Quels équilibres énergétiques en 2050 ?

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RESUME DES INTERVENTIONS


Le point de vue des experts


Benjamin Dessus - Pouvons nous nous en sortir sans toucher à notre mode de vie ?

Les questions du développement, des ressources énergétiques et du réchauffement climatique sont elles solubles sans toucher à « nos » modes de vie d’occidentaux ? L’idée de croissance continue pour tout le monde yc les pays occidentaux, fût elle verte, est-elle suffisante pour résoudre les grands problèmes de notre temps sans pari technologique et sociétal trop risqué ? On tentera de discuter de ces questions à la lumière des scénarios de prospective existants pour mettre en évidence les contraintes, les opportunités et les risques des différentes voies qu’ils suggèrent : économies d’énergie (efficacité et sobriété), énergies renouvelables, nucléaire et stockage du carbone.

On insistera en particulier sur le caractère primordial de la maîtrise de l’énergie dans la panoplie des outils de sortie de crise et nous montrerons les conséquences que devraient en tirer les citoyens et les gouvernements des pays riches en termes de sobriété, d’efficacité et de solidarité.


Marie-Pierre Fauconnier

Le système énergétique actuel n’est pas durable, si rien n’est fait, nous allons « droit dans le mur » (épuisement des ressources naturelles, pollution, réchauffement climatique, explosion des prix de l’énergie, risque de conflits …). Une transition énergétique est dès lors indispensable. Selon les experts, notamment ceux de l’AIE, seule une transition « ambitieuse » peut parvenir à changer cette situation à l’horizon 2050.

Toutes les nouvelles technologies prometteuses doivent être développées. En premier lieu, il faut développer les technologies permettant d’améliorer les économies d’énergie et l’efficacité énergétique (à tous les niveaux). La moitié de l’effort à réaliser portera vraisemblablement sur ces économies d’énergie, c’est le meilleur investissement possible. En parallèle, les technologies relatives aux énergies renouvelables joueront un rôle important, de même que le CCS et l’amélioration de la technologie nucléaire. Sans CCS et sans nucléaire, toute transition énergétique sera plus coûteuse et les chances d’arriver à la réduction drastique des émissions de CO2 seront hypothéquées.

Deux instruments sont à privilégier : les prix et les investissements en R&D et développement de nouvelles technologies. Il faut toujours privilégier les mesures les plus « cost effective », les plus efficaces en termes de coûts. Les budgets (publics et privés) sont limités, il faut les utiliser de manière optimale. Les prix doivent intégrer les impacts environnementaux et sociétaux. Ils doivent permettre aux meilleures technologies de prendre leur place sur le marché. Des efforts budgétaires très importants (beaucoup plus élevés qu’à l’heure actuelle) pour la recherche et développement doivent permettre de développer des expériences (parfois de faible dimension, parfois à grande échelle, cela dépendra de la technologie) qui feront ensuite l’objet d’évaluations. Le partenariat public/privé pour cela est le plus adéquat (partage des risques). Il ne faut pas négliger pour cela les investissements en R&D relatifs aux énergies fossiles quand celles-ci font preuve d’une plus grande efficacité.

L’efficacité doit être redistribuée efficacement, en visant le coût de réduction du CO2 (le système ETS reste la « colonne vertébrale » de cette transition).

Cette transition doit absolument incorporer un transfert des pays riches vers les pays pauvres, sans cela, celle-ci ne serait pas « durable ».


Rolph Linkohr

Nous ne savons pas ce que nous saurons dans le futur. C'est pourquoi il est difficile sinon impossible de prédire quel sera l'équilibre énergétique en 2050. Nous pouvons seulement dire ce que nous voulons. Mais nos visions sont basées sur notre expérience et notre savoir actuel. Nous ne savons pas comment les gens vivront en 2050, si le pétrole sera remplacé par l'éthanol produit par le C02, si la voiture électrique sera la voiture du futur, si l'énergie solaire ne remplace un jour les énergies dites classiques, etc.

Bien que nous ne connaissons pas encore les technologies du futur nous connaissons les technologies du présent. Et si tous les pays du monde appliquaient les technologies les plus sophistiquées, les plus efficaces nous pourrions déja aujourd'hui réduire les émissions globales des gaz à effet de serre par à peu près 30%. Le véritable problème n'est donc pas technique mais d'ordre financier et politique.

Dans le passé la politique énergétique a été influé beaucoup plus par des évènements imprévus (Guerre de Suez en 1956, Guerre de Yom Kippour en 1973, retour de Khomeini en Iran en 1979, Tchernobyl 1986, "découverte“ du rechauffement de la terre par les gaz à l'effet de serre, etc.) que par nos  scénarios.  Nous devions et nous devons nous adapter. Notre marge de maneuvre est donc limitée.

Comme nous avons même en Europe des opinions publiques très divergentes sur les technologies énergétiques il faut vivre avec des différences. Mais comment? En France on prépare déja la quatrième génération des réacteurs nucléaires. En Allemagne tous les partis et la grande majorité de l'opinion publique veulent qu'en 2050 80% de l'électricité vienne des sources renouvelables. Les Allemands ne pensent pas à un équilibre énergétique mais à une solution unidimensionelle. Restent-ils isolés? Est-ce que leur stratégie est faisable? Est-ce qu'elle est économique?  Et comment peut-on reconcilier les deux stratégies dans un marché européen de l'énergie?

Malgré les incertitudes il y a deux vérités scientifiques qui valent même en 2050. La première concerne le C02. Il faut réduire les émissions considérablement sinon la température monte et les mers deviennent plus acides. La deuxième concerne la démographie. La population mondiale augmente et avec elle la demande en énergie. La politique énergétique devient “Weltpolitik“ ou géopolitique. La lutte contre la pauvreté, la réduction des émissions de C02 et la sureté d'approvisionnement en énergie doivent former une alliance.

La réponse de l'Europe? Il faut maintenir une politique de mix énergétique pour contrer les incertitudes. Nous avons besoin de toutes les énergies qui peuvent contribuer à réduire les émissions de C02. Il faut aussi augmenter la recherche pour savoir ce que nous ne savons pas encore. Et n'oublions pas que l'énergie est un bien public. Il n'y a pas de stabilité politique sans énergie. Et il faut développer une véritable politique étrangère énergétique. En plus, nous avons besoin d'un débat européen et mondial. Et l'Europe devrait parler avec une seule voix.


Michel Petit - Les contraintes liées à la maîtrise du changement climatique

Les émissions de gaz carbonique, résultant de l’utilisation des combustibles fossiles sont  la cause principale du changement climatique observé au cours des dernières décennies. C’est la conclusion des travaux  des scientifiques travaillant sur cette question depuis une cinquantaine d’années. Leurs modèles sont capables de reproduire la géographie des climats et leur évolution dans le temps, y compris le réchauffement généralisé récent et d’estimer les conséquences des émissions futures de l’humanité.

Un premier aspect du problème de la maîtrise de l’ampleur du changement climatique est lié à l’inertie de l’ensemble du système Il faut plusieurs décennies avant que le changement de l’effet de serre provoqué par la concentration atmosphérique de gaz absorbant  l’infrarouge n’ait eu son plein effet sur le climat. En outre, la concentration ne réagit elle-même qu’avec un retard de plusieurs dizaines d’année aux variations des émissions annuelles. Enfin, les systèmes socio-économiques responsables de ces émissions ont  eux-aussi une inertie variable, mais du même ordre de grandeur.

Pour une concentration de 450 ppm équivalent (cette concentration en CO2 équivalent  exprime  la moyenne au cours d’un siècle du pouvoir de réchauffement de l’ensemble des gaz à effet de serre sous la forme de la concentration du CO2 qui aurait provoqué à lui seul le même résultat), les modèles simulent une augmentation de température de 1,5  à 3 ° et pour 1000 ppm de 4 à 8°. Pour limiter cette concentration au voisinage de 500 ppm équivalents, il ne suffit pas de plafonner les émissions, il faut que les émissions totales mondiales soient divisées par 2 d’ici à 2050.


La vision des industriels

Claude Imauven - Le point de vue d'un industriel des matériaux de construction

C’est vrai dans le secteur des bâtiments comme partout, l’énergie la plus durable est celle que l’on ne consommera pas.
L’impact du secteur des bâtiments sur la consommation énergétique et sur les émissions de gaz à effet de serre est très significatif. Ce secteur représente plus de 40 % de la consommation énergétique finale de l’Union Européenne, et environ 35 % de ses émissions de gaz à effet de serre.
Les solutions techniques existent qui permettent, dès à présent et de façon économiquement viable, de construire des bâtiments zéro énergie (objectif de l’UE dès 2020) et de réduire jusqu’à 90 % la consommation énergétique des bâtiments existants. De nombreuses études ont démontré que les mesures d’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment étaient économiquement les plus efficientes pour réduire les émissions de GES.
La moitié des 210 millions de bâtiments existants dans l’UE ont été construits avant le premier choc pétrolier, donc avant toute réglementation thermique. Les taux de renouvellement et de rénovation de ce parc sont insuffisants pour permettre d’amorcer une diminution sensible de ses consommations énergétiques. Il est urgent de multiplier le nombre des rénovations énergétiques et d’accroître la part des rénovations majeures. En effet, le bâtiment est un bien dont la durée de vie est très longue : ne rien faire, c’est gaspiller durablement des ressources et s’interdire d’exploiter un gisement d’économies facile d’accès.

On peut raisonnablement viser pour 2050 un parc bâti qui consommera 80 % d’énergie de moins que l’actuel et couvrira la totalité des besoins restants à partir de sources renouvelables.
Pour y parvenir dans les meilleures conditions, il suffit  de mettre en œuvre les principes du Trias Energetica :

  1. réduire en priorité la demande d’énergie pour les usages liés au bâtiment : chauffage et rafraîchissement (le poste de consommation le plus important), eau chaude sanitaire, éclairage et ventilation ; l’architecture bioclimatique et la qualité de l’isolation des parois, des vitrages et des menuiseries sont des conditions nécessaires de performance : seule une qualité pérenne du bâti limitera durablement le besoin d’énergie pour le chauffage ou le rafraîchissement. C’est un domaine dans lequel le Groupe Saint-Gobain est très investi.
  2. ensuite il faut répondre à cette demande réduite d’énergie avec des équipements performants, offrant d’excellents rendements énergétiques et alimentés par des énergies renouvelables produites localement, au niveau du bâtiment et au niveau du quartier.
  3. enfin, il faut mettre en place la maintenance et les outils de contrôle et de suivi pour garantir durablement la performance et éviter les mauvais comportements énergivores.

Il faut ainsi sortir d’une logique du « ou » qui oppose les tenants de telle ou telle technologie à une logique du « et » qui optimise leurs complémentarités. Jamais les énergies renouvelables ne seront économiquement viables et suffisantes pour couvrir les besoins énergétiques de passoires thermiques. Inversement, un bâtiment bien conçu ne restera pas sobre sans une gestion opérationnelle de qualité.

Les économies d’énergie, particulièrement dans un contexte de hausse du coût des énergies, compensent très rapidement le coût des investissements. Une stratégie ambitieuse, au niveau national mais aussi au plan européen dans le domaine du bâtiment (réglementations, formations, financement, éducation…), sera extrêmement vertueuse : création de plusieurs centaines de milliers d’emplois non délocalisables, amélioration de la qualité de vie des citoyens, indépendance énergétique accrue et environnement protégé.


Hervé Mignon

La volonté d’intégrer d’importants moyens de production d'électricité décarbonée ou renouvelable à l’horizon 2050 conduit RTE à anticiper, dès à présent, les infrastructures qui seront nécessaires pour acheminer cette énergie en veillant à la sécurité d’approvisionnement et à la sûreté du système électrique.

Les échelles de temps sont à prendre en compte.

D’une part, la durée de vie des principaux ouvrages de transport d’électricité est de l’ordre de 80 ans, et une partie importante du réseau actuel sera … toujours opérationnelle à l’ horizon 2050 grâce aux actions de renouvellement.

D’autre part, force est de constater que de nos jours, compte tenu de l’accumulation de procédures administratives et des attentes de la société en matière environnementale, la construction de nouveaux ouvrages de réseau dure souvent plus d'une décennie.

Ainsi, le réseau de 2020 est déjà engagé, celui de 2030 est en phase avancée d’étude, celui de 2050 doit être planifié …  dans les années à venir.

L’enjeu sera de concilier une vision globale, avec un « supergrid » qui constituera l’ossature à l’échelle européenne du transport à très haute tension, et une vision locale, avec le « smart-grid » qui apportera de nouvelles fonctionnalités, comme la gestion de la demande ou le stockage décentralisé.

Il s’agit d’anticiper une profonde mutation énergétique afin de permettre l’accueil de formes différentes de production d’électricité, parfois intermittentes ou difficilement prédictibles, de les raccorder sur terre ou en mer, avec une nouvelle répartition géographique en Europe et dans les régions voisines de ces sources d’énergie, et d’accompagner enfin de nouveaux usages possibles comme par exemple le véhicule électrique.

C’est l'ensemble du système d'alimentation électrique européen qui doit être adapté de manière adéquate, en répondant à de fortes attentes sociétales.

Dans ce contexte, RTE entend développer des stratégies qui faciliteront l'acceptation par les parties prenantes du développement du réseau.  Utilisation de nouvelles technologies, notamment de liaisons souterraines ou de lignes à courant continu, réutilisation de tracés existants et promotion de dispositifs de maitrise de la pointe sont autant d’exemples qui illustrent notre volonté de relever ce défi pour développer le réseau du futur.


Luc Oursel

Les questions de politiques énergétique sont, par nature, des sujets de long terme compte tenu du temps de construction et de la durée de vie des infrastructures comme de celui requis pour la mise en œuvre de nouvelles technologies

Le secteur énergétique est appelé à un fort développement dans les prochaines décennies en raison des facteurs suivants : croissance démographique et économique, nécessité d’assurer indépendance énergétique et sécurité d’approvisionnement face à l’épuisement des ressources fossiles et des aléas géopolitiques,  lutte contre le dérèglement climatique.

S’agissant de ce dernier point, la façon de produire l’électricité s’avère cruciale. De nombreuses technologies existent pour réduire les émissions du secteur électrique, toutes devront être mises en œuvre pour relever le défi.

En matière de R&D, les programmes s’attacheront notamment à réduire les coûts des technologies actuelles, en particulier dans le domaine des renouvelables. Dans le nucléaire, à plus long terme, la recherche sur les réacteurs de 4ème génération constitue un axe majeur.

Pour importante qu’elle soit, la technologie n’est pas tout. Le développement de politiques énergétiques efficaces requiert par ailleurs de la constance à l’échelon national, une cohérence accrue à l’échelon européen. Ces conditions sont de première importance pour le nucléaire sans lequel la réalisation des objectifs économiques et environnementaux paraît illusoire.

Pour la France, dotée des deux leaders mondiaux que sont AREVA et EDF, la renaissance du nucléaire constitue un atout maître sur les marchés internationaux. Compte tenu de la disparité des clients potentiels, qu’ils soient de nouveaux entrants ou des opérateurs possédant déjà un parc de centrales, il convient de mettre en place entre les différents acteurs français une stratégie coordonnée tenant compte de nombreuses spécificités. 

Un autre aspect à ne pas négliger pour un développement harmonieux de l’énergie nucléaire est celui de l’acceptabilité publique.

Avec sa capacité à offrir un éventail complet de produits et services pour produire de l’électricité sans CO2 d’origine nucléaire et renouvelable, AREVA est un grand acteur de la filière énergétique française et internationale. Fort de ses positions sur le marché mondial, le groupe apporte une contribution significative à l’économie nationale et à l’emploi.




 

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