Pierre Joseph Jules BERGERON (1853-1919)

Ingénieur des Arts et Manufactures. Docteur es sciences.
Professeur de minéralogie et de géologie à l'Ecole Centrale (1892-1912 et 1915-1919). Collaborateur principal au service de la Carte géologique de la France. Chevalier de la Légion d'honneur.


NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR JULES BERGERON

Mémoires de la Société des Ingénieurs Civils de France, juillet-sept 1919.

Jules Bergeron naquit le 5 mai 1853, à Paris. Par son père, le docteur Jules Bergeron, secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, lui-même fils de médecin, il avait un atavisme scientifique ; par sa mère, née Le Roy-Dufour, il descendait d'une souche d'industriels lyonnais.

Ces deux tournures d'esprit devaient se retrouver en Jules Bergeron pour en faire un savant toujours curieux des applications de la science à l'industrie, mais qui gardait en pareille matière l'indépendance et le désintéressement absolus du véritable homme de science.

Cette utilisation pratique des connaissances théoriques forme le thème du discours prononcé par lui le 7 janvier 1910, lors de son élection à la Présidence de la Société des Ingénieurs civils de France.

« Je vous demanderai la permission, — disait-il, — tout en vous montrant les services que la Géologie a rendus à l'Industrie Française, de vous dire quels sont les principes fournis par la science pure sur lesquels nous nous appuyons et comment nous en tirons parti.

Et plus loin il se réjouit encore d'avoir pu « montrer quels services la Géologie peut rendre à l'Industrie et comment les progrès de la Géologie théorique peuvent profiter à la Géologie appliquée ».

Après une forte éducation littéraire, puis scientifique, il entrait, à l'âge de vingt ans, à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures pour en sortir, en 1876, avec le titre d'Ingénieur des Arts et Manufactures et le diplôme de métallurgiste.

Dès cette époque, la géologie l'attirait et, moins de deux ans après sa sortie de l'Ecole Centrale, il devenait Préparateur de Géologie à la Faculté des Sciences de Paris.

En 1884, il entrait comme collaborateur adjoint au Service de la Carte géologique détaillée de la France, dont il devait devenir collaborateur principal en 1891. La région qui lui était dévolue comme champ d'action comprenait la fameuse Montagne Noire, massif accidenté situé aux confins des départements de l'Aveyron, du Tarn, de l'Hérault et de l'Aude. Les études relatives à la Montagne Noire ont constitué la partie la plus importante des travaux de Jules Bergeron. Il devait y consacrer une longue série d'années d'études sur place, complétées par des voyages dans les contrées d'Europe présentant des analogies géologiques, en Espagne, en Bohême, en Saxe, dans le Hartz, dans le Palatinat, en Bretagne, en Roumanie. Les comptes rendus de ses longues et minutieuses recherches, de ses déductions ingénieuses et originales, ont fait l'objet d'une centaine de publications, notes ou communications diverses ; leur résultat a été d'établir la tectonique de cette région si bouleversée par les cataclysmes terrestres et qui n'avait pas été déchiffrée jusque-là.

Il a montré comment la région de la Montagne Noire a été recouverte par la mer jusqu'au début du Carbonifère, pour se former par plissement à l'époque du soulèvement du Massif Central dont elle fait partie. Des poussées déterminèrent ensuite une nappe qui, venant du Sud-Est, recouvrit en partie le flanc méridional nouvellement formé de la Montagne Noire. En progressant, cette nappe se déchira et ses lambeaux se chevauchèrent les uns les autres. Ultérieurement, des roches éruptives traversèrent les plis des couches primitives ainsi que les nappes de recouvrement, tandis que des dépôts carbonifères se formaient dans les dépressions d'effondrement. Enfin, des érosions sont venues modifier profondément la surface de cette région déjà si tourmentée en faisant disparaître, en de nombreux points, une très grande épaisseur de couches.

Cette histoire géologique de la Montagne Noire a pu être établie par Jules Bergeron, grâce à de puissantes déductions tirées de l'étude du terrain et de comparaisons avec des terrains analogues. Elle a démontré, — ce qui n'avait pas encore été reconnu jusqu'alors, — que, dans ce massif, se rencontrait la succession complète des terrains depuis les plus anciens, théorie qui a été confirmée par la découverte, en un point indiqué d'avance par lui, de certains fossiles (Paradoxides rugulosus) de la faune primordiale. Cette perspicacité, très remarquée à cette époque, ne fut pas sans éveiller de nombreuses controverses avec des savants français et étrangers.

Voici en quels termes élogieux M. Hébert signalait à l'Académie des Sciences la découverte, faite par Jules Bergeron, de la faune primordiale en France :

« J'appelle toute l'attention de l'Académie sur la découverte que M. Bergeron vient de faire, dans la Montagne Noire, de la faune dite primordiale. C'est un des faits les plus intéressants, pour la géologie de la France, qui aient été signalés depuis longtemps.

« ... Depuis quatre ans, M. Bergeron étudiait d'une manière approfondie les terrains de la Montagne Noire, dont il a contribué à mieux faire connaître la constitution ; il soupçonnait qu'il pourrait rencontrer la faune primordiale dans les assises inférieures et dirigeait souvent ses recherches de ce côté. Mais ce n'est que dans sa dernière campagne qu'il rapporte des fragments de roches dans lesquelles, tout récemment, il a reconnu, avec le concours de notre habile paléontologiste M. Munier Chalmas, des indices de Paradoxides et de Conocoryphe.

« Impatient de vérifier, d'après de meilleurs exemplaires, l'exactitude de sa découverte, M. Bergeron, malgré la mauvaise saison, n'a pas hésité à se rendre immédiatement dans la Montagne Noire et à exploiter plus en grand le gisement que lui avait procuré ces premiers indices. Après quatre jours de travail, le plus souvent sous une pluie battante, les fouilles mirent à découvert de magnifiques exemplaires de Conocoryphe d'une taille exceptionnelle, de Paradoxides, etc., dont j'ai l'honneur de présenter des spécimens à l'Académie.

« Ce sont les premiers Trilobites français de la faune primordiale.

« ... Le succès obtenu par M. Bergeron confirme, d'une façon éclatante, la manière de voir qu'il avait exprimée. C'est bien dans les couches que ses études stratigraphiques lui faisaient considérer comme les plus anciennes que la faune primordiale s'est rencontrée. Les découvertes importantes sont souvent dues au hasard : celle-ci est due à la sagacité de l'observateur. »

(Séance de l'Académie des Sciences, du 30 janvier 1888).

Ces divers travaux avaient attiré l'attention sur Jules Bergeron et lui avaient valu, en 1888, le prix Vaillant, décerné par l'Académie des Sciences, et en 1890, le prix Viquesnel, délivré par la Société Géologique de France. La même année, il était chargé par MM. Hébert et Munier-Chalmas, ses maîtres, de faire des conférences sur la géologie aux candidats à l'agrégation des Sciences naturelles. En 1892, il est nommé pour la première fois vice-président de la Société Géologique de France ; enfin, en 1893, il est chargé du cours de Minéralogie et de Géologie à l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris. Il entrait ainsi dans l'enseignement et se donnait immédiatement corps et âme à cette nouvelle tâche, dans laquelle il devait apporter un zèle et une foi d'apôtre.

Sa longue carrière de professeur ne s'interrompit que par la mort, après avoir duré un quart de siècle. Très aimé de ses élèves, qui appréciaient sa mansuétude et sa bienveillance à leur égard, il apportait à son enseignement toute son ardeur avec le souci constant de le tenir au courant, chaque année, des dernières nouveautés de la science géologique et de ses applications pratiques. Cette recherche incessante du perfectionnement lui donnant un surcroît de travail ne lui permit malheureusement pas la publication de l'ouvrage didactique attendu par ses élèves et qu'il préparait de longue date.

Pour rendre son enseignement plus vivant et pour intéresser davantage ses élèves, il avait coutume d'organiser chaque année des excursions géologiques, véritables leçons de choses destinées à rendre plus attrayantes les explications théoriques données à l'amphithéâtre.

Très accueillant pour les jeunes ingénieurs qui avaient été ses auditeurs, il les recevait volontiers à leur sortie de l'Ecole, leur donnait des conseils pour la recherche d'une situation et les introduisait auprès des dirigeants des Sociétés industrielles. Si, au cours de leur carrière, ses anciens élèves avaient recours à lui pour résoudre un problème géologique, ils trouvaient encore un guide éclairé, toujours prêt à prodiguer ses conseils et à faire profiter les autres de son expérience.

C'est ainsi qu'il eut des occasions de plus en plus nombreuses de montrer de quelle façon on peut utiliser, dans la pratique, les théories de la science géologique et de quelle importance est, pour les ingénieurs, la connaissance de ses théories. Non content de l'enseigner, il fît dans ce sens des communications à la Société Géologique, comme à la Société des Ingénieurs civils, communications relatives aux bassins houillers, à des questions d'hydrologie et aux séismes. Ce rôle d'ingénieur conseil fut particulièrement important en ce qui concerne les études de terrains houillers.

Celles-ci portèrent tout d'abord sur les bassins de Decazeville et de Carmaux, qu'il étudia dès 1887 ; sur ceux de Bretagne et de Vendée, sur ceux de Ronchamp, près de Belfort, et de Sarrebruck, pour se terminer par l'étude générale des chenaux houillers du Massif Central et par l'examen des probabilités d'extension des différents bassins houillers de la France.

Dans une note publiée en 1896 dans les Mémoires de la Société des Ingénieurs Civils de France, il montrait comment ces divers gisements sont alignés le long d'un petit nombre de dépressions correspondant aux plis de l'écorce terrestre formés dans la région du Massif Central. Partant du principe de la continuité de ces plis, il émit l'hypothèse que certains bassins houillers devaient se prolonger en dehors des régions où on les connaissait et que, notamment, les plis de la région orientale du Massif Central pouvaient se prolonger vers le Nord-Est, sous la vallée du Rhône et de la Saône. Cette hypothèse a été pleinement vérifiée par des sondages exécutés sur la rive gauche du Rhône dans le prolongement du bassin de Saint-Etienne et par d'autres sondages entrepris entre Ronchamp et Lure, dans le prolongement de la dépression du Creusot-Blanzy par Dôle.

Dans ce même mémoire de 1896, il indiquait également qu'il était probable que le bassin de Sarrebruck devait se prolonger jusqu'en Lorraine française. Cinq ans plus tard, reprenant cette étude avec Marcel Bertrand, sur la demande d'industriels de l'Est, il concluait avec plus de force au prolongement des gisements houillers de Sarrebruck vers le Sud-Ouest. Les résultats obtenus par la campagne de sondages entreprise alors sont venus confirmer la justesse des hypothèses émises, en 1896, par Jules Bergeron.

Sa notoriété comme savant et comme ingénieur s'affirmait et il recueillait de nouvelles distinctions honorifiques avec de nouvelles charges.

En 1897, il est nommé Directeur adjoint du Laboratoire de Géologie de la Faculté des Sciences de Paris; en 1898, Président de la Société Géologique de France ; en 1900, Membre du Jury international des récompenses à l'Exposition universelle de 1900; en 1908 et en 1910, il reçoit un grand prix à l'Exposition franco-britannique de Londres et à l'Exposition universelle de Bruxelles. Enfin, la Société des Ingénieurs Civils de France l'appelle successivement au Comité en 1904 et 1906, à la présidence de la section des Mines et Métallurgies en 1907, à la vice-présidence de la Société en 1909 et à la présidence en 1910.

Dans ces deux dernières fonctions, son rôle fut marqué par une très grande activité et par un dévouement exceptionnel aux intérêts de la Société. Il prit une part importante à l'organisation d'excursions à Nancy et dans le bassin métallurgique de l'Est, au Creusot et à Chalon-sur-Saône, dans la vallée de la Loire, de Briare à Nantes et à Saint-Nazaire.

Il s'employa aussi à augmenter le nombre des conférences faites devant la Société par des spécialistes, dans le but d'y faire connaître tout ce qui se rattache aux domaines de la science et de l'industrie.

Pendant la dernière partie de sa vie, Jules Bergeron ajouta à ses nombreuses occupations l'étude des questions de sociologie et d'hygiène publique. L'Association Générale des Hygiénistes et Techniciens municipaux le compta parmi ses membres depuis sa fondation, en 1905, et l'appela finalement à la vice-présidence, en 1917.

Il apporta à cette œuvre une foi patriotique et contribua, pour une large part, au succès des séances parisiennes de l'Association et à celui de l'Exposition de la Cité reconstituée en 1916. Il était un des vice-présidents du jury de concours des plans de reconstruction des villes et villages détruits, spécialement de celui de la ville de Reims.

Prématurément usé par un labeur opiniâtre et par les préoccupations que lui causa la guerre (il avait vu partir ses quatre fils au front pour y totaliser douze citations), Jules Bergeron fut enlevé subitement, le 27 mai 1919, à l'âge de 66 ans, à l'affection des siens, aux travaux et aux œuvres qui l'intéressaient et auxquelles il apporta jusqu'au dernier jour un dévouement inlassable (Ligue contre l'alcoolisme, Œuvre des sanatoriums maritimes, etc.), laissant à tous ceux qui l'ont connu le souvenir d'une grande bonté, d'une conscience très droite et d'un désintéressement absolu.


Allocution du Président de la Société des Ingénieurs Civils
A LA SÉANCE DU 30 MAI 1919
Présidence de M. HERDNER, Président

M. le Président a le regret de faire connaître le décès de M. Jules Bergeron, ancien Président, décédé subitement, le 27 mai.

Sorti de l'Ecole centrale en 1876, peu après docteur ès-sciences, il fut d'abord nommé sous-directeur du laboratoire de géologie de la Sorbonne. Plus tard, il devint maître de Conférences à la Faculté des sciences et collabora à la carte géologique détaillée de la France. De 1893 à 1910, il occupa avec distinction la chaire de minéralogie et de géologie appliquée à l'Ecole centrale.

On doit à M. J. Bergeron de nombreux travaux de géologie. Il faut citer, entre autres, son mémoire de 1896 sur l'extension possible de différents bassins houillers et plus particulièrement de celui de la Sarre. Ces études contribuèrent grandement à la découverte du prolongement de ce gisement dans la Lorraine française.

Il avait également fait de la région du Rouergue et de la Montagne Noire des descriptions très complètes et très détaillées qui ont permis de mieux connaître ces curieuses régions.

En dehors des travaux présentés à notre Société, il avait fait récemment, au Congrès général du Génie Civil, un rapport très remarqué sur les recherches de la houille en France.

En dernier lieu, après la mort de M. de Romeu, qui lui avait succédé dans sa chaire de géologie et qui fut tué à l'ennemi, notre ancien Président avait repris son enseignement à l'Ecole centrale et s'était ainsi imposé de 1915 à 1917, à un âge où il avait espéré pouvoir jouir d'un repos bien mérité, une lourde tâche qui a certainement contribué à avancer sa fin.

Membre de notre Société depuis 1880, il appartint au Comité en 1904 et en 1906, fut Président de la IVe section en 1907 et en 1908, Vice-Président en 1908 et enfin Président en 1910. Toujours prêt à assumer les charges les plus lourdes dans les nombreuses commissions dont il acceptait de faire partie, il n'a cessé, jusqu'au dernier jour, de nous prodiguer une collaboration active et éclairée. Il laissera parmi ses collègues le souvenir d'un homme dont l'aménité égalait le savoir et qui était profondément dévoué aux intérêts de notre Société.

M. le Président demande à la Société tout entière de s'associer à lui pour exprimer à la veuve et à la famille de notre ancien Président toute la part que nous prenons au deuil cruel qui les a frappés si inopinément.


Allocution du Président de la Société Géologique de France
A LA SÉANCE DU 2 JUIN 1919
Présidence de M. Emm. de MARGERIE, Président

Messieurs,

La Société géologique de France se voit douloureusement touchée par le décès d'un de nos confrères les plus respectés, M. Jules Bergeron.

Membre à vie de notre Association depuis plus de quarante ans, Bergeron avait rapidement franchi toutes les étapes qui mènent à la présidence, fonction qu'il devait occuper en 1898, après avoir été, tour à tour, archiviste (1885), vice-secrétaire (1888-1889) et secrétaire (1890-1891).

Dès 1893, le Conseil l'accueillait dans son sein et notre confrère était appelé de nouveau à en faire partie, à plusieurs reprises, jusqu'en 1910.

Lauréat du Prix Viquesnel, en 1890, pour la remarquable thèse qui, l'année précédente, l'avait conduit au doctorat ès-sciences naturelles, avec une consciencieuse étude du Massif ancien situé au Sud du Plateau Central, c'est-à-dire de la Montagne Noire, Bergeron devait conduire la Société, quelques années plus tard (1890), sur le théâtre de ses recherches favorites, recherches qui s'étaient vu récompensées, comme nous le savons tous, par la découverte d'une faune cambrienne dont aucun représentant n'avait jusqu'alors été recueilli sur le territoire français.

C'est surtout à partir de 1894 que l'activité de Bergeron, au bénéfice de la Société, se montra féconde. Cette date est, en effet, celle de la fondation des Mémoires de Paléontologie, dont notre confrère fut véritablement l'initiateur et dont il surveilla la publication jusqu'en 1900. L'abondance et la variété des documents qui, depuis lors, et sous cette rubrique, ont été mis à la disposition des naturalistes justifient pleinement, semble-t-il, l'intérêt de l'entreprise à laquelle son nom restera attaché. Bergeron souhaitait que la France pût disposer, comme l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne le faisaient déjà, d'un recueil spécial, dans lequel seraient décrits les fossiles encore inédits de nos grandes collections, ou ceux que les recherches nouvelles de nos voyageurs et de nos géologues amèneraient à découvrir. Cinquante deux mémoires différents, publiés depuis un quart de siècle, avec plus de quatre cents planches, attestent combien notre confrère avait été bien inspiré en suscitant une collection également honorable pour la science française et pour le groupement libre qui n'avait pas hésité à en risquer les frais.

Tout ceci, Messieurs, n'est en quelque sorte que la mesure matérielle des efforts fournis par Bergeron au profit de la Société Géologique. Des juges plus compétents feront ressortir la haute valeur de ses contributions à l'étude stratigraphique et paléontologique des terrains primaires et mettront en lumière la façon dont il comprenait son rôle de professeur. Le tableau, toutefois, serait trop incomplet si je n'insistais sur la scrupuleuse probité intellectuelle du regretté défunt, sur l'absolu dévouement avec lequel il remplissait les tâches parfois les plus ingrates, sur son zèle à s'acquitter des fonctions dont il avait la charge.

Laissez-moi ajouter que, pour beaucoup d'entre eux, Bergeron était plus qu'un collègue obligeant et expert : c'était aussi un ami, toujours prêt à rendre service aux jeunes. Que sa famille, qu'il aimait tant, veuille bien recevoir l'hommage do notre respect et de nos sympathies unanimes !


Notice lue à la Société Géologique de France
LE 12 AVRIL 1920
Par M. A. BIGOT, Correspondant de l'Institut, Doyen de la Faculté des sciences de l'Université de Caen

Le 27 mai 1919, Jules Bergeron était enlevé subitement, à l'âge de 66 ans, à l'affection des siens, à ses travaux scientifiques, aux œuvres sociales auxquelles il apporta, jusqu'à son dernier jour, un dévouement inlassable.

En faisant part de cette mort à la Société géologique, M. de Margerie a déjà rappelé les services exceptionnels que Jules Bergeron a rendus à la Société et exprimé le vœu qu'une notice détaillée fît ressortir la haute valeur de l'œuvre scientifique de notre confrère.

Une notice scientifique insérée dans les Mémoires de la Société des Ingénieurs Civils de France nous apprend que « Jules Bergeron naquit le 5 mai 1853, à Paris. Par son père, le docteur Jules Bergeron, secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, lui-même fils de médecin, il avait un atavisme scientifique ; par sa mère, née Le Roy-Dufour, il descendait d'une souche d'industriels lyonnais.

« Ces deux tournures d'esprit devaient se retrouver en Jules Bergeron pour en faire un savant toujours curieux des applications de la science à l'industrie, mais qui gardait, en pareille matière, l'indépendance et le désintéressement absolus du véritable homme de science. »

C'est sans doute pour obéir à l'une de ces tendances que Bergeron entra à l'Ecole centrale, d'où il sortit ingénieur, le 6 août 1876, dans la section des métallurgistes. Il est probable aussi que c'est là que les enseignements de M. de Selles, chargé de l'enseignement de la géologie et de la minéralogie à l'Ecole et dont Bergeron devait être plus tard le successeur, firent naître chez celui-ci le goût des études géologiques, car moins de deux ans plus tard, le 7 mai 1878, il entrait, comme préparateur-adjoint, au Laboratoire de géologie de la Sorbonne, qu'il ne devait quitter qu'en 1905, avec le titre de Directeur-adjoint, après avoir été successivement préparateur titulaire le 1er octobre 1878, sous-Directeur le 10 mai 1891, Directeur-adjoint le 10 mai 1897. Le 20 février 1893, il était chargé du cours de géologie à l'Ecole centrale et nommé professeur à cette Ecole, le 1er novembre 1894.

A partir de cette époque, l'activité de Bergeron se partage entre les recherches de science pure, leurs applications à l'industrie, les fonctions administratives qui sont la conséquence du rôle que lui donne son enseignement à l'Ecole centrale.

Président de la section des Mines et de Métallurgie de la Société des Ingénieurs Civils de France en 1907-1908, il devient, en 1909, Vice-Président et, en 1910, Président de cette Société, situation considérable qui récompensait une activité et des initiatives dont les industriels avaient apprécié la valeur.

Presque au début de sa carrière scientifique, Bergeron avait été attaché au Service de la Carte géologique de France comme collaborateur-adjoint, en 1884. Devenu collaborateur principal en 1891, Bergeron a contribué à l'exécution de sept feuilles de la Carte géologique détaillée, avec MM. Depéret, Nicklès, Thévenin, Dereims, Authelin. La part de Bergeron dans l'exécution de ces feuilles se rapporte aux terrains primaires de la Montagne Noire.

L'œuvre principale de Bergeron a, en effet, pour objet l'étude des terrains primaires du massif montagneux que les plateaux jurassiques des Causses séparent du Massif Central et qu'il a décrits sous le nom de Montagne Noire et de Rouergue. Ce territoire devait rester le domaine de prédilection de ses études géologiques ; il a multiplié sur lui les recherches, les observations, les descriptions, d'abord dans sa thèse de doctorat ès-sciences, publiée en 1899, puis dans une série de notes et mémoires, échelonnés jusqu'en 1907, dans lesquels il a traité des questions de stratigraphie, lithologie, tectonique, paléontologie.

En 1883, on ne connaissait, dans la Montagne Noire, que les horizons fossilifères signalés, aux environs de Cabrières, par Fournet, Graff, de Verneuil, de Grasset, de Tromelin, de Rouville. Ce dernier étudiait depuis trente ans la géologie de la commune de Cabrières et s'apprêtait à en publier une monographie. Mû par un louable sentiment de déférence envers le géologue de Montpellier, Jules Bergeron s'abstint de retourner dans l'Hérault avant la publication de ce travail, qui ne parut qu'en 1886. Pendant ces trois années, que Bergeron avait occupées à commencer l'étude du Rouergue, de Rouville avait découvert de nouveaux horizons fossilifères qui permirent à MM. Barrois, von Koenen et Frech de déterminer l'existence de plusieurs horizons.

Quand Bergeron reprit, en 1886, ses explorations dans la Montagne Noire, il restait cependant beaucoup à trouver dans cette région. La stratigraphie était à établir; il est arrivé qu'elle était beaucoup plus compliquée qu'on ne le soupçonnait alors, parce que nos connaissances sur la structure des chaînes de montagnes étaient encore rudimentaires ; aussi Bergeron a-t-il été conduit à modifier ses premières conclusions sur la tectonique de la région.

Il restait, d'autre part, à découvrir un certain nombre d'horizons fossilifères. La découverte la plus sensationnelle fut celle de la faune cambrienne. Elle n'est pas due au hasard ; en la signalant à l'Académie des sciences, le 30 janvier 1888, Hébert disait qu'elle était le résultat de recherches méthodiques dans des schistes et des calcaires que, dès l'année précédente, Bergeron rapportait au Cambrien. Le premier vestige de la faune de ces couches était une contre empreinte d'un minuscule céphalon de Trilobite à la surface d'un morceau de schiste que Bergeron avait recueilli au cours de sa campagne de 1887. Le moulage de cette empreinte, fait au Laboratoire de géologie de la Sorbonne, permit à Munier-Chalmas et à Bergeron de reconnaître un céphalon de Conocoryphe, genre caractéristique du Cambrien.

Parti en plein hiver pour l'Hérault, Bergeron eut la grande satisfaction de découvrir, à Ferrals-la-Montagne, une couche de schiste contenant en abondance des Trilobites caractéristiques du Cambrien moyen, les uns appartenant à des espèces spéciales, les autres à des espèces identiques à celles de la faune primordiale de Bohême. Aujourd'hui encore, malgré des recherches multipliées en Normandie, en Bretagne, dans l'Ardenne, les Pyrénées, la localité de Ferrals-la-Montagne est la seule localité en France où l'on connaisse les Tribolites de la faune cambrienne et la Montagne Noire est la seule région française où le parallélisme des assises antérieures à l'Ordovicien soit établies sur les bases rigoureuses de la paléontologie.

La recherche des autres niveaux du Cambrien fut moins heureuse. Elle n'aboutit qu'à faire reconnaître l'existence de fragments d'Archaeocyathydae dans les calcaires inférieurs aux schistes à Paradoxides. La découverte d'autres horizons de l'Ordovicien et du Dévonien, une détermination plus rigoureuse des faunes, des descriptions d'espèces nouvelles, des comparaisons avec les horizons des régions classiques de Bohême, Saxe et Palatinat, permirent de fixer la succession et le classement des terrains primaires de la Montagne Noire.

Bergeron établit ainsi que, depuis le Cambrien jusqu'au Dinantien inclusivement, la Montagne Noire a fait partie d'un vaste géosynclinal s'étendant de l'Espagne à la Bohême. La persistance de ce géosynclinal pendant cette longue période s'affirme par la présence de formes telles que Paradoxides rugulosus et Conocoryphe coronata du Cambrien, Cardiola interrupta et Graptolithes du Gothlandien, Menaceras terebratum du Givétien, Gephyroceras du Frasnien, Glyphyoceras du Dinantien.

Dans la Montagne Noire, depuis le Cambrien jusqu'au Dinantien inclusivement, tous les termes sont concordants. A la fin du Tournaisien commencent à s'esquisser les premières rides; mais ce n'est qu'après le Dinantien que les poussées venant du Sud-Est disposent les assises en une série de plis de direction varisque, auxquels succèdent des charriages et des effondrements.

Une nappe venant du Sud-Est s'avance vers le flanc méridional de la Montagne Noire, qu'elle recouvre en partie. Cette nappe devait avoir sa racine dans la plaine de l'Aude et de l'Hérault. Elle s'est morcelée en trois écailles qui chevauchent l'une sur l'autre.

Dans l'écaillé inférieure, dont la base est formée par les schistes de Trémadoc, une série de termes, en superposition anormale, se termine par le Carbonifère inférieur, plongeant sous les schistes ordoviciens de Trémadoc, qui constituent également la base de la seconde écaille. Dans celle-ci, les assises forment des anticlinaux le plus souvent déversés vers le Nord. Les schistes tournaisiens de cette écaille s'enfoncent encore au Nord sous les schistes ordoviciens de Trémadoc, base de la troisième écaille, la moins étendue, mais la plus célèbre, parce qu'elle renferme les localités de Cabrières, du Pic de Bissous et les gisements fossilifères reconnus tout d'abord dans la Montagne Noire.

Alors que le Viséen fait partie des écailles, le Stéphanien du bassin de Neffiez repose directement sur la deuxième et la troisième. Le charriage a donc dû se produire entre le Dinantien et le Stéphanien, c'est-à-dire pendant le Westphalien, qu'aucun sédiment ne représente d'ailleurs dans la région. La Montagne Noire, annexe du Plateau Central, est comme lui un fragment des Altaïdes.

Sous l'action des poussées qui donnaient naissance aux écailles, le magma granitique s'élevait des profondeurs et transformait les roches sédimentaires. Ce métarmorphisme n'a pas été constaté sur les assises viséennes, mais les écailles renferment des termes métamorphiques, tandis que les sédiments du Stéphanien inférieur renferment des galets de ces roches métamorphiques. La venue du granite serait donc comprise entre la fin du Dinantien et le commencement du Stéphanien ; elle serait d'âge westphalien.

Aucun représentant des formations antérieures au Cambrien n'est connu dans la région. Le métamorphisme ne paraît avoir affecté que les sédiments cambriens. Sur le versant septentrional de la Montagne Noire, les schistes de ce terrain sont transformés en micaschistes et en gneiss, les calcaires intercalés en cornes vertes compactes et en amphibolites. Quand le métamorphisme atteint son maximum, les gneiss passent au granite. Dans le Rouergue, le magma granitique ayant traversé en profondeur des roches calcaires a donné, par endomorphisme, la norite et la péridotite d'Arvieu.

Cette monographie, qui a demandé cinq années de recherches sur le terrain, a nécessité des voyages de comparaison avec les régions classiques, la Bohème pour l'étude du Cambrien et des calcaires de Konisprus, le Harz pour le Dévonien, le Palatinat pour le Permien.

Elle a nécessité aussi la description d'espèces nouvelles, particulièrement importantes et caractéristiques, telles que celles de la faune cambrienne de Ferrals-la-Montagne, le genre Asaphelina du Trémadoc, les Trilobites et Brachiopodes du Dévonien moyen et supérieur.

Bergeron a également étudié des fossiles étrangers à la Montagne Noire ; il a séparé des Calymmene, sous le nom de Calymmenella, les Calymmene Bayani du Massif armoricain et Boisseli de la Montagne Noire, qui se distinguent des vrais Calymmene par la forme rostrée de leur limbe. Il a décrit les Calymmene Lennieri et Trinucleus Grenieri de l'Ordovicien de la Hague. L'examen d'une plaque calcaire rapportée de Chine lui a fait distinguer, sous le nom de Drepanura Presmenili, un Tribolite nouveau, qu'il a rapporté au Cambrien et qui s'est trouvé avoir une grande extension. Bergeron avait souligné que la présence de cette forme, inconnue dans le Cambrien d'Europe, fortifiait le contraste avec la faune de la région septentrionale du Pacifique, connue depuis par les beaux travaux de Walcott.

Au cours de la mission envoyée en Andalousie à la suite du tremblement de terre de 1884, Bergeron eut l'occasion de recueillir une nombreuse série de Mollusques dans le bizeornil de San-Pedro d'Alcantera. L'étude de ces Mollusques le conduisit à admettre que le détroit de Gibraltar, ou une brèche analogue, existait déjà au début de Pliocène et permettait le mélange des formes atlantiques aux formes méditerranéennes.

Une communication, faite en 1896 à la Société des Ingénieurs Civils de France, sur l'extension possible des différents bassins houillers de la France, devait donner à Bergeron l'occasion, non seulement de reprendre l'étude des bassins qu'il avait déjà personnellement étudiés, comme ceux de Decazeville, Carmaux, Graissessac, mais de tenter une coordination des conditions qui règlent les bassins houillers du Massif Central et de leurs prolongements.

Ces recherches, d'une haute portée pratique, ont fait, à partir de ce moment, l'objet principal des préoccupations de Bergeron. Il y trouvait l'occasion de montrer quels services la science théorique peut rendre à l'industrie avec laquelle il était en contact permanent par ses fonctions à l'Ecole centrale et à la Société des Ingénieurs Civils.

En 1898, Bergeron reprenait, avec MM. Jardel et Picandet, l'étude du bassin de Decazeville, qu'il avait commencée en 1887. La distribution des deltas conduisait les auteurs à limiter les régions dans lesquelles ont pu se déposer les alluvions végétales et, par suite, la distributions des couches de houille.

Auguste Michel Lévy avait donné un premier essai de coordination des plis houillers du Massif Central. Pour Bergeron, la direction armoricaine ou varisque des dépressions sur les bords de ce massif a été imposée par l'allure préexistante des couches à la suite des plissements post-dinantiens. A l'intérieur du massif, les dépressions stéphaniennes correspondent le plus souvent à de grands chenaux d'effondrement, qui le traversent suivant une direction voisine de Nord-Sud, tandis que dans le Rouergue elles s'orientent Est-Ouest ; elles sont en relations avec les massifs cristallins. Les chenaux ont été envahis par la mer pendant le Permien et une partie du Jurassique ; à l'époque oligocène, des eaux douces ou saumâtres ont pénétré de nouveaux dans quelques-uns d'entre eux.

Partant du principe de la continuité des plis, de leurs relations avec les failles d'effondrement, considérés comme des chenaux houillers, de leur rajeunissemeut par des plis posthumes, Bergeron a cherché à orienter les recherches du terrain houiller dans les parties de ces plis cachées par les terrains secondaires ou tertiaires.

Il indiquait, en 1896, que le bassin de Sarrebruck pouvait se prolonger jusqu'en cette partie de la Lorraine, qu'on appelait alors la Lorraine française. Cinq ans plus tard, à la suite d'une étude entreprise à la demande de plusieurs industriels de l'Est, Marcel Bertrand et Bergeron affirmaient que la continuité des assises houillères de Sarrebruck vers le Sud-Ouest était certaine, mais il leur semblait toutefois que le houiller devait se trouver dans cette partie de la Lorraine à une profondeur qui ne permettait pas d'en prévoir l'exploitation. On sait que notre regretté confrère Nicklès a montré que des ondulations transversales du bassin avaient produit des dômes dont l'arasement avait ramené le Houiller à une profondeur raisonnable et quels ont été les résultats de la campagne de recherches entreprise sur ces données géologiques par les industriels de l'Est.

L'allure en dômes du Houiller, constatée dans la partie Nord du bassin, se poursuit dans la Lorraine occidentale. Mais ce Houiller de la partie Nord du bassin est en outre affecté à son bord méridional par des failles faiblement inclinées sur l'horizon, se prolongeant sur plusieurs kilomètres à travers les différentes concessions et les découpant en écailles. Pour Bergeron, le bassin de Sarrebruck serait formé par une nappe de charriage d'une très grande surface, dans laquelle le Houiller, refoulé sur le Permien, en serait séparé par une brèche de friction. Des accidents analogues se rencontreraient dans le bassin de Ronchamp.

Bergeron s'est également occupé du prolongement des plis du Massif Central vers l'Ouest, où ils prennent la direction armoricaine. Leur allure est différente de celle des plis de l'Est, qui sont caractérisés par des charriages, tandis que ceux de l'Ouest ne présentent que des redressements de couches. Toutefois, à partir de 1897, à la suite d'études de géologie appliquée dans la région des gîtes ferrifères de Basse-Normandie, Bergeron a été amené à considérer que l'allure des bandes synclinales du Massif armoricain est due, sinon à des charriages, tout au moins à des déplacements horizontaux.

Jules Bergeron a tenu une grande place dans la Société Géologique, dont il a fait partie durant quarante années. Il y a rempli, avec le zèle le plus scrupuleux, les fonctions d'archiviste en 1885, de vice-secrétaire en 1888-1889, de secrétaire en 1890 et 1891.

La Société lui doit une reconnaissance toute particulière pour la fondation des Mémoires de Paléontologie. C'est surtout, a dit M. Emm. de Margerie, à partir de 1894 que l'activité de Bergeron se montre féconde au profit de la Société. Cette date est en effet celle de la fondation des Mémoires de Paléontologie, dont notre confrère fut véritablement l'initiateur et dont il surveilla la publication jusqu'en 1900. L'abondance et la variété des documents qui, depuis lors, ont été mis à la disposition des naturalistes, justifient pleinement, semble-t-il, l'intérêt de l'entreprise à laquelle son nom restera attaché. Bergeron souhaitait que la France pût disposer, comme l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne le faisaient déjà, d'un recueil spécial, dans lequel seraient décrits les fossiles encore inédits de nos grandes collections, ou ceux que des recherches nouvelles de nos voyageurs et de nos géologues amèneraient à découvrir. Cinquante-deux mémoires différents, publiés depuis un quart de siècle, avec plus de quatre cents planches, attestent combien notre confrère avait été bien inspiré, en suscitant une collection également honorable pour la science française et pour le groupement libre qui n'avait pas hésité à en risquer les frais.

Dès 1890, la Société géologique avait consacré l'importance de l'étude de Bergeron sur la Montagne Noire en lui attribuant le prix Viquesnel, récompense qui suivait le prix Vaillant, décerné en 1888 à la mission d'Andalousie, dont Bergeron faisait partie. La Société a encore témoigné son estime à l'œuvre de Bergeron, en l'appelant à la présidence, en 1898.

Telles furent la carrière et la vie scientifique de notre confrère. A ces travaux ne n'est pas bornée son activité. Fondateur de l'Association des Ingénieurs et Hygiénistes municipaux, il s'intéressait aussi à la Ligue contre l'alcoolisme, à l'œuvre des Sanatoriums maritimes, se rappelant le rôle joué à l'Académie de médecine par son père, à la mémoire duquel il conservait une reconnaissance et une affection touchantes.

Caractère enthousiaste, épris pour la science d'une passion absolument désintéressée, Bergeron s'est montré l'un des représentants de cette grande bourgeoisie par laquelle se maintiennent les traditions de travail et d'honneur qui, à travers les époques troublées de notre histoire, assurent l'unité de la France et sa dignité sociale. On a pu dire, avec une absolue vérité, qu'il a apporté dans tous ses actes, comme dans tous ses travaux, une scrupuleuse probité intellectuelle, un égal souci d'assurer toutes les tâches, même les plus obscures et les plus ingrates. Foncièrement aimable et bon, il a souvent obligé ses jeunes confrères, non seulement de ses conseils et de son influence, mais en les aidant de ses ressources personnelles pour leur permettre de continuer leurs études et leurs travaux.

Des natures aussi aimantes supportent mal des périodes comme celle que nous venons de subir. Sans doute le spectacle de tant de maux injustement déchaînés, la préoccupation du sort de quatre de ses fils sur le front, ont hâté la fin prématurée de notre confrère.

Que, pour sa famille, la certitude qu'il a été un homme utile, aimé et respecté, s'ajoute à l'hommage que la Société Géologique lui renouvelle de notre respectueuse et unanime sympathie.


Œuvre des Sanatoriums maritimes pour Enfants
Assemblée générale du vendredi 6 juin 1919
Allocution de M. le Docteur Ch. MONOD, Vice-Président

Ce n'est pas moi qui devais présider cette séance annuelle, mais bien notre si regretté collègue, M. Jules Bergeron, que notre Président, M. ie professeur Quénu, empêché, comptait prier de vouloir bien prendre sa place. Nul doute qu'il n'eût accepté. Mais lorsque notre Secrétaire général est allé, au nom de M. Quénu, lui demander son concours, il l'a trouvé affaissé à son bureau, foudroyé par un mal implacable.

M. Jules Bergeron, qui était des nôtres depuis 1902, était le fils du fondateur et premier Président de notre Œuvre, qui a laissé parmi nous un si vivant souvenir. A la dernière séance du conseil (16 mai 1919), nous l'avions prié d'accepter la charge d'un de nos Vice-Présidents, devenue vacante par suite de la retraite de M. le docteur Bucquoy et de l'élévation de M. le professeur Quénu à la présidence. Il avait accepté avec reconnaissance, disait-il, l'honneur qu'on lui faisait, mais il ajoutait, avec sa modestie habituelle, qu'il avait bien le sentiment que, en le désignant pour ce poste, nous pensions surtout rendre un nouvel hommage à la mémoire de son père.

En cela il se trompait ; c'est bien lui que nous voulions, je ne dis pas seulement honorer, mais nous attacher davantage encore, si cela était possible (car aucun n'était plus assidu à nos séances), sachant tous les services que, dans sa grande conscience et sa haute compétence, il était en mesure de nous rendre.

Son départ, si inattendu, nous cause les plus vifs regrets. Je sais que je serai l'interprète de tous les membres de notre Œuvre en adressant à Mme Bergeron le respectueux hommage de notre profonde sympathie.


Association Générale des Hygiénistes et Techniciens municipaux
Jules BERGERON, par G.-H. REGNARD (La technique sanitaire et municipale, 15e année, n° 1, janvier 1920)

L'année 1919 a vu disparaître un de nos Vice-Présidents les plus respectés par son caractère de droiture et de désintéressement absolus et par sa très grande bonté. Nous lui devons un témoignage de particulière gratitude, car il s'était entièrement dévoué à notre Association et avait contribué, pour une grande part, à sa prospérité, malgré les difficultés de cette ère de guerre mondiale.

Né le 5 mai 1853, à Paris, et ayant reçu de son père, savant très connu, une éducation à la fois littéraire et scientifique, il sort, en 1876, de l'Ecole centrale des Arts et Manufactures comme ingénieur-métallurgiste. Mais ses goûts scientifiques le portent vers la géologie et on le voit d'abord préparateur de géologie à la Faculté des sciences, puis collaborateur adjoint à la Carte de France (1884) et collaborateur principal (1891). Après une étude et des découvertes très remarquables, dans le massif de la Montagne Noire, qui le classent parmi les géologues les plus éminents, il reçoit le prix Vaillant, de l'Académie des sciences (1888), le prix Viquesnel, de la Société de Géologie (1889). Après des cours faits pour l'agrégation des sciences naturelles, il devient successivement Vice-Président de la Société de Géologie (1892), professeur à l'Ecole centrale (1893) et il conserve sa chaire vingt-cinq ans ; Vice-Président (1909), puis Président (1910) de la Société des Ingénieurs Civils.

C'est dans les dernières années d'une vie qui paraissait cependant déjà bien remplie, que M. Bergeron s'occupe des questions de technique et d'hygiène municipales et là encore, en entrant dans notre Association, son intervention laisse des traces durables.

Membre du conseil dès la fondation de notre Société (1905), il est réélu après la fusion avec l'Union des services municipaux (1912). Lorsque la nécessité d'une section parisienne se fit sentir, il en est nommé aussitôt Vice-Président nominalement, car il en est, en réalité, le président effectif et, grâce à son activité, une fois passé le premier moment de stupeur dû à la déclaration de guerre, dès octobre 1914, les séances reprennent à dates régulières, ne cessant d'apporter à l'Association et à son journal une ample moisson de rapports et conférences. Mettant à la disposition de ses collègues ses puissantes et nombreuses relations, il est pour beaucoup dans la reconnaissance d'utilité publique de notre Société (1918). Frappé de la nécessité, au point de vue de l'hygiène, de l'esthétique et de l'économie sociale, de plans de construction, d'aménagement et d'extension des villes établis à l'avance, il se passionne pour l'application de ces principes à la reconstruction des villes et villages détruits par l'ennemi. Il contribua ainsi au succès de l'exposition de la Cité reconstituée (1916), dont il est un des vice-présidents du Comité supérieur; il est, en outre, vice-président de groupe et président de la classe V (Assainissement de la cité).

Nommé vice-président du jury du concours des plans de reconstructruction de Reims, il se proposait de mettre à la disposition de ses collègues sa connaissance approfondie de la question, en leur servant de guide dans leur excursion à cette ville (juin 1919), lorsque la mort l'enleva subitement en mai, à l'âge de 66 ans.

Le souvenir de M. Jules Bergeron restera donc pour nous comme celui d'un de nos Vice-Présidents les plus actifs et les plus dévoués et nous nous faisons l'interprète de l'Association en priant Mme Bergeron et ses enfants d'agréer le témoignage de nos regrets et de notre respectueuse gratitude.


Ligue Nationale contre l'Alcoolisme
Allocution de M. Frédéric RIÉMAIN, Secrétaire Général

(L'Étoile Bleue, Rev. mens. 43e année, no 78, juillet-août 1919).

La Ligue Nationale contre l'Alcoolisme vient de faire une perte irréparable en la personne de son Vice-Président, M. Jules Bergeron.

Fils d'un des fondateurs de notre Société, Jules Bergeron avait pour elle un véritable atavisme d'affection. Il lui a rendu des services sans nombre, toujours prêt à donner de sa personne, ne refusant jamais son concours, prêtant une aide discrète et très efficace à nos innombrables initiatives.

Les rapports avec Jules Bergeron étaient empreints d'un charme particulier. Il était d'une bienveillance, d'une amabilité et d'une sûreté de relations telles qu'il est impossible d'en trouver de plus grandes.

Ceux qui ont eu l'honneur de travailler avec lui conserveront de sa collaboration un souvenir ineffaçable. Leur profond chagrin leur permet de mesurer la douleur que doivent éprouver ses proches, à qui la Ligue Nationale adresse l'expression de ses profondes condoléances.


Smithsonian Institution
Washington U. S. A.

February 7, 1920.

The Secretary of the Smithsonian Institution has received the sad intelligence of the death, on May 27, 1919, of

Monsieur Pierre Joseph Jules BERGERON
and on behalf of the Institution, desires to convey to his family an expression of its sincere regret at the passing away of this distinguished scholar, and Chevalier of the Légion of Honor.


Que dire de Bergeron professeur à l'Ecole Centrale de 1892 à 1912 et de 1915 à 1919 ? Voici des commentaires par ses élèves :

Le texte qui suit a été publié dans ABC Mines, n°34, février 2012, sous la plume de Gilles Thomas (pages 29 à 33) :

Pendant ce temps dans une autre « Grande École » autrefois parisienne ...

Au sein de l'École Centrale alors non encore délocalisée hors les murs parisiens, des excursions minéralogiques étaient organisées, entre autres dans la commune de Meudon. Centrale, en organisant ces déplacements sur le terrain ne faisait donc elle aussi que suivre les informations données dans la littérature géologique. Ces sorties sur (ou plutôt sous) le terrain étaient aussi évoquées au cours de la « Revue de fin d'année ». Voici retranscrites ci-dessous les chansons parodiques évoquant ces travaux pratiques géologiques. Divertissons-nous là encore, tout simplement à leur lecture.

« Sans Tralala Revue » (1895) :

Voici uniquement la première strophe de « L'excursion géologique » (sur l'air de À la fleur du jeune âge du « Pré-aux-Clercs ») :

Notre professeur à l'amphi
Un beau matin nous a dit :
Pour bien reconnaître un fossile
La chose est très facile.
Un marteau dans la main
Il faut aller soi-même,
Ô volupté suprême !
Fouiller dans le terrain.
Ah ! ah ! L'occasion est sûrement unique,
Nous ferons, chose magnifique,
Dans le bois de Meudon
Une excursion géologique,
Une belle excursion.

« En voulez-vous des Diplômes ? » (1896) ; le Refrain de la « Chanson des pierres » (Air : Le plus fort de France) donne :

Dans ces grand's carrières,
Cherchons tous des pierres,
Pour la collection,
De ce brav' monsieur Bergeron.
Aïe donc !
Dans une grand'salle
De l'École Centrale

Les carrières étant vastes, les élèves y sont partagés en petits groupes, afin de fouiller de fond en comble l'étage inférieur du crétacé (le néocomien) à la recherche de fossiles de céphalopodes.

La description des excursions minéralogiques fait l'objet d'une nouvelle chanson dans la revue de 1899 s'intitulant « Ça va épater Rosalie ! ». Sur l'air de C'est un oiseau qui vient de France, voici la première strophe :

Dans une carrière un beau jour,
Se trouvait un monsieur très chic... que
Près de ce monsieur, tout autour,
Y avait des jeunes gens, toute une clique.
Ces jeunes gens avaient l'air heureux
De contempler leur très cher maître
Et prenaient l'air respectueux
Quand un caillou venait à paraître.
Les coeurs palpitaient d'espérance,
Bergeron disait à mi-voix : «
Géologues, n'hésitez pas (bis)

C'est une mâcle enfer de lance ! »

Puis « Dans le Circuit », revue de 1905 ou 1906, un commissaire annonce suivre les courses minéralogiques de Bergeron, avec assiduité. Ainsi « Dimanche dernier eh bien » :

(Air : Pedali Pedalon) :
L'autre jour à l'excursion
De minéralogie
Dans les bois de Meudon
On vit des chos' magnifiques
C'est très véridique
Que montrait M'sieur Bergeron à Meudon (bis)

Nous étions dans le permien
En minéralogie
Les beaux noms de terrains
J'ai vu de la Terre à briques
C'était magnifique
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

Mais dans l'carbonifaciens
D'la minéralogie
Je n'distinguais plus rien
Y avait des pierr' oolithiques
C'était magnifique
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

Puis on vit le Crétacé
La minéralogie
J'la connais pas assez
Ça m'a paru identique
C'était magnifique
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

Puis s'présenta l'Infraliens
La minéralogie
Épat'rait M'sieur Janetaz
J'ai vu des pierr' feldspathiques
C'était magnifique
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

On a longé l'gothlandien
En minéralogie
Les beaux noms de terrains
J'ai vu des mons' granitiques
C'était magnifique
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

Enfin, nous sommes revenus
La minéralogie
M'a total'ment fourbu
L'lend'main j'ai séché l'école
J'avais la pécole
En suivant M'sieur Bergeron à Meudon

Et enfin Last but not least, voici l'intégralité de la chanson « Excursions de Minéralogie » de « Pendant les Amphis » (Revue datée de 1909). Sur l'air de : Le Petit Chaperon Rouge.

Pour varier de temps en temps
Le dur travail de l'École,
Lorsqu'arrive le printemps
Nous quittons la Métropole.
Nous prenons le train et nous arrivons
À Pont-Saint-Maxen ou bien à Meudon,
Faire une excursion
Dont l'exécution
Est pour nous la caus' d'un' grand' distraction.
Nous allons partout
Chercher des cailloux,
Nous en rapportons des collections,
Qu'ensuit' nous montrons, pleins d'jubilation.

Nous traversons des terrains.
Et voilà ce qui m'épate :
Ils ont des noms de Romains,
D'sauvages ou d'aristocrates
Et l'on peut, dit-on, savoir l'âg' qu'ils ont,
Rien qu'en r'gardant leur situation.
Cela me surprend
Et m'étonne tant
Que j'suis plongé dans le raviss'ment.
Nous allons partout
Chercher des cailloux
Nous en rapportons des collections,
Qu'ensuit' nous montrons, pleins d'jubilation.

L'on grimpe sur des rochers,
Pendant trois heures entières,
Sans s'arrêter de chercher
Des petits morceaux de pierres,
Malgré le soleil quelquefois ardent;
Nous disons toujours que nous somm's contents.
Qu'on soit échauffés
Ou bien décoiffés,
Ça vaut toujours mieux que d'aller au café.
Nous allons partout
Chercher des cailloux,
Nous en rapportons des collections,
Qu'ensuit' nous montrons, pleins d'jubilation.

Depuis que nous avons pensé cet article un peu passéiste, car traitant d'anciennes chansons entendues au cours de Petites Revues d'il y a bien plus qu'il n'y parait, le passé semble nous avoir rejoint non pas au triple galop, mais à la vitesse d'un réseau Internet ™ haut débit. Les chansons évoquées dans l'article peuvent être qualifiées de lointaines car elles n'éveillent en effet absolument aucune petite musique nostalgique en nous ; elles sont d'un temps que même les plus de 20 ans ne peuvent pas connaître. Qui a en tête l'air du Président à Bétheny, de On n'a jamais vu ça, de À la fleur du jeune âge, du Plus fort de France, de C'est un oiseau qui vient de France, de Ça t'f'rait du bobo, ou de Pedali Pedalon, par exemple ? Ou simplement qui se souvient de les avoir entendues une fois fredonnées ? Alors que ces chansons ont certainement été des succès incontournables à leur époque, ou des ritournelles que tout un chacun connaissait.

Ces chansons sont tombées dans l'oubli, mais les PR, tel un phénix, renaissent chaque année de leurs cendres; et phénomène de mode aussi imprévisible que la circulation en accordéon sur les autoroutes est difficilement modélisable, depuis quelques années les carrières et catacombes de Paris (hormis les baptême qui ne cessa de s'y dérouler) reviennent dans la culture transmises oralement et via ce détournement de chansons usitées pour illustrer le quotidien des Mineurs. Auparavant, toutes les « grandes écoles parisiennes » (Centrale, les Ponts et Chaussées, Polytechnique) possédaient elles aussi cette même activité souterraine de loisir, mais il est vrai qu'à leur corps défendant ces autres écoles d'ingénieurs similaires ont depuis été délocalisées « à l'insu de leur plein gré » et n'ont plus de parisienne que leur lointaine origine.

De nos jours, cette tradition de pièce de théâtre parodique brocardant les professeurs et la vie à l'école, a bien évidemment été adaptée à notre monde contemporain multi-médiatisé en faisant appel maintenant à la vidéo, l'informatique, et divers autres supports numériques, mais une antienne continue de perdurer : la chanson. Le principe des succès d'aujourd'hui (qui tomberont peut-être dans le néant de la mémoire humaine demain) parodiés pour un usage non prévu par les auteurs des paroles d'origine, perdure. Et heureusement, il y aura toujours suffisamment d'enregistrements sur des supports divers et variés pour les retrouver un jour et pouvoir les écouter directement, ou les réinterpréter à partir de la chanson source.