Jean ESCALLE (mort en 1929)


Escalle, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1889). Ingénieur civil des mines.


Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1929 :

Notre regretté camarade Jean Escalle, de la promotion 1889, était le fils d'un ingénieur métallurgiste de grande valeur, qui a fait ses preuves à Bessèges, au Boléo et aux Aciéries de Longwy, où tous les métallurgistes ont pu apprécier en lui les belles qualités du Maître de Forges de l'ancienne France.

Jean Escalle s'est montré le digne fils d'un tel père tout en se créant une véritable personnalité. Son allure distinguée, son sourire et son affabilité bien connus de tous ceux qui l'ont approché, l'ont rendu sympathique à tous, y compris ses ouvriers.

Dès qu'il eut son diplôme de l'Ecole Supérieure des Mines de Paris, en 1892, après avoir fait ses études au Lycée Condorcet de Paris, où il avait gagné ses diplômes de bachelier, il fut attaché à la Société des Aciéries de la Marine, au Boucan, où il fut bientôt nommé sous-chef des Services des Hauts Fourneaux et Aciéries des Forges de l'Adour, jusqu'en 1896. A cette date, il fut appelé comme chef du service des Hauts Fourneaux à la Société des Aciéries de France, à Isbergues.

C'est à cette époque qu'il se maria avec une bretonne, Mlle Mathilde Dubosq, fille d'un grand propriétaire de Rennes.

Tous les camarades de l'Ecole des Mines qui se trouvaient à cette époque dans notre grand bassin houiller du Nord de la France se rappellent avec émotion l'accueil fraternel que Mme Escalle sut leur réserver, continuant ainsi à former et à développer la grande famille des Ingénieurs, alors tout à fait à son début dans le Nord de la France.

Pendant son séjour aux Aciéries de France, Jean Escalle fit réaliser à la métallurgie de très intéressants progrès: il y fit appliquer, pour la première fois en France, la marche des Hauts Fourneaux en deux zones superposées de tuyères, qui a permis d'augmenter, de 12 à 15 %, la production journalière de fonte d'un même haut fourneau. Il employa aussi à Isbergues, pour la première fois en France, les fours verticaux américains pour le réchauffage des lingots, produisant une économie considérable de combustible et de main-d'œuvre. Il installa également un atelier spécial pour l'usinage entièrement mécanique des traverses métalliques de chemin de fer, le seul qui existât en Europe à cette époque.

En 1907, pris, comme son père, du désir d'étudier et de pratiquer la métallurgie à l'étranger, il accepta la mission de développer, comme ingénieur-conseil, les aciéries du Donetz, dont il conduirait encore les travaux si la guerre et ses suites n'avaient creusé une barrière infranchissable entre la Russie et la France.

Depuis la guerre, il a concentré ses efforts sur les mines de Champagnac, dont il était administrateur depuis 1903, et dont il a été nommé Président en 1925. Il avait aussi accepté d'être nommé administrateur de diverses sociétés métallurgiques et minières, dont il s'occupait avec zèle, donnant à ses collègues, avec son entrain habituel, le concours le plus éclairé.

C'est comme administrateur-délégué de la Compagnie des Mines de Falémé-Gambie qu'il a cru de son devoir absolu d'aller lui-même au Soudan Français, dans une région d'un climat très dur, pour se rendre compte de l'état des dragages aurifères et hâter les travaux de prospection, alors qu'il était déjà souffrant et qu'il aurait pu accepter de se reposer, comme les siens le lui demandaient. Méprisant la fatigue et se donnant, comme toujours, tout entier, avec ses hautes connaissances techniques, avec son activité infatigable, avec tout son cœur, aux entreprises qu'il dirigeait, il continua à apporter son concours à ceux, qui avaient mis leur confiance en lui, jusqu'à ce qu'il tombât terrassé par le mal qui le minait.

Encore s'il avait pu trouver sur la terre d'Afrique, les soins qui lui ont été prodigués dès sa rentrée en France, aurait-il pu résister avec sa vigueur habituelle, et se rétablir, comme chacun de nous l'espérait, en le voyant supporter victorieusement les deux opérations successives et terribles qui parurent un instant l'avoir sauvé.

Hélas, la fatalité en avait décidé autrement et après avoir passé quelques jours heureux au milieu des siens, sur une côte sauvage de notre Bretagne, où il s'était créé, pour l'avenir, un nid familial, il revint à Paris pour subir sa seconde intervention chirurgicale qu'il supporta victorieusement encore, et ce n'est que 15 jours plus tard, alors que nous le croyions hors de danger, qu'il a été enlevé en pleine connaissance.

Tels sont, résumés, les grands traits de la carrière d'ingénieur de notre cher camarade, Jean Escalle.

En même temps qu'il se donnait si entièrement à ses travaux, il trouvait le moyen d'accomplir tous ses devoirs militaires en y mettant tout l'amour qu'il avait pour la France.

Capitaine d'artillerie de réserve depuis 1913, il fut mobilisé dès le 2 août 1914, jusqu'en mars 1919; après avoir été détaché à l'Inspection des Forges pendant une partie de la campagne. Il fut nommé chef d'escadron de réserve lors de la démobilisation, et enfin il reçut en juillet 1928, la croix d'Officier de la Légion d'honneur, au titre militaire, ce dont il était très fier, à juste titre.

Il avait été nommé Chevalier de la Légion d'honneur en octobre 1907. Il était en outre Officier d'Académie depuis 1900, Commandeur de l'Ordre National du Cambodge, Officier du Nicham Iftikar, Chevalier de l'Ordre National du Dragon d'Annam, Chevalier de l'Etoile Noire du Bénin.

Jean Escalle avait marié une de ses filles, depuis quelques années, avec un homme fait pour lui donner une vie heureuse. Quelques jours avant l'issue fatale, il eut la grande joie d'apprendre que son autre fille venait d'être fiancée à un savant professeur qui va faire rayonner la langue française à l'étranger. Quelle consolation a dû avoir notre cher camarade (mon vieil ami, presque mon frère, près de qui j'ai passé une grande partie de ma vie, ayant été son condisciple dès le Lycée Condorcet), en pensant, au moment de quitter cette terre, que sa chère et vaillante épouse allait avoir auprès d'elle, le réconfort de ces deux jeunes ménages et des jeunes visages qui l'entoureraient bientôt.

Puisse cette pensée réconfortante adoucir les regrets qu'a éprouvés notre cher camarade en quittant une famille si chérie, dont il était l'idole, et dont le bonheur était l'objet de sa profonde et vigilante tendresse.

Henri Charpentier (EMP promotion 1888)