TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1977)

Andre Laporte
Histoire de l'exploitation des mines de plomb argentifère de Glanges (Haute-Vienne) au cours du XVIIIè siècle.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 14 juin 1977)

Les mines de plomb argentifère de Glanges se trouvent dans le département de la Haute-Vienne à une vingtaine de Kilomètres au sud de Limoges, dans les communes de Vicq-sur-Breuilh, Glanges, Saint-Genest-sur-Roselle et Saint-Hilaire-Bonneval.

Cette région appartient à l'ancienne province du Limousin et administrativement, à la généralité de Limoges qui eut la bonne fortune d'être gouvernée par l'Intendant Turgot avant sa promotion par Louis XVI à la tête du Ministère.

Au point de vue géologique, la région est constituée par un plateau de schistes cristallins dans lesquels un réseau hydrographique assez dense a creusé de profondes vallées.

Malgré ces entailles dans le sol, la roche est peu visible du fait d'une couverture végétale abondante, en outre elle est presque partout décomposée sur une grande épaisseur et transformée en une arène argilo-siliceuse désignée dans le pays sous le nom de "tuf".

Dans de telles conditions les affleurements de filons sont rares et peu visibles et les découvertes de minerai sont toujours le fait du hasard, ce sont par exemple des pierres volantes arrachées par les labours ou bien des travaux de routes ou de fondations qui dénudent des veines minéralisées.

A Glanges on connaissait de temps immémorial quelques affleurements de minerai de plomb et nous savons que des paysans vendaient de la galène aux potiers de la région pour faire la couverte de leurs céramiques.

Au cours du XVIIIè siècle, les mines de Glanges ont connu plusieurs périodes d'activité :

I. Les travaux de 1703-1707

Au début du XVIIIè siècle, le duc de la Feuillade exploite sur sa terre de la Feuillade, près de Gentioux (Creuse) une usine à fer qui ne lui a procuré que des déboires.

En Août 1701, la forge de la Feuillade reçoit la visite d'un nommé Charles Nicolas Richer, se disant sieur de Rhodes et demeurant à Paris, cul de sac de la rue de l'Eperon, paroisse de Saint-André-des-Arts.

Le 16 octobre 1702, le duc cède à bail à un nommé Prieur, bourgeois de Paris, le domaine et la forge de la Feuillade. Dans cette affaire, Prieur est le commanditaire et la dupe de de Rhodes.

Celui-ci a entendu parler des filons de plomb de Glanges et c'est sur son instigation que le duc sollicite de Louis XIV un privilège pour l'exploitation de mines de plomb et de cuivre. Le 2 janvier 1703 le privilège est accordé pour 30 ans sur un immense territoire qui couvre la majeure partie du Massif Central.

Dès mai 1703, de Rhodes commence des recherches dans la région. Le 10 juillet 1703 La Feuillade cède son privilège sur les mines à Prieur à des conditions très onéreuses et ce même mois de juillet 1703 de Rhodes embauche six anglais qui se prétendent fondeurs et il les dirige vers le Limousin.

Les recherches de mines s'ouvrent à partir de novembre 1703, à Saint-Hilaire-Bonneval, à Tralage, à Fargeas de Vicq où l'on trouve du beau minerai, enfin un dernier chantier, excentrique celui-là, au lieu-dit Peyra-Bruna (Le Cluzeau), dans la paroisse de Meuzac où l'on prétend trouver, comme à Saint-Hilaire, du plomb et de l'étain !

Par la suite, les anglais s'associent à Prieur qui a déjà dépensé des sommes considérables. Mais la mésentente ne tarde pas à s'établir entre de Rhodes et les anglais et un arbitrage est demandé au Chevalier Jean Rouillé, Intendant du Limousin.

L'Intendant quitte Limoges le 12 mai 1704 et commence une visite détaillée des travaux. Enfin le 15 mai à lieu à Pierre-Buffière un essai de fusion de minerai de plomb et les anglais prétendent posséder des secrets pour cette opération. L'échec est complet et l'Intendant regagne Limoges dans la journée du 16 mai.

Peu après, Prieur et de Rhodes se retirent de l'affaire en cédant leurs droits aux anglais par acte du 1er juillet 1704.

A partir de ce moment les choses vont de plus en plus mal et un procès-verbal du 7 juillet 1705 dressé par le juge de Pierre-Buffière adresse un inventaire de l'actif à l'Intendant qui a fait apposer les scellés.

En décembre 1705, l'Intendant fait une nouvelle inspection des travaux, tout est abandonné et on n'a rien trouvé d'intéressant, sauf à Fargeas où un chantier est resté en activité.

Le duc de la Feuillade, qui a repris possession de sa concession, des travaux et du matériel, a par la suite affermé ses mines pour 3 ans le 1er janvier 1706 à François Violette, bourgeois de Paris. Nouveau bail du 8 janvier 1707 à Guillaume Barbier, bourgeois de Paris.

Cette fois enfin la mine semble bien partie. Un fourneau est en activité et donne satisfaction avec un rendement de près de 50 %.

L'exploitation de Barbier n'a été malheureusement qu'un feu de paille, fin 1707 les travaux sont arrêtés et par acte du 16 novembre 1709, Barbier résilie son contrat du 8 janvier 1707 et paye au duc l'indemnité prévue de 10.000 livres.

En mai 1711 tout était liquidé !

Nous avons donné à dessein des détails sur cette période de 4 ans (1703-1707). C'est sans doute la plus curieuse tant par les personnes qui sont en cause que par l'activité désordonnée des travaux pour des résultats dérisoires !

II . Les travaux de 1724-1725 et 1728-1730

Le 1er février 1724, les Sieurs Bridon de Belleville et Duval de Bonneval obtiennent une concession de S.A.S. Mgr le Duc Louis de Bourbon, Prince de Sang, Grand-Maître et Surintendant général des Mines et Minières de France.

Le 2 décembre de la même année, ils s'associent avec M et Mme de Vassan.

Charles, marquis de Vassan, est seigneur de la Tournelle, Cuvergnou, Germaincourt, Grand Champ, etc., brigadier des armées du roi, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, et son épouse est Anne Thérèse de Ferrières de Sauvebœuf, première baronne du Limousin, vicomtesse de Saint Mathieu, dame de Sauvebœuf, Brie, Champagnac
Ensuite on fait venir des mineurs allemands et le Sieur de Rhodes (encore lui !) est mis à la tête des travaux. Mais il renouvelle ses agissements, il dilapide les fonds, fait des dettes et ne paye pas les ouvriers qui repartent au bout d'un an.

On sait peu de choses sur les travaux de cette période si ce n'est qu'ils se trouvent à Ciboeuf, au Sud de Glanges, où l'on a ouvert des puits et des galeries.

Le 1er février 1728, de Belleville fait renouveler sa concession, mais M. et Mme de Vassan, qui s'estiment lésés, font révoquer les titres de 1724 et 1728 et obtiennent pour eux-mêmes une concession de 20 ans à compter du 1er juillet 1728. Ensuite ils trouvent difficilement des commanditaires pour exploiter leur concession et passent un contrat avec M. de Soucy, fermier général des Etats de Bretagne et d'autres personnes qui constituent la "Société d'exploitation des mines de Glanges de Saint-Germain".

En novembre 1729 des mineurs allemands sont au travail mais ils ne restent que quelques mois.

Tout ce que l'on sait sur les travaux de cette époque c'est qu'ils se trouvent à Ciboeuf où la galerie est, dit-on très argentifère.

Les difficultés continuelles entre le directeur de l'exploitation et M. et Mme de Vassan, surtout cette dernière, découragent les actionnaires et, en 1738, M. de Soucy et ses associés font retour de la mine aux de Vassan.

III. La Compagnie Mirabeau

En juillet 1763, le Marquis de Mirabeau, gendre de M. de Vassan, reprend les mines de Glanges et y fait, dit-on de grandes dépenses.

On remet en état les travaux de Ciboeuf et on y creuse de nouveaux puits et de nouvelles galeries. D'autres recherches sont faites également dans la région. Le 18 janvier 1763 le Marquis de Mirabeau sollicite une nouvelle concession qui est accordée par le Roi pour 8O ans le 25 mars 1765.

Le 20 mars 1766, le Marquis de Mirabeau crée une compagnie au capital de 90.000 livres, en 100 actions de 900 livres, pour exploiter les mines de Glanges. Les documents relatifs à l'activité de cette compagnie nous parlent de trois filons de plomb Nord-Sud : il s'agit du filon de Ciboeuf, de celui du Ruisseau Lavandier, entre Ciboeuf et Glanges, enfin du filon de Fargeas (Bayaud) flanqué par le filon du Gaunatier (ou filon Caroline), à quelques mètres à l'Est.

A Ciboeuf les puits sont descendus jusqu'à 378 pieds de profondeur. En 1771 les galeries développaient plus de 200 toises et les puits plus de 90 toises.

Au Ruisseau Lavandier on s'est contenté de rechercher à flanc de coteau.

Enfin à Bayaud, sous Fargeas, les travaux sont moins développés qu'à Ciboeuf mais plus prometteurs.

Quant aux installations elles comprennent une petite laverie sur le Ruisseau Lavandier, au Sud de Glanges, une autre plus importante sur la Petite Briance, au Sud de Ciboeuf et un fourneau en face de la galerie de Bayaud.

En 1776, les actionnaires de la Compagnie Mirabeau demandent au ministre Bertin l'envoi d'un ingénieur compétent à Glanges pour faire un rapport sur la mine.

Le 31 mars 1772, Bertin écrit à Turgot, Intendant du Limousin, qu'il a désigné l'élève ingénieur des mines Antoine-Grimald Monnet pour remplir cette mission. A cette époque le directeur de la mine est M. Poisson de la Charbeaussière.

Le rapport de Monnet est daté de Glanges du 13 juillet 1772. Il décrit les travaux mais il n'est pas très optimiste pour ce qui concerne les filons.

Il donne les résultats : de 1766 à 1772 on a produit 136.600 livres de minerai qui ont donné 71.689 livres de plomb à la fonderie. Il signale aussi que les années 1770 et 1771 sont fortement déficitaires. Il remarque enfin que la mine est très bien dirigée et que le déficit n'est dû qu'à la pauvreté des filons.

Le 20 mars 1772, un nommé Pelletier est nommé directeur général et caissier de la Compagnie Mirabeau. C'est sur lui désormais que repose l'existence de l'exploitation car les actionnaires ne répondent plus aux appels ds fonds et il est obligé de faire lui-même des avances de plus en plus élevées.

En 1778, la mine ayant cessé toute activité, Pelletier et les autres créanciers font un procès à Mirabeau et ses associés. Ce procès est jugé au Châtelet de Paris en août 1782 et on y apprend que le 7 juin 1778 les dettes de la mine s'élevaient à 63.355 livres, 19 sols, 7 deniers. Peu après Pelletier est déclaré en faillite et cède son avoir à ses créanciers le 7 janvier 1780.

Le 29 juillet 1783, M. Odelin, inspecteur des mines du Limousin, fait une visite rapide des travaux abandonnés ; son Procès-verbal est de peu d'intérêt, seul un détail mérite d'être retenu : il nous apprend que l'inspecteur des mines Jean-Pierre-François Guillot-Duhamel a passé 6 mois à Glanges en 1775 ou 1776 et qu'il y a fait bâtir un fourneau à manche.

IV. La concession d'Andrée

La Compagnie Mirabeau ayant été déchue de son privilège, deux demandes des concessions sont adressées au Gouvernement en 1787.

Un des demandeurs est Madame Claire Thérèse Duplessis, veuve de Paul, Félix, Baron d'Andrée. Elle précise dans sa pétition que la Cie Mirabeau a produit pour plus de 50.000 francs de plomb, vendu à Limoges, avec une dépense de 200.000 livres. Et elle ajoute : "La négligence et l'infidélité des régisseurs, le dégoût des associés, les difficultés et les procès qui en résultaient ont fait abandonner cette entreprise ; notamment depuis la séparation de Me la Marquise de Mirabeau, Dame de Pierre-Buffière et de Glanges qu'elle a repris de son mari...".

Malgré l'avis de M. Meulan d'Ablois, Intendant du Limousin, qui émet des doutes sur la rentabilité des mines de Glanges, une ordonnance du 15 janvier 1788 accorde à Me Vve d'Andrée une concession de 20 ans pour la mine de Glanges et celles situées dans un rayon de 3 lieues ayant le bourg de Glanges pour centre.

Il était malheureusement trop tard pour reprendre une activité et un rapport de l'Ingénieur des mines de Cressac daté de Fructidor de l'An XI fait une description des lieux où tout a été pillé et détruit malgré tous les scellés apposés le 19 Frimaire de l'An II.

Conclusion.

Voici, résumé en quelques pages, l'essentiel des documents que nous avons pu consulter concernant l'histoire des mines de Glanges au XVIIIè siècle.

Les diverses tentatives d'exploitation ont été autant d'échecs pour lesquels il est difficile de déterminer la part qui revient aux hommes et celle qui est imputable a la pauvreté des filons.

Pour conclure cet exposé, nous ne saurions faire qu'en citant les dernières lignes du Mémoire présenté au Châtelet de Paris pour le procès d'août 1782 :

"Ceux qui sollicitent les concessions, n'ont d'autres vues que de vendre cher la faveur qu'ils ont obtenu du Roy ; de ne mettre que peu de fonds dans l'affaire et d'en tirer de gros bénéfices ; de s'associer un grand nombre d'intéressés qui ont les mêmes vues et n'ont pas les moindres connaissances, ni des affaires ni de l'exploitation des mines ; de négliger la suite des travaux, d'être obligés de recourir à des capitalistes usuraires, etc..

"Il est de la prudence du Conseil de veiller à réprimer ces abus qui frustrent l'Etat du produit des mines immenses que renferme le Royaume".

On ne pouvait mieux stigmatiser les vices du droit minier sous l'ancien régime et l'histoire de la concession de Glanges en est la pitoyable illustration.