LES ANNALES DES MINES
RESPONSABILITE & ENVIRONNEMENT


n°62 - Avril 2011

 

LES INSTALLATIONS CLASSEES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
 


EDITORIAL

Par Pierre Couveinhes
Rédacteur en Chef des Annales des Mines


AVANT - PROPOS

LES INSTALLATIONS CLASSEES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT,
BILAN ET PERSPECTIVES

par Laurent MICHEL
Directeur général de la prévention des risques;
Ministère de l'Ecologie du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL)


Partie 1 : 1810-2010 : 200 ans d’inspection des installations classées
 (actes du colloque historique du 10 novembre 2010)

 

LA PREMIERE JURISPRUDENCE DU DECRET DE 1810 :
UNE REGULATION A L'ORIENTATION INDUSTRIALISTE (1810-1830)

par Thomas Le Roux
Chargé de recherche au CNRS

Le décret de 1810 était marqué par un fort esprit industrialiste, dès lors qu’il traduisait plus une volonté de protéger l’industrie que l’environnement.
Dans les premières années de la mise en œuvre du décret, la jurisprudence, établie par le Conseil de salubrité de Paris, la Préfecture de police, le Conseil de préfecture et le Conseil d’Etat, confirme cette orientation pro-industrialiste (au travers de l’affirmation du principe d’antériorité ou encore de l’instauration d’une typologie des nuisances favorables aux industriels).
La philosophie du décret de 1810 illustre parfaitement la théorie industrielle de l’époque : « Laissez-nous faire, mais protégez-nous beaucoup ». L’industrie se soustrait du cadre pénal. Tout litige se règle dès lors par le versement de compensations financières.
Les débuts de la mise en œuvre du décret instaurent un véritable hiatus entre la pratique jurisprudentielle des Conseils de salubrité (et plus particulièrement de celui de Paris) et l’accroissement du mécontentement des riverains victimes des nuisances (1).

 

LE DECRET DE 1810 : LA LIBERALISATION DES « CHOSES ENVIRONNANTES»

par Jean-Baptiste Fressoz
Post-doctorant, Harvard University

Le décret de 1810 est la traduction de la volonté de l’époque de favoriser l’industrialisation de la France. Il instaure une régulation à la fois administrative et libérale, fondée sur l’autorisation administrative et le recours aux juridictions civiles pour régler les conflits avec les riverains.
L’une de ses conséquences (souvent méconnue) est la libéralisation de l’environnement, comprise comme la possibilité reconnue aux industriels de compenser financièrement les dommages résultant de leurs activités.
La nature financière de la régulation environnementale instaurée par le décret n’est pas si éloignée de celle qui prévaut aujourd’hui : la nature a un prix ou du moins il faut lui en donner un pour permettre la détermination d’un point économiquement « idéal » de pollution.

 

 

Inspection et normes

 
L'ELABORATION DE LA NOMENCLATURE DES ETABLISSEMENTS
CLASSES AU XIXe SIECLE, OU LA POLLUTION DEFINIE PAR L'ETAT

par Geneviève Massard-Guilbaud
Directeur d'études à l'EHESS

Le XIXe siècle connut plusieurs nomenclatures servant au classement de ce que l’on appelait alors les établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Le préalable à l’entrée d’une fabrication industrielle dans une nomenclature était généralement le dépôt de plaintes émanant des riverains, et parfois la survenue d’un accident. Ce n’est pas avant la fin du XIXe siècle que l’on enregistre une évolution sur ce point, sous l’influence conjointe des industriels (qui de plus en plus sollicitent spontanément des autorisations) et des premiers inspecteurs en charge du contrôle des établissements classés. Les nomenclatures de l’époque ne constituent pas un reflet des causes objectives de pollution. Elles fournissent (comme les nôtres aujourd’hui !) un reflet de la vision des contemporains.La lecture des nomenclatures ne doit pas consister en une analyse de stocks ou de listes mais  se faire en termes de flux, en tenant compte des entrées ou des sorties, des progressions ou au contraire des rétrogradations dans les classes (qui étaient au nombre de trois).

 


LES NORMES JURIDIQUES ET LES NORMES TECHNIQUES DE L'INSPECTION
DES INSTALLATIONS CLASSEES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

par Pierre Lascoumes
Directeur de recherche CNRS, Centre d'Etudes européennes,
Sciences -Po Paris

Tout au long des XIXe et XXe siècles, toutes les dispositions adoptées en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement ont été marquées par une continuité historique : elles reposaient toutes sur le principe de l’autorisation.
Elles ont été aussi exemplaires de ce qui caractérise la plupart des politiques publiques : une tension constante dans la conciliation de la préservation de l’intérêt général avec la prise en compte des divers intérêts particuliers en présence (qui, dans le cas du décret de 1810, sont au nombre de trois : la défense du libéralisme économique, la sûreté des populations et l’inviolabilité de la propriété privée).

 

DE LA CATASTROPHE DE FEYZIN (1966) A L'EXPLOSION D'AZF (2001) :
LA NAISSANCE DU METIER D'INSPECTEUR DES INSTALLASTIONS CLASSEES ?

par Laure Bonnaud
INRA, RiTME, UR 1323, Ivry-sur-Seine

La catastrophe de Feyzin, en janvier 1996, est le point de départ d’une inspection plus présente en matière d’installations classées.
Chargés de l’inspection de ces établissements depuis 1917, les inspecteurs du Travail passent alors le relais au service de l’Industrie et des Mines.
Au sein du service, ce transfert de compétence provoque un bouleversement culturel avec le passage d’une inspection centrée sur les Mines à l’inspection très variée des installations classées.
Une conception « technicienne » accompagne la mise en place de cette nouvelle inspection reposant sur l’acquisition de compétences en matière de technologies industrielles, selon une vision inspirée de l’expérience acquise dans les Mines.
A la fin des années 1990, l’inspection des IC se procéduralise, avec la prise d’instructions très claires visant une amélioration de la sécurité industrielle et de la situation environnementale en tenant compte des différents intérêts en présence et des enjeux élargis de prévention des pollutions et des risques.

 

Risques et controverses

 

L’HISTOIRE DES DEBORDEMENTS INDUSTRIELS
A L’ORIGINE DE CONFLITS AUTOUR DE L’ENVIRONNEMENT

par Michel Letté
Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)


Le débordement industriel est ce qui, provenant d’un dispositif de production, investit un environnement donné et suscite la protestation des riverains.
En tant que motif récurrent du conflit environnemental, le débordement industriel permet de restituer l’histoire de la contestation environnementale, laquelle recouvre un processus de nature profondément sociale.
Un conflit environnemental se conçoit comme une négociation permanente sur les usages spécifiques d’un territoire entre des acteurs (les industriels et les riverains) justifiant d’intérêts contradictoires.

 

 

L’EVALUATION DES RISQUES INDUSTRIELS - UNE HISTOIRE
DES ANALYSES DE RISQUES DE 1970 A NOS JOURS

par Emmanuel Martinais
ENTPE-RIVES, UMR CNRS EVS, Université de Lyon

L’analyse de risques en matière industrielle se définit comme un ensemble d’opérations à caractère scientifique s’intéressant aux phénomènes accidentels et s’inscrivant dans une logique préventive.A une approche déterministe (focalisation sur des situations extrêmes) qui avait les faveurs de l’Administration, se substitue, suite à la catastrophe de l’usine chimique AZF de Toulouse (en 2001), une approche probabiliste qui a la préférence des industriels. Ce virage probabiliste se concrétise avec la publication de la loi du 30 juillet 2003.
Il n’en demeure pas moins que l’analyse de risques, en tant qu’outil de connaissance et de pouvoir, reste une source permanente de litiges entre les industriels et les représentants de l’Administration.

 
 

FRANCE/GRANDE-BRETAGNE : UNE COMPARAISON ENTRE DEUX REGIMES
DE REGULATION DES RISQUES INDUSTRIELS

par Jean-Pierre Galland
Chercheur au Laboratoire Technique, Territoires et Sociétés (LATTS)
du CNRS et de l'Ecole des Ponts ParisTech, Univestités Paris-Est


Contrairement à la France, il n’y a jamais eu en Grande-Bretagne l’équivalent exact de nos inspecteurs des installations classées et de nos préfets. Les questions d’hygiènes étaient gérées par les collectivités territoriales ; l’investissement de l’Etat central portait plutôt, au XIXe siècle, sur le respect de la durée et de la sécurité du travail
Un véritable tournant est pris avec la réforme Robens, intervenue en 1972. Outre la remise en cause du lien systématique qui prévalait jusqu’alors entre sécurité du travail et sécurité des publics, elle prononce le regroupement de tous les corps d’inspection au sein d’une agence, la Health and Safety Executive (HSE).
L’agence regroupe ainsi un éventail très large de missions, qui, en France, relèveraient de plusieurs institutions. Une autre caractéristique est que l’agence dispose d’un mode de financement très particulier, avec la rémunération par les industriels des activités de contrôle et de conseil qu’elle exerce.

 

Partie 2 : Les défis de l’inspection des installations classées

 

PRESENTATION, EN QUELQUES MOTS, DES INSTALLATIONS CLASSEES

par la Direction générale de la Prévention des Risques (MEDDTL)

 

Si aujourd’hui l’article L. 511-1 du Code de l’environnement constitue le texte de base de la réglementation des installations classées, celle-ci tire son origine d’un texte fort ancien, le décret impérial du 15 octobre 1810 sur les établissements dangereux, insalubres et incommodes.
Ce texte a fixé les concepts encore usités aujourd’hui, notamment : une nomenclature recensant les activités présentant des risques potentiels (et donc soumis à un contrôle), une classification des établissements industriels en fonction de leur niveau de dangerosité ou de nuisance, ou encore un système d’autorisation préalable.
Le soin de veiller à la bonne mise en œuvre de cette législation est confiée à l’inspection des installations classées, qui exerce cette mission de police administrative auprès non seulement des établissements industriels mais également des établissements agricoles.

 

 

QUELLE PLACE POUR UNE REGLEMENTATION NATIONALE
DES INSTALLATIONS CLASSEES A L’HEURE DE L’EUROPE ?

par Jérôme Goellner
Ingénieur général des Mines, chef du service des risques
technologiques, Direction générale de la Prévention des Risques,
Ministère de l'Ecologie, du Dévdeloppement durable, des Transports et du Logement

 

La législation européenne est aujourd’hui omniprésente. D’aucuns en concluent que les réglementations nationales n’ont plus lieu d’être.
En matière d’environnement plus que dans d’autres domaines, l’action du législateur européen est fortement guidée par le principe de subsidiarité. Son intervention ne vise en aucun cas à couvrir tous les champs de l’environnement. Le plus souvent, il se borne à fixer des objectifs généraux laissant le soin aux Etats membres de définir les modalités pratiques à mettre en oeuvre pour les atteindre.
La législation européenne loin de supprimer le besoin d’une réglementation nationale, suppose au contraire son développement dans nombre de domaines.

 

 

LE POINT DE VUE DES ELUS

Interview de Jacques Vernier
Ingénieur général des Mines honoraire
Maire de la ville de Douai et Président du Conseil
Supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT)

Témoignage d’Yves Klein, Maire de Feyzin

 

RECONCILIER LES CITOYENS AVEC L’INDUSTRIE !

par Maryse Arditi
Nature Environnement, pilote du pôle "Risques
et  impacts industriels"


Au sommet de la Terre, à Rio-de-Janeiro, en 1992, le principe suivant a été posé : « La meilleure façon de traiter les questions environnementales est d’assurer la participation de tous les citoyens au niveau qui convient ».
Tel est le combat mené par l'association France Nature Environnement (FNE) qui vise à mieux connaître et à réduire les risques industriels et leurs impacts, à promouvoir une industrie plus propre et plus économe des ressources, en réaffirmant son attachement au principe de précaution et en prônant un respect mutuel entre les experts, d’une part, et les associations de défense de l’environnement et les citoyens, d’autre part.
Dans ce contexte, l’analyse avantages-inconvénients d’une industrie du point de vue du citoyen doit avoir autant d’importance qu’en a l’analyse coûts-bénéfices aux yeux des industriels.

 

 

UNE REFORME MAJEURE DU DROIT DES INSTALLATIONS CLASSEES :
LE REGIME DE L’ENREGISTREMENT

par Henri Kaltembacher
Direction générale de la Prévention des Risques
Ministère de l'Ecologie, du Développement durable,
des Transports et du Logement (MEDDTL)

 

Créé par l’ordonnance du 11 juin 2009, le régime de l’enregistrement vient réintroduire la proportionnalité dans le traitement des dossiers en  comblant un manque entre les deux régimes existants jusque-là, l’autorisation et la déclaration.
Le régime de l’enregistrement marque un changement, avec l’introduction de modifications touchant à la procédure, dans la continuité, avec le maintien des fondamentaux de la protection de l’environnement.
Ce nouveau régime ne traduit pas une régression par rapport à la situation antérieure, bien au contraire (maintien d’une consultation du public et des différentes parties prenantes, raccourcissement du délai de délivrance de l’autorisation, des prescriptions définies à l’échelon national mais autorisant la prise en compte du particularisme des contextes locaux).

 

200 ANS APRES, LA CREATION DES DREAL : UNE NOUVELLE VIE
POUR LES INSTALLATIONS CLASSEES ?

par Philippe Ledenvic
Directeur région de la Direction régionale de l'Environnement
de l'Aménagement et du Logement de Rhône-Alpes

 
La création des DREAL (Directions régionales de l'environnement , de l'aménagement et du logement), l’instauration de l’Autorité environnementale, les réflexions sur les évolutions possibles du métier de l’inspection sont autant d’éléments qui expliquent le caractère mouvant du contexte dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Des procédures d’instruction des dossiers non encore complètement stabilisées, le rôle de chacun des acteurs publics (l’administration centrale de l’Etat, les services préfectoraux, l’Autorité environnementale, l’inspection) restant à être clairement défini, des organisations à affiner : ce sont autant d’opportunités pour s’engager sur la voie d’une gestion de la procédure ICPE plus rationnelle et efficiente.

 



                                                     
Sommaire