CHANSON DE TABLE,
ADRESSÉE EN 1798 AUX ÉLÈVES DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE DONT L'ADMISSION DATAIT DE LA FONDATION DE l'ETABLISSEMENT,
PAR A. M. HÉRON DE VILLEFOSSE, ANCIEN ÉLÈVE DE LA MÊME ÉPOQUE.

AIR : Mes bons amis, pourriez-vous m'enseigner, etc.

Nota. Les premiers élèves, qu'on peut appeler les fils ainés de l'École Polytechnique, instituèrent, dés 1798, et continuèrent depuis, par les soins de MM. Rohault et Rendu, leurs anciens condisciples, une réunion amicale qui a toujours lieu. Ce fut à l'un des joyeux repas dont celle réunion est l'objet, que cette chanson fut chantée , pour la première fois, eu 1798. L'impression en ayant été demandée par les convives, on a pensé qu'il convenait d'y joindre quelques notes.

Mes bons amis, célébrons les plaisirs
De l'École Polytechnique ;
Mais écartons de nos joyeux loisirs
Son attirail scientifique.
Le Z, l'X et l'Y
M'inspirent grand respect ;
Mais, s'il faut que mon coeur s'explique,
Franche amitié, propos joyeux,
Voilà ce que j'appris de mieux
A l'École Polytechnique.

Qui le croirait, trois cents jeunes rivaux,
A l'École Polytechnique,
Vivaient heureux, vivaient libres, égaux ,
En l'an trois de la République !

Telle est l'époque de la fondation. On se rappelle que les républicain reprochaient alors aux élèves de l'École Polytechnique d'étre des royalistes.
En vain les niveleurs,
Sur la pairie en pleurs
Traînaient leur niveau tyrannique,
Et l'amitié, tout bonnement,
Assurait son niveau charmant
Sur l'École Polytechnique!

Règne sur nous, aimable souvenir
De l'École Polytechnique !
Nos premiers jeux, d'un heureux avenir Sont pour nous le gage authentique ;
Oui, ces noeuds fraternels
Sont sacrés, éternels
Comme les lois de la physique ;
Et si jamais les passions
Veulent les rompre , amis, pensons
A l'École Polytechnique.

Tous les objets, tous nous rappelleront
Notre École Polytechnique;
Vaisseau, Canon, Fort, Carte, Mine, Pont,

Ce vers, aussi polytechnique qu'il est peu poétique, rappelle les branches des services :
Vaisseau. - Le génie constructeur de la marine.
Canon. - L'artillerie.
Fort. - Le génie militaire.
Carte. - Le génie géographe.
Mine. - Les mines et usines.
Pont. - Les ponts et chaussées.
Tout aura ce pouvoir magique.
Or , comme il est constant
Que l'École est vraiment
Un manoir encyclopédique,
Pour notre honneur, prouvons soudain
Qu'on est expert en fait de vin
On enseignait alors les améliorations dont l'art de faire du vin est redevable aux progrès chimiques.
A l'École Polytechnique.

Et toi Lebrun, et toi, digne soutien
De l'Ecole Polytechnique,

M. Ch. Lebrun était alors inspecteur des études; il était aimé et vénéré de tous les élèves. Ce respectable chef ne disait jamais à personne : Vous avez tort, mais seulement nous avons tort, se mettant ainsi de moitié dans le reproche qu'un si fidèle observateur du règlement était toujours bien loin de mériter.
Viens parmi nous, le calepin en main,
A table exercer ta critique !
Dis à chacun, tout bas :
Quoi ! nous ne buvons pas !
Nous méritons que l'on nous pique ;
Car il est dans le règlement
Qu'il faut boire pour être enfant
De l'École Polytechnique.
CQFD

VIE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE.

AIR : Malgré la bataille.

A cinq heures sonnées
On entend les tambours
Faire leurs tournées
Dans les alentours :
Le maudit réveil
Vient d'un doux sommeil
Tirer nos esprits
Et nous fait fuir nos lits.

AIR:

Rostan, quand l'ordre commande,
Ne connaît plus de repos ;
Il arrive, nous gourmande
En nous adressant ces mots :
Bonjour, Messieurs,
Allons donc , que vos lits soient bien
Rangez sans tapage
La planche à bagage :
L'officier pourrait bien passer
Et consignerait
Pour chaque lit mal fait.

Lavez-vous à la fontaine
Afin de mieux vous porter ;
L'eau toute fraîche est fort saine ,
Je puis vous le protester
Levez-vous dès les premiers coups
Qu'on bat sur la caisse,
Et Messieurs sans cesse,
Vous verrez que vous en serez
Beaucoup mieux portants,
Et surtout plus contents.

AIR : Pégase est un cheval qui porte

Au roulement on se rassemble
Et réunis à ce signal,
Nous descendons tous ensemble
Dans la chambre du caporal :
Celui-ci d'une voix bien haute
Fait l'appel très-distinctement,
Et le sergent-major sans faute
Consigne chaque élève absent. (bis.)

AIR : Je suis envoyé de Cythère.

Aux trois coups, chacun travaille ;
L'étude est libre au malin :
L'un encore endormi bâille,
L'autre feuillette un bouquin.
On repasse sa chimie ,
On achève son dessin ,
On lit sa géométrie ,
Plus souvent on ne fait rien.

AIR : Aussitot que la lumiere

Sur la différentielle
On ne peut toujours pâlir ;
Le déjeuner nous appelle,
Au pain vite il faut courir.
Un flacon plein d'eau bien claire
Avec un croûton de pain
Composent notre ordinaire
Et suspendent notre faim.

AIR : Du pas redoublé

Mais aussitôt à nos exploits
S'ouvre un vaste théâtre ;
Nous voulons entrer à la fois,
Dans notre amphithéâtre ;
Oxydant, fondant les métaux,
Dans un creuset cherchant la gloire
Tôt, tôt, tôt, battez chaud,
Bon courage !
Il faut avoir coeur à l'ouvrage.

AIR : Bouton de rose.

C'est la saucisse,
Ce mot divin pour un gourmet,
Par un innocent artifice
Qui prend la place du creuset,
C'est la saucisse. (bis.)

AIR :De la Trénis.

Le creuset renversé
Est soudain remplacé
Par un boudin placé
Sur un gril bien serré ,
Le foyer embrasé
Du fourneau rallumé
A petit feu,
Rôtit ce mets des dieux.

Voyez le chimiste
Abjurant son air triste
Sourire en apprêtant
Ce déjeuner friand:
Son front si rêveur
Est maintenant sans un nuage ,
Et de son visage
A disparu tout air boudeur.

AIR : A boire, à boire.

Alerte, alerte, alerte !
Vite et tôt qu'on déserte !
Voilà Moineau qui suit nos pas,
Et vous savez qu'il ne rit pas :
Il a vu la rubrique ,
La cuisine chimique
De nos boudins n'a pas l'odeur ,
Amis, amis, gare au mangeur !
Exempt de toute crainte ,
Moineau fera sa plainte ;
La prison
Lui fera raison.
Voyez où conduit
L'appétit.

AIR : Bouton de rose.

De l'hydrogène
On peut parfois bien se lasser ,
Aussi nos chimistes sans peine,
Font le projet de renoncer
A l'hydrogène.

AIR : De Calpigi

Pour obtenir de l'hydrogène
Prenez un tube en porcelaine ;
Mettez-y du fer et de l'eau,
Placez le tout sur un fourneau (bis.)
L'eau par le feu décomposée
Est par là même analysée :
L'oxygène s'unit au fer.
L'hydrogène s'en va dans l'air (bis.)

AIR : Ma foi, c'est un triste soldat.

Nous ne sommes pas de ces gens
Qui ne vivent que pour la gloire ,
Et qui, pour devenir savants ,
Perdent le manger et le boire :
Courons donc, mes amis, courons.
On nous appelle au réfectoire ;
Courons donc, mes amis , courons,
En dépit des jaloux, dînons.

Nous connaissons le prix du temps ,
Aussi l'on mange en diligence ;
Notre refrain depuis longtemps
Est promptitude et tempérance.
Courons donc, etc.

Jadis à la frugalité
La Grèce avait bâti des temples ;
Mieux que par ce culte vanté
Nous la prêchons par nos exemples.
Courons donc, etc.

AIR : Mèche allumée et Rantanplan.

Messieurs, gardez-vous bien de croire
Que bons aux d-x- seulement
Nous ne recherchions d'autre gloire
Que celle qui suit le savant.
Quand il le faut dans une armée
Nous nous distinguons vaillamment ;
Rli, rlan, à main armée,
Mèche allumée,
Et ran tan plan, tambour battant.

C'est pour nous former à la guerre
Que dans la cour nous manoeuvrons :
Une ardeur noble et militaire
Vient animer nos pelotons,
En attendant qu'en Angleterre
Nous fassions ronfler nos canons.
Pi pan, à main armée ,
Mèche allumée,
Et ran tan plan , tambour battant.

AIR : Fidèle époux, franc militaire.

En attendant le jour propice
Où nous pourrons nous distinguer ;
Aussitôt après l'exercice,
Nous piochons sans nous fatiguer ;
Pour utiliser notre vie ,
Nous ne négligeons jamais rien :
Sciences, beaux-arts, gloire et patrie,
Voilà notre plus cher refrain.

AIR : De la Veillée.

L'horloge à la fin nous rappelle
Le terme des travaux du jour ;
Rassemblés au son du tambour
Nous retournons à la gamelle
Joyeus, exempts de tous chagrins
Nous remontans à la chambrée ;
Et chacun s'efforce de bien
Égayer (bis) la soirée.

AIR : De M. Vautour.

L'un, s'armant de son violon,
Nous racle une sonate :
Un autre à la procession
Fait résonner une cantate :
D'autres en femmes travestis
Du bal vont faire les délices ;
Momus anime les esprits
Dans ces instants aux jeux propices.

AIR : Du haut en bas.

Enfin la paix
De chez nous bannit la discorde ;
Enfin la paix
Vient ici régner à jamais.
Maintenant les querelles cessent
Et les jeux innocents renaissent
Avec la paix.

AIR : Lurette, ah! ma tante Lurette.

Jadis pour amusette
Dans la cour on chantait
Certaine chansonnette,
Dont le refrain était
Lurette ! ah ! ma tante Lurette.

Sensible à l'harmonie,
C'était à qui dirait
Ces vers, fruits du génie ,
Et chacun répétait : Lurette ! ah! etc.

Par des ordres sévères
Ces jeux sont défendus ;
Las ! réduits à nous taire,
Nous ne chanterons plus Lurette ! ah ! etc.

AIR :

On a battu le roulement ;
Dans nos lits nous cherchons gaiement
Remède à l'insomnie ;
On bavarde encore un moment;
Puis l'on s'assoupit promptement
Et l'on répète en s'endormant :
Bonsoir la compagnie.

Voilà tout le monde endormi ;
Allons, chansonnier mon ami,
Silence , je te prie :
Si tu ne le fais promptement,
Tes auditeurs déjà bâillant
Pourraient bien dire en s'endormant :
Bonsoir la compagnie.

ADIEUX A LA SALLE DE POLICE.

Je ne te verrai plus, ô séjour enchanteur !
Loin de toi vainement on cherche le bonheur ;
Il n'est que dans ton sein : c'est là que sans alarmes
Du sommeil à longs traits l'on savoure les charmes.
Sur le plan incliné mollement étendus ,
Comblés des doux plaisirs que procure Bacchus,
Laissant en paix les x et la géométrie,
Sans rien faire, en un mot, nous passons notre vie.
Le tambour national, de son bruit importun,
Ici ne trouble plus le repos d'un chacun.
Un demi-jour épais, ami de la paresse,
Laisse languir nos sens dans une douce ivresse.
C'est là qu'au jour des Rois l'illustre Cicéron
Envoya pour souper les pattes d'un dindon,
Qui depuis plus d'un mois, vieille carcasse étique,
D'un traiteur du quartier décorait la boutique.
On dit même, et ce bruit s'est partout répandu ,
Qu'au jour du gras mardi dans ce lieu descendu ,
Plein d'un zèle gascon on a vu le grand homme
A chaque prisonnier apporter une pomme.

Mis en html et sur le web par R. Mahl en 2005