Jean LESEUR (mort en 1918)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1913). Ingénieur civil des mines.


Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, , décembre 1918

Cette triste période qui a précédé la guerre, pénible comme les lourdes journées qui précèdent l'orage, voyait éclore, au milieu de l'inconscience et du matérialisme aveugle qui semblaient tout envahir, quelques jeunes gens d'une autre trempe qui, à eux seuls, donnaient l'espoir d'une régénération.

Jean Leseur était de ceux-là. Ame droite et claire, aimant et sentant la vérité, il comprenait pleinement et concevait de façon supérieure les saines et nobles traditions de famille qu'il avait reçues : la foi chrétienne, le sentiment du devoir. Il ne pensait pas que la finalité de la vie fût la satisfaction la plus complète des appétits matériels.

D'autre part, ayant voyagé, regardé et médité, il savait que le danger était proche. Réfléchi et laborieux, il avait acquis de bonne heure une gravité qui savait s'allier à un tempérament affectueux, à une sensibilité exquise.

La guerre le prit en plein travail, au milieu de ses études à l'école : elle ne le surprit pas. Elle le trouva d'une âme assez haute, d'une intelligence assez claire, d'une volonté assez trempée pour qu'il fût immédiatement à la hauteur du devoir le plus grand et le plus difficile. Il s'y consacra tout entier.

Parti comme sous-lieutenant d'artillerie, il connut le rude choc de Charleroi, celui de Guise, les fatigues et les angoisses de la retraite, où l'on sentait derrière soi la bête de proie mordre goulûment la chair de la France, puis le suprême va-tout de la Marne. Dominant toute anxiété qui aurait pu le troubler, il montra un courage et un jugement qui le firent choisir comme orienteur par son commandant de groupe. C'est en cette qualité qu'il prit part aux combats de la course à la mer, jusqu'à l'arrêt dans les tranchées boueuses de l'Artois.

A ce moment, on commença, instruit par de tristes expériences, à développer le service de l'aviation. Il fallait des hommes de cœur et de savoir. Jean en était, et cette utilisation plus complète de ses facultés lui partit son devoir. Il s'inscrivit comme volontaire.

Cependant la lutte avait repris, ardente, sur les collines d'Artois. Mal munis de tout, sauf de courage, les combattants de France tentaient de refouler l'envahisseur, de repousser avec leurs poitrines ses défenses de fer. Blessé à Roclincourt par un éclat d'obus, Jean refuse d'abandonner la lutte et continue son service.

Affecté en juillet 1915 au service de l'aviation comme observateur d'artillerie, il collabore à l'offensive de septembre en Champagne. « Ses qualités de décision, de calme, de courage » le font citera l'ordre de la division. L'hiver, dans « l'infernal secteur » de l'Argonne, il se montre « observateur remarquable, courageux, plein d'allant et d'un dévouement absolu », ce qui lui vaut une belle citation à l'ordre de l'année, où il est rappelé qu'un jour, « au-dessus des lignes ennemies, ayant eu son avion et sa nacelle criblés par les balles des mitrailleuses », il « n'a pas perdu un seul instant son sang-froid et a terminé sa mission ».

A la période la plus critique de la poussée allemande sur Verdun, en juin-juillet 1916, on le trouve aux points les plus menacés, à Vaux et à Fleury, volant, quel que soit le temps, aussi bas que possible, narguant les mitrailleuses, pour exécuter, avec tout le soin et la conscience imaginables, ses réglages et ses reconnaissances.

Puis vient 1917, ses espoirs et ses rudes attaques. Là encore, c'est au point le plus actif, dans la fameuse région des Monts en Champagne, que nous trouvons Jean Leseur. Il se fait maintenir, sur sa demande, dans l'escadrille où le travail est le plus périlleux et le plus important, « volant jusqu'à cinq heures dans la même journée ». Une nouvelle citation vient attester les services qu'il a rendus.

Le commandement l'enlève alors à son escadrille et l'attache comme officier de renseignements au commandant du secteur aéronautique d'un corps d'armée, puis d'un corps de cavalerie. Désormais, il est mêlé à toutes les actions qui ont illustré le glorieux C. C, et où lui-même se distingue si spécialement qu'une nouvelle citation à l'armée vient en témoigner. C'est la défense de la vallée de l'Oise contre la ruée allemande de mars 1918 ; la bataille des Flandres dans la région du Kemmel, la vallée de l'Ourcq qu'il faut barrer à l'envahisseur, et les approches de la Ferté-Milon qu'il faut défendre. C'est là que, le dimanche 2 juin, notre camarade succombe dans le combat, écrasé sous le nombre de ses agresseurs, au retour d'une mission qu'il avait voulu remplir lui-même à cause de son importance.

Il fallait savoir quelles étaient la situation et les forces de l'ennemi, qui préparait une tentative d'enveloppement. A huit heures et demie du soir, piloté par un officier qu'il appréciait particulièrement, Jean Leseur part en reconnaissance. Sa mission remplie, comme il regagnait nos lignes à la nuit tombante, volant à faible hauteur, il est soudain attaqué par une patrouille de quatre fokkers, du type le plus puissant et le plus rapide. Sans hésitation, il accepte le combat. Nos dragons, qui sont en ligne, le voient se dresser dans la nacelle, actionnant sa mitrailleuse : puis l'avion pique droit sur le sol. Nos soldats ont pu recueillir les deux cadavres. Jean, la figure calme dans la mort, la poitrine trouée de balles, avait eu la main broyée sur la poignée de sa mitrailleuse.

C'est dans les toiles de son appareil qu'il fut enseveli, sur le lieu même de sa mort héroïque. Il tombait en pleine activité, en pleine jeunesse, en plein épanouissement. Ses belles qualités naturelles avaient été développées a l'extrême, mûries par la guerre, par l'accomplissement du grand devoir de la lutte, avec la pensée permanente du sacrifice consenti. La noblesse de son caractère, sa conscience scrupuleuse, ses qualités de sang-froid et de jugement lui avaient conquis la haute estime et la confiance de ses chefs, la sympathie et l'admiration de tous.

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(Septembre 1918).

A. Vayson (Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris, promotion 1911).