TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XVI (2002)
René MEDIONI
Du Service de la carte géologique de la France au Service géologique national.
Causes et conséquences de la fusion de 1968.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 11 décembre 2002)

Résumé.
En 1868 est créé le Service de la carte géologique de la France dont le rôle sera pratiquement limité à l'établissement de la carte géologique au 80 000e puis au 50 000e. Les autres prérogatives attachées à un service géologique d'Etat sont, à partir de 1941, en France métropolitaine et outre-mer, assurées par une succession d'organismes qui, en 1959, fusionnent pour constituer le BRGM (Bureau de Recherches géologiques et minières). Dans les années 1960, ce partage des tâches entre le Service de la carte et le BRGM ne répond plus aux besoins induits par le développement important des opérations d'aménagement du territoire. Une réflexion impliquant l'ensemble de la communauté géologique française et les administrations concernées sur la création d'un service géologique d'Etat aboutit, en 1968, à une fusion des deux organismes et à la création, un an plus tard, d'une Direction du Service géologique national au sein du BRGM. Les conséquences de cette fusion se sont finalement avérées bénéfiques pour la Carte géologique de la France et pour le BRGM, même si les objectifs fixés pour l'achèvement de la couverture au 50 000e n'ont pas encore été atteints.

Mots-clés : carte géologique - Service géologique - France - XIXe siècle - XXe siècle.

Abstract.
The "Service de la Carte géologique de la France" (French geological mapping Survey) was established in 1868, in order to map the whole territory at the scale of 1/80 000 and later at the scale of 1/50 000. But the prerogatives of this survey did not include the other tasks of a national Geological Survey. From 1941, these tasks were progressively provided, in France and overseas, by several organizations which merged in 1959 in a new public corporation, the BRGM (Bureau de Recherches géologiques et minières). During the sixties, the important development of land planning in France required more basic geological studies and an acceleration of geological mapping at the scale of 1/50 000. The French geological community and the administration in charge of geological research and mining reviewed different options to establish a National Geological Survey. In 1968, BRGM and the "Service de la Carte géologique" merged and in 1969, a National Geological Survey was set up as a branch of BRGM. The merging of 1968 found expression in mutual benefits for BRGM and for the further development of the geological mapping of France, though this program is not yet finished.

Key-words : geological map - Geological Survey - France - XIXth century - XXth century.


La fusion intervenue en 1968 entre le Service de la carte géologique de la France et le Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM) est un jalon important de l'histoire des institutions scientifiques françaises au XXe siècle ; cet événement est l'aboutissement d'un long processus où interviennent à la fois l'évolution propre à ces deux organismes et leur faculté à s'adapter aux contextes scientifiques et économiques.

Quelques brefs rappels historiques ne sont donc pas inutiles pour en comprendre la genèse (1).

Une institution centenaire

C'est de Biarritz, villégiature privilégiée du couple impérial, que Napoléon III signe, le 1er octobre 1868, le décret instituant le Service de la carte géologique de la France (2), sur le rapport du ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, de Forcade, rapport rédigé en réalité par Léonce Elie de Beaumont. D'ailleurs le même décret nomme ce dernier directeur du nouveau service et lui fixe comme objectif d'exécuter, « aux frais de l'Etat, la carte géologique détaillée de la France, à la même échelle que la carte de l'état-major». Cette décision est l'aboutissement des efforts déployés par L. Elie de Beaumont depuis la carte géologique de la France au 500 000e (1841) jusqu'aux panneaux de cartes au 80 000e, présentés avec beaucoup de succès aux Expositions universelles de 1855 et 1867 et qui devaient prendre le relais des cartes géologiques départementales (Gaudant, 1991).

Les objectifs fixés au nouveau Service sont aussi ambitieux que ses moyens sont limités. En effet, il s'agit, ni plus ni moins, que d'achever en dix ans le lever et l'édition des 274 (3) coupures de la carte géologique au 80 000e. Il est d'ailleurs sous-entendu que le service disparaisse une fois cet objectif atteint.

Au départ, le travail de lever est exclusivement l'affaire des ingénieurs des mines (4), mais dès 1876, la commission créée pour superviser l'ensemble des travaux, propose de faire appel à des « collaborateurs extérieurs », qui vont s'avérer être essentiellement des universitaires (5).

Toutes ces opérations, du lever de terrain à la remise d'une minute publiable, sont, à peu de choses près, basées sur le bénévolat, l'Administration n'ayant prévu que des indemnités destinées à couvrir les frais de voyage et d'hébergement sur le terrain. Malgré ce contexte a priori peu favorable, le travail réalisé par le Service, au moins dans la première moitié de son existence, est en tout point remarquable : à la veille du premier conflit mondial, cette couverture géologique au 80 000e est achevée à 90%, et comporte déjà beaucoup de rééditions. Dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, le lever de la carte est inséparable de toute recherche géologique ; aussi les plus grands noms de la géologie française de cette période se retrouvent dans les listes des auteurs de cartes, qu'ils soient ingénieurs des mines ou collaborateurs extérieurs du Service.

Nous ne nous étendrons pas sur les cartes de synthèse réalisées parallèlement par le Service (carte au 320 000e, dérivée du 80 000e, et carte géologique de la France à l'échelle du millionième, avec cinq éditions successives) (6).

Par contre, il est intéressant de noter que la période d'entre les deux guerres voit un timide début de réalisation d'une carte géologique au 50 000e établie sur un fond topographique beaucoup plus précis en courbes de niveau (7), mais dont seulement 8 coupures seront publiées à la veille du second conflit mondial.

Des problèmes de moyens et d'organisation ou les limites de l'exception française

Dans la première moitié du XXe siècle, pour des raisons diverses, l'activité du Service montre des signes d'essoufflement. Les cartes à 1/80 000, imprimées à tirage limité vu les possibilités techniques de l'époque, commencent à faire défaut et, notamment dans les années 1950 et 1960, ce rythme d'épuisement est plus rapide que celui des rééditions et même des réimpressions à l'identique, vu le coût très élevé de l'impression des cartes à cette époque (8).

Il y a bien, par moments, comme en 1936-1937, des injections de crédits supplémentaires qui permettent d'accroître le nombre de rééditions, mais cela ne suffit pas à renverser la tendance. De plus, si au sein de l'Université, le caractère formateur de la cartographie géologique n'est pas remis en question, les grandes études régionales amorcent un déclin qui ne fera que s'accentuer. Enfin, l'échelle du 80 000e et l'imprécision relative de son fond topographique rendent ce document inadapté aux besoins sans cesse croissants des utilisateurs industriels et ce n'est pas le rythme de parution tout à fait embryonnaire du 50 000e qui est en mesure d'y répondre.

Mais le problème dépasse le simple cadre de la carte géologique. Même si celle-ci est un élément essentiel de l'infrastructure géologique d'un pays, il n'en demeure pas moins que doivent être menées en parallèle d'autres opérations, situées nécessairement en amont des projets économiques et qui ne peuvent être conduites que par un organisme d'Etat : tel est le cas, entre autres, du recueil et de la mise à disposition du public de la documentation sur le sous-sol, de la surveillance des nappes aquifères et des opérations d'inventaire, dans le domaine des matériaux, par exemple. Ponctuellement, certains collaborateurs de la carte géologique (9) peuvent être appelés à réaliser des expertises pour des problèmes d'adduction d'eau, par exemple. D'importants sondages de reconnaissance géologique, comme celui de Ferrières-en-Bray (1924-1927), sont surveillés par le Service de la carte. D'un autre côté, à titre personnel, ou plus rarement dans le cadre de leur laboratoire, des universitaires interviennent lors de la réalisation de certains grands ouvrages, tels que tunnels ou barrages.

Aussi, cette relative « inorganisation » de la géologie française contraste avec la situation qui prévaut dans la plupart des pays industrialisés où la deuxième moitié du XIXe siècle voit la création de services géologiques nationaux qui prennent à leur compte non seulement l'établissement de la carte géologique, mais encore les autres études et synthèses concourant à l'infrastructure géologique. En Europe, seule la Suisse, avec sa « Commission géologique » présente un système comparable à celui de la France. Cet état de fait est d'autant plus surprenant que les Français ont montré, à travers leur empire colonial, leur capacité à mettre sur pied des services géologiques performants, comme c'est le cas, par exemple, au Maroc ou à Madagascar.

Du BRGG au BRGM, ou la mise en place d'une organisation parallèle au Service de la carte géologique

Ce sont ces insuffisances de la France en matière d'infrastructure géologique qui conduisent, quelques années avant la deuxième guerre mondiale, Edmond Friedel, ingénieur des mines, et Pierre Pruvost, professeur à l'université de Lille, à réfléchir à la création d'un organisme destiné à centraliser les données sur le sous-sol. Le projet met du temps à mûrir et c'est finalement, sous le gouvernement de Vichy qu'est créé en 1941, le Bureau de Recherches géologiques et géophysiques (BRGG), dont la direction est naturellement confiée à Edmond Friedel, assisté de Jean Goguel (10). Comme le Service de la carte géologique, le BRGG a le statut de « service extérieur » de la Direction des mines et, malgré les ambitions affichées, il est doté de moyens très faibles, du fait des circonstances particulières dues à la guerre et à l'occupation d'une grande partie du territoire. Cela ne l'empêche pas d'avoir un rôle non négligeable dans le domaine de la documentation sur le sous-sol et dans certaines branches de la géologie appliquée comme la recherche de bassins houillers sous la Bresse et dans le Briançonnais (11).

Les années qui suivent la Libération voient l'essor des « Bureaux miniers » à travers ce qui est alors l'Union française. Leur rôle principal est de contribuer, par leurs moyens propres ou par le biais de participations industrielles, à la prospection et au développement de gisements miniers outre-mer. Avec des statuts d'établissement public ou de société d'Etat, sont ainsi créés, entre 1946 et 1949, le Bureau minier de la France d'outre-mer (BUMIFOM), compétent pour l'Afrique sub-saharienne, Madagascar et la zone Pacifique, le Bureau de Recherches minières de l'Algérie (BRMA) et le Bureau minier guyanais (BMG).

En 1953, le BRGG change de forme juridique en devenant un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial), doté d'une large autonomie financière, et voit sa dénomination légèrement modifiée en Bureau de Recherches géologiques, géophysiques et minières de la France métropolitaine (BRGGM). En même temps, les effectifs de l'établissement s'accroissent de façon sensible en doublant pratiquement en un an. Des modifications importantes et significatives de structure interviennent avec la création de services régionaux (12).

A partir de 1958, l'accession à l'indépendance des pays constituant l'Union française rend nécessaire le regroupement des organismes de recherche géologique et minière en même temps que se pose avec acuité le reclassement en métropole de nombreux géologues. Dès 1959, au BUMIFOM s'agrègent le BMG, le BRMA et le BRGGM, pour créer le Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM) qui existe toujours. A sa création, le BRGM est fort d'un effectif de 733 agents « mensualisés », dont 350 pour la seule France métropolitaine. Il intervient dans pratiquement tous les domaines de l'infrastructure géologique, à l'exception notable, il est vrai, de la carte géologique mais pour laquelle il commence à fournir des collaborateurs.

Les années 1960 ; compétition ou coopération

Aussi bien au Service de la carte qu'au BRGM, et plus généralement, dans l'ensemble de la communauté géologique nationale, on commence à se préoccuper sérieusement de l'avenir des institutions.

Le Service de la carte géologique doit d'abord faire face à la situation d'urgence créée par la pénurie déjà évoquée : au début des années 1960, près des deux tiers des cartes au 80 000e sont épuisées. La DGRST (13) injecte des crédits destinés à la réédition de ces cartes. Au même moment se produit une véritable révolution dans les techniques d'impression : les presses classiques imprimant « à plat » sont progressivement remplacées par des rotatives offset qui accélèrent les opérations d'édition et permettent des tirages à plusieurs milliers d'exemplaires. Tout cela conduit à des rythmes de sortie des cartes au 80 000e totalement inédits, de l'ordre de 30 à 40 coupures par an. Pour accélérer l'établissement de cartes au 50 000e, le Service de la carte renforce ses effectifs squelettiques (14) par l'embauche de quelques géologues rapatriés des Services géologiques d'Afrique du Nord ou provenant de sociétés pétrolières. En même temps, pour les régions que l'Université ne considère pas comme prioritaires mais qui revêtent une certaine importance pour le développement économique ou l'aménagement du territoire (15), le Service traite avec des organismes comme Géotechnip, filiale de l'Institut français du pétrole, ou avec le BRGM.

Les demandes réitérées de Jean Goguel, directeur du Service de la carte géologique depuis 1953, auprès de l'Administration commencent à porter leurs fruits : entre 1964 et 1967, 15 géologues sont recrutés par le Service, la plupart en début de carrière, pour assurer, soit directement des levers, soit la compilation de travaux des collaborateurs extérieurs ; une dizaine d'entre eux sont d'ailleurs détachés dans des laboratoires universitaires. Tout cela permettra d'arriver en 1967 à un volume, somme toute honorable, de 30 cartes publiées au 50 000e. Bientôt les locaux occupés par le Service, pratiquement depuis sa création, boulevard Saint-Michel à Paris, vont s'avérer insuffisants. En décembre 1966, le BRGM qui a commencé sa décentralisation dans la ville nouvelle d'Orléans-La Source, y met à la disposition du Service de la carte géologique des locaux pour assurer d'abord le stockage des cartes, et ensuite l'installation des ateliers de dessin et de « gravure » (16).

Cette période des années 1960 voit également se développer réflexions et polémiques sur les institutions. Sans vouloir entrer dans le détail, plusieurs tendances se font jour dans divers documents, rapports de conjoncture, etc., établis notamment en 1964, année de préparation du Ve plan.

En premier lieu, la création, ex nihilo d'un nouvel organisme, Service géologique national ou Institut géologique, est pratiquement unanimement rejetée, comme étant irréaliste car génératrice de coût et de double emploi avec les structures existantes.

Par opposition, l'institution d'un Service géologique en partant du développement du Service de la carte correspond évidemment aux voeux de son directeur, Jean Goguel qui, dans des publications (1969) et dans divers courriers adressés à son administration de tutelle explique, qu'à travers la cartographie géologique, son service joue déjà en partie le rôle d'un Service géologique national. Mais cette solution n'a que peu de chances d'aboutir. Tout d'abord, Jean Goguel, malgré une oeuvre scientifique brillante et originale et des mérites personnels indéniables, apparaît relativement isolé dans la communauté scientifique française (17) et son idée se heurte à l'opposition de plusieurs universitaires menés par Marcel Roubault ; ceux-ci tentent de démontrer que le Service de la carte géologique n'est pas en mesure de fournir à la France la couverture géologique dont elle a besoin, alors que le développement économique du pays et particulièrement les nouveaux aménagements du territoire impliquent une infrastructure géologique solide et moderne.

Une troisième solution consisterait à créer un Service géologique national à partir du seul BRGM, mais elle ne recueille pas non plus tous les suffrages. Les géologues universitaires se méfient d'une structure qui serait entièrement aux mains du Corps des mines et craignent de voir ainsi leur champ d'action sensiblement restreint (18). Et puis beaucoup voient mal comment un établissement, certes public, mais à caractère industriel et commercial, pourrait se voir attribuer les prérogatives d'un service de l'Etat.

Dans le cadre de la préparation du Ve plan (1965-1969), Pierre Laffitte et Georges Millot présentent en 1964, devant la Commission spéciale de la carte géologique de la France, les conclusions d'une enquête menée auprès de nombreux acteurs et utilisateurs de la géologie en France. Très prudemment, ces deux personnalités préconisent de développer à la fois le Service de la carte géologique et une partie du BRGM, mais sans se prononcer sur les liens, association ou fusion, qui pourraient ultérieurement rapprocher les deux organismes.

Enfin, la dernière hypothèse envisagée est la fusion pure et simple entre le Service de la Carte géologique et le BRGM. Curieusement, au départ, cette solution ne fait pas non plus l'unanimité. Cependant l'idée est relancée par un autre groupe de travail puis par une nouvelle commission présidée par Raymond Fischesser, qui va conclure à l'intérêt de rapprocher BRGM et Service de la carte. Mais c'est l'action du Directeur des mines de l'époque, Claude Daunesse, qui est déterminante : il a su, en particulier, convaincre les universitaires qu'ils continueront à jouer un rôle essentiel dans les levers de la carte géologique, ce qui devait s'avérer exact (Beaumont, 2000). Fin 1966, la décision est prise de fusionner le Service de la carte géologique et le BRGM, à compter du 1er janvier 1968 (19).

Les débuts du Service géologique national et la place réservée à la carte géologique

La fusion se passe sans problèmes majeurs pour ce qui est de la comptabilité et de l'administration générale ; c'est le cas notamment de l'intégration dans les effectifs du BRGM du personnel du Service de la carte. En même temps que la fusion, le décret de décembre 1967 prévoit la mise en place d'une convention entre l'Etat et le BRGM pour l'exécution de certaines missions, telles que le recueil et la mise à disposition du public de la documentation sur le sous-sol et, évidemment, l'établissement de la carte géologique de la France. D'ailleurs, cette même année, le BRGM a individualisé en son sein, une Direction du Service géologique et des laboratoires, confiée à Claude Guillemin, et qui, en 1969, soit un an après la fusion, prend enfin le nom de Direction du Service géologique national. Intentionnellement ou non, ce qui vient du Service de la carte se trouve, au sein de la nouvelle direction, coupé en deux : la gestion du programme et les levers sont assurés ou organisés à partir du département Carte géologique et géologie générale (et aussi des services régionaux), tandis que les opérations de dessin, gravure et impression passent sous la responsabilité du département Arts graphiques (20) (Bodelle, 1968, 2000). En guise de compensation et pour affirmer la continuité prévue lors de la décision de fusionner, Jean Goguel est nommé vice-président du Conseil d'administration du BRGM (poste surtout honorifique) et Inspecteur de la Carte géologique de la France. A ce dernier titre, il conserve, presque jusqu'à sa disparition en 1987, un rôle non négligeable dans le contrôle de la qualité des minutes de cartes géologiques destinées à l'édition, même si, à partir de 1982, cette mission est confiée à un comité d'évaluation composé de personnalités extérieures au BRGM. Quant à Jacques Bodelle, directeur-adjoint de l'ex-Service de la carte, il est nommé directeur adjoint du Service géologique national, aux côtés de Claude Guillemin. Les géologues que le Service de la carte avait détachés auprès de certaines universités sont tout naturellement intégrés, au moins administrativement, dans les services géologiques régionaux du BRGM, dont le réseau, sous la houlette de Jean Ricour, est en plein développement.

Très vite, le BRGM entreprend une réforme de l'organisation des levers. Les prérogatives attachées au vieux corps des collaborateurs extérieurs, avec sa hiérarchie créée au XIXe siècle, relèvent désormais de déclarations d'intentions et de conventions de levers : chaque coupure de la carte au 50 000e fait l'objet de dispositions contractuelles engageant un collaborateur ou une équipe sur un programme et des délais d'achèvement précis et prévoyant, en contrepartie, le versement par le BRGM d'indemnités de mission et parfois de dessin (Cavelier, 2000 ; Médioni, 2000).

Parmi les arguments mis en avant par le BRGM pour appuyer la fusion, il y avait l'engagement d'accélérer l'établissement de la couverture géologique de la France au 50 000e. A la fin de 1967, le Service de la carte géologique peut mettre à son actif l'édition de 142 coupures sur les 1128 de la couverture totale, soit 13%. Bien imprudemment, le BRGM s'est engagé à achever toutes les cartes en 1985, objectif peu réaliste et qui, d'ailleurs, n'est même pas encore atteint à l'heure actuelle [2002], puisque l'on évoque maintenant l'horizon 2008 pour la fin des levers et 2010 pour l'achèvement de l'édition (21). Aussi le programme «Carte géologique» va constituer pendant longtemps une priorité pour la Direction du service géologique national et un gros effort est consenti pour soutenir un rythme de lever et d'impression compatible avec les objectifs annoncés. Cela est relativement facile, au début, du fait de l'existence d'un volant conséquent de minutes publiables dans les cartons du Secrétariat de la carte géologique (22). Ainsi, les premières années qui suivent la fusion enregistrent des moyennes annuelles de 40 maquettes publiables et de 30 cartes publiées. Ces rythmes seront ensuite difficiles à tenir ; au stade du lever, il est de moins en moins facile de constituer des équipes de terrain, la géologie régionale n'ayant plus la préférence des géologues universitaires, plutôt attirés par des études thématiques. De plus, les zones restant à lever (massif Central, massif Armoricain, Corse, par exemple) révèlent des problèmes complexes de tectonique et de pétrographie, nécessitant entre autres la mise en oeuvre de coûteuses analyses de laboratoire. Pour ne rien arranger, il s'agit également de secteurs où le fond topographique au 50 000e produit par l'Institut géographique national (IGN) n'est pas encore disponible. Ensuite, comme on l'a vu, l'édition prend, au fil du temps, du retard par rapport aux levers. Au début des années 1980, ce problème peut être partiellement résolu par la priorité budgétaire donnée à l'édition et par l'introduction de procédés informatisés dans la chaîne de traitement graphique. A l'heure actuelle, une quinzaine de coupures sont en moyenne éditées chaque année.

Pour compléter ce tableau, il faut signaler l'abandon total du 80 000e en 1976 et le remplacement de la carte de synthèse au 320 000e par le 250 000e qui connaît un bref éclat au moment du Congrès géologique international de 1980, avec la parution de 13 des 44 coupures23 mais qui, depuis, est en sommeil. Toujours à l'occasion du Congrès de 1980, le BRGM innove avec une carte générale de la France à 1/1 500 000 où figure la géologie du plateau continental et une représentation complètement renouvelée des massifs anciens. La même conception présidera en 1996 à la sixième édition de la carte au millionième.

Les conséquences de la fusion : des bénéfices réciproques pour la Carte géologique de la France et pour le BRGM

Compte tenu des poids relatifs du Service de la carte et du BRGM, la force d'attraction de ce dernier rendait inévitable la fusion de 1968. Cependant, bien étudiée et bien préparée pendant la dizaine d'années qui l'ont précédée, celle-ci a eu, dans l'ensemble, des conséquences positives.

Contrairement aux craintes qui avaient pu s'exprimer çà et là, la cartographie géologique de la France est restée un programme éminemment fédérateur, puisque les collaborateurs extérieurs ont toujours gardé une part prépondérante dans les levers de terrain et ce, malgré les évolutions inévitables dans les programmes de recherche universitaire.

La cartographie géologique a pu profiter pleinement des moyens importants d'analyse de laboratoire mis en place par le BRGM, que ce soit en micropaléontologie, palynologie, sédimentologie, géochronologie, etc. (Bodelle, 1969). Des domaines traditionnellement négligés par les universitaires, comme la cartographie des formations superficielles, d'une grande importance pour la géotechnique entre autres, ont donné lieu à la mise au point de méthodes qui ont pu ensuite être largement appliquées dans différents contextes régionaux (Vincent et Vogt, 1969). Les cartes géologiques et leurs notices explicatives ont progressivement acquis le statut de publication scientifique à part entière. Des dispositions ont été prises pour faciliter la lecture des cartes et en rendre l'utilisation plus attrayante (24) pour un public de plus en plus large. La diffusion des cartes géologiques a d'ailleurs bénéficié de la promotion et du réseau de distribution mis en place par le BRGM pour ses différentes publications.

Le BRGM lui-même a largement tiré avantage de la fusion de 1968. La création en son sein du Service géologique national, malgré les polémiques qui l'ont accompagnée, a donné à l'établissement public une légitimité nouvelle dans son rôle d'acteur de la géologie appliquée française ; cette position sera largement renforcée par la part essentielle prise par le Service géologique national dans l'organisation du Congrès géologique international à Paris en 1980.

Pendant de longues années, la carte géologique a été, financièrement parlant, le principal programme de recherche scientifique du BRGM. De plus, l'apport par le Service de la carte de géologues généralistes, bien implantés régionalement, a été un atout appréciable pour le BRGM, lorsqu'il a renforcé la décentralisation de ses activités. En retour, l'expérience acquise par les géologues cartographes en France métropolitaine a été valorisée par le biais d'importantes opérations de cartographie dans les départements et territoires d'outre-mer et à l'étranger, comme cela fut le cas en Arabie Saoudite ou dans le Sultanat d'Oman.

Avec la filialisation de ses activités de bureau d'études et l'abandon de ses activités minières dans les années 1990, c'est finalement tout l'ensemble du BRGM qui constitue maintenant un Service géologique national, et non pas seulement une de ses directions.

Références

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TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XVI (2002)
Jean VOGT
Intervention sur la communication de M. René MEDIONI

Mots clés : intervention - témoignage. Key-words : intervention - testimony.

J'ai été témoin des problèmes initiaux du SGN en matière de cartographie, surtout avant l'arrivée de Médioni. Rappelons que le passage du 1/80 000 au 1/50 000 n'avait pas été accompagné d'une évolution notable de conception et de présentation. Ce problème se posait d'une manière aiguë, en raison du poids des anachronismes, surtout par rapport à des pays voisins, poids dont Jean Goguel était parfaitement conscient, qu'il s'agisse du socle - Albert Autran en savait quelque chose - ou des «formations superficielles». Ainsi étaient absentes des feuilles bretonnes des formations d'altération jalonnant une évolution continentale longue et complexe, au demeurant d'un grand intérêt pratique (kaolins, géotechnique). Sur telle feuille de Champagne les épaisses « groizes » n'apparaissent qu'en un seul point, à la faveur d'une carrière. Souvent les « formations superficielles » jouaient les « utilités » pour masquer des lacunes de la connaissance du substrat. Les « Sables des Landes » ont longtemps recouvert d'un voile pudique des formations tertiaires mal connues. Bon débarras, au demeurant, illustré par certaines notations, P. [= Pliocène] en Limousin, etc. Une cartographie souvent abstraite posait à la fois un problème d'ouverture mais aussi de notation, de figuration des limites, de légendes, avec leurs « caissons étanches», de notices, etc. Les velléités d'évolution, de fond et de forme, loin des carcans, certes encouragées par Jean Goguel, se heurtèrent cependant à de vives résistances, de la part de géologues prétendant ne faire que de la carte, dans la seule France, et de dessinateurs attachés à la tradition, voire à la routine. Les problèmes n'étaient pas vus en termes de complémentarité, en faisant appel à des formule souples, neuves, mais de concurrence. A l'occasion, il était question des « méchants des formations superficielles », non sans propos haineux, parfois ad hominem, non sans intrigues, avec succès, par exemple auprès de Claude Guillemin, minéralogiste et visionnaire, qui ignorait tout de la carte, alors que Jacques Bodelle en était un parfait connaisseur. Un effort d'explication fut entrepris dans certaines universités, par exemple, avec mon concours, à Besançon et à Nancy. Tant au SGN qu'à Besançon, il était frappant de constater que les « opposants » virulents étaient des éléments jeunes, tenants d'un conservatisme scolaire, parfois en contradiction avec des opinions exprimées par ailleurs. Au SGN se posait en outre le problème d'une hiérarchie intermédiaire, surtout gestionnaire - statistique oblige - parfois dépassée par des problèmes complexes, interdisciplinaires - songeons à la subtilité des débats au sujet du Quaternaire - et qui néanmoins prétendait parfois à un « monopole de la pensée », sans toujours être en mesure de l'honorer. D'ailleurs, tel manuel du cartographe reprit tardivement, à l'insu des spécialistes, le thème des « formations superficielles » représentées, faute de mieux, d'une manière en quelque sorte résiduelle, avec une distinction implicite d'une géologie noble, celle du substrat, et d'une géologie ignoble au sens étymologique du terme. Quoi qu'il en soit, la carte géologique se présentait souvent comme une mosaïque inextricable, selon les échelles, les rééditions, l'organisation du travail, les goûts, avec des chevauchements complexes et des problèmes de raccords. En levant les « formations superficielles » de la feuille Pont-Saint-Esprit, je ne vis d'autre solution, pour voir clair, que d'établir un tableau synoptique, repris par la notice, avec l'accord de Jean Goguel, en proposant d'ailleurs une légende innovante éclairant un levé effectivement à 1/50 000, ce qui n'est pas toujours le cas. Pour ce domaine voisinent des cartes à divers degrés d'évolution avec des progrès çà et là, qu'il s'agisse du graphisme, grâce à l'esprit inventif de Pierre-Louis Vincent (Vosges, etc.) ou des notices avec, par exemple, des rubriques sur l'érosion des sols ou la sismicité et de véritables bibliographies. De nombreuses déficiences sont apparues lors de la discussion des risques naturels, zonage sismique en particulier, traité par le BRGM, en quelque sorte pris à son propre piège, en raison de ses « valses-hésitations » parfois par opportunisme à courte vue. Il était parfois perdu de vue, par ailleurs, que les « méchants » en question n'étaient pas, eux, obsédés par la carte française, mais multipliaient des missions spécifiques dans une grande partie du monde, en traitant de gîtes d'altération (Jean-Paul Lajoinie) et détritiques (J. V.). Ainsi apportaient-ils des bouffées d'oxygène à un « Département Géologie » qui évoluait dans la « culture du déficit » du SGN. Il est vrai qu'innovation, diversité des activités, avec certes un commun dénominateur, efficacité désintéressée étaient parfois vus d'un mauvais oeil à plusieurs niveaux. Il semble que bien des équipes universitaires avancèrent en fin de compte plus vite que le SGN. Certes, il est actuellement fait grand cas, parfois d'une manière tapageuse, des « formations superficielles », mais, semble-t-il, par le biais de l'environnement, terme magique en vogue au BRGM, en perdant de vue son propre héritage. Au cours des années se sont envolées bien des illusions sur l'esprit « scientifique », qu'il s'agisse de personnes ou d'organismes ...

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Notes