Robert GILNICKI (1878-1925)


Gilnicki en 1902, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1899). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, juin 1926

Le 28 août dernier, deux télégrammes, reçus à quelques heures d'intervalle, nous jetaient dans la consternation :

Le premier mentionnait que Gilnicki, gravement blessé dans un accident d'automobile près de Jérusalem désirait qu'on prévienne avec ménagement sa mère et demandait l'assistance d'un ami. Le second, transmis par le Ministère des Affaires Etrangères affirmait officiellement son décès survenu le 27 août à l'Hôpital de Naplouse.

Quinze jours auparavant, j'avais accompagné jusqu'à la frontière italienne mon vieil ami Gilnicki qui, après un congé de quelques mois en France, allait s'embarquer à Gênes pour effectuer un voyage d'affaires en Perse avant de regagner la Malaisie.

Quinze jours étaient à peine écoulés et nos affectueux projets de revoir de la gare de Modane étaient anéantis par un stupide accident : Le 23 août, Gilnicki avait quitté Jérusalem, après un court séjour, pour gagner la Perse tout en visitant en automobile la Terre Sainte. A mi-chemin de Nazareth, à un lacet de la route trop brusque pour permettre un virage direct, le chauffeur qui le conduisait, avant de se décider à prendre le tournant en deux fois, avança jusqu'à l'extrême bord du remblai et quand il voulut faire marche arrière, la voiture, alors qu'elle était presque arrêtée, se renversa sur notre malheureux ami. Transporté à un kilomètre environ du lieu de l'accident à l'Hôpital de Naplouse, il y fut soigné aussi bien que possible. Il souffrait énormément. Les médecins chefs des hôpitaux français de Jérusalem et de Bethléem appelés auprès de lui constataient un éclatement de la vessie et jugeaient toute intervention inutile. Le 25, une légère amélioration se manifestait néanmoins, mais la nuit du 25 au 26 fut très mauvaise et Gilnicki expirait le 27 août au matin, le jour même où il achevait sa quarante-septième année.

Il avait été entouré pendant son séjour à l'Hôpital de Naplouse par les sœurs de Saint-Joseph de l'Apparition et par le curé latin de Naplouse, assisté d'un père dominicain de Jérusalem. Il fit preuve d'un courage et d'une résignation admirables, malgré les souffrances qui le tenaillaient et l'éloignement — infiniment cruel pour lui — de tous ceux qui lui étaient chers. Sa foi chrétienne édifia tout son entourage, pourtant uniquement composé de religieux.

En attendant la possibilité légale pour son corps d'être transporté en France, il fut inhumé dans la Ville Sainte. La cérémonie des funérailles à Jérusalem fut émouvante : toutes les communautés religieuses françaises y étaient représentées ; le Consul de France à Jérusalem et sa famille accompagnèrent la dépouille funèbre jusqu'au caveau de Saint-Pierre en Gallicante que les P. P. Assomptionnistes avaient bien voulu lui ouvrir par faveur spéciale.

Robert Gilnicki était né à Paris, le 27 août 1878. Il perdit son père dès l'âge de deux ans et demie, en 1881, et fut élevé par une mère admirable qui se consacra toute entière à son éducation. Il fit ses classes de lettres au Lycée Montaigne et ses classes de sciences à Saint-Louis, profitant de ses vacances pour poursuivre ses études dans des collèges ou pensions en Angleterre, à Dundee et à Brighton, puis en Allemagne, à Heidelberg, à Frankfort et à Hambourg. Et quand il fut reçu, en 1898, à l'Ecole des Mines de Paris, il parlait aussi couramment et aussi correctement l'anglais et l'allemand que le français ce qui, quelques années plus tard, devait décider de sa carrière.

D'un tempérament réservé, d'une rigidité presque ombrageuse dans ses opinions et dans ses amitiés, il se lia peu à l'Ecole, facilement meurtri par les propos aussi vifs que divers que suscitait alors parmi nous la revision d'un procès fameux. Mais les quelques camarades qui forcèrent son intimité ont pu apprécier toute la délicatesse et toute la sûreté de son affection.

Dès sa sortie de l'école, en 1902, sa parfaite connaissance de l'anglais le faisait charger de diverses missions en Angleterre où il prenait en 1903 — fait assez rare — la Direction d'une mine d'étain, cuivre et arsenic en Cornouailles. Il s'y familiarisait avec la préparation aussi spéciale que délicate du minerai d'étain et y développait ses goûts de chercheur et de prospecteur.

Après quelques recherches de phosphate et d'or en Tunisie, il fut chargé de mission au Soudan et en Guinée Française où, de 1906 à 1909, il s'occupa avec succès de recherches d'or et de travaux préliminaires de mise en exploitation de gîtes alluvionnaires et de filons aurifères.

Rappelé en 1909 en Angleterre par la Société franco-belge pour l'exploitation de l'étain, il y dirigeait en Cornouailles les travaux de dénoyage de la mine Coheal Bucy abandonnée depuis plusieurs années et une importante installation de concentration de minerai et de grillage et raffinage d'arsenic.

En 1911, il était chargé de mission en Bolivie et faisait un intéressant rapport sur l'avenir minier de la Montagne de Potosi (étain et argent).

Après une courte mission dans le Sud de la Russie pour reconnaître un gisement de charbon du Donetz, il devenait, en 1912, directeur de la Société des Etains de Kinta. C'est en cette qualité qu'il exploita pendant treize ans avec une maîtrise et un succès complets tant en Malaisie anglaise qu'au Siam tous les types de site d'étain qui se puissent rencontrer. Pendant la Grande Guerre, libéré de toute obligation militaire, il déploya à la demande du gouvernement français toute son activité à la recherche du Wolfram, mettant en toute circonstance au service de notre cause la notoriété incontestée qui l'avait fait désigner comme membre, puis comme Vice-Président du Conseil de la Chambre des Mines des Etats Malais Fédérés. En 1925, tout en restant directeur des Etains de Kinta, il était nommé directeur général de la Société des Etains de Malaisie.

La mort a mis un terme prématuré à cette belle carrière : notre ami repose au flanc d'une colline qui fait face au Mont des Oliviers : il y demeurera dans le silence recueilli de la Terre Sainte jusqu'au moment où il pourra reprendre le chemin de la France : sa mère et son jeune fils l'y attendent, ainsi que ses amis qui sauront reporter sur l'orphelin toute leur affection.

G. Jarrige (Ancien élève de l'Ecole des mines, promotion 1899).