Alain TESTART (1945-2013)

Né le 30 décembre 1945. Décédé le 2 septembre 2013.

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1965). Ingénieur civil des mines.

Epoux de Lucette Gossot, puis de Marième Testart-Toure. Père de Frédérique et de Ivan Testart (enfants de Lucette Gossot). Grand-père de Léa, Arthur et Romain.


Alain TESTART, par Lucien LEBEAUX (Promotion 1965 de l'Ecole des mines de Paris)

Publié dans MINES Revue des Ingénieurs, Septembre/Octobre 2013 N° 469.

Nous avons appris avec tristesse la disparition d'Alain, lundi 2 septembre 2013.

Sa carrière de chercheur et d'enseignant s'est déroulée au sein du Laboratoire d'anthropologie sociale du CNRS :

«Après mon baccalauréat obtenu à 17 ans, mes dons naturels en mathématiques firent que l'on m'orienta vers les classes préparatoires des Grandes Écoles d'Ingénieur... C'est à cette époque que j'ai pris conscience, fortement aidé par des professeurs que ma mémoire chérit encore, de ce qu'était une science. C'est pendant ces années que je découvris les sciences sociales, tout particulièrement l'ethnologie. Après la sortie de l'École des Mines et la fin de mon service militaire, j'entrai en entreprise pour y exercer le métier d'ingénieur pour lequel j'avais été formé. J'entrai à la SEMA (Société d'Études de Mathématiques Appliquées) en tant que spécialiste de recherche opérationnelle. Je m'y ennuyais ferme à faire des calculs de rentabilité. Je démissionnai peu de temps après, je me souviens, c'était un 1er avril, et mon patron, croyant à «un poisson d'avril», m'offrit une augmentation. J'avais l'idée de reprendre des études, dans des disciplines qui m'attiraient plus. Après avoir hésité entre la psychanalyse, l'histoire et l'ethnologie, j'optai pour la troisième.

Toutefois mon opposition au structuralisme, mes options explicitement évolutionnistes, mon intérêt marqué pour la culture matérielle, tout cela rendait difficile mon intégration dans les milieux anthropologiques. Au cours de ma carrière, je devais m'entendre dire à plusieurs reprises que je n'étais pas un ethnologue... Influencé par ceux que je considère comme les grands penseurs des sciences sociales, Marx, Durkheim, Weber, et par quelques grands historiens au premier rang desquels je rangerais Fustel de Coulanges et Marc Bloch, je formais progressivement le projet d'une sociologie générale où les sociétés dites « primitives » seront enfin débarrassées du caractère de simplicité qu'on leur attache si souvent. Mon ambition intellectuelle se précisa à travers maints détours... Chemin faisant, je crois actuellement pouvoir refonder sur de nouvelles bases une sociologie générale, ce qui se réalise à travers une ouvre volumineuse dont j'ai actuellement rédigé quatre volumes (sur les huit prévus)».

Toute sa personnalité s'exprime dans ces mots.

Auteur de nombreuses réflexions en ethnologie et en archéologie, son projet fut de refonder une sociologie des sociétés en général, de reconstituer l'évolution sociale de l'humanité. Il restera selon les expressions des uns et des autres «un formidable agitateur d'idées», un «défricheur de nouvelles pistes», un «bouillon d'idées décisives».

Cette année, il venait d'éditer un livre retraçant l'évolution des sociétés depuis le paléolithique. Il venait de terminer un autre livre sur la question des femmes dans les sociétés.

L'exemple d'Alain reste pour ceux qui l'ont connu un modèle de volonté farouche, d'humour, de courage et de persévérance.

Nous sommes de tout cour avec son épouse Marième Testard-Toure, ses enfants Frédérique et Ivan Testard, leur mère Lucette Gossot, sa famille et ses proches, à qui nous exprimons toute notre compassion.

Lucien LEBEAUX (P65)

Voir aussi :


Alain Testart vu par sa première épouse, Lucette GOSSOT

Le texte inédit qui suit a été rédigé par Lucette Gossot le 12 septembre 2013 :

J'ai connu Alain lors du Bal des Mines en 1968, alors que « Mai 68 » débutait. Pour résumer le caractère de ce personnage, lors de ce bal, 5 jeunes gens qui dialoguaient à côté d'Alain, se posaient la question de savoir lequel d'entre eux m'inviterait à danser. Loin de ce questionnement, je m'apprêtais à virevolter avec un jeune homme lorsqu'Alain, sans m'inviter ou demander à mon cavalier, m'a emportée sur la piste. L'effet de surprise était là. Ensuite, pour simplifier, nous avons convolé et eurent deux enfants qui ont maintenant 40 et 36 ans, desquels sont nés 3 petits enfants.

Alain était un dictionnaire ambulant, connaissant tout en tout, mathématiques, certes, mais également philosophie, histoire, peinture, musique et bien d'autres arts, nos visites de musées ou d'églises duraient des heures avec de longues explications dans le détail pour un tableau ou une sculpture. Des voyages nous en avons fait ensemble, mais ce n'était pas en bord de mer ou en montagne pour se détendre. Non, non c'était pour visiter, étudier, s'informer parler aux autochtones afin de connaître leurs moeurs et coutumes, ce qui me convenait parfaitement, du fait que, ayant entrepris de longs voyages avant de le connaître, c'est cette même méthode que j'employais.

Alain, admissible à l'écrit de l'X, recalé à l'oral, entre à l'Ecole Nationale des Mines de Paris, sous la pression de ses parents « qui le rêvaient Ingénieur ». A l'acquisition de son diplôme, il a travaillé pour une grande entreprise. Cela ne dura que peu de temps, chaque soir il rentrait en expliquant que « jamais il ne supporterait ce genre de vie : travailler, accumuler de l'argent, ne plus avoir le temps de lire, étudier » Bref, l'enfer dans son esprit. Un soir il est rentré très fier « j'ai donné ma démission, je m'inscris à la faculté et commence des études d'ethnologie ». Avec courage, il a franchi le pas pour réaliser son rêve de toujours. Pour ma part, cette décision était amère, je craignais les lendemains sans argent, les études de jour comme de nuit, car Alain n'avait pas de limite pour travailler, parler de ses recherches, s'occuper des tâches ménagères et de notre fille qui venait de naître. Dans cette même lignée, il faut mentionner les nuits blanches ou les week-end à jouer au jeu de « Go » avec une bande d'amis, ses longs dialogues avec son Ami de toujours Michel.

Ces moments furent précieux, miraculeux et de bonheur dans nos dialogues intenses, nos recherches respectives, historienne sur les femmes, nos esprits se rencontraient sur le chemin de la science et de l'histoire. Nous avons accompagné à différentes reprises des équipes d'archéologie, fouillant le sol en recherche d'outils du paléolithique, du néolithique pour lui et de poteries pour moi du fait que c'étaient les femmes qui les utilisaient, notre poupée Frédérique était avec nous, Ivan étant n'étant pas encore né.

Etudier, dialoguer c'était parfait, mais cela ne suffisait pas pour avancer dans la direction recherchée par Alain, avec deux tout petits à élever. Tout en donnant des cours à la faculté de Nanterre, Alain n'avait qu'une hâte, se stabiliser en tant qu'ethnologue, comment ? Ses professeurs autant que les chercheurs avaient prévenu : l'entrée au CNRS était supérieure à 10 années d'attente ! Optimistes, nous l'étions au regard de la détermination de Alain d'exposer ses théories sur cette science qu'était l'ethnologie. Par de brefs articles, des connaissances qui apparaissaient petit à petit, notamment M. Maurice Godelier et d'autres scientifiques de renom, intéressées par la démarche scientifique qu'apportait Alain à cette science non exacte, contraire à l'ère de l'époque qui était davantage philosophique.

L'obtention d'une bourse le mène en Australie pour y étudier les aborigènes, son thème de prédilection de recherches. Nous devions faire ce voyage ensemble avec notre petite fille, le destin en décidait autrement par l'attente de notre 2ème enfant où il n'était pas possible de prendre l'avion, sous peine de perdre cet enfant auquel nous tenions. Cette expérience scientifique et sociale sans sa famille, en pays si lointain, a bouleversé l'esprit de mon époux et père de nos enfants. Il semble que ce qu'il ait vécu durant ces trois mois fut un tournant dans sa propre vie, son esprit et sa carrière. De retour dans un Paris froid autant par le climat que par les relations humaines, voire avec les ethnologues du fait que chacun et chacune tente de se faire une place au CNRS ou ailleurs. Brutalement, Alain se trouvait à l'étroit entre vie scientifique et familiale. Nos dialogues n'avaient plus la même saveur, tout devenait différent, un écart certain se formait entre nous, mais pas seulement, nos soirées de jeu de go n'avaient plus de mise, l'ambiance n'y était plus. Est-ce une conséquence de ce tracas, Alain avait son premier cancer quelques mois après son retour d'Australie et la naissance de notre fils.

Nous nous sommes séparés et n'avons divorcé que bien plus tard, espérant qu'il y aurait, peut-être, une réconciliation possible. Le divorce fut consommé définitivement en 1980. Durant plusieurs années nous nous rencontrions avec les enfants et retrouvions nos dialogues. Ma vie de diplomate et mes voyages hors de France, n'ont plus permis ces rencontres, sauf à l'occasion d'événements familiaux. Nos enfants le voyaient régulièrement, et me rendaient compte de ses recherches, voyages et publications.

Alain a longtemps lutté contre cette maladie qui avançait en sourdine, plusieurs cancers se sont déclarés. Jamais impressionné par cette maladie lancinante mais effective, avec défi et ténacité, il a continué ses recherches et publications, dont la liste est impressionnante, lorsque l'on sait que de telles recherches scientifiques, demandent de longues heures d'assiduité et de concentration. Ces dernières années, Alain avait décidé de sortir quelque peu du cadre de scientifiques avertis, en publiant pour le grand public. Son ouvrage « Avant l'histoire, L'évolution des sociétés de Lascaux à Carnac » chez Gallimard en 2012 se vend toujours très bien et lui a valu d'être Lauréat du prix Guizot de l'Académie Française, ainsi que Lauréat du prix Emile Girardeau de l'Académie des Sciences morales et politiques, qui sera remis à sa famille à titre posthume. D'autres livres était en cours, dont un qui devrait être publié en 2014.

Nous avons eu la grande chance de nous voir le 1er septembre 2013, en famille avec nos enfants et petits-enfants, dans sa chambre d'hôpital : elle effaçait ces années de séparation. Nous étions en paix tous deux avec nous-même et ensemble avec nos enfants. Quelques heures après, il décédait, cette rencontre est inscrite dans l'éternité.

C'est par l'Ecole des Mines que j'ai eu la chance de faire la connaissance d'Alain, c'est par les Mines que nos deux vies se sont séparées. Le Président des anciens de cette Ecole, m'a abordée en sortant de la salle du cimetière du Père Lachaise. Nous y étions ensemble, sans nous connaitre, pour l'accompagner dans sa dernière demeure. La vie est bien mystérieuse, elle nous réserve de telles surprises. Merci à vous, merci à ses amis des Mines, amis de toujours.

Alain était :

Directeur de recherche au CNRS

Membre du Laboratoire d'Anthropologie sociale au Collège de France

Lauréat du prix Guizot de l'Académie Française

Lauréat du prix Emile Girardeau de l'Académie des sciences morales et politiques

Lucette Gossot
Ex-épouse et mère de ses enfants
[ Lucette Gossot a fait une carrière de diplomate, notamment à l'ONU. Elle était 1ère secrétaire d'ambassade. Elle a reçu la Légion d'honneur en 2011. ]