David PIEYRE de MANDIARGUES (1879-1916)

Petit-fils de Jean Marie Edmond PIEYRE et de Francoise Louise LACOMBE de MANDIARGUES. Fils de Jean Alfred PIEYRE LACOMBE de MANDIARGUES (1848-1928) et de Magdeleine CHAUFFERT (1856-1924).

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1901). Ingénieur civil des mines.

Blessé comme interprète près l'Armée anglaise, et mort des suites de ses blessures. Médaille militaire.


Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Août 1916 :

David Pieyre de Mandiargues, qui vient de mourir pour la France dans la bataille de la Somme, appartenait à une de ces vieilles familles protestantes du Sud-Est où l'on sait, par tradition, que chacun, quelque fortune qu'il ait reçue ou acquise, doit travailler avec continuité aux champs, à l'usine ou au bureau. Il vint donc assez naturellement à notre Ecole des Mines, sans trop savoir d'ailleurs, comme tant d'autres de nos camarades, ce qu'il ferait en en sortant. Une appréhension, sans doute exagérée, de ses forces physiques, une préférence peut-être pour le travail de finance, le décidèrent, en quittant l'Ecole en 1904, à entrer aux Etudes Financières du Comptoir d'Escompte vers le moment où cette Société renforçait et réorganisait ce service. Lorsqu'il fut bien au courant de cette besogne un peu spéciale, la Société l'envoya pendant plusieurs mois à son Agence de Londres pour y compléter sur place les dossiers des principales entreprises minières et métallurgiques de l'Angleterre. Quelque temps après, il parcourait la Tunisie et l'Algérie pour une mission pareille relative à leurs mines métalliques.

Malgré l'attrait de ces voyages dont il ne laissait pas d'autre part de redouter un peu les fatigues physiques pour sa santé, de Mandiargues se lassa vite de ce travail assez maussade lorsqu'il ne se fait qu'au bureau et qui ne permet guère à la personnalité de se montrer. Aussi profitait-il de relations d'amis pour s'attacher à une filiale constituée par l'Union Parisienne en vue de susciter et suivre de multiples et diverses affaires au Brésil et plus spécialement dans la province de Sào Paulo. Avec le titre de Secrétaire général de la « Société commerciale franco-brésilienne », de Mandiargues devint, sous la direction de grands financiers, l'agent actif, le factotum à Paris de cette Société. Les crises que subit le Brésil l'obligèrent à y aller passer plusieurs mois ; ses financiers parisiens furent heureux de pouvoir se dispenser de cette rude corvée, en sachant leurs intérêts entre les mains de quelqu'un qu'ils avaient vite reconnu mériter leur confiance par sa prudence et sa sagacité.

De Mandiargues, s'il était besoin d'un nouvel exemple, aura montré que notre Ecole peut préparer utilement aux situations les plus diverses.

Entre temps et relativement de bonne heure après sa sortie de l'Ecole, il avait épousé une charmante femme, d'une ancienne et opulente famille, qui semblait lui apporter tout ce que l'homme peut rêver ici-bas. Deux fils étaient venus, dont l'un peu après le début de la guerre.

A la mobilisation, resté sergent d'infanterie territoriale, il commença par aller garder la caserne de Pont-Saint-Esprit, n'ayant pour distraction que de revoir sa vallée du Rhône toujours secouée par le mistral. Lorsque, quelques semaines après la déclaration de guerre, l'armée hindoue arriva à Marseille et qu'on y établit une base anglaise, de Mandiargues fut un des premiers qu'on y appela, comme interprètes, à raison de sa parfaite connaissance de l'anglais. De là il fut versé, en la même qualité, dans l'armée anglaise du nord de la France ; il ne tarda pas à être chargé du service de l'interprétariat d'une brigade, étant de sa personne attaché au général qui la commandait et devant vivre avec son Etat-Major. Il réussit parfaitement dans ces fonctions qui ne laissent pas, on le sait, d'être délicates à remplir. En dehors des qualités primordiales que nécessite l'emploi, tact, calme, jugement, sans parler d'une possession parfaite de l'anglais, il avait les qualités de forme qui ne sont pas moins utiles : flegme quasiment britannique, grande distinction naturelle, élégance impeccable, notable usage du monde avec la courtoisie qu'il implique, goût et habitude des sports, art et moyens de faire une dépense représentative.

Sa brigade était de celles fortement engagées à la bataille de la Somme. Il marchait avec son général, montrant d'autant plus de bravoure qu'il n'assistait guère à la lutte qu'en spectateur, n'ayant pas pour le soutenir dans l'épreuve et le soustraire à l'idée du danger une participation directe à l'action avec les responsabilités qui en découlent. Le 3 août, au cours de la bataille, un gros obus tomba si malheureusement sur le poste de commandement que l'Etat-Major qui s'y trouvait fut en quelque sorte massacré. Tandis que les officiers anglais étaient tués, de Mandiargues ne fut que grièvement blessé, au point qu'il pût être évacué à l'hôpital anglais de Rouen, mais si fortement atteint à la cuisse et au ventre qu'il expirait le 9, en pleine connaissance, dans de cruelles souffrances courageusement supportées. La Croix de guerre avec palme et la Médaille militaire vinrent reconnaître sa vaillance et l'estime dans laquelle ses chefs le tenaient.

A l'heure où son âme allait s'envoler vers des régions où l'on ne parle plus aucune langue humaine, peut-être a-t-il éprouvé un surcroit de douleur en n'entendant murmurer autour de son lit d'agonie qu'une langue étrangère ; peut-être, dans une dernière angoisse, a-t-il pu s'imaginer qu'il mourait sur la terre étrangère. S'il a eu cette douloureuse impression, son mérite n'en est que plus haut, parce que son sacrifice plus complet, et notre reconnaissance doit aller plus grande à ce brave, loyal et charmant camarade, auquel la vie semblait ne devoir réserver que des sourires et qui, si vaillamment, a prématurément succombé pour nous.

L. A.