TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1982)

Jacques SIGAL
La stratigraphie, ses méthodes; crise et renouveau

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 15 décembre 1982)

(Ce texte est extrait d'un enseignement donné en 1980 dans le cadre de la coopération entre le Bureau des Etudes Industrielles et de Coopération de l'Institut français du rétrole -BEICIP- et l'Institut algérien du Pétrole)

1. DEFINITION DE LA STRATIGRAPHIE

La Stratigraphie met en jeu des techniques très variées, fondées sur des disciplines scientifiques différentes qui appartiennent aux sciences biologiques et aux sciences non-biologiques. Par ailleurs l'élaboration des diverses méthodes d'approche, dont l'assemblage constitue la Stratigraphie, est le fruit d'une activité créatrice lente et collective longue d'un siècle environ.

Si bien qu'elle ne se laisse pas aisément définir, si ce n'est par une formule certes lapidaire, mais que Monsieur de la Palice n'eût pas désavouée et guère plus évocatrice que le sens étymologique même du mot : c'est la description des strates. Cependant on peut dès lors aller plus loin : car il est notoire que ces couches de terrain se superposent et ne sont pas partout de même nature. C'est donc l'étude de leur agencement géométrique dans l'espace et dans le temps. Ensuite, comme le temps s'écoule uniformément d'un point à un autre, c'est aussi la recherche de l'âge de ces couches et de leur corrélation vraie. Enfin, comme ces relations spatiales et temporelles ne peuvent être quelconques, on dira que la Stratigraphie est une tentative de reconstitution de la paléogéographie et des paléo-environnements.

Fruit de la connaissance du passé et de celle de l'actuel, elle est donc en constant devenir, et, chemin faisant, le progrès des techniques a pu parfois remettre en cause ses bases mêmes, comme on le verra.

Quoi ? Comment? Pourquoi? Maurice Gignoux par son enseignement de "Géologie stratigraphique", que l'on a cru renouveler depuis, en changeant les mots, sous la forme de "Géologie historique", y avait répondu dans un condensé dont il avait le secret : "Etude de la succession chronologique...groupement harmonieux en une série de tableaux cohérents, exempts de contradictions".

2. BREF RAPPEL HISTORIQUE

L'étude et la description des strates sont évidemment nées de l'examen objectif de celles-ci : du contenant et du contenu ; la première différenciation évidente a été logiquement extérieure à elles, celle de leur succession, à l'échelle de l'observation macroscopique. Le principe dit "de superposition" a ainsi été énoncé par Nicolas Sténo, en 1669.

Les travaux des premiers géologues, au 18e siècle, ont consisté en une description des couches en terme de nature lithologique, le vocable "formation" étant d'ailleurs déjà utilisé, avec, pour sens fondamental, celui qui lui est encore donné de nos jours. Parmi les plus célèbres de ces pionniers, on peut citer Abraham Gottlob Werner.

Mais en même temps se développait l'idée d'une signification du contenu paléontologique, arguant du fait que ce dernier n'était pas lié seulement à la nature des dépôts, mais aussi à leur succession. Ainsi, indépendamment d'un cadre de déroulement des phénomènes géologiques conformes au "catastrophisme" qui était la théorie explicative en vogue, étaient aussi jetées les premières bases du courant d'idées évolutionniste. Parmi ses précurseurs, on peut citer Benoît de Maillet (1724, 1749), La Croix de Sauvages (1749, 1750), et surtout l'abbé Giraud Soulavie (1780) qui a marqué probablement le tournant décisif en proposant de distinguer "l'époque où vivaient seulement des espèces aujourd' hui disparues, celle où les espèces actuelles commencent à se mêler aux premières, enfin celle où il n'y a plus que des espèces actuelles".

On voit que, dès lors, la Stratigraphie lithologique et paléontologique était née. Il restait a créer le mot, ce qui fut fait en 1617 sous la plume de William Smith, lequel, dès 1796, avait constaté que, sur une certaine distance, chaque formation superposée est caractérisée par ses propres fossiles. La suite des événements obéit alors à une logique rigoureuse.

George Young et John Bird en 1822 établissent que "certaines parties des strates sont tellement liées entre elles, qu'elles passent souvent de l'une à l'autre, constituant un même lit". A cette notion du faciès, succède le vocable lui-même créé par A. Gressly (1837-1838) en le généralisant : "des données de deux ordres différents caractérisent ce que je désigne par faciès ou aspect de la formation : d'une part le fait que tel ou tel aspect pétrographique implique nécessairement, partout où il est reconnu, le même assemblage paléontologique ; d'autre part, le fait que tel ou tel assemblage exclut genres et espèces fossiles fréquents dans des faciès différents". L'année suivante (1839) Constant Prévost, usant du principe de suoerposition, introduit la notion de milieu de vie à propos de l'équivalence de sédiments d'eau douce en Angleterre et marins en Francs pour un même âge Néocomien "parce que tous deux encadrés, au mur et au toit, par les mêmes couches, Jurassique et Craie".

Enfin dernière étape de ce court historique, très schématique, l'introduction de la notion d'étage par Alcide Dessalines d'Orbigny (1842, 1849-1852) : "j'ai voulu... prendre des noms tirés des lieux où l'étage se trouve le mieux développé, afin de faire cesser cette nomenclature embrouillée, tirée de la composition minéralogique locale, si variable suivant les lieux, et des fossiles d'animaux sur un point, qui peuvent manquer ailleurs". Ces étages sont des coupures susceptibles d'être universelles, représentatives de duréss, au cours desquelles les fossiles interviendraient pour caractériser des périodes successives et établir des synchronismes. Le concept d'étage est par ailleurs lié à celui de zone, dont il sera rapidement question plus loin.

3. CRISE ET RENOUVEAU DE LA STRATIGRAPHIE

Ainsi il avait fallu presque deux siècles cour donner à la Stratigraphie son statut, il faudra un siècle pour aboutir à une crise qui menaça l'édifice jusque dans ses fondements au tournant des années 1950-1960 : des besoins, nés du progrès technique, allaient en effet trouver un terrain favorable dans des insuffisances ou des déviations de la méthode faciostratigraphique.

Les progrès techniques tout d'abord, dont la manifestation est multiforme, comme en témoigne la liste suivante quoique incomplète :


Ensuite les insuffisances, voire les déviations, de la méthode faciostratigraphique, base essentielle de la Stratigraphie à cette date :

Le renouveau de la Stratigraphie, annoncé en tête de ce chapitre, a consisté en deux démarches distinctes : d'une part une "reprise en main" de la faciostratigraphie classique, d'autre part l'intégration d'un large éventail de méthodes nouvelles.

Tout d'anord la reprise en main : insuffisances et besoins nouveaux, détaillés précédemment, ont conduit à une balkanisation et à un babélisme dont on a vu qu'ils allaient à l'encontre de la recherche d'une compréhension géologique globale. La conséquence de cet état de fait, c'était : soit le schisme (tel géologue régional considérant comme désuète l'échelle des étages "historique" d'Europe Occidentale et prônant l'utilisation de la seule échelle régionale, tel stratigraphe abandonnant tout stratotype et ne définissant plus l'étage que par sa base et son sommet, etc...). Soit une opération de sauvetage (voir par ex. "Une thérapeutique homéopathique en chrono-stratigraphie : les parastratotypes ou prétendus tels" - J . SIGAL, Bull. Trimestr. Départ. Inform. Géol., CEDP, n° 64, 1964) : sauver le stratotype (ne fut-ce que pour en disposer afin d'étalonner, échantillon en main, de nouvelles techniques au fur et à mesure de leur introduction) en le connaissant mieux, et le doubler, tripler... par des faciostratotypes choisis, dans un périmètre géographique raisonnable, dans d'autres faciès du même étage, - établir au mieux la corrélation de proche en proche entre ces divers types. Une pareille opération pouvait être lancée aussi pour les échelles régionales, dont l'utilité devenait évidente. A l'établissement de tels réseaux d'équivalences et de corrélations entre échelle de base et échelles régionales, et au sein de chacune de ces dernières, ont contribué des organismes fossiles privilégiés (pélagiques en particulier) et un lot de méthodes mettant en jeu des techniques qui "passaient au travers" des faciès.

Cette démarche,dont la finalité est bien de sauvegarder un langage commun en vue d'une géologie globale, est encore en cours et elle a suscité déjà de nombreux travaux de révision des étages, la publication de volumes spéciaux du Lexique Stratigraphique International, la tenue d'une quantité considérable de réunions de spécialistes et de colloques.

Ensuite : l'élargissement de l'éventail des techniques disponibles, (voir par ex. "Existe-t-il plusieurs Stratigraphies", J. SIGAL, Bull. Trimestr. Départ. Inform. Géol., CEDP, n° 54, 1961). Le développement des méthodes physiques ou physico-chimiques, parfois moins liées, on vient de le dire, aux faciès, voire indépendantes de ceux-ci, a montré combien serait stérilisante l'attitude consistant, par incompréhension ou par routine, à ne voir dans la Stratigraphie qu'une affaire de "petites bêtes". Le développement de ces méthodes, qui introduisent en particulier l'utilisation de données chiffrables (tout au moins théoriquement) est un fait marquant dans l'histoire de la Stratigraphie. Il a apporté un élément stabilisateur, presque sécurisant, dans le monde des bio- et lithostratigraphes, qui, face ou ayant a faire front aux découpages très subjectifs que chacun élaborait en fonction de sa spécialité, devaient bien constater que la prétendue objectivité de critères mesurables (ou statistiques), qui avait tant suscité l'enthousiasme, n'était parfois qu'un leurre pour la reconstitution d'un schéma cohérent du phénomène de l'évolution biologique.

Le chapitre suivant est donc consacré à l'identification des diverses méthodes qui composent la Stratigraphie et à un essai de groupement de celles-ci d'après leur finalité et d'après la nature des phénomènes utilisés. Les conférences elles-mêmes correspondaient à l'examen des bases scientifiques de ces méthodes, aux relations qui les liaient entre elles, à leurs objectifs et à leurs limites.

4. LES PRINCIPALES METHODES DE LA STRATIGRAPHIE

Mieux qu'un long discours, le tableau ci-joint, par sa double entrée, permet de percevoir d'emblée l'idée directrice.

Double entrée révélatrice : la Stratigraphie étant une discipline historique au sein de la Géologie, c'est bien le facteur temps qui peut déterminer au mieux les catégories dans lesquelles se rangent les méthodes ; il intervient donc en abscisse comme en ordonnée. Le facteur temps occupe ainsi sa place privilégiée : soit parce qu'il caractérise la nature (discontinue-continue, répétitive ou non, réversible ou irréversible) des phénomènes biologiques ou physiques sur lesquels sont basées les différentes méthodes ; - soit parce qu'il traduit, par sa simple existence, par son estimation relative, par sa mesure, la manière dont le temps est envisagé dans chacune des méthodes. Par là d'ailleurs, ce tableau acquiert une dimension supplémentaire par le fait que c'est aussi la manière dont le temps a été globalement envisagé historiquement au cours des 19è et 20è siècles, et dont il est souvent envisagé au cours des phases successives de travaux géologiques courants (cartes lithostratigraphiques ou de faciès d'abord, cartes biochronostratigraphiques ou d'étages ensuite, enfin données d'âge chiffrées constituant des points d'ancrage).

A chacune des méthodes correspond une technique qui exploite un ou des phénomènes empruntés à diverses sciences ou disciplines scientifiques ; ces techniques sont indiquées dans les colonnes du tableau ; un artifice d'écriture permet de séparer le phénomène sur lequel est basée fondamentalement une méthode donnée, et les phénomènes dont l'intervention est secondaire ou éventuelle.

I. STRATIGRAPHIES GEOMETRIQUES

Dans cette première catégorie les strates sont prises en considération par "ensembles" (les "corps sédimentaires" par exemple pour les roches de dépôt) selon les 3 dimensions. Le terme "graphie" est pris au sens propre. Le temps n'est pas pris en compte sous l'angle de son estimation ou de sa mesure ; on fait abstraction de son écoulement ; il est envisagé seulement sous l'angle du "laps de temps", celui qui a "autorisé" le développement du phénomène envisagé, c'est-à-dire le dépôt d'une certaine épaisseur de sédiment, d'un certain faciès, ou la génération d'une certaine lithologie qui sera traduite par son faciès diagraphique ou sismique.

Première remarque : ces éléments concrets et géométriques que sont un paquet de couche ou une image électrique ou sismique, constituent l'objet même des méthodes rangées ici. On les retrouvera (avec d'autres: réponse magnétique, groupes de fossiles), dans des méthodes groupées dans la catégorie suivante (II.Stratigraphies temporelles relatives), mais elles n'en constitueront plus que le support, l'objet de ces méthodes se situant dans un cadre temporel différent.

Seconde remarque : la limite peut être ténue entre les catégories I et II. On peut en juger par un exemple pris en biostratigraphie : la répétition d'assemblages fauniques n'a pas, en soi, valeur d'échelle de temps, elle demeure dans le cadre de la Stratigraphie géométrique ; mais si des assemblages se succèdent selon une relation répétitive séquentielle, ils constituent l'ossature d'un schéma qui peut être interprété en durées relatives, les autres facteurs étant (supposés) constants (le taux de sédimentation en particulier).

A. Faciostratigraphie

Sont pris en considération les constituants des strates (contenant et contenu), leurs assemblages, leurs variations dans l'espace et selon le laps de temps pendant lequel a eu lieu le dépôt. Formations sédimentaires et assemblages fauniques (ou floraux) définissent la litho- et la biostratigraphie, deux des méthodes les plus largement connues, et concourent à la détermination du faciès pris dans son sens original, d'où le terme plus compréhensif de faciostratigraphie. A vrai dire celui-ci pourrait inclure aussi les deux méthodes suivantes (B, C), puisque la réponse diagraphique comme la réponse sismique se situent sur le même plan que les caractéristiques lithologiques ou biologiques : simplement n'étaient-elles pas connues lorsque fut établi le concept de faciès.

La recherche de la causalité des phénomènes observés, si elle peut l'être en théorie, n'est en réalité guère séparable du pur constat de la nature du faciès, litho- ou biofaciès. Cette orientation vers la compréhension de la genèse des strates et des raisons de leurs relations latérales (équivalences de faciès) ou verticales (passages obliques de faciès) est souvent qualifiée d'écostratigraphie, signifiant par là que le but recherché est une reconstitution paléo-écologique. On notera que le temps se trouve alors plus intimement impliqué, et que, là encore, la barrière qui sépare de la catégorie II (Stratigraphies temporelles relatives, en l'occurence la biochronostratigraphie) devient ténue. On verra pour preuve de cette position en charnière, le fait de l'application privilégiée de l'écostratigraphie dans l'étude des phénomènes sédimentaires répétitifs et directionnels (analyse séquentielle).

Bien entendu la barrière est formelle qui sépare la faciostratigraphie des disciplines auxquelles elle emprunte sa substance (sédimentologie, pétrographie, biologie, paléontologie) et qui font l'objet d'enseignements particuliers.

B. Electrostratigraphle

Elle met en oeuvre la mesure directe ou indirecte de diverses caractéristiques physiques ou chimiques de la roche ou de son contenu fluide ; par là on voit qu'elle contribue bien à la "description des strates". Elle est plus largement connue sous l'appellation de "méthodes diagraphiques". (terme plus neutre et peut-être plus approprié, puisque l'électricité n'est parfois que le véhicule de l'information provenant de la matrice de la roche).

C'est une faciostratigraphie particulière, comme on l'a vu ; et, à son sujet, bien connus sont les écueils rencontrés lorsque, inconsciemment ou non, on voudrait y voir une méthode chronostratigraphique sans prendre suffisamment garde aux variations latérales et aux passages obliques du "faciès électrique". Mais, sur la faciostratigraphie (lithologique ou biologique), elle présente l'avantage d'introduire des données mesurables et enregistrables en continu.

C. Sismostratigraphie

Elle a pour objet de permettre une caractérisation soit d'un faciès, depuis le "paquet de couches" jusqu'à la "formation sismique", soit du contenu fluide éventuel, ce qui revient dans le fond au même, mais traduit une préoccupation finale différente.

En pratique la "réponse sismique", par l'analyse de ses caractères structuraux (configuration des réflexions, continuité, amplitude liée au contraste d'impédance acoustique, phase, fréquence, vitesses d'intervalles), renseigne sur plusieurs propriétés stratigraphiques : le franchissement des couches-limites ou des couches de transition entre deux faciès, la nature du faciès lui-même (ses variations plus ou moins rapides, épaisseur des intercalations, variations de compaction), la disposition géométrique comme reflet de l'environnement sédimentaire, des discordances et de l'histoire du dépôt. La sismostratigraphie apparaît donc comme une interprétation sédimentologique des sections sismiques (voir par ex. P.R. Vail, R.M. Mitchum Jr, S. Thompson III, in: Seismic Stratigraphy, Application to Hydrocarbon Exploration. AAPG. Mem. 26,1977).

Le résultat est la délimitation des "séquences sismiques", (ou séquences de dépôt, composées d'une succession relativement conforme de strates génétiquement liées), dont l'empilement constitue la coupe-profondeur enregistrée, et dont la structure et les rapports mutuels ouvrent la voie de la sismochronostratigraphie (catégorie II).

D. Stratigraphie moléculaire

Le diagramme (en chromatographie gazeuse) traduisant la composition en molécules organiques (phytane, teneurs en Cn) a permis de définir certains dépôts (lacustres pléistocènes), rebelles à d'autres méthodes de caractérisation ; l'analogie de ces diagrammes à distance a pu être utilisée comme un moyen de corrélation. Il s'agit d'une méthode marginale, et, en fait, à cheval sur les catégories I et II (ce sont en somme des "fossiles chimiques" que l'on fait parler).

II. STRATIGRAPHIES TEMPORELLES RELATIVES

Le temps est estimé (mais non encore mesuré), c'est son écoulement et la durée (mais non plus le laps de temps) qui sont pris en compte. Cette durée relative des phénomènes étudiés conduit à une zonation de l'échelle du temps, d'où le terme employé aussi de zonéostratigraphie. La chronostratigraphie relative qu'elle traduit est étalonnée : soit d'après des propriétés intrinsèques (par exemple le taux d'évolution des organismes, la logique des renversements magnétiques le jour où elle aura été élucidée), - soit d'après des données de la catégorie III (donc d'après des valeurs chiffrées).

Rappel : on a vu que, par certains aspects ou certaines de leurs applications, les méthodes de la catégorie I (Stratigraphies géométriques) estompaient ou franchissaient la limite formelle qui sépare I de II.

A. Biochronostratigraphie

Cette méthode correspond au concept habituel, le plus largement répandu, de "biostratigraphie", et même souvent de "stratigraphie" tout court, probablement parce que, historiquement et jusqu'à ces dernières décennies, elle a été pratiquement le seul instrument d'appréciation de l'écoulement du temps.

C'est du début du 19è siècle et à propos de travaux sur le Tertiaire (Cuvier 1810-1820, Deshayes 1830, Heinrich Georg Bronn 1831, Charles Lyell 1833) que datent les premiers pas vers une chronologie paléontologique, permettant de s'affranchir du seul critère lithologique (telles qu'étaient les dénominations Calcaire carbonifère, Argile oxfordienne, Craie, etc... d'ailleurs reconnues comme différenciables faunistiquement, mais sous l'angle du faciès). On a vu, dans le chapitre consacré à un historique, qu'après des précurseurs Alcide d'Orbigny vient à son heure (1842-1852) par l'introduction de la notion d'étage. Placée par lui en équivalence avec l'étage, la zone va être codifiée peu après ("épaisseur limitée de strates caractérisées par une espèce déterminée") par E. Hébert (1857) et par A. Oppel (1856-1858). L'année 1858 est aussi celle de la lancée de leur théorie de l'Evolution par Charles Darwin et par Alfred Russel Wallace. Et, alors qu'ils étaient nés en réalité dans un autre climat philosophique (catastrophisme, créations répétées), les concepts d'étage et de zone vont peu à peu (en réalité l'historique est bien plus complexe et beaucoup plus mouvementé) aboutir à celui d'étages composés de zones (les biochronozones), réglés dans leur succession par une évolution des espèces irréversiblement liée à l'écoulement du temps. (Voir par ex. Pierre Rat "Etude sur la zone et son emploi en stratigraphie". Comité Français de Stratigraphie, C.R. Séances Travail 18 mars 1972, Dijon).

A ce sujet d'ailleurs, et si l'on se reporte aux cases inférieures du tableau, on doit souligner que les deux principales méthodes faisant appel à un tel facteur continu et irréversible, sont fondamentalement différantes : la Biochronostratigraphie est basée sur des phénomènes évoluant à des vitesses différentes et utilise donc des repères espacés de manière inégale et quelconque, la Radiométrie repose sur des intervalles de durée constante et chiffrés.

La position privilégiée de la Biochronostratigraphie ne doit pas faire oublier son champ d'application relativement petit, eu égard à la langueur de l'histoire de la terre. Ceci est bien visible sur la figure ci-jointe. On peut le rendre sensible autrement : si l'on admet que l'existence présente de la terre correspond à la durée d'une année et a commencé un 1er janvier, (plus vieux minéral daté, une lépidolite du Transvaal, 3.650 MA, plus vieille roche datée, un gneiss du Groenland, 3.800 MA), le Primaire a alors commencé le 13 novembre, le Secondaire le 12 décembre, le Tertiaire le 25 décembre, le Quaternaire tout juste à 21 heures le soir du 31.

B. Magnétostratigraphie

Cette méthode repose sur l'observation d'un renversement à 180°, brusque et répété au cours des temps, de la polarité du champ magnétique. Cette observation est rendue possible par le fait que les minéraux ferromagnétiques enregistrent l'orientation et l'intensité du champ dans lequel la roche est née, et que, dans le cas des roches sédimentaires, les minéraux magnétiques détritiques acquièrent statistiquement une orientation conforme au champ du moment (en réalité le moment de la consolidation). Il en est de même s'il y a eu diagénèse, ce qui laisse entrevoir déjà un important facteur limitant de la méthode.

On enregistre donc une "anomalie", positive si ce magnétisme rémanent s'ajoute au magnétisme moyen actuel, négative s'il y a soustraction .

Trois dates essentielles marquent le développement de cette méthode: 1906, découverte du phénomène par la polarisation de laves du Sud de la France opposée au champ actuel (Bernard Brunhes), - 1910, des roches d'âge identique et de régions différentes possèdent cette polarité opposée (P. Mercanton), - 1960, des roches de même âge (K/Az) de par le globe ont la même polarité (M.G. Rutten), - 1961-1963, découverte des linéaments océaniques et développement de l'hypothèse de l'écartement des rides médianes (R.G. Mason et A.D. Raff, H.M. Hess, Frederick Vine et D.H. Matthews). Et le fait essentiel a été de pouvoir mettre en relation les anomalies océaniques (linéaments), les anomalies en forage, et les anomalies mises en évidence au long de profils en affleurement.

On conçoit l'importance de cette méthode si l'on prend en considération le fait que la mise en évidence des anomalies peut être effectuée en étroite liaison avec une détermination biostratigraphique (et bien entendu aussi radiométrique) de l'âge des couches, en forage océanique comme en affleurement, et ceci quel que soit le faciès, du marin au continental. Les travaux intenses des dernières années ont permis de construire ainsi une échelle, au long de laquelle, non pas une anomalie isolée, mais une association de quelques-unes fournit au stratigraphe un moyen de repérage relatif (et de datation après étalonnage) d'une certaine précision (voir par ex. M.W. Mc Elhinny - The Magnetic Polarity Time Scale ; Prospects and Possibilities in Magnetostratigraphy. In: Contribution to the Geologic Time Scale. AAPG. Stud. in Geol. No 6,1978).

Remarque : seuls les renversements de polarité ont été pris en considération pour constituer l'ossature de la méthode magnétostratigraphique. On peut concevoir que le paléomagnétisme lui aussi (prétendue migration des pôles) puisse devenir une méthode, sinon de datation relative, du moins de repérage : en effet dans la migration des continents (déplacements relatifs les uns par rapport aux autres, absolus par rapport à l'axe des pôles), on peut considérer que le moment où s'est produit un déplacement donné pourrait être daté par l'âge des deux formations encadrantes, et qu'ainsi pourrait être daté un des points de cheminement du pôle. On estime que l'incertitude des mesures rend le pouvoir de résolution faible, ne permettant de distinguer au mieux que deux systèmes, rarement deux étages.

C.Sismochronostratigraphie

Cette méthode correspond à une exploitation des résultats de la sismostratigraphie. En effet, si d'une part, on a pu dater (par des forages), les surfaces de strates au sein des séquences sismiques et la fourchette d'âge correspondant aux surfaces de discontinuité qui séparent les séquences, et si, d'autre part, l'interprétation sismo-stratigraphique (changement latéral des caractères des réflexions) aidée de forages, a permis, dans chaque séquence, de connaître les déplacements de la limite entre faciès côtiers et marins francs au cours du temps, on va pouvoir, par des artifices graphiques, tracer une courbe relatant les variations du niveau de la mer au cours du temps. L'expérience acquise par les inventeurs de cette méthode (voir référence à propos de la Sismostratigraphie I.C) montre :

On obtient ainsi une courbe de référence qui a valeur d'échelle zonale ; elle a l'avantage d'être aussi ancrée sur l'échelle des âges mesurés.

L'importance de cette méthode vient de ce qu'elle permet de pouvoir étendre aux bassins cachés à nos yeux les grands phénomènes diastrophiques connus dans les séries affleurantes. Ses limites semblent résider dans le respect d'un équilibre entre la finesse de la zonation que l'on recherche et la généralisation (régionale, mondiale) qu'on voudrait lui donner, faute de quoi le risque est un retour malin à un uniformitarianisme ou à ce que l'on a désigné, en tectonique, par le mot de cylindrisme.

D. Climatochronostratigraphie

La méthode est basée sur le fait que la différence entre la valeur du rapport des isotopes 180/160 pour l'eau et la valeur du même rapport pour le carbonate de calcium de la coquille d'un organisme, déposé dans des conditions d'équilibre isotopique, varie avec la température, elle diminue si cette dernière augmente ; autrement dit : le carbonate déposé est enrichi en 180 par rapport à l'eau (la vitesse d'échange des isotopes lors de la réaction chimique est différente à cause de leur différence de masse, d'où le terme souvent utilisé de "fractionnement" isotopique pour désigner la méthode), et il l'est moins si la température croît.

On peut ainsi tracer, avec le temps, une courbe de "paléoclimatologie isotopique" (H.C. Urey, en 1947, a été l'initiateur de la méthode ; la preuve expérimentale a été apportée par J.M. Mc Crea en 1950 ; travaux de C. Emiliani, dès 1954). La courbe en elle-même est certes un élément de stratigraphie géométrique ; mais l'expérience a prouvé que la réponse à une variation climatique en milieu marin est rapide ou même quasi synchrone ; il en résulte que ces courbes de variation de la composition isotopique se sont révélées être de bons outils de corrélation chronostratigraphique. Le point de départ a été une zonation du Pléistocène et du Quaternaire (1è courbe par Emiliani, 1966), établie d'après les stades glaciaires ; l'échelle zonale a ensuite été peu à peu étendue vers des temps plus anciens ; les forages océaniques ont permis des progrès considérables du fait des conditions favorables offertes par eux (épaisseurs grandes, vastes domaines, sédimentation souvent continue, taux de sédimentation souvent bien connu, oscillations parasites réduites par le rôle amortisseur de la masse océanique).

Sur la plan operatoire, il faut préciser que ces paléotempératures sont mesurées en comparant l'abondance isotopique de l'échantillon à un échantillon standard ou étalon de référence conventionnel, car il est plus aisé de mesurer des variations de composition que la valeur absolue des rapports 180/160 ; une formule expérimentale relie la température aux compositions isotopiques. Les facteurs limitants (c'est-à-dire les précautions à prendre) sont nombreux : facteurs autres que thermiques agissant sur les compositions isotopiques soit de l'eau soit du carbonate, existence aussi d'un fractionnement d'origine biologique, effets de la dissolution (qui enrichit un assemblage en espèces d'eaux plus profondes, donc plus froides), de la diagénèse, de la bioturbation, comportement variable des espèces vis à vis des conditions d'équilibre isotopique...

Remarque : en général on utilise conjointement la composition isotopique 13C/12C, qui est un marqueur géochimique des masses d'eaux océaniques (trajet, taux de productivité), et qui a l'avantage de varier très peu avec la température.

E. Chronostratigraphie par horizons marqueurs

Les événements répétitifs, discontinus, courts en principe (mais ceci est bien entendu relatif), d'une identité tranchée, d'aussi grande extension que possible, peuvent constituer des éléments de datation relative et de corrélation (marqueurs, horizons-repères), matérialisant des instants épars dans la trame de l'écoulement général du temps.

Les exemples sont nombreux : certaines traces de lacunes, d'érosions ou de discontinuités sédimentaires. horizons liés à un changement eustatique du niveau de la mer (voir sismochronostratigraphie), crises sédimentaires, varves et sédiments saisonniers, horizons de tillites, pluies de cendres, tectites, crises d'ordre biologique (extinctions)...

On voit que ce sont souvent de véritables formations, mais d'épaisseur infime, et instantanées ou quasi instantanées ; et par là un rien, mais il est fondamental, les sépare des éléments de la Stratigraphie géométrique. Ils sont à l'opposé de ce que l'on observe par exemple dans le cas des séquences turbides, dont les termes lithologiques, pour lesquels le lien avec l'écoulement du temps saute aux yeux, peuvent être interprétés comme une suite ininterrompue d'horizons qui seraient, non plus épars, mais jointifs. D'ailleurs on pourrait aller jusqu'à penser que certains de ces marqueurs (une bentonite ou un tonstein par exemple, une tillite) doivent leur isolement au fait que l'on ne saisit pas bien leur place réelle dans un contexte évolutif. Il est symptomatique qu'on les qualifie parfois de "grands tournants" de l'histoire géologique : ainsi en est-il, par exemple, du "relai" des fers zonés par les grès rouges lors de l'entrée en jeu de l'oxygène dans l'atmosphère primitive.

F. Chronostratigraphie solaire

Pour désigner cette méthode encore très marginale, le mot strate devrait à vrai dire disparaître, car elle repose directement sur les manifestations climatiques (elle est, à ce titre, plutôt un appendice de la climatostratigraphie). En outre, selon l'esprit des auteurs (J.B. Waterhouse, G. Bonham-Carter 1975-1979), on pourrait la qualifier de chronologie, car elle tente de donner une mesure de l'échelonnement des phénomènes observés : jusqu'au Crétacé inférieur, et peut-être au-delà (le tableau de ces auteurs va jusqu'au Silurien), il semble que l'on puisse trouver une périodicité de 30 MA environ pour des épisodes climatiques froids majeurs (parfois accompagnés de glaciation), qui refléteraient une variation de phénomènes d'origine solaire (budget énergétique ?).

III. STRATIGRAPHIES TEMPORELLES MESUREES

On peut dire aussi chronométriques ; un usage impropre est celui du terme "absolu" pour désigner ces âges "mesurés" par diverses méthodes. Ici le temps est évalué et mesuré, et non plus estimé de manière relative, et on fait abstraction de la strate, sous l'angle de sa nature et de son épaisseur. Les éléments qui ressortissent à la Stratigraphie géométrique (échantillon de mesure, courbe enregistrée, diagramme de croissance) ne sont là que comme supports du temps, leur rôle essentiel est de donner accès directement a la mesure du temps (plus exactement de son écoulement). Ces méthodes conduisent à l'élaboration d'une échelle en milliers (KA), millions (MA) ou milliards (GA) d'années, évidemment unique (de là probablement l'emploi de l'adjectif "absolu"). Ce sont littéralement des montres chronométriques physiques ou biologiques.

A. Chronologie radiométrique

C'est de loin la plus connue et utilisée dans la mesure du temps ou de l'âge d'un échantillon. Le principe de base est la désintégration atomique, selon laquelle un élément radioactif instable se désintègre spontanément (ou artificiellement d'ailleurs), par modification protonique ou neutronique, en un élément (plus) stable, avec émission de particules alpha (hélions), bêta (électrons), gamma (photons, énergie). Une loi exponentielle relie le nombre d'atomes initial, le temps écoulé et le nombre d'atomes au temps t. (Voir par ex. "Contributions to the Geologic Time Scale" AAPG Studies in Geology No 6, 1978).

La méthode a longtemps été basée sur l'Hélium, mais elle avait à faire face à des difficultés gênantes (risques de diffusion gazeuse), et les couples potassium-argon, rubidium-strontium, carbone 14-azote 14 ont pris le relai à la fin des années 40 et dans les années 50. Pour être plus complet on peut ajouter à cette liste : uranium-thorium-plomb, ionium-radium, isotopes du thorium, isotopes de l'argon, lutetium-hafnium, etc ;

Chacun trouve son application dans une certaine tranche d'âges, leur ensemble constitue ainsi un éventail qui permet de recouvrir tous les temps géologiques.

Les facteurs limitant découlent essentiellement de la nécessité qu'il y a à ce que le système ait été clos, il ne doit donc y avoir eu ni apport (recristallisations et néoformations, fractionnements biologiques, diagénèses des fossiles, contamination par l'argon atmosphérique, etc..) ni perte (diffusion gazeuse, intercalation de composés solubles, concentration dans des inclusions, remaniements, etc.). Matériaux les plus utilisés : muscovite, biotite, feldspaths potassiques, amphibole, pyroxènes ; ainsi que uraninite, zircon, monazite, pechblende ; restes fossiles pour le carbone 14 ; glauconie des roches sédimentaires. La marge d'erreur généralement admise est grosso modo de l'ordre de 3 %, soit moins d'une biozone au Miocène, à un étage au niveau de l'Ordovicien.

On peut ajouter que les "horizons marqueurs" (voir II.E) susceptibles de contenir des minéraux ou des radio-éléments adéquats sont particulièrement recherchés, par exemple : les cendres (et tonsteins en milieu phytogène), les tectites, les glauconies.

B. Chronologie par thermoluminescence

Cette méthode utilise la propriété qu'ont certains minéraux (feldspaths en particulier), les roches métamorphiques et les carbonates (grâce aux minéraux contenus) d'émettre de la lumière lorsqu'ils sont portés à une température inférieure à l'incandescence. Cette énergie lumineuse provient d'une énergie stockée dans le réseau cristallin sous forme d'électrons préalablement déplacés de leur niveau normal. La datation utilise le fait que l'accumulation de tels électrons méta-stables dépend de la durée et du taux d'irradiation.

La lumière n'est émise qu'une fois, mais l'échantillon devenu inerte peut être réactivé. La propriété luminescente peut être en effet acquise par bombardement alpha ; cette particularité permet, par un étalonnage, de comparer l'échantillon source de l'énergie lumineuse à mesurer, à un autre échantillon doté d'une énergie lumineuse connue.

La source naturelle, qui déplace les électrons et accumule cette énergie potentielle, réside dans les éléments radioactifs contenus dans le minéral ou le carbonate.

Cette propriété est connue depuis longtemps (Boyle, 1663), sa mesure a été effectuée dès 1902 (Pierce) et la théorie date de 1916 (Meyer et Przibram). Longtemps le phénomène n'a été (et n'a pu être) utilisé que pour différencier des carbonates ; elle a donc été une méthode (géométrique) de corrélation. L'apparition des phototubes amplificateurs a permis de transformer l'énergie lumineuse en courant électrique (Université du Wisconsin, 1948) et l'utilisation pour une mesure du temps est devenue envisageable.

Dans cette méthode l'histoire géologique de l'échantillon est particulièrement importante à connaître (existence d'un phénomène de saturation, augmentation sous l'effet de la pression, recristallisation, dynamométamorphisme, ...).

C. Sclérochronologie

Ou : méthode chronométrique par utilisation de stries de croissance d'organismes vivants. Il est bien connu qu'un décompte des traces annuelles de croissance dans le tronc d'un arbre permet d'évaluer sa durée de vie et son âge. La méthode a été développée sur un plan beaucoup plus général (l'ensemble des temps géologique) en utilisant la périodicité de croissance chez des Coraux et chez certains Lamellibranches. Le phénomène bien entendu ne donne pas une date ; il faut, pour cela, l'étalonner d'après une référence connue : cela peut être une année de forte sécheresse par exemple pour un arbre, ou encore une explosion atomique ; dans le cas des Coraux, c'est la loi (déduite de considérations astronomiques sur la diminution de la période de rotation) de diminution linéaire du nombre de jours par an depuis le Cambrien (424 jours).

Cette méthode a été critiquée ; toutefois l'interprétation des rides sous la forme de cycles journaliers, de marée, lunaires, annuels trouve un appui certain dans l'expérimentation sur des organismes vivants, qui met bien en évidence des manifestations et des dénombrements comparables. Les études effectuées sur des fossiles d'âges les plus divers ont même, en retour, suggéré que le taux de décélération, affectant la rotation de la terre autour de son axe, n'aurait pas été constant, la loi citée ci-dessus se traduirait non par une droite, mais par une courbe légèrement plus complexe.

D. Aminochronologie

Découverts dans les fossiles par Abelson (1954), les acides aminés organiques, lévogyres, subissent le phénomène de racémisation (isoleucine-alloisoleucine, proline et hydroxyproline, thrionine, serine, alevine, vanine, acide aspartique), comme cela peut être expérimentalement constaté dans une carotte de sédiment récent. Le taux de racémisation, qui livrera le temps écoulé, est par ailleurs fonction de la température, si bien que l'on doit opérer sur des sédiments qui ont été maintenus à une température relativement constante. Les acides aminés les plus utilisés sont ceux dont la racémisation suit une loi linéaire ; on choisit par ailleurs ceux qui ont une durée de vie assez longue pour que le taux soit assez lent pour permettre de travailler sur une tranche de temps aussi longue que possible (l'acide aspartique permet d'aller au-delà de la limite d'emploi du C14, à savoir environ 40.000 ans) .

E. Chronologie par énergie interne

Méthode très marginale cherchant (Ramazade et Rostomjan, 1958) a évaluer la diminution (apparemment exponentielle) de l'énergie interne (mesurée à la bombe Berthelot) avec le temps, pour dater des sédiments pétrolifères d'Apchéron.

F. Chronologie par traces de fission

Avec certains minéraux (zircon, apatite, sphène), des cendres rhyolitiques, des obsidiennes, bref des matériaux riches en uranium, la fission spontanée de ce dernier produit des traces que l'on révèle par diverses méthodes ; on en évalue la densité au scanning. La formulation se fait par référence à un échantillon irradié par une dose connue de neutrons dans un réacteur nucléaire.

G. Chronologie par auréole de pléochroisme

Ces auréoles résultent de la dégradation du réseau du zircon sous l'effet de rayons alpha venant de l'uranium ou du thorium ; l'opacité de l'auréole est liée au temps d'action des rayons. Une confrontation doit être faite avec des échantillons d'âge connu.

H. Chronologie par résonnance de spin électronique

Cette méthode met à profit la proportionalité qui existe entre la quantité des électrons piégés dans la structure cristalline de certains minéraux (quartz, calcite, apatite...) et la dose des rayonnements ionisants reçus par le minéral depuis sa formation. Une application spectaculaire récente de cette méthode a été une estimation de l'âge des planchers stalagmitiques de la Caune de l'Arago et, par là, de l'ancienneté (entre 5 et 700.000 ans) de l'homme de Tautavel.

5. BILAN

D'après les principes de base rapidement brossés dans les pages qui précèdent, on voit que le faisceau de méthodes qui constitue la Stratigraphie fait appel aux données du monde organique comme à celles du monde inorganique. Il en résulte une certaine disparité dans les échelles de zones de divers types et c'est une des tâches importantes des stratigraphes que de chercher à toujours mieux assurer les équivalences entre elles.

On a vu qu'un autre aspect des efforts des stratigraphes se rapportait à la meilleure connaissance possible, d'une part d'une échelle d' étages de référence, née historiquement en Europe occidentale, d'autre part d'échelles régionales, et à leur corrélation, de manière à pouvoir disposer d'un langage commun dans la quête d'une compréhension globale de l'histoire de la terre, tellement d'actualité de nos jours.

Le bilan présent de ces travaux est à coup sûr positif ; demeurent bien entendu des points encore en discussion ou des incertitudes, mais les uns comme les autres sont de plus en plus étroitement circonscrits, et cela n'empêche pas qu'un réseau dense de données ponctuelles ou d'échelles zonales est dès à présent disponible dans les divers domaines : marins, continentaux, latitudinaux, etc..

La diversité à la fois des points d'intervention de la Stratigraphie et des techniques mises en oeuvre, permet de comprendre la position privilégiée de cette discipline de la Géologie ; et aussi qu'elle soit parfois méconnue à cause de cette disparité de touche-à-tout et de son perpétuel va-et-vient entre les incertitudes et avatars des phénomènes naturels réels et les inévitables exceptions aux lois que l'on a cru y déceler. Il n'en demeure pas moins que, sous l'angle on particulier de la corrélation des faciès et des équivalences d'âge, elle est le point de passage obligé pour que les faits que l'on compare soient effectivement au mieux comparables et les reconstitutions auxquelles on aboutit au mieux cohérentes.


Importances relatives des ères azoïques et des ères paléontologiques (d'après R.C. Moore)
En gros, 2500 familles d'êtres vivants sont fossiles avec une moyenne de vie de 75 millions d'années. Un tiers d'entre elles ont laissé des familles évolutives. Les nouvelles formes sont apparues plus vite que ne disparaissent les anciennes. Le nombre de familles n'a donc pas cessé d'augmenter. Les principes époques d'extinction de masse sont les fins du Cambrien (2/3 des Trilobites), de l'Ordovicien, du Dévonien, du Permien (75 % des Amphibiens, 80 % des Reptiles), du Trias, du Crétacé (25 % de toutes les familles).


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