions au seuil de notre deuxième année de pouvoir sans trouver devant nous la sécurité et la durée qu'ont connues plus tard d'autres ministères. La stabilité ne pouvait être que le fruit de l'élimination progressive des monarchistes du parlement. Or, au début de l'année 1891, ils disposaient à la Chambre de plus de deux cents voix.

Chapitre précédent
Chapitre suivant

Mis sur le web par R. Mahl en 2006