CLUB DES ANNALES DES MINES

Président : Jacques MAIRE
Secrétaire : Philippe LEDENVIC
 


Rendez-vous des Annales des Mines
Session du 13 décembre 2001

"En finir avec le dialogue de sourds : les OGM"

Compte-rendu préparé par Hélène LE DU
Ingénieur élève du Corps des Mines


Arrachage de plants, accusations d’obscurantisme, différends transatlantiques : le débat sur les OGM de ces dernières années apparaît à bien des égards comme un dialogue de sourds. Pourquoi la controverse a-t-elle pris, en France tout particulièrement, un tour aussi passionnel ?
Peut-on recréer, entre l’opinion, les experts et les gouvernants, une relation de confiance, et si oui sur quelles bases ?
De quelles nouvelles formes de débat public et de préparation des décisions politiques vont-elles s’imposer ?

Débat animé par Michel Matheu, Commissariat Général du Plan
avec
Bernard Chevassus-au-Louis, Président du Conseil d’Administration de l’AFSSA
Pierre-Henri Gouyon, Directeur de recherches au CNRS, Université de Paris-Sud (Orsay)
Jean-Claude Guillon, Directeur stratégie et communication, Groupe LIMAGRAIN
Pierre-Benoît Joly, Directeur de recherches, INRA
Guy Le Fur, Membre du Conseil économique et social, Administrateur à la Confédération paysanne
Roland Petit-Pigeard, Président de la SICASOV

Introduction du débat par une présentation de :
Laurent Midrier et Julien Pouget, Ingénieurs des Mines

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DIALOGUE DE SOURDS OU DIALOGUE DE BIEN-ENTENDANTS ?

    De 1973 (date de la création de la première bactérie transgénique) à 1998, les biotechnologies connaissent une montée en puissance telle que beaucoup sont convaincus que le XXIème siècle sera le siècle des biotechnologies. Mais, en 1998, le gouvernement français décide de suspendre l’arrêté autorisant la commercialisation du maïs transgénique Novartis, au nom du principe de précaution. Puis, l’Union européenne annonce un moratoire concernant les autorisations de mise sur le marché d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Dans les pays développés, le nombre d’essais en champ portant sur des plantes transgéniques va être divisé par mille entre 1998 et 2000.

    Malgré ce déclin, les OGM alimentent régulièrement la une des médias, car une virulente controverse s’est instaurée, notamment en France. Opposants et partisans des OGM, en souhaitant faire entendre leur voix, s’affrontent en un dialogue apparemment de sourds. Source de progrès et promesse d’un avenir meilleur pour les uns, menace pour l’humanité et la planète pour les autres, les OGM sèment la discorde. En réalité, il vaudrait mieux parler de monologue de bien-entendants que de dialogue de sourds. En effet, la faible fécondité du débat actuel procède davantage de difficultés à dialoguer que d’un refus d’écouter. Chaque protagoniste s’en tient à un argumentaire cohérent et rationnel à partir de sa vision personnelle de questions dépassant largement la seule controverse sur les OGM. Ainsi, débattre sur les OGM signifie-t-il, selon le protagoniste, lutter contre toute mainmise sur le vivant, dénoncer les méfaits des politiques productivistes, s’opposer à la mondialisation, défendre la liberté de l’alimentation, concevoir l’agriculture de demain, ou bien, promouvoir les nouvelles armes de la compétition économique. Le débat sur les OGM ne constitue pas pour les parties prenantes une fin en soi, mais un moyen de promouvoir leurs idées sur des problèmes de fond. De ce fait, chacune des parties adopte un registre différent et souhaite amener l’autre sur son terrain. Pour pouvoir débattre de manière féconde, il semble donc indispensable d’expliciter les attentes de chacun et de les prendre en compte pour redéfinir le fond et la forme du débat en conséquence.

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UN DEBAT AUQUEL BEAUCOUP TOURNENT LE DOS

    Afin de mieux appréhender la controverse sur les OGM, il convient d’identifier les différents protagonistes, d’analyser leur attitude et d’examiner les causes des impasses et incompréhensions actuelles.

    Tout d’abord, diverses associations se sont mobilisées afin que le public prenne part au débat, en le sensibilisant par des actions souvent spectaculaires, comme l’arrachage de plants dans les champs. Non formée aux biotechnologies et non consciente des enjeux, l’opinion publique réagissait peu aux avancées en la matière. Aujourd’hui mieux informée, une part au moins de la société civile (ou de l’opinion) s’inquiète des conséquences des OGM pour l’homme et l’environnement, des tentatives de dépôt de brevet concernant le vivant ou du pouvoir acquis par les multinationales appartenant au secteur très concentré des biotechnologies. En même temps, les consommateurs veulent en savoir plus sur les avantages qu’ils peuvent réellement retirer des OGM. Le débat sur les OGM est ainsi entré dans l’arène sociale, où il a acquis une dimension nouvelle, notamment en termes de sécurité alimentaire et de bénéfice pour le consommateur. Alarmé par les crises sanitaires et sécuritaires récentes, le public accorde une confiance moindre aux avis des experts ou des politiques et souhaite être consulté.

    La perception des entreprises est évidemment différente. Du point de vue d’un groupe semencier comme Limagrain, le débat sur les OGM se caractérise par sa lenteur et son caractère répétitif, et s’apparente à une mise en scène d’une non-décision, qui pénalise le groupe face à ses puissants concurrents, notamment américains. La transgénèse n’est pour les sélectionneurs qu’un outil parmi d’autres, une technique, et non un but en soi. Cet outil est aujourd’hui soumis en Europe à un cadre réglementaire complet et sévère, qui favorise la prévention de risques potentiels et la sécurité. Si les semenciers reconnaissent l’importance de communiquer auprès du public et d’échanger avec d’autres acteurs, ils déplorent de voir leur travail entravé alors même qu’ils respectent la réglementation.

    Du côté des scientifiques, l’élément frappant est l’absence de désir de débattre. Au sein du CNRS, les sections écologie et biologie moléculaire ont développé deux visions opposées et campent sur leurs positions. Au-delà des querelles de clocher bien antérieures aux OGM, l’absence de débat révèle peut-être un désintérêt des scientifiques pour une question qu’ils jugeraient sortir du champ de leurs compétences : ils refuseraient de prendre parti en considérant le débat sur les OGM comme une controverse sur une technologie et non sur une méthodologie scientifique. Les comités d’évaluation ne sont pas davantage des lieux de débat. Un des rares lieux actuels de débat est le comité de biovigilance du ministère de l’Agriculture (et non le ministère de la Recherche), nommé provisoirement en 1998. Mais, la liberté de parole risque d’être moindre une fois la structure définitive en place, car les participants seront des représentants d’institutions et ne s’exprimeront plus en leur nom propre. Pour favoriser le débat, il faudrait probablement revoir l’organisation des comités d’experts et les moyens dont ils disposent, mais aussi lancer la discussion sur la sortie du moratoire européen. Ce moratoire empêche aujourd’hui la prise de mesures dans un sens comme dans l’autre.

    Les hommes politiques et le Parlement donnent également l’impression de préférer tourner le dos aux débats sur les OGM. L’Assemblée nationale a par exemple décidé de ne pas examiner le texte de révision de la Directive européenne 90/220 portant sur les OGM, alors qu’elle en avait la possibilité. Le gouvernement se voit accusé de lenteur excessive dans ses réponses aux rapports qu’il reçoit sur le sujet. Pourquoi cette retenue des politiques ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Les politiques français, jugeant la question trop épineuse, préfèrent peut-être laisser aux autorités européennes l'entière responsabilité des choix. Ou bien ils se sentent trop tiraillés entre des électeurs et des entreprises aux avis divergeants pour prendre position. Il est aussi possible qu’ils souffrent de connaissances insuffisantes ou trop stéréotypées pour mener à bien la réflexion préalable à une prise de décision. Enfin, ils ont peut-être conscience de la vanité de vouloir trancher la question des OGM de manière isolée, c’est-à-dire sans aborder les nombreux problèmes de fond qui la traversent.

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PREPARER LE DEBAT PAR TEMPS CALME

    L’actuel débat sur les OGM semble donc bien peu satisfaisant. Entre ceux qui souhaitent être consultés et ceux qui rechignent à prendre part à la controverse alors qu’ils en sont des protagonistes importants, des visions diamétralement opposées se sont développées, sans vraiment se confronter au sein d’un vrai débat. Le dialogue ne s’est pas encore instauré. Il ne pourra commencer qu’après accord sur les problèmes que l’on entend traiter à travers la question des OGM. L’adoption d’une forme de débat appropriée est également nécessaire. Une démarche prospective conduit ainsi à s’interroger sur les nouvelles formes de débat qui seraient favorables à la préparation des décisions politiques.

    Actuellement, les débats s’apparentent en France à une mise en scène d’un rejet des OGM plutôt qu’à une interrogation sur les conditions dans lesquelles ils seraient acceptables. De plus, les divers outils technologiques qui pourraient apporter des solutions en termes de prévention de risques sont souvent exclus du débat, alors qu’ils pourraient offrir des alternatives à des choix irréductibles.

    Une démarche naturelle consiste à observer les formes de débats existant à l’étranger, dans des pays où le climat pour aborder la question des OGM semble plus serein. Sur le modèle des conférences de consensus danoises, une conférence des citoyens a ainsi vu le jour en France. En interne, cette conférence a suscité des commentaires très positifs de la part des participants : les citoyens associés ont apprécié de recevoir une formation qui leur a permis, de l’avis de tous, de poser de bonnes questions, aptes à faire progresser le débat. Malheureusement, l’impact externe de cette conférence apparaît plutôt faible. Le Parlement semble s’être peu intéressé au travail effectué et l’avoir repoussé comme un objet dont la légitimité ne pouvait être que contraire à la sienne. Cela montre-t-il qu’il est malaisé de transposer en France des formes de débat mises en œuvre à l’étranger ? Il ne faut pas perdre de vue que les conférences de consensus danoises n’ont jamais été des formes de démocratie directe. Le but n’est pas la prise immédiate d’une décision mais de permettre que chaque perception du problème soit exprimée. Ce type de conférences doit donc simplement servir de source d’informations au Parlement pour instaurer un débat fécond incluant tous les points de vue.

    Cependant, former un petit nombre de citoyens pour les faire débattre avec des scientifiques sur une courte durée n’est pas nécessairement une bonne approche. Un débat social est un débat où chacun peut prendre la parole, et ce, quand il le veut. Organiser des conférences de citoyens ne crée qu’un débat limité et brusque le rythme social de " métabolisation " de l’innovation. Ne pas confondre droit à la parole et devoir de décision est indispensable pour réfléchir à la forme que doit prendre la participation du public au débat. L’opinion publique doit pouvoir exprimer librement ses craintes, ses attentes, ses interrogations, sans être invitée à trancher. Construire le débat public consiste davantage à faire jaillir les questions qu’à recueillir des prises de position. De même, décréter un débat sur les OGM puis expliquer au public ce qu’est un OGM est une mauvaise manière de procéder. Il faut une phase préalable ayant pour but de comprendre les objets surgissant dans l’esprit du public à l’évocation du terme OGM. Ainsi peut-on apporter des réponses correspondant à de vraies attentes.

    Idéalement, il faudrait commencer à jeter les bases du débat avant la crise, avant que les événements ne prennent un tour passionnel. Aujourd’hui, l’émotionnel brouille la capacité d’écoute, d’interrogation et de compréhension de chacun. Un débat aussi complexe que celui sur les OGM aurait gagné à être préparé par temps calme. L’étape préliminaire de formulation des questions livrées au débat public est essentielle. Débattre sur des question mal posées ne peut aboutir qu’à des conclusions inexploitables.

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COMMENT CREER LE CONSENSUS SUR LES QUESTIONS ?

    Jusqu’ici, la controverse sur les OGM n’a pas donné lieu en France à des débats féconds. Chacun des protagonistes s’est enfermé dans sa propre logique, n’acceptant de parler que sur son propre terrain. Le dialogue n’a pas pu s’instaurer. Au contraire, on assiste au discrédit des scientifiques et des hommes politiques auprès d’une opinion publique échaudée par les crises récentes et préférant accorder sa confiance aux associations de consommateurs. Chacun campe sur ses positions et le débat n’avance pas.

    Comment débloquer une telle situation ? Tout d’abord, le choix de l’objet du débat est déterminant. Annoncer un débat sur les OGM n’indique en rien quelle sera la question débattue. S’agit-il de savoir si l’on peut accepter que l’homme modifie ainsi la nature ? ou bien de déterminer les mesures préventives à prendre pour que les entreprises se lancent dans cette nouvelle révolution technologique sans menacer notre sécurité ? La formulation même de l’objet du débat oriente son déroulement. S’il n’y a pas accord sur la formulation, les conclusions du débat seront systématiquement rejetées par les uns ou les autres. Pour progresser, il faut donc d’abord qu’il y ait consensus sur les questions. Cela nécessite d’expliciter les problèmes de fond soulevés par le recours aux OGM. De ce fait, le débat doit se nourrir de toutes les interrogations du public et non le contraindre à entrer dans une controverse définie sans lui. Le manque de formation ne doit pas être un motif d’exclusion du débat, car les questions et les doutes du novice sont ici aussi importants que l’avis des experts pour décider de l’avenir des OGM.
 
 
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