TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.II (1988)

Jean GAUDANT Analyse d'ouvrage
H. SCHWARZBACH : "Wegener, le Père de la Dérive des Continents" traduit de l'allemand par E. BUFFETAUT (Belin, Paris, 1985, 144p., 75F).

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 30 novembre 1988)

La naissance, il y a quelques années, aux éditions Belin, de la nouvelle collection "Un savant, une époque", mérite d'être saluée avec intérêt par tous les amateurs d'histoire des sciences. Parmi les premiers titres proposés figure un "Wegener, père de la dérive des continents", dû à la plume de l'éminent géologue allemand Martin Schwarzbach, excellemment traduit en français par Eric Buffetaut.

Dans ce livre sont évoquées de façon détaillée les diverses facettes de la personnalité d'Alfred Wegener (1880-1930), ce météorologue de haut niveau qui entreprit de révolutionner les sciences de la terre. Un homme de science qui avait aussi le goût du risque, comme en témoignent son record mondial de vol en ballon et ses quatre expéditions au Groenland où il devait du reste trouver la mort à l'Âge de cinquante ans.

Nous, géologues, avons souvent tendance à sous-estimer l'oeuvre de météorologue de Wegener en raison du retentissement considérable qu'eut sur notre vision du monde la parution de la célèbre "Genèse des continents et des océans" dont la première traduction française date de 1924. Le petit livre de Martin Schwarzbach a le mérite de montrer qu'au contraire, la recherche météorologique a occupé une place fondamentale dans la vie d'Alfred Wegener, qui se fit connaître par sa "Thermodynamique de l'atmosphère" (1911), deux fois réimprimée, et qui lui valut les éloges de plusieurs météorologues de renom.

Son attrait pour la météorologie polaire conduisit en outre Wegener à participer à deux grandes expéditions au Groenland, avant d'organiser celle de 1930 qui, par certains côtés - notamment l'utilisation de traineaux à hélice -, préfigurait déjà les opérations scientifiques modernes.

D'autre part, l'auteur ne manque pas de souligner l'influence bénéfique qu'exerça sur Alfred Wegener son beau-père, Wladimir Köppen, météorologue comme lui, avec qui il écrivit "Les climats du passé géologique" (1924), ouvrage dans lequel, à la lumière de sa théorie de la dérive continentale, il proposa une interprétation stimulante de l'évolution climatique de notre planète.

Martin Schwarzbach expose ensuite les vicissitudes de la théorie de la dérive continentale qui, en dépit d'un grand succès de librairie, ne réussit pas à s'imposer en Allemagne et fut rejetée par les géologues américains lors du symposium organisé à New-York par l'American Association of Petroleum Geologists en novembre 1926. Ainsi, seul ou presque, le Sud-Africain A. Du Toit resta fidèle à Wegener, à la mémoire de qui il dédia son ouvrage "Our wandering continents" (1937). En réalité, comme le souligne l'auteur, outre certaines erreurs, concernant notamment les preuves géodesiques de l'accroissement de la distance séparant le Groenland de l'Ecosse, il manqua surtout à Wegener d'avoir su découvrir la cause primordiale des déplacements continentaux. Or, dès 1906, le géologue autrichien Otto Ampferer avait imaginé l'existence de courants sous-jacents à la croûte continentale, avant d'affirmer en 1926 que la participation de ces courants aux déplacements continentaux est obligatoire. On peut regretter, avec Martin Schwarzbach, que Wegener et Ampferer n'aient pas collaboré car une telle coopération eut probablement contribué à faire disparaître la faiblesse majeure de la théorie wegenérienne.

En résumé, le livre de Martin Schwarzbach, extrêmement agréable à lire • certains chapitres ont le parfum enivrant des livres d'aventure - et fort bien illustré, est digne de figurer dans la bibliothèque de tout géologue et de tout historien des sciences. A travers le portrait de l'un des scientifiques les plus inventifs de ce siècle, il permet de mieux comprendre comment et pourquoi le monde scientifique a mis un demi-siècle à accepter - en le rénovant - un modèle historique dont il était déraisonnable de se priver durablement.

On lira enfin avec intérêt l'annexe consacrée par le traducteur à l'accueil principalement négatif réservé par les scientifiques français à la théorie de Wegener.