FUNERAILLES DE LOUIS DE LAUNAY
Membre de la Section de Minéralogie de l'Académie des Sciences

à PARIS le lundi 4 juillet 1938. DISCOURS DE François GRANDJEAN
Membre de l'Académie des sciences.

MESDAMES, MESSIEURS,

J'ai reçu la douloureuse mission d'adresser, au nom de l'Académie des Sciences, au nom de l'École Supérieure des Mines et au nom du Service de la Carte Géologique de la France, un dernier hommage à l'illustre savant que fut Louis de Launay.

Il nous quitte après une maladie qui lui enleva peu à peu ses forces, mais sans atteindre sa claire intelligence. Les dernières consolations terrestres, celles qui doivent nous être les plus chères à l'heure de la mort, lui furent accordées, car il a senti jusqu'à la fin l'amour de ses proches, car il a pu songer à son œuvre et la voir derrière lui, grande et féconde. Par cette œuvre, si personnelle et si diverse, par sa carrière si droite et si belle, Louis de Launay a vraiment utilisé les dons magnifiques qui étaient en lui.

Il s'intéressait à tout et sa culture était immense. C'était un humaniste et un lettré. Il a écrit plusieurs volumes de poèmes. C'était un vulgarisateur. Il eut toujours le souci d'atteindre un public très large. C'était un professeur émérite et il aimait l'enseignement. Il a fait encore, cette année, à 77 ans, son cours à l'École des Sciences Politiques. C'était un ingénieur par sa formation à l'École des Mines. Il n'oubliait pas les prix de revient et la technique. Les questions économiques et sociales aussi l'ont beaucoup occupé. Il a écrit sur elles des livres et, dans les journaux, des articles pleins de sens. Mais ce fut surtout un géologue.

Né à Paris en 1860, sorti de Polytechnique en 1881, puis de l'École des Mines en 1884, il fut d'abord Ingénieur des Mines à Moulins. A cette heureuse époque le Service Ordinaire laissait des loisirs. De Launay les employa à faire de la géologie. De très nombreuses tournées lui firent connaître en détail les bassins houillers et permiens, les roches éruptives, les gneiss et les micaschistes, les sources thermales et les gisements métallifères, d'abord dans son arrondissement, ensuite dans tout le Massif Central. Il fut un des premiers qui démêlèrent la structure des vieilles formations cristallophylliennes et en levèrent des cartes où intervenaient leur stratigraphie et leur tectonique. L'un des premiers il étudia sur le terrain leur métamorphisme, l'intrusion des roches ignées et les rapports de ces grands phénomènes avec les mouvements de l'écorce terrestre. Surtout il fut le premier à voir clairement un lien entre les gisements métallifères et les roches éruptives, et par conséquent, puisque ces dernières dépendent des plissements, un lien entre la Géologie générale et la formation des mines. Bien qu'elles soient localisées et exceptionnelles il ne faut pas mettre à part les concentrations métalliques. Il faut les rattacher au contraire à des études de pétrographie, de stratigraphie et de tectonique, poursuivies parallèlement. Ce grand sujet était alors presque neuf. Louis de Launay devait en faire son domaine et y acquérir sa renommée.

Après un court passage à Dijon, 5 ans après être sorti de l'École des Mines, en 1889, il y revenait comme Professeur de Géologie appliquée. Il succédait à Fuchs. C'est dans ce cours de l'École des Mines, constamment perfectionné, et qu'il fit pendant 46 ans, avec la seule interruption de la guerre, que de Launay fonda, en quelque sorte, la science des gîtes minéraux.

A partir de 1893 on voit se succéder rapidement, dans des notes et surtout dans des livres, des contributions capitales: la connaissance des gîtes d'inclusion et de ségrégation où la séparation des métaux et des roches originelles est au 1er stade; l'existence de provinces métallogéniques; la fixation des caractères de chaque province par la profondeur moyenne à laquelle l'érosion y a pénétré ; la grande importance, dans certaines mines, des altérations secondaires; la localisation des sources thermominérales sur les zones les plus récemment disloquées; l'origine de ces sources; les conditions de leur captage, c'est-à-dire les rapports de leur émergence avec le niveau hydrostatique.

Il faudrait encore ici parler de ses ouvrages de philosophie scientifique, de ses idées sur l'orogénie et sur la tectonique générale du globe, de ses voyages et du profit qu'il en a tiré pour établir des cartes géologiques régionales et pour décrire de grands gisements d'une manière très compréhensive, ceux du Transvaal en particulier.

La science des gîtes minéraux convenait à Louis de Launay plus qu'à tout autre, à cause de son goût pour les idées générales et à cause de la diversité des connaissances qu'elle exige. Que de Launay ait su rassembler ces connaissances, les mettre chacune à sa place et les cimenter fortement par la logique et l'observation, ses innombrables élèves sont là pour l'attester et ceux, plus nombreux encore, qui ont lu ses livres, aujourd'hui classiques. Beaucoup de livres de Louis de Launay ont été traduits en plusieurs langues. Ils ont rendu familières, à l'étranger comme chez nous, ses découvertes et sa pensée.

D'autres fonctions et des honneurs lui échurent. Il fut Professeur de Géologie et de Minéralogie à l'École des Ponts et Chaussées, Professeur d'un cours sur la technique industrielle et les questions économiques à l'École libre des Sciences Politiques, Inspecteur Général des Mines, Membre de l'Académie d'Agriculture, Directeur du Service de la Carte Géologique de France. Louis de Launay a été un de nos cartographes les plus actifs: on lui doit 10 feuilles au 1/80000. L'Académie des Sciences l'avait accueilli dès 1912, à la mort d'Auguste Michel - Lévy, et l'avait porté en 1931 à sa Présidence. Il était Commandeur de la Légion d'Honneur.

Il faudrait longtemps pour exposer en détail, comme elles le méritent, toutes les étapes de cette belle carrière et l'œuvre accomplie. Ce sera fait ailleurs, après ces jours de douloureuse émotion. Maintenant il vaut mieux dire ce que fut l'homme .

Louis de Launay était très simple, droit et bon, d'accueil bienveillant. Il fuyait les manifestations extérieures. Il choisissait ses amis. Il se plaisait surtout dans sa famille où chacun des siens cultivait, à son image, les plus beaux dons de l'esprit. Sa sœur avait épousé Martel, le spéléologue, dont nous déplorons la perte récente. Madame de Launay est la fille du célèbre physicien Alfred Cornu, qui fut Président de l'Académie des Sciences et dont les travaux sont dans toutes les mémoires. Autour de lui, sans dépasser beaucoup le cercle de sa famille, il jouissait d'une société très cultivée, où les arts et les lettres, aussi bien que les sciences, étaient aimés. Ainsi protégé par l'intelligence et par le cœur, en outre fortifié par sa foi chrétienne, il conserva toute sa vie, à travers les peines et les joies, sa sérénité et sa noblesse.

La guerre lui prit son fils, Sous - Lieutenant d'artillerie, observateur d'escadrille, chevalier de la Légion d'Honneur, tombé à Ham, le 23 Avril 1917, à l'âge de 19 ans. Que Madame de Launay me pardonne de rappeler ce souvenir cruel, mais glorieux ! Plus tard sa vie fut éclairée par le grand bonheur que lui apporta le mariage de ses filles et il eut la joie, dans sa vieillesse, de voir grandir autour de lui de nombreux petits-enfants.

A vous, Madame, à qui je présente mes condoléances respectueuses et aussi, personnellement, puisque j'ai le privilège d'être allié à votre famille, l'expression de mon affectueuse douleur, je ne peux pas apporter, je le sais bien, une consolation véritable. Je peux seulement vous dire que le souvenir de votre mari restera bien vivant, entouré d'admiration et de sympathie, parmi nous tous qui l'avons connu; que sa pensée demeure dans le domaine scientifique qu'il a choisi et perpétuera sa mémoire ; que son oeuvre enfin, non seulement ne mourra pas, mais fructifiera.