Alfred Charles Ernest FRANQUET de FRANQUEVILLE (1809-1876).

Polytechnique (promotion 1827), corps des ponts et chaussées.


Par M. F. JACQMIN,

Annales des Mines, 7e série tome 11, 1877.

II.
Ministère des travaux publics. - Section de la navigation. - Direction des ponts et chaussées : 1838-1855.

Organisation du service sous l'administration de M. Legrand. - M. Legrand, directeur général des ponts et chaussées et des mines, avait réparti le travail entre six sections :

Le secrétariat général et le personnel,
Le matériel des ponts et chaussées,
Les chemins de fer et la police du roulage,
La navigation,
Les mines,
La comptabilité générale.

En 1838, les quatre premières sections étaient confiées à des ingénieurs : MM. Robin, Noël, de Boureuille et Schwilgué; les deux autres collaborateurs de M. Legrand étaient MM. de Cheppe et Gautier-Dagoty.

Section de la navigation. - M. de Franqueville était nommé en remplacement de M. Schwilgué, avec le titre de chef de section qui fut changé, trois ans plus tard, en celui de chef de division. Le service de la navigation comprenait :

Le dessèchement des marais ,
Les ports maritimes de commerce,
Les phares et fanaux,
Les digues et travaux à la mer,
Les travaux des dunes,
Les canaux d'irrigation,
Les chambres syndicales,
Les fleuves et rivières,
Les canaux de navigation.

Ce service embrassait la France entière, et il y avait de quoi satisfaire l'activité d'esprit la plus ardente.

Dans les premières années de son séjour au ministère, il est difficile de dire quelle a été la tâche spéciale accomplie par M. de Franqueville. Il était le collaborateur assidu de M. Legrand, et il a pris, à tous les travaux exécutés dans cette période relativement tranquille de notre histoire, de 1838 à 1847, une part d'autant plus grande qu'à cette époque M. Legrand préparait avec M. de Boureuille les premières grandes lois relatives aux chemins de fer.

En 1839, parut la statistique des ports de commerce de la France. C'était une oeuvre considérable, donnant l'inventaire des ouvrages existant dans nos ports, leur importance commerciale et l'indication des travaux proposés par les ingénieurs, travaux dont les devis s'élevaient à 140 millions de francs.

Les lois promulguées de 1839 à 1846 ouvrirent aux travaux publics des crédits d'environ 100 millions, à l'aide desquels de nombreuses constructions furent entreprises dans tous nos ports, notamment à Calais, à Dieppe, au Havre, à Redon, à Saint-Nazaire, à Bordeaux, à Cette et à Marseille; la création du bassin de l'Eure au Havre et celle du port de la Joliette à Marseille remontent à cette époque.

Rachat des canaux. - L'administration commençait à ce moment le rachat des canaux concédés. Il y a lieu de donner quelques détails sur cette grande opération entreprise par M. Legrand, poursuivie par M. de Franqueville, et qui, sans la guerre de 1870, serait aujourd'hui terminée. Nous avons retrouvé une note écrite par M. de Franqueville le 18 février 1873 sur cette importante affaire. Les renseignements qui suivent en sont presque textuellement extraits.

L'ensemble des canaux ouverts ou en construction s'élevait avant la guerre à 5.205 kilomètres, sur lesquels 4.200 étaient terminés. Ces voies navigables se répartissaient de la manière suivante :

Concédées à perpétuité. ............ 713 kilom.
Concédées temporairement. .......... 652  -
Exécutées par l'État. ..............3840  -
                                   ------------
Total pareil. ......................5205 kilom.

La perte de l'Alsace-Lorraine a modifié ces chiffres. En tenant compte des lignes récemment achevées, la longueur au 31 juillet 1876 est de 4.702 kilomètres.

La plupart des concessions perpétuelles datent du milieu et de la fin du XVIIe siècle; la dernière, applicable au canal de Roanne à Digoin, est du 11 octobre 1830.

Parmi les canaux exécutés par l'Etat et non concédés, 2.250 kilomètres sont désignés sous le nom de canaux de 1821 et 1822, parce que leur achèvement a été réalisé au moyen d'emprunts spéciaux contractés en vertu des lois des 5 août 1821 et 14 août 1822. Les traités passés avec les compagnies qui souscrivaient ces emprunts stipulaient en leur faveur le droit de partage des bénéfices de l'exploitation des canaux et, par suite, leur droit d'intervention dans la fixation des tarifs.

Les inconvénients de cette clause se firent vivement sentir dès que les voies navigables purent être livrées à l'exploitation, et le pays fit entendre à ce sujet de nombreuses réclamations. La question était fort délicate à résoudre, et les exposés des motifs des lois soumises aux Chambres signalent les difficultés juridiques qui se présentaient.

Après de longues discussions, les dispositions suivantes furent adoptées :

Le rachat ne peut s'opérer pour chaque compagnie qu'en vertu d'une loi spéciale.

Le prix du rachat doit être fixé par une commission spéciale instituée pour chaque compagnie par ordonnance royale, et composée de neuf membres, savoir : trois nommés par le ministre des finances, trois par la compagnie, les trois autres par le premier président et les présidents réunis de la Cour royale de Paris.

Lorsque la commission aura prononcé, le rachat ne deviendra définitif qu'en vertu d'une loi spéciale qui ouvrira, s'il y a lieu, les crédits nécessaires, et qui devra être proposée dans l'année qui suivra la décision.

Ces sages dispositions furent largement appliquées, et l'on racheta successivement les actions de jouissance des canaux de 1821 et 1822, ainsi que la presque totalité des actions des canaux concédés. Un projet de loi préparé en 1870 allait assurer la fin de cette opération, mais la guerre ne permit pas d'y donner suite.

Propositions relatives à l'affermage des canaux. - Dans le cours des négociations relatives au rachat des canaux, le gouvernement reçut plusieurs propositions pour l'affermage de ces voies de communication. M. de Franqueville fut toujours opposé à cette mesure : pour lui, les canaux doivent, autant que possible, être assimilés à une route, et tout propriétaire de bateau doit pouvoir circuler comme circule le propriétaire d'une voiture, sans avoir autre chose à faire qu'à se conformer aux lois. Les plus graves motifs d'ordre et de sécurité ne permettent pas d'étendre cette analogie aux chemins de fer, bien que l'on en ait eu la pensée à l'origine; mais pour les voies navigables, l'assimilation aux routes de terre était logique.

Les sociétés qui demandaient l'affermage réclamaient une garantie d'intérêt qui engageait l'État d'une manière absolue et qui portait sur la totalité des capitaux émis. Nous verrons M. de Franqueville admettre pour les chemins de fer le principe de la garantie d'intérêt, mais seulement pour une fraction du capital total engagé et avec d'importantes restrictions en faveur de l'Etat.

Exécutiondu canal latéral à la Garonne et du canal de la Marne au Rhin. - Nous ne devons point passer sous silence la construction de deux voies navigables de premier ordre entreprises à cette époque: le canal latéral à la Garonne et le canal de la Marne au Rhin. Le premier fut bien près d'être sacrifié : nous raconterons plus loin ce curieux incident.

Départ de M. Legrand. - Nommé depuis plusieurs années sous-secrétaire d'État, M. Legrand crut devoir, en 1847, quitter le ministère des travaux publics et prendre au Conseil d'État le poste de président du comité des travaux publics. Son départ fut, pour ses collaborateurs, un véritable déchirement. M. de Franqueville en ressentit personnellement la plus vive douleur; ses lettres racontent 1es préoccupations de M. Legrand, sa résolution et l'isolement dans lequel il laisse ses collaborateurs. M. de Franqueville se réfugia dans le travail, - c'était toujours sa grande ressource. A la vérité, nous ne savons pas trop ce qu'il pouvait ajouter à sa tâche quotidienne. Le matin au ministère, il ne quittait son cabinet que pour aller déjeuner; il partait à six heures du soir, et, après son dîner, se remettait presque tous les jours à son bureau, de huit heures jusqu'à minuit. Mme de Franqueville lisait à côté de son mari, ou s'occupait de travaux d'aiguille ou de tapisserie ; c'était, il faut le reconnaître, un intérieur austère et que ne prévoient pas toujours les jeunes femmes qui veulent bien épouser ces travailleurs infatigables.

Révolution de 1848. Ateliers nationaux. - Les événements de 1848 troublèrent profondément M. de Franqueville. On parlait beaucoup du travail, du droit au travail, mais on ne travaillait guère. Des ateliers nationaux durent être organisés à Paris et sur plusieurs points du territoire. Une note laissée par M. de Franqueville donne, sur ceux de Paris, des renseignements qu'il nous a paru utile de rappeler au moins sommairement.

Le nombre des hommes enrôlés à Paris dans les ateliers nationaux s'est élevé à 115.000.

70.000 environ appartenaient aux industries du bâtiment ;
30.000 se rattachaient aux industries de luxe et à l'article de Paris ;
15.000 étaient sans profession avouée.

Plus de 30.000 n'avaient pas de domicile inscrit à Paris : ils venaient des départements voisins; quelques départements éloignés, notamment les Bouches-du-Rhône, avaient fourni un contingent notable.

L'insuccès des ateliers nationaux est dû principalement aux causes suivantes :

1° Absence de discipline;
2° Manque d'émulation;
3° Démoralisation produite par le sentiment de l'inutilité des travaux ;
4° Chômages fréquents.

Nous estimons que les mêmes causes d'insuccès frapperont toutes les tentatives de ce genre qui pourraient être faites à nouveau. On retrouvera toujours l'absence de discipline chez beaucoup, le sentiment de l'inutilité du travail offert ou produit chez un grand nombre. Un ouvrier bijoutier se sentira toujours un mauvais terrassier.

M. de Franqueville examine quelles seraient les mesures à prendre pour améliorer une situation si difficile. Les unes se rapportent à des questions d'ordre et de police; les autres, plus importantes, prévoient l'exécution de grands travaux publics : il propose notamment le percement de la rue de Rivoli et la construction des Halles centrales.

Nous ne croyons pas, pour notre part, à la solution directe du problème des ateliers nationaux. Que le travail véritable s'offre sur divers points du territoire, les bons ouvriers sauront le découvrir sans réglementation et sans pénalités.

Cours professé au Collège de France. - Le ministre de l'instruction publique eut la pensée de créer au Collège de France un cours d'économie générale et de statistique des travaux publics, et de le confier à M. de Franqueville. Celui-ci n'avait jamais professé, et, selon toute apparence, il n'avait jamais songé à cette fonction si honorable; néanmoins, nommé le 8 avril 1848, il abordait sa chaire dans les premiers jours du mois de mai. Il n'avait pas eu besoin d'une longue préparation, car il appartenait à cette catégorie d'hommes qui joignent à une instruction profonde l'habitude de l'ordre et de la méthode, qui savent discipliner leurs propres idées et obtiennent en quelques semaines, sans efforts apparents, ce que des esprits plus brillants, supérieurs à beaucoup d'égards peut-être, mais moins bien armés contre eux-mêmes, ne produisent pas en plusieurs mois.

Les leçons de M. de Franqueville n'ont pas été conservées; nous n'en connaissons même pas le nombre; ce que nous savons seulement, c'est que sa seconde leçon fut interrompue le 15 mai par le bruit du rappel, et qu'il quitta le Collège de France pour aller revêtir son habit de garde national et se joindre aux hommes courageux qui délivraient l'Assemblée nationale.

M. Charles de Franqueville a récemment découvert dans les papiers de son père quelques feuilles jaunies par le temps, qui contiennent l'énoncé sommaire d'un certain nombre de questions destinées sans doute à être développées devant un auditoire. On n'y trouve le plus souvent qu'un mot indiquant l'ordre dans lequel les idées devaient être présentées. Mais ce qui véritablement éclate à la lecture de ces notes éparses, c'est la hauteur de vues avec laquelle le professeur avait conçu son cours.

Nous essayerons de donner un aperçu rapide du programme auquel il semble qu'il s'était arrêté :

La destinée de l'homme est de conquérir la terre, et l'exécution des travaux publics est une des manifestations les plus éclatantes de l'activité humaine.

Les nations anciennes n'ont pas connu ce que, dans les temps plus modernes, on a désigné sous le nom de travaux publics. Combattant incessamment contre la nature, l'homme eut pour première tâche de se construire un abri, un toit. C'est l'origine de l'architecture. Puis sont arrivées les diflicultés de se procurer les choses nécessaires à la vie de familles nombreuses, et il a fallu songer aux moyens de communiquer les uns avec les autres; un premier sentier a été tracé, on l'a élargi pour le passage des bêtes de somme; après l'avoir aplani pour les chars, il a fallu triompher des obstacles que présentaient encore les ruisseaux, les rivières, les fleuves, la grande mer. Aujourd'hui rien n'arrête l'homme : les vallées sont comblées et les montagnes abaissées; des machines l'emportent, pendant de longues heures, avec des vitesses que les animaux les mieux doués ne supportent que pendant quelques instants d'une crise suprême.

L'homme a su trouver, dans la nature, des forces puissantes qu'il a disciplinées et mises à son service : l'eau, la vapeur.

Comment exécuter les grands travaux que l'homme désire? Seul, il est impuissant; les efforts de la famille, de quelques amis ne suffisent pas, il faut le concours de tous; la nation entière se met à l'oeuvre et réalise les travaux publics.

Ce n'est pas tout encore. Il faut l'aide du capital, c'est-à-dire de l'épargne de la société, du travail accumulé par les générations qui nous ont précédés. C'est avec ce capital que l'on creusera des mines, que l'on percera des souterrains, que l'on fera de grands navires. C'est parce qu'il existe des ressources autres que celles produites par le travail journalier que l'on peut exécuter des travaux ; si, pour vivre, tous devaient travailler à la terre, il n'y aurait ni mineurs, ni maçons, ni charpentiers.

M. de Franqueville envisage ensuite d'autres questions de la plus haute importance.

Quels sont le caractère et la mesure de l'utilité publique? L'utilité publique ne peut se mesurer uniquement par la rémunération directe du capital employé. Cette mesure est insuffisante. La route sur laquelle on a aboli les péages rend plus de services que lorsqu'elle avait des barrières. L'État doit donc intervenir au nom de tous, au nom des pauvres surtout; mais là encore il faut savoir comment agir. Appauvrir les riches pour enrichir les pauvres serait une déplorable faute; on accroîtrait seulement le nombre de ces derniers. Il faut augmenter le bien-être des classes les moins heureuses, mais non diminuer celui des classes qui possèdent déjà quelque chose.

Il faut enfin réagir contre les idées qui conduisent les foules dans les villes. Il y a dans notre pays d'immenses travaux agricoles à organiser; il y a des milliers d'hectares de dunes, de marécages, d'étangs; il faut rendre à la culture ces grandes surfaces. Des contrées peuvent produire beaucoup, mais elles n'ont pas de chemins pour écouler leurs récoltes, il faut leur en donner. La dépense à faire est bien inférieure au résultat obtenu.

Voilà quelles étaient, il y a trente ans, les idées de l'homme qui devait être placé à la tête d'un des grands services de notre pays; on ne saurait concevoir des pensées plus justes et plus généreuses.

La chaire des travaux publics au Collège de France fut supprimée, nous ne savons pour quel motif, et les études auxquelles M. de Franqueville s'était livré furent utiles, non pas pour lui, qui y avait trouvé une occasion de se recueillir et de se fortifier encore par la nécessité de résumer ses connaissances et son expérience, mais pour le public. M. de Franqueville reprit au ministère son travail ordinaire.

En 1849, le choléra fit à Paris d'assez grands ravages, et un certain nombre de personnes quittèrent la ville ; on le pressa d'en faire autant. Il répond à ses amis de Bourgogne qu'on s'occupait bien peu du choléra à Paris, puis il parle récolte, élections, sans plus dire un mot des sollicitations auxquelles il avait à répondre. Faire son devoir et le faire sans bruit était sa règle de conduite invariable : « Le bien ne fait jamais de bruit », a dit La Bruyère.

Années 1850-1851-1852. Chagrins de famille. - Les deux années qui s'écoulèrent, de 1850 à 1852, sont dans la vie de M. de Franqueville extraordinairement tristes. A la fin de 1850, il eut le malheur de perdre sa femme, qui fut enlevée à la suite d'une longue et douloureuse maladie; quelques mois après, son frère Amédée succombait après de vives soulfrances. Les lettres adressées à M. de Montricher témoignent du chagrin profond, du véritable découragement que M. de Franqueville ressentait à ce moment. Les inventaires, les règlements d'affaires que la minorité de son fils, son unique enfant, rendent indispensables, lui causent les plus pénibles impressions ; tout lui est à charge, et le travail lui-même est impuissant à le détourner de ses tristes pensées.

La situation politique générale du pays était fort pénible; les ministres se succédaient aux travaux publics avec une rapidité désespérante; en moins de quatre ans, M. de Franqueville avait vu douze ministres. Il regardait comme impossible de mener à bien les affaires qui, comme celles des travaux publics, exigent toujours une longue suite dans les idées et dans les actes; il songea à quitter l'administration des travaux publics et à demander la place d'ingénieur en chef du département de la Seine.

Le respectable M. Boulage, alors secrétaire général, le conjura d'abandonner ce dessein ; il lui représenta combien ses fonctions lui convenaient, et combien plus encore il convenait à l'administration ; il lui parla des services qu'il rendrait à son pays en restant à son poste. Le retour de M. Magne (21 juillet 1852), d'un ministre qui avait été deux reprises déjà aux travaux publics, et dont on avait pu apprécier la haute valeur, permettait d'espérer un peu de stabilité. M. de Franqueville se rendit aux raisons qu'inspiraient à M. Boulage la cordialité d'abord, et ensuite un véritable souci du bien du pays, et il ne fut plus question du service du département de la Seine.

Un voyage à Marseille, quelques jours passés auprès de son ami Montricher, achevèrent de remettre M. de Franqueville, et, à la fin de 1852, il reprit son travail avec ardeur.

En parcourant la nombreuse correspondance échangée à cette époque entre M. de Franqueville et ses amis, on frappé des difficultés de toute sorte que le défaut de moyen de communications rapides apportait dans les événements ordinaires de la vie. On s'est si vite habitué aux chemin de fer et au télégraphe, que l'on oublie ce qui se passait lorsque l'on était privé de ces deux puissants serviteurs de l'homme. Le frère aîné de M. de Franqueville était tombé si gravement malade à Venise, que Mme de FranquevilL mère dut se rendre dans cette ville et y appeler son second fils, pour effectuer le transport du malade à Paris. Les let tres succédèrent aux lettres; il fallait attendre quinze jours pour avoir une première réponse. Que s'est-il passé pendant ces quinze jours? Comment sa mère a-t-elle fait seule son voyage de Marseille à Gênes ? M. de Franqueville pose avec anxiété ces questions dans sa correspondance; puis l'indispensable nécessité du retour apparaît; il faut ramener en voiture, de Venise à Paris, un frère gravement malade. A lire ces lettres, on sent combien M. de Franqueville souffrait de cette incertitude et de ces obstacles créés par la distance et le temps.

Au commencement de l'année 1853, la famille de M. de Franqueville reçut un honneur auquel elle fut extrêmement sensible. Le buste de Beautemps-Beaupré fut placé avec une grande solennité dans la galerie principale du dépôt de la marine. Le ministre de la marine et les principaux fonctionnaires du département assistèrent à cette cérémonie. On rappela les immenses et consciencieux travaux de Beautemps-Beaupré, les conseils qu'il avait donnés à plusieurs générations d'ingénieurs, son dévouement au devoir, sa rigide probité. En entendant ces hommages si justement rendus à l'homme qui avait soutenu sa jeunesse, M. de Franqueville fut profondément ému; il ignorait qu'il mériterait un jour lui-même les honneurs rendus à son grand oncle.

Direction des ponts et chaussées. - Le ministère des travaux publics reçut enfin une organisation plus en rapport avec l'importance qu'il prenait chaque jour. Le 15 novembre 1853, M. le comte Dubois était nommé directeur général des chemins de fer, M. de Boureuille directeur des mines, et M. de Franqueville directeur des ponts et chaussées.

Ce dernier service comprenait :

Les routes et les ponts,
La navigation et les ports,
Le service hydraulique.

Il donnait en outre au directeur le droit de siéger au conseil général des ponts et chaussées.

M. de Franqueville attachait un très-haut prix à cette distinction. Quelques amis regrettaient qu'une direction générale eût été créée pour une autre personne; il répondit que l'honneur de siéger dans le grand conseil de son corps était une récompense suffisante de ses services.

Années 1853-1855. - Nous n'avons pour ces deux années trouvé rien de saillant, en dehors de ce qui se rattache à la campagne que le nouveau directeur des ponts et chaussées engagea dès le premier jour contre les ponts suspendus, ainsi qu'au canal latéral à la Garonne.

M. de Franqueville estimait que les ponts suspendus, au moins dans les conditions où ils ont été trop souvent établis, ne présentaient pas, au bout d'un petit nombre d'années, des garanties suffisantes pour la sécurité de la circulation, et il poursuivit très-vivement leur remplacement par des ouvrages en pierre ou en métal.

Nous parlerons plus loin du canal latéral à la Garonne. A ce moment, l'opinion publique ne prenait pas grand intérêt aux voies navigables; on se passionnait pour les chemins de fer, sauf à déclarer quelques années après que le perfectionnement de la navigation était le premier intérêt du pays. La correspondance de M. de Franqueville le montre suivant au ministère son travail ordinaire sans grands incidents, lorsque le 12 juillet 1855 l'administration des travaux publics fut réorganisée sur des bases nouvelles. M. de Boureuille reçut, avec le titre de secrétaire général, la direction des mines, de la comptabilité et du personnel de l'agriculture, du commerce et des travaux publics; M. de Franqueville était nommé directeur général des ponts et chaussées et des chemins de fer. Cette organisation a duré vingt et un ans; elle n'était pas parfaite; ce n'est pas le sort des affaires de ce monde, mais de grandes choses ont été accomplies. Nous allons dire la part qui en revient à M. de Franqueville, en donnant cependant auparavant les noms de ceux qui furent ses collaborateurs dévoués de chaque jour.

La direction générale comprenait six services :


La division des routes et ponts, dirigée par M. Challot, avait, dans ses attributions, les routes nationales et départementales, les ponts, la police du roulage et les tramways.
La division de la navigation et des ports, confiée à M. Dumoustier de Frédilly, et plus tard à M. Gaulet de Longchamp, était constituée comme en 1838, à l'époque où M. de Franqueville en était devenu titulaire.
La division du service hydraulique avait pour chef M. de Pistoye : elle embrassait les questions relatives aux irrigations, dessèchements, usines, cours d'eau non navigables, à la pêche, au drainage et aux améliorations agricoles.
La division des études et travaux de chemins de fer, successivement dirigée par MM. Delorme et Langlois de Neuville, avait à s'occuper des études et concessions, de la surveillance des travaux des lignes concédées et de l'exécution des lignes construites par l'État.
La division de l'exploitation des chemins de fer, dont le titulaire était M. Tourneux, remplacé ensuite par M. Gilly, comprenait les bureaux de l'exploitation commerciale et de l'exploitation technique.
Enfin, le service de la statistique générale, d'abord réuni dans les mains de M. de Chasseloup-Lamotte, avait été divisé ensuite entre MM. Lucas et Systermans.

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