Armand DELAGE (1872-1925)


Delage en 1898, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1895). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines (septembre 1925)

La mort, qui ne choisit pas, vient d'enlever à notre affection, aussi bien à l'affection de tous ceux dont la vie de travail se confondait avec la sienne qu'à l'affection des siens, le Secrétaire Général de nos Etablissements, Armand Delage.

Emporté en quelques semaines par une maladie encore peu définie et dont on sait seulement qu'elle ne pardonne guère à ceux qui en sont atteints, il nous est enlevé en pleine force, en pleine activité, à un âge où il semble que l'on soit en droit de former bien des projets, de caresser encore de longs espoirs.

Né en 1872, à Chabannais (Charente), Delage était pour moi un camarade, un ami de trente années. Nous nous étions rencontrés en 1894 à l'Ecole des Mines, où il était entré après de fortes études dirigées par le Recteur de l'Académie de Paris, M. Liard, qui était un ami de se famille et dès cette époque il m'avait manifesté son désir de faire sa carrière à la Maison de Wendel. Mais la frontière qui séparait alors la Lorraine de la mère Patrie rendait difficile la présence d'un trop grand nombre d'ingénieurs français dans nos mines et usines et n'avait pas permis de répondre à ce désir. Ses années de début se passèrent aux Mines de la Grand'Combe, puis à celles de Douchy où, sous la direction d'hommes comme M. de Castelnau — le frère du général — et surtout de M. Dombre, il reçut une très solide formation de mineur.

Mais déjà, en 1905, nous nous retrouvions. Bien instruit des choses du Nord et du Pas-de-Calais, il nous avait signalé la possibilité, puis fourni le moyen, de prendre le contrôle de la Compagnie des Mines de Crespin-Nord qui traversait une période difficile. Il fut chargé par nous, comme Directeur et Administrateur-délégué, de la remettre sur pied. C'était une besogne ardue. Du beau charbon, mais un gîte peu régulier mal reconnu -- une affaire ou beaucoup était à reprendre, à réorganiser. Ce fut l'œuvre de Delage de 1905 à 1914 et je ne saurais trop rendre hommage aux qualités diverses dont il fit preuve pendant cette période non seulement dans l'ordre technique par la transformation du fond et du carreau, par la création de fours à coke qui devaient plus tard assurer la prospérité de l'affaire, mais encore, ce qui est plus rare chez un ingénieur, dans l'ordre administratif par l'introduction de meilleures méthodes comptables, par un souci d'ordre, de régularité qui devaient faire des Mines de Crespin, au moment ou éclateront les hostilités, un petit modèle où l'on pouvait bien souvent venir chercher un exemple.

Puis ce fut la guerre. Lieutenant puis capitaine d'artillerie, il commanda d'abord une station de 105, fut attaché ensuite comme observateur à une division de ballons captif et s'y signala par les services qu'il rendit notamment pendant les attaques de septembre et octobre 1915. Placé plus tard à la tête d'un parc de réparation d'automobiles dans les Vosges, il fut enfin ramené à la fin de la guerre au Service des achats au ministère de l'Armement. Partout il laissa le souvenir d'un travailleur infatigable, d'un chef sachant réaliser. La croix de chevalier de la Légion d'honneur, qui vint se placer sur sa poitrine à côté de la croix de guerre qu'il avait gagnée au début de la campagne, fut sa récompense.

La fin de la guerre l'avait ramené à Crespin où il était rentré le premier avec les troupes alliées. Il n'y avait malheureusement plus trouvé que des ruines. Mais s'il devait avoir la joie de ressusciter sa mine, de la voir renaître sur des bases identiques d'ailleurs à celles qu'il avait posées, ce ne devait être que de loin.

L'armistice qui rendait l'Alsace-Lorraine à la France devait permettre la réalisation du vœu des jeunes années. Delage, auquel nous avions déjà, avant la guerre, eu recours dans différentes affaires étrangères à Crespin, que nous avions consulté pour l'installation des fours à coke de Moyeuvre, nommé ingénieur-conseil des Houillères de Petite-Rosselle, chargé de nous représenter au Conseil du Charbonnage des Six Bonniers, à celui des Mines de la Clarence, se vit confier à Hayange les délicates fonctions de Secrétaire Général de nos Etablissements. C'était au lendemain d'une guerre qui n'avait pas seulement, du fait de la victoire, transformé la carte de l'Europe, modifié les courants économiques, mais avait aussi par sa durée même changé bien des habitudes, troublé profondément les esprits, bouleversé et les choses et les gens — en un mot, créé un monde différent de l'ancien. Problèmes financiers, problèmes sociaux, problèmes administratifs, problèmes d'approvisionnements et de transport, toutes les questions qui se pressent devant ceux qui ont la charge d'une grande affaire, voilà ce dont Delage allait avoir à se préoccuper tous les jours non seulement dans la collaboration que nous venions de lui demander, mais encore à la Présidence qu'on l'avait prié d'accepter de l'Association Minière d'Asace et de Lorraine ; et je ne parle que pour mémoire du concours qu'il devait être amené à donner à certaines affaires apparentées à notre Maison, comme la Société Thionvilloise des Ciments dont il était administrateur, les Mines de la Brutz ou du Caudal.

Tâche considérable où pendant près de six ans il devait apporter en même temps que ses qualités d'intelligence et de travail, une bonne humeur, une aménité de relations qui n'étaient pas sans prix dans la conduite de certaines négociations.

Entouré de l'affection des siens, il semblait devoir poursuivre pendant des années encore avec ceux auxquels le liait, en dehors de la communauté des efforts notre vieille amitié, la tâche entreprise et voilà qu'aujourd'hui nous n'avons plus devant nous que sa dépouille mortelle.

Sa mort laisse un grand vide.

Enfant du Limousin, il a demandé à retourner dormir au milieu des siens dans un pays dont il avait le charme et la gaité.

Je tiens à lui apporter, avant qu'il ne nous quitte définitivement, au nom des miens, au nom de notre Maison, au nom de ses collaborateurs grands et petits, au nom également — comme président du Groupe de l'Est et à la place du Président de notre Association amicale des Elèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines, M. Julhiet, qui s'excuse de ne pouvoir prendre part à cette cérémonie — de tous les membres de cette Association, au nom de tous les camarades dont il honorait la profession, l'hommage d'un très profond regret.

Puissent les siens, son épouse qui a, depuis sa sortie de l'Ecole des Mines, partagé ses joies et ses peines, suivi les progrès de sa brillante carrière, puissent sa vénérée mère, ses enfants, son frère trouver dans cet hommage quelque adoucissement dans leur très grande douleur.

François de Wendel.