Jean-Charles GALISSARD DE MARIGNAC (1817-1894)

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Fils de Jacob GALISSARD DE MARIGNAC, conseiller à Genève, et de Suzanne LE ROYER. Signalement du livre matricule de Polytechnique : cheveux et sourcils bruns, front couvert, nez gros, yeux bruns, bouche moyenne, menton à fossette, visage ovale, taille 1,63 m.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1835, sergent chef de salle pendant les 2 années, sorti classé 1er sur 107 élèves) et de l'Ecole des mines de Paris. Corps des mines. Père de Édouard Galissard de MARIGNAC (1849-1871 ; X 1868).

Quoique de nationalité suisse, GALISSARD DE MARIGNAC a obtenu d'etre déclaré "naturel français" par arreté du Préfet de la Seine du 4/10/1834 en application de la loi des 9/25 décembre 1790, car descendant d'un français expatrié pour cause de religion. Il a appartenu furtivement au corps des ingénieurs des mines, ainsi que l'atteste l'État général du personnel des mines et les Tableaux des personnels du corps des mines publiés dans Annales des mines, 1841, page 812 : listé sous "Marignac (Galissard de)" comme "élève hors de concours".


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III

Voici une existence simple dont toutes les heures ont été partagées entre les recherches du laboratoire et les devoirs du professorat, loin des capitales de grands Etats, où se distribuent la renommée et la gloire, et néanmoins l'homme de science qui a ainsi distribué sa vie a conquis promptement la juste réputation d'un savant de premier ordre.

C'est en 1835 que Jean-Charles GALISSARD DE MARIGNAC entrait à l'Ecole Polytechnique, à titre de citoyen de Genève. La Suisse avait alors le droit d'envoyer ses fils à l'Ecole Polytechnique, non comme auditeurs libres, mais comme élèves internes, au même titre que nos nationaux. Du reste Marignac revenait ainsi au pays de ses ancêtres. Son aïeul, Galissard, sieur de Marignac, près de Vézenobres en Languedoc, avait dû émigrer pour cause de religion et aller chercher à Genève, dont il fut nommé bourgeois en 1709, la liberté de conscience que les cruels édits de Louis XIV lui refusaient.

Né le 24 avril 1817, Jean-Charles de Marignac avait 18 ans quand il entra à l'Ecole Polytechnique; il en sortit en 1837, le premier de sa promotion, dans laquelle il eut pour camarades des hommes devenus illustres depuis.

Pendant deux ans, il suivit les cours de l'Ecole des Mines, où il apprit, entre autres, l'art de l'analyse minérale, puis il passa six mois à Giessen, dans le laboratoire de Liebig, alors à l'apogée de sa réputation, et où il s'initia aux recherches de la Chimie organique; il fut alors appelé par Brongniart à la Manufacture de Sèvres, et il semblait qu'il dût s'établir définitivement en France; mais il ne devait faire à Sèvres qu'un séjour de quelques mois. La chaire de Chimie de l'Académie de Genève étant devenue vacante par la mort du professeur Desplanches, également ancien élève de l'École Polytechnique , Marignac fut choisi pour lui succéder : il n'avait alors que 21 ans.

Dès ce moment, il resta attaché à l'Académie de Genève, transformée plus tard en Université, jusqu'en 1878, époque à laquelle il prit sa retraite après 37 ans de professorat. Quant aux recherches de laboratoire, il les poursuivit pendant près de dix années encore, jusqu'en 1887, où les progrès de l'âge le condamnèrent au repos, ayant près d'un demi-siècle d'une production scientifique régulière.

Tous ses travaux, Marignac les a exécutés seul, sans collaborateur, même sans préparateur, et il les a marqués d'un cachet de rare précision, de rigoureuse exactitude, tel qu'ils l'ont placé au premier rang des chimistes de son siècle.

Homme simple, bon, modeste, tout entier adonné à la Science, ayant toujours refusé de faire entrer la politique dans sa vie, il est de ceux dont on peut dire que le caractère est à la hauteur du talent.

De telles existences sont brèves à raconter, mais leur oeuvre est considérable, et c'est cette ouvre dont je voudrais signaler les points les plus importants.

Pendant le séjour qu'il fit à Giessen durant l'hiver de 1840-1841, il s'initia à la Chimie organique et, de retour à Genève, entreprit des recherches sur l'oxydation du tétrachlorure de naphtaline et la production de l'acide phtalique, et décrivit quelques dérivés de celui-ci ; ce fut là sa seule excursion dans le domaine de la Chimie organique.

Dès l'année suivante, il commença l'oeuvre de la détermination des nombres proportionnels des corps simples, dont il devait s'occuper toute sa vie, et pour laquelle il créa des méthodes nouvelles.

Il entreprit cet immense travail dans l'intention d'apporter des faits pour la discussion de l'hypothèse de Prout et de la loi d'isomorphisme de Mitscherlich. C'est dans l'intention de fixer les poids atomiques et de déterminer les analogies des corps simples qu'il entreprit et poursuivit ses belles recherches sur les fluosels.

Dès 1842-1843 il publiait des analyses destinées à la vérification des poids atomiques du chlore, de l'argent et du potassium qui lui méritèrent les éloges de Berzélius.

« Ces expériences, dit Berzélius, paraissent avoir été exécutées avec une exactitude toute particulière, et ont été répétées avec une patience digne d'éloges... Elles méritent la plus grande confiance. Il est à souhaiter et à espérer que les chimistes qui entreprendront une revision des poids atomiques réunissent à la grande exactitude de M. Marignac sa patience et sa conscience scrupuleuse. » Quelques années après, Marignac reprenait l'étude de la détermination de l'équivalent du chlore, et consacrait de patientes recherches à celles des équivalents du baryum, du cérium, du lanthane, du didyme, etc.

Entre temps, il avait publié de nombreuses notices sur des minéraux rares et peu connus, et s'était occupé de l'ozone.

Schoenbein venait d'attirer l'attention sur l'ozone dont il avait décrit les propriétés et dont la nature était encore inconnue; on avait émis l'idée que l'ozone était un corps composé dont l'azote faisait partie. Marignac entreprit quelques recherches sur ce sujet et prouva que l'azote n'était pas partie constituante de l'ozone; il émit l'idée que l'ozone était de l'oxygène même dans un état allotropique et démontra qu'il ne renfermait point d'hydrogène. Les recherches ultérieures devaient confirmer l'opinion de Marignac.

Après avoir étudié la composition et les formes cristallines des nitrates mercureux, publié un important Mémoire sur le didyme et ses combinaisons, il fit trêve un instant à ses recherches favorites pour s'occuper de l'acide sulfurique, et réussit à prouver combien les questions que l'on croit le mieux résolues laissent encore de points indéterminés. L'acide sulfurique avait été l'objet de nombreuses recherches et l'on pouvait croire que ses constantes physiques étaient établies d'une façon certaine. A l'acide SO4H2 on attribuait un point de fusion de 34o, et un point d'ébullition de 325o. Marignac, en soumettant l'acide sulfurique à des congélations successives, en ayant soin de décanter à chaque congélation les parties liquides, a vu son point d'ébullition s'élever à 338o et son point de fusion à 10o,5, prouvant ainsi que l'acide sulfurique réputé pur retenait environ 1 pour 100 d'eau, et montrant comment il suffit d'une petite quantité de ce liquide pour modifier les constantes physiques de l'acide sulfurique.

Bientôt Marignac reprenait ses recherches sur les nombres proportionnels des corps simples, en s'appuyant sur les lois de l'isomorphisme, et préparant des combinaisons isomorphes qui lui permettaient en même temps d'indiquer les analogies des éléments et de les classer en familles. C'est par les fluosels, dont l'étude n'avait été qu'ébauchée par Berzélius, par leur analyse, par l'examen de leurs formes cristallines, qu'il chercha à résoudre les questions qu'il s'était posées. Son premier travail dans cet ordre d'idées fut l'étude des fluosilicates et des fluostannâtes, ayant fait voir que ces sortes de sels sont isomorphes, que le silicium, avec un poids atomique égal à 28, peut remplacer l'étain sans que la forme cristalline soit altérée ; il fixa définitivement le poids atomique du silicium à 28, contrairement à l'opinion de Berzélius, mais conformément à celle de Gaudin, qui l'avait établi dès 1831, d'après l'examen du chlorure de silicium, mais qui n'avait pu imposer sa manière de voir devant la grande autorité de Berzélius.

Bientôt l'étude des fluotitanates, leur isomorphisme avec les fluosilicates, permettaient à Marignac de ranger le titane dans une famille naturelle avec le silicium et l'étain; enfin avec celle des fluozirconates, également isomorphes, avec les fluosilicates, il confirmait le poids atomique du zirconium, tel que l'avaient admis MM. Deville et Troost, d'après le chlorure, et différant de celui qu'avait donné Berzélius.

Enfin Marignac fit connaître les fluotantalates, puis les fluoxymolybdates et les fluoxytungstates, qui sont isomorphes et doivent être représentés par des formules analogues, enfin les fluoxyborates, les fluo et fluoxyniobates, etc. Les recherches sur les fluosels représentent une somme immense de travail; elles exigeaient de la part de leur auteur tout à la fois l'habileté de l'analyste, la science du cristallographe, la haute intelligence d'un grand chimiste; elles comptent au premier titre parmi les travaux de Marignac; elles sont entrées définitivement dans la Science, et jamais aucun des résultats annoncés par Marignac n'a été mis en doute; c'est une oeuvre parfaite.

Les travaux de Marignac sur les fluosels l'amenèrent à l'examen de métaux dont un grand nombre de combinaisons étaient mal connues; c'est ainsi qu'il s'occupa du tungstène et publia divers Mémoires sur l'acide tungstique, les acides silico-tungstiques et enfin du niobium et du tantale dont il devait éclaircir et compléter l'histoire, qui présentait bien des points obscurs, malgré les beaux travaux de Rose.

Marignac commença par prouver que l'ilménium, dont Hermann avait admis l'existence dans les minerais tantalifères, n'existe pas, et que le prétendu acide ilménique n'est autre qu'un mélange d'acide niobique, d'acide tantalique et d'acide titanique ; en même temps, il démontre que Rose avait méconnu la présence de l'oxygène dans le corps considéré comme un chlorure hyponiobique, et parvient à obtenir à l'état de pureté, débarrassées du tantale, les combinaisons du niobium dont il fixa le poids atomique. Il apporta des corrections du même genre dans l'histoire du tantale; il démontra qu'un grand nombre de sels, qu'on avait décrits comme appartenant au tantale, sont des mélanges de combinaisons tantaliques et niobiques, et les obtint à l'état de pureté; fixa le poids atomique du tantale et donna des méthodes précises pour l'analyse des minerais tantalifères. Ces recherches si difficiles sont un modèle de rigueur analytique. Tout ce que nous savons de précis sur l'histoire du niobium et du tantale est dû aux travaux de Marignac.

Jusqu'à ses dernières années, il devait poursuivre l'oeuvre commencée; il publiait, en 1873, des recherches sur les fluorures de glucinium, sur quelques sels de césium, de didyme et de lanthane; en 1878, s'occupait des terres rares en découvrant l'ytterbine, retirée de la gadolinique, et, en 1883, faisait de nouvelles déterminations des poids atomiques du bismuth, du manganèse, du zinc et du magnésium. Il avait fixé les poids atomiques de 28 corps simples.

Quand Marignac commença ses recherches originales, Gmelin venait d'introduire la notation en équivalents, qui remplaçait la notation adoptée par Berzélius; aussi le savant de Genève employa les formules, dites en équivalents, dans ses premiers Mémoires; mais c'était un esprit ouvert à tous les progrès, ne se renfermant pas exclusivement dans l'ordre de recherches qui furent l'oeuvre principale de sa vie. Il suivait attentivement l'oeuvre de Laurent et de Gerhardt, et adopta, dès 1865, la notation atomique, telle qu'elle découlait de leurs conceptions et de celles de leurs successeurs, Wurtz, Cannizzaro, Kékulé, etc. Convaincu de la vérité de la loi établie par Laurent et Gerhardt, à savoir que les molécules de tous les corps composés occupent le même volume, il vint apporter sa haute autorité, à propos de la densité de vapeur du sel ammoniac et des densités de quelques autres corps qui toutes semblaient en contradiction avec la loi de Laurent et Gerhardt, et avec l'hypothèse d'Avogadro. Tout d'abord, à propos d'un Mémoire de M. Than sur ce sujet, il se rangea du côté de Wurtz, Pebal, Wanklyn, Than qui tous admettaient, contrairement à l'opinion de Deville, que la densité de vapeur anormale du sel ammoniac est due à une dissociation de ses constituants, acide chlorhydrique et gaz ammoniac. Mais il ne se contenta pas des arguments qu'il apporta dans la discussion, il vint y apporter une expérience de premier ordre confirmant l'hypothèse de la dissociation. Il détermina la chaleur latente de volatilisation du sel ammoniac : « Si la volatilisation du sel ammoniac, dit-il, n'est qu'un changement d'état, elle ne doit absorber qu'une quantité de chaleur comparable à celle qui est nécessaire pour produire ce changement dans d'autres corps composés; si elle est au contraire accompagnée d'une décomposition chimique, elle doit exiger une quantité de chaleur plus considérable, peu différente de celle qui résulte de la combinaison chimique des gaz ammoniac et chlorhydrique. »

L'expérience a prouvé que la chaleur latente de volatilisation du sel ammoniac est infiniment plus considérable que celle de tous les corps connus; que les chiffres obtenus sont peu inférieurs à ceux trouvés par Favre et Silbermann pour la chaleur de combinaison de AzH3 et de H Cl. Il en conclut qu'il est excessivement probable que le sel ammoniac est, en grande partie, décomposé en ses éléments lorsqu'il se volatilise.

Si Deville abandonna l'exemple de la densité de vapeur du chlorhydrate d'ammoniaque, il ne désarma pas néanmoins; adversaire convaincu et passionné de l'hypothèse d'Avogadro, il présenta contre elle des arguments nouveaux, tirés d'expériences nouvelles, et en 1877 il s'ouvrit à l'Académie des Sciences des discussions mémorables entre Wurtz, d'une part, Sainte-Claire Deville et M. Berthelot, d'autre part. Ce fut un beau moment de l'histoire de la Science que cette époque où chaque semaine ces hommes éminents, également convaincus, apportaient des expériences nouvelles, des arguments nouveaux.

Je me rappelle avec intérêt cette période de la vie de Wurtz où, plein d'un zèle juvénile, il arrivait au laboratoire le cerveau rempli de projets d'expériences qu'il multipliait sans cesse, et où il communiquait à son entourage l'ardeur dont il était animé. Dans chaque camp, les disciples se rangeaient autour du maître, d'un côté M. Troost, de l'autre Salet, Henninger apportaient des expériences qui paraissaient en contradiction ou en confirmation de l'hypothèse d'Avogadro.

Mais ce qu'il y avait au fond de cette discussion était une question plus grave, l'emploi en Chimie de la notation en équivalents ou de la notation atomique.

Marignac, loin du champ de bataille, loin de la fumée du combat qui peut obscurcir la vérité aux yeux de ceux qui la recherchent avec le plus de bonne foi, Marignac était mieux placé pour juger la question avec sérénité. C'est ce qu'il fit dans une Note parue en 1877 dans les Archives des Sciences naturelles de Genève, et intitulée : Sur les équivalents chimiques et les poids atomiques comme bases d'un système de notation.

Tout d'abord, il ne se prononce pas catégoriquement sur l'hypothèse d'Avogadro. Après avoir exposé en quelques lignes les arguments en sa faveur, il reconnaît d'un autre côté qu'un petit nombre de corps composés ont des densités de vapeur qui sont en contradiction avec cette hypothèse; si le fait de la décomposition d'un certain nombre de corps qui paraissent se volatiliser est établi dans un certain nombre de cas, il ne l'est pas encore pour tous : « On le voit, dit-il, le principe d'Avogadro contient des objections sérieuses, et sans être absolument convaincu de sa fausseté, comme mon savant ami Deville, je reconnais que ce n'est encore qu'une hypothèse contredite par quelques faits dont on n'a pas encore donné une explication satisfaisante. » Ce que Marignac tient à développer dans cette note, c'est la comparaison de la notation dite en équivalents, et de la notation dite atomique.

« Une telle discussion, dit-il, ne pouvait avoir lieu qu'en France; ailleurs, en effet, elle s'est résolue peu à peu à mesure que de nouveaux chimistes, acceptant les notations atomiques, abandonnaient dans leurs écrits et dans leur enseignement les formules en équivalents. On est arrivé ainsi presque partout, je crois, par l'adhésion successive de la grande majorité des chimistes, et sans avoir à soutenir une lutte nouvelle, à substituer presque complètement les formules atomiques aux autres. » Puis il fait remarquer qu'il n'a pu en être ainsi en France, à cause sans doute de la centralisation de notre enseignement par l'Université. Au fond, la vraie cause en était d'abord dans ceci, que la haute autorité scientifique de Deville s'exerçait surtout à l'École Normale, pépinière de nos professeurs de l'enseignement secondaire et de l'enseignement supérieur dans nos Facultés des Sciences, qui y apportaient l'horreur de Deville pour la notation nouvelle, et d'un autre côté les idées soutenues par Wurtz étaient peu en faveur auprès de l'Académie des Sciences, dont les membres non chimistes appartenaient à la génération qui avait appris la Chimie avec le système des équivalents, et n'avaient pu, à cause de leurs études spéciales, suivre les transformations apportées dans les notations. Ils restaient attachés à la notation apprise dans leur jeunesse, et malgré la haute valeur de Wurtz, l'éclat de sa parole, la puissance de sa dialectique, l'école de Wurtz était vue d'un oeil peu favorable.

C'était donc pour nous, pour les chimistes français, que Marignac parlait, quand il discutait les valeurs relatives des poids atomiques et des équivalents.

Après avoir fait remarquer que la notion des équivalents est peu claire, qu'il n'en connaît aucune définition précise et générale, et indiqué comment les nombres proportionnels, dits équivalents, résultent d'une série de conventions plus ou moins heureusement choisies : « Les équivalents, dit-il, constituent un système purement conventionnel, fort arbitraire et qui ne peut avoir aucune prétention à une valeur scientifique ».

C'est ce que reconnaissait M. Deville, à qui j'ai entendu dire : « C'est une cote mal taillée ».

Puis, venant aux poids atomiques, M. Marignac ajoute : « Si la définition précise des équivalents est impossible, tandis que leur détermination ne rencontre pas de grandes difficultés, puisqu'on les lève, lorsqu'elles existent, par des conventions arbitraires, ici, c'est l'inverse qui a lieu ».

Dans cette Note, il insiste bien sur ce point, que l'on doit distinguer dans ces discussions deux questions d'ordre différent : d'un côté, l'hypothèse des atomes et de leur indivisibilité, hypothèse toute philosophique; de l'autre, l'établissement des poids atomiques dont le nom pourrait être heureusement remplacé, et que Regnault, on le sait, appelait nombres proportionnels thermiques. Il place la question sur son vrai terrain en disant : « Au fond, je ne vois dans les poids atomiques, et je crois que bien des chimistes partagent cette opinion, que des équivalents pour la détermination desquels on cherche à remplacer des conventions arbitraires par des considérations scientifiques, tirées de l'étude des propriétés physiques ». Et, en quelques pages, il indique les avantages que paraissent lui présenter les poids atomiques comparés aux équivalents pour l'établissement des formules des corps simples et des corps composés, ceux-ci étant toujours représentés par des chiffres correspondant à un même volume de vapeur.

« Quant à l'avantage qui résulterait de ce que les équivalents expriment des rapports d'équivalence chimique réelle dans quelques cas où ils ne sont pas indiqués par le poids atomique, il n'aurait d'importance que s'ils les exprimaient toujours. Mais on voit qu'il n'en est rien. Il n'est pas plus difficile, en effet, de concevoir et de se rappeler qu'un atome d'oxygène vaut deux atomes de chlore, et un atome de plomb deux atomes d'argent, que de savoir qu'un équivalent d'azote en vaut trois d'oxygène, et que deux équivalents d'aluminium en valent trois de magnésium. »

M. de Marignac avait été nommé, en 1866, correspondant de l'Académie des Sciences de l'Institut de France; il fut membre de toutes les Académies et Sociétés scientifiques : Académie des Sciences de Turin, de Suède, de Berlin, des Lincei de Rome, Société royale de Londres, Société des Sciences d'Upsal, de Moscou, de Manchester, de Boston, etc. Il avait reçu, en 1886, la médaille Davy. Du reste, sa modestie ne rechercha jamais ni les décorations, ni les honneurs.

Il avait 70 ans quand sa santé chancelante le força à renoncer définitivement aux recherches du laboratoire ; il a passé ses dernières années dans la retraite. Il est mort le 15 avril 1894, laissant un nom hautement honoré par le monde savant.

EDOUARD GRIMAUX,
de l'Institut.