Paul LALIGANT

Ingénieur civil des mines de la promotion 1900 de l'Ecole des Mines de Paris.


Publié dans le Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines (1907)

Le camarade que nous pleurons aujourd'hui, parce qu'il fut bon parmi les bons, était d'une exquise modestie : tout jeune encore, à l'issue des distributions de prix du collège d'Arcueil, il donnait aussitôt ses nombreuses couronnes, se dérobait aux félicitations officielles et ne voulait jouir que de l'intime contentement des siens. Ceci n'est donc pas un discours, il me semblerait voir notre ami se dresser pour m'arrêter. Je viens simplement lui dire un dernier adieu au nom des anciens élèves de l'École supérieure des Mines qui l'ont connu, c'est-à-dire aimé.

Sa carrière fut courte : au sortir de l'École, grâce à l'appui d'un de nos maîtres les plus dévoués pour aider nos débuts dans la vie industrielle, il entre à la Société Babcock et Wilcox, ce qui lui permet de rester à Paris, où réside sa famille. Quelques mois après, il doit cesser son service, atteint déjà du mal impitoyable qui devait mettre quatre ans à le terrasser.

Il nous quitte à l'âge où la vie s'épanouit, on devine avec quels regrets. Sa grande âme accepte le sacrifice avec la plus héroïque résignation. Son coeur, le plus délicat peut-être que j'ai jamais connu, lui fait trouver les paroles capables d'atténuer la douleur des siens. Et pourtant il est encore broyé par une douleur morale dont nul sans doute ne peut sonder la profondeur s'il ne l'a lui-même ressentie. Il l'accepte sans murmure, sans une parole amère, toujours prêt à excuser, ayant tout pardonné. Puisant sa force dans sa foi, il donne un tel exemple à ceux qui, comme moi, l'ont approché pendant ses derniers jours, qu'à ce souvenir je ne puis contenir mon admiration.

Mon cher camarade, la vie vous fut cruelle, mais vous dormirez en paix. Je m'incline avec la plus respectueuse émotion devant la douleur de ceux que vous laissez, de votre père, de votre frère, qui vous ont entouré avec un inoubliable dévouement, de votre mère surtout qui, nuit et jour, ne vous a pas quitté pendant de longs mois. Je vais garder le silence devant leur douleur, que nulle parole humaine ne saurait consoler. Mais j'ai voulu citer tant d'héroïsmes; ne faut-il pas que le bien rayonne par leur exemple?

Adieu, mon cher camarade, je garderai précieusement le doux souvenir de votre affection.

H. CHAPOT.

Paris, 16 décembre 1907.