Paul GIGOT (1836-1906)

Ingénieur civil des mines de la promotion 1857 de l'Ecole des Mines de Paris.

Fils de Laurent Amédée GIGOT (1806-1853 ; X 1824, ingénieur en chef des ponts et chaussées né à Saulieu (Côte d'Or)) ; petit-fils de Edmé Claude GIGOT (greffier de trinunal de commerce) et de Edmée BREGER. Frère de Albert Gigot, préfet.


Publié dans le Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines (1907)

Le 22 décembre dernier, nous conduisions à sa dernière demeure, notre camarade Paul Gigot, de la promotion de 1857, ancien ingénieur chef du service des usines de la Compagnie parisienne du gaz, un des fondateurs de notre Association, à laquelle il avait rendu d'éminents services, comme membre actif du Comité, et comme protecteur efficace des jeunes camarades.

Dans ces dernières années, ses occupations ne lui permettaient pas de s'occuper de notre Association aussi activement que par le passé, ce qui ne l'empêchait pas de lui être utile toutes les fois que l'occasion s'en présentait.

Gigot était né le 18 septembre 1836, à Mortagne, où son père était ingénieur des Ponts et Chaussées : il commença ses études au lycée Saint-Louis (alors lycée Monge).

Son père ayant été nommé ingénieur en chef à Dijon, Gigot continua ses études au lycée de cette ville, dont il devint un des plus brillants sujets : Les palmarès de 1849, 18bO, 1851, mentionnent ses nombreuses distinctions.

Pendant quelques mois de l'année 1849, il eut pour professeur de mathématiques Pasteur, le grand Pasteur. Il avait alors comme camarade M. Launay, qui, après avoir passé par l'École normale supérieure, professa avec succès les mathématiques spéciales au lycée Charlemagne, et avec lequel il fut lié d'une étroite amitié jusqu'à sa mort.

Un autre camarade du lycée de Dijon, un peu plus jeune, était Eugène Spüller, l'intime de Gambetta. Son frère, M. Albert Gigot, ancien préfet de police, le précédait de quelques années dans ses études.

En 1852, M. Gigot père étant appelé à Paris, notre camarade revint au lycée Saint-Louis, où il acheva ses classes. Ce changement de milieu, la concurrence de camarades chauffés à blanc pour les épreuves du concours général, ne l'empêchèrent pas de briller et de remporter de nouvelles distinctions.

Après avoir obtenu ses deux diplômes de bachelier es lettres et bachelier es sciences avec Saint-Marc Girardin, Chasles, Vieille, Balard comme examinateurs, il se prépara aux examens de l'École polytechnique ; dans l'intervalle, il avait eu la douleur de perdre son père ; le travail et ce malheur avait altéré sa santé ; néanmoins, il se remit courageusement à la besogne , pour conquérir l'uniforme tant envié de polytechnicien. Animé d'une ambition bien légitime, il s'était fait un point d'honneur d'atteindre cet idéal, en souvenir de son père et comme couronnement de ses fortes études. Dans cette période, il suivit les leçons du mathématicien Briot et du physicien Lissajoux.

Ses efforts ne devaient pas être récompensés : assez longtemps malade, de nature modeste et presque timide, il fut la victime de cette chance d'examen qui réserve ses faveurs à de brillants candidats, parfois superficiels, en éliminant des sujets d'un jugement sûr, réfléchi, mais sans défense contre les embûches ou le caprice d'un examinateur.

Cet échec fut pour Gigot un gros crève-coeur, dont il se ressentit toute sa vie, sans toutefois se laisser aller au découragement ; en effet, aussitôt après les examens de l'École polytechnique, il entrait à l'École des Mines et suivait successivement les cours préparatoires et les trois années suivantes de cours comme élève externe ; s'il ne put participer au merveilleux enseignement de l'École polytechnique, unique au monde, il put du moins en ressentir l'heureuse influence en assistant aux leçons des illustres professeurs de Sénarmont, Elie de Beaumont, Gruner, Rivot, Callon, etc., etc., qui avaient puisé à cette école l'esprit méthodique et philosophique dont nous avons tous profité pour notre plus grand bien.

Gigot appartenait à une vigoureuse promotion, qui, pour une moyenne d'âge de 70 ans, a encore conservé 76 % de ses membres.

Il avait maintenu à l'École ses habitudes de grand travailleur et était parmi les plus assidus aux cours.

Quand il eut son brevet d'ingénieur civil des Mines, il entra directement à la Compagnie parisienne du gaz, où il devait rester jusqu'au jour de sa retraite, accomplissant ainsi une période de plus de 45 années de service.

Il pouvait se trouver un peu dépaysé dans une industrie dont il avait rarement entendu parler dans ses cours, ce qui ne l'empêcha pas de réussir ; tant il est vrai que le passage dans une école consiste surtout en un programme d'études pour l'avenir, et fournit des méthodes de travail qui habituent l'esprit des jeunes ingénieurs à se familiariser avec les solutions pratiques.

Il commença par s'occuper des travaux de reconstruction de l'usine de Vaugirard et dans la suite prit la direction de cette usine.

A cette époque, Siemens commençait à appliquer son système de récupération de la chaleur, qui révolutionna l'industrie moderne, en s'inspirant des importants travaux d'Ebelmen, ingénieur des mines, sur la gazéification ; il est certain que la récupération de la chaleur ne pouvait réussir sans l'emploi de combustible gazeux.

Gigot fut chargé de la construction et ensuite de la conduite des fours Siemens à l'usine de Vaugirard.

L'installation comprenait, outre les grands générateurs et une conduite en tôle en forme de siphon, qui fut plus tard supprimée dans les fours de la Compagnie parisienne, le nouveau système de récupération par inversion. L'installation primitive existe encore, survivant à notre camarade, et rendant encore de très bons services.

En 1868, Gigot quittait l'usine de Vaugirard et devenait ingénieur de l'exploitation pour l'ensemble des usines, et le collaborateur de l'ingénieur en chef du service des usines, Arson, qui fut une des personnalités les plus marquantes du monde gazier dans les 50 dernières années ; M. Camus, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées [X 1841, qui construisit le chemin de fer de Limoges à Périgueux et déssécha la baie du Mont Saint-Michel], était sous-directeur et dans la suite (en 1871) fut l'éminent directeur de la Compagnie parisienne du gaz, qui devait devenir entre ses mains une des plus florissantes affaires du XIXme siècle. L'illustre Regnault, qui en était l'ingénieur conseil, avait de fréquents rapports avec notre camarade. En 1894, Gigot succédait à Arson comme ingénieur en chef. Dans la longue période de 1868 à 1905, Gigot collabora à l'agrandissement d'anciennes usines, à la construction et à la mise en train de nouvelles usines :

On en appréciera l'importance quand j'aurai dit que la production annuelle de gaz, qui était de 138.797.811 m3 en 1868 a été de 394.916.259 m3 en 1905.

La fabrication du gaz, qui paraît modeste d'allure, donne cependant lieu à d'ingénieux procédés de fabrication et aux applications les plus diverses et les plus fécondes de ses produits et de ses sous-produits et se distingue d'autres industries par la nature explosive de son principal produit, le gaz ; celui-ci joue un rôle considérable dans la vie moderne où il pénètre dans le plus humble des logements, en sillonnant le sous-sol de toutes les voies publiques ; cette industrie fait en outre partie d'un service public, qui n'admet aucune interruption, quels que soient les événements.

On peut conclure de là quelle est la tâche de l'ingénieur gazier et en particulier celle de notre camarade, qui a fabriqué si longtemps le gaz de Paris et des environs, sans qu'on ait jamais entendu parler d'accident dû à une négligence quelconque de son service ni de discontinuité dans la fourniture de gaz.

Dans l'année 1870, l'année terrible, la responsabilité des ingénieurs de la Compagnie parisienne du gaz fut mise à une rude épreuve; une faible partie seulement de Paris resta éclairée pendant le siège, il fallait empêcher la formation de mélanges détonnants dans les conduites, et pour cela maintenir du gaz en pression dans tout le réseau.

Gigot ne faillit pas à cette dangereuse tâche, non plus qu'à la périlleuse surveillance des usines installées à la périphérie de Paris, et par suite servant de point de mire au bombardement.

La collaboration de Gigot à tous les travaux d'installation fut une partie de sa tâche.

Il a donné toute son ardeur, tout son temps à la prospérité de cette Compagnie, qui en fit largement profiter et ses actionnaires et la ville de Paris, avec laquelle elle partagea ses profits, et son personnel, à qui elle donnait une part de bénéfice.

Une autre partie de sa tâche fut sa collaboration à toutes les mesures d'humanité et de bienveillance de cette Compagnie, qui, devançant les lois sur les retraites, sur les accidents, sur le repos hebdomadaire, avait, depuis longtemps, fait profiter son personnel de toutes les mesures de protection sociale qu'elles contiennent, qui, même, avait été encore plus généreuse qu'elles, en donnant davantage, en prenant tous les frais à sa charge et en étendant ces mesures aux malades, aux veuves, aux orphelins.

Elle fut admirablement secondée dans cette voie par Gigot, qui était, pour son compte, un bienfaiteur inlassable ; on ne compte pas ses obligés, dont il a emporté la reconnaissance dans la tombe.

Il a fait partie du premier comité de notre Association et en est resté pendant 20 ans un des plus fidèles membres; dans une crise qu'elle a traversée, il l'a, avec quelques membres aussi dévoués que lui, empêchée de péricliter.

Dans sa vie intime, Gigot a été le meilleur des maris et le meilleur des pères ; il n'a jamais pu se consoler de la perte de sa chère compagne, morte en octobre 1898. Il avait reporté sur sa fille toute l'affection et le dévouement dont il était capable.

Gigot a conservé jusqu'à son dernier jour de profondes convictions, qui ne l'empêchaient cependant pas de professer les idées les plus libérales et les plus tolérantes. Pour n'en citer qu'un exemple, il eut pendant 30 ans, sous ses ordres, comme inspecteur du matériel et de l'outillage, un homme qui joua un rôle important dans la seconde République, en 1848, Albert Martin, dit Albert l'ouvrier, ancien membre du Gouvernement provisoire, qui, déporté, puis amnistié, était resté fidèle à ses opinions politiques ; tous deux vécurent en parfaite intelligence dans cette longue collaboration.

Après une vie de labeur et de dévouement aussi complète, Gigot pouvait espérer jouir d'un repos bien mérité. Quand il se retira, tout le personnel s'unit dans une manifestation grandiose pour lui faire ses adieux et lui témoigner tout son affectueux dévouement. Notre Bulletin en recueillit quelques échos, transmis par notre camarade Sainte-Claire-Deville.

Une courte maladie l'a enlevé en quelques jours à l'affection des siens et de ses nombreux amis.

Gigot a voulu que la dernière conduite fût simple, comme avait été toute sa vie; nous avons dû nous incliner devant sa suprême volonté.

Gigot a honoré son pays comme honnête homme, comme bienfaiteur, comme ingénieur, comme patriote. Puisse-t-il avoir de nombreux imitateurs !

A. EUCHÈNE.


Bulletin de l'Association Amicale des Anciens élèves de l'Ecole des Mines, Décembre 1905

BANQUET
offert par le personnel de la Compagnie parisienne du gaz à P. GIGOT, à l'occasion de sa retraite.

Un de nos camarades les plus distingués, M. P. GIGOT, de la promotion de 1857, qui fut membre du Comité de l'Association et trésorier pendant de longues années, vient de prendre sa retraite après quarante-cinq années passées au service de la Compagnie parisienne du gaz.

A cette occasion, le personnel de la Compagnie a voulu témoigner à l'éminent ingénieur les regrets que lui causait son départ.

Cette manifestation d'affectueuse sympathie à un camarade intéresse d'autant plus notre Association qu'elle a toujours compté parmi ses membres un groupe important d'ingénieurs attachés a la Compagnie parisienne du gaz.

Sept cent soixante-dix souscripteurs, ingénieurs, employés, ouvriers, se sont réunis pour offrir à notre camarade un exemplaire du beau bronze de Chapu, la Pensée, éditée par Thiébault

La remise de celle belle oeuvre s'est faite en présence de tous les souscripteurs, dans les bureaux de la Compagnie parisienne, le 5 décembre dernier. M. BRISAC, collègue et ami de M. GIGOT, a pris la parole au nom de tous et exprimé en quelques mots émus les sentiments unanimes de l'assistance.

Le surlendemain 7 décembre, un banquet de soixante-dix couverts groupait autour de M. GIGOT les ingénieurs et employés principaux du service des usines, qu'il dirigeait, un grand nombre d'ingénieurs des autres services et quelques anciens collaborateurs, retirés avant lui, et heureux de lui apporter le témoignage de leurs sympathies.

La place nous manque pour reproduire ici le texte intégral des divers toasts applaudis qui ont clôturé celle cordiale réunion. Nous nous contenterons de donner la partie de l'allocution de notre camarade EUCHÈNE, collaborateur intime et successeur de M. GIGOT, comme chef de l'important service des usines, où il retrace, mieux que nous ne saurions le faire, les grandes lignes de la carrière de Paul GIGOT.


« Tout ce bien que vous avez répandu à profusion suffirait pour remplir une existence; mais, là ne s'est pas bornée votre destinée: si vous avez mis votre bon coeur au service de vos semblables, vous avez mis toute votre jeunesse, toute votre force, toute votre intelligence au service de la Compagnie parisienne du gaz.

Exposer tout ce que vous avez fait dans ces quarante-cinq années, c'est écrire l'histoire de notre Compagnie presque depuis son origine jusqu'à l'heure actuelle; après avoir été un des artisans des premières heures, qui ont dû être les plus difficiles dans une industrie naissante, vous avez joué un rôle important dans toutes les transformations qui se sont succédé. Vous avez eu la chance de commencer avec des chefs éminents ; l'un d'eux est toujours au milieu de nous, vénéré de tous ; c'est le véritable créateur de la Compagnie parisienne du gaz : j'ai à peine besoin de nommer M. CAMUS; un autre était le regretté ARSON, l'ingénieur aux idées géniales qui a personnifié notre industrie en France dans la dernière moitié du siècle dernier. Enfin, vous avez reçu les conseils de l'illustre REGNAULT.

C'est à Vaugirard que, tout jeune ingénieur, muni de votre diplôme de l'École des Mines, vous faites vos débuts; c'était une usine neuve à créer, d'un modèle tout nouveau ; c'est cette usine et son régisseur qu'on choisit pour essayer un mode de chauffage des fours qui devait quelques années plus tard révolutionner les industries du fer et du verre ; vous avez eu l'insigne bonne fortune de préparer le succès du procédé Siemens ; c'était pour un débutant une belle tâche ; vous vous en êtes tiré avec honneur.

Aussi, huit ans plus tard, êtes-vous désigné pour prendre la direction de la fabrication et pour collaborer plus intimement à l'oeuvre d'Arson.

Le développement de la Compagnie parisienne, un moment arrêté par les malheureux événements de 1870, prend un nouvel essor, et alors se succèdent les transformations et créations d'usines auxquelles vous prenez la pari la plus active.

C'est l'usine de Saint-Mandé qui se complète en profitant de l'expérience de celle de Vaugirard. C'est l'usine de Belleville qui marque une nouvelle étape dans la construction des fours, et qui va servir de modèle aux installations futures, notamment a la transformation de l'usine d'Ivry.

Puis, c'est le tour de l'usine de Clichy, de la grande et belle usine de Clichy, qui, réunissant toutes les améliorations réalisées par ses devancières, fait l'admiration de tous ceux qui la visitent.

Et enfin, c'est l'usine du Landy, l'usine de l'avenir qui, malheureusement, voit sa marche arrêtée par l'éclosion d'un nouveau concurrent, l'éclairage électrique.

Grâce à l'esprit de méthode qui a toujours été la ligne de conduite d'une direction prudente et intelligente, chaque branche de la fabrication a fait l'objet d'une étude approfondie, rien n'a été laissé au hasard ; on n'a pas cherché les solutions brillantes qui frappent les yeux, mais la simplicité et la sécurité.

A différentes reprises, à l'occasion de réunions de commissions quinquennales de savants destinées à contrôler les procédés de fabrication, la Compagnie parisienne a pu montrer que ses usines pouvaient soutenir la comparaison avec n'importe quelle installation française ou étrangère.

Cher maître, cher ami, je suis l'interprète de tout le personnel de nos usines, je crois être l'interprète de tous vos obligés, en vous remerciant de tout le bien que vous avez fait dans votre carrière et en vous souhaitant de trouver dans un repos bien mérité toutes les satisfactions auxquelles vous avez droit. »


Après M. EUCHÈNE, notre camarade BOISSIÈRE, chef du service des houilles, M. LOUVEL, chef du service des travaux, M. LEROY, doyen des régisseurs des grandes usines de la Compagnie, ont successivement pris la parole et exprimé, aux applaudissements de toute l'assistance, les sentiments de vénération et d'affection qui l'animent tout entière à l'égard d'un chef ayant su allier à la fermeté nécessaire, une douceur et une bonté dont le souvenir restera longtemps dans nos coeurs.

Notre camarade GIGOT, se levant a son tour, a exprimé en termes profondément émus sa reconnaissance pour la superbe manifestation dont il venait d'être l'objet.

Et tous, nous pensions, en l'écoutant, qu'il doit être en effet bien doux de se sentir ainsi regretté et aimé lorsqu'après une longue carrière, on se croit en droit de s'assurer quelques années de repos avant que l'âge ou la maladie ne vous empêchent d'en jouir.

Et tous, encore, nous nous félicitions d'avoir pu lui procurer cette joie.

Emile SAINTE-CLAIRE-DEVILLE.