René MIRIGAY (mort en 2003)

Il épouse Michèle PEDOUSSOT le 6/9/1958.

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1945). Ingénieur civil des mines. Décédé le 30 août 2003.


Publié dans MINES Revue des Ingénieurs, Octobre/Décembre 2003.

Mémento de nos années d'Ecole
Prononcé en mémoire de René Mirigay le 18 octobre 2003 en l'église St Nicolas de Ville d'Avray
par Joseph SANS

J'ai connu René en octobre 1945 lors de notre rentrée commune à l'Ecole des Mines de Paris.

La guerre était finie, mais les séquelles en étaient partout présentes : le slogan le plus en vogue, nous dirions aujourd'hui "le plus médiatisé", était : "Retroussons nos manches ! ça ira mieux demain " Michelin éditait des cartes constellées de points et de cercles rouges indiquant les endroits où les destructions de la guerre ou les champs de mines rendaient la circulation automobile difficile ou impossible, et c'est ainsi que cette année là, la revue de l'école, préparée traditionnellement par les élèves de seconde année, eut comme titre "Danger Mines" avec comme sous-titre "Le Corps au diable !". On pouvait rester perplexe devant la liaison à faire entre ces deux titres, mais c'était là un problème mineur, car ni l'un ni l'autre de ces titres n'avait de rapport avec l'action qui se déroulait sur scène...

Nous étions pour la plupart encore des J3, et si nous n'avions plus de tickets d'alimentation, nous étions parfois bénéficiaires de rations supplémentaires que nous allions consciencieusement retirer chez le bougnat d'en face.

Si je dis "le bougnat d'en face", c'est que très naturellement je pense au magasin d'alimentation à l'enseigne de "Café-Vins" qui faisait face à la Maison des Mines, rue St Jacques ; c'est là qu'habitaient de nombreux élèves : ceux-là formaient en effet deux catégories, ceux qui habitaient la Maison des Mines, le plus souvent originaires de province, et qu'on appelait les pensionnaires, et les autres, appelés externes, qui disposaient d'un appartement parisien. A la Maison des Mines, la pénurie existait aussi, entre autres dans le nombre des chambres mises à disposition : c'est qu'elle recevait, outre les élèves de l'Ecole des Mines, ceux de l'Ecole des Ponts et Chaussées et ceux de l'Ecole du Génie Maritime, et la capacité limitée de l'offre faisait que l'on attribuait peu de chambres individuelles et qu'en général chacun devait partager la sienne avec un camarade-colocataire, que l'on désignait sous le nom de binôme, terme rémanent de notre culture mathématique encore fraîche. Comme beaucoup d'entre nous, René fut donc binôme durant sa première année d'école ; son binôme était, je crois, notre camarade Emile Niquet ; mais dès la seconde année, René put bénéficier d'une chambre individuelle, ce qui n'était ni une faveur, ni un passe-droit, mais tout simplement la conséquence de l'amélioration progressive de la situation qui permettait de proposer un peu plus de confort à ceux qui le souhaitaient.

Une autre particularité, rare heureusement, de cette première promotion d'après-guerre fut qu'elle accueillit des camarades plus âgés, lauréats des concours d'entrée des années de guerre et d'occupation, qui avaient suivi des parcours divers, non pas tortueux, mais tourmentés depuis leur admission par suite d'engagement dans l'armée, de mobilisation, de résistance, même de déportation ou d'autres encore, et qui intégraient l'école en même temps que les jeunes émoulus de Taupe que nous étiorts. Ils commençaient donc leurs études en retard ; ce qui leur valait le nom de "retardés" ; il s'agissait là seulement d'une désignation et non pas d'un constat de valeur ; mais très rapidement ces camarades nous firent la remarque suivante :

Vous, jeunes de 1945, allez faire vos études pendant trois ans dans cette école ; de notre côté, nous allons faire les mêmes études que vous, mais nous ne mettrons que deux ans à suivre le cursus que vous faites en trois : en conséquence, vous allez nous faire le plaisir de nous qualifier dorénavant d'"accélérés" et non de "retardés".

Ce qui fut fait instantanément, et fut à l'origine des excellentes relations qui s'établirent avec ces camarades et qui n'ont jamais cessé depuis. Ils sont toujours membres d'honneur de la promotion 1945, même s'ils restent inscrits à l'annuaire sous la rubrique de leur promotion d'origine.

L'effectif des promotions était à cette époque assez réduit, même en y adjoignant celui des accélérés évoqués à l'instant; de plus le restaurant de la Maison des Mines étant un restaurant universitaire, les externes y venaient eux aussi assez souvent partager nos repas. Les relations s'établirent donc très rapidement entre nous tous, et bientôt chacun connût tous les autres. De ce fait, on se rendit compte très tôt de l'assiduité et du sérieux avec lesquels René suivait les enseignements de l'Ecole : on sentait déjà se manifester chez lui le goût pour la technique et les problèmes pratiques et concrets qu'il aurait à résoudre plus tard au cours de sa carrière industrielle.

Il n'est pas impossible que le choix de carrière qu'il fit à sa sortie de l'Ecole doive quelque chose à un certain cours professé par l'ingénieur en chef Georges Brun, modestement intitulé "Cours de Machines", mais que l'on qualifierait maintenant de "Cours d'Energétique", car il s'agissait vraiment de leçons sur l'utilisation des énergies primaires, prononcé avec un brio et une maestria inégalés et dont se souviennent encore ceux qui ont eu le privilège d'y assister.

Un souvenir personnel qui revient à ma mémoire avec émotion, surtout aujourd'hui dans les circonstances qui nous réunissent, c'est celui d'un voyage fait en compagnie de René en Angleterre et en Ecosse. Il s'agissait du voyage d'études de deuxième année ; nous n'étions pas les seuls à avoir choisi cette destination et voyagions donc en groupe ; mais c'est le plus souvent avec René que je partageai à cette occasion mes activités, tant studieuses que touristiques, et c'est alors que nous avons pu asseoir et conforter notre amitié et apprécier les échanges de toute nature que nous avions sur telle ou telle question, et qui nous permettaient toujours de dégager une opinion commune. Il nous était alors apparu que notre éducation et notre parcours présentaient de nombreux points communs, et je me souviens en particulier du plaisir qu'éprouvait René à évoquer ses souvenirs d'enfance dans sa Savoie natale, dans cette zone franche entre France et Suisse, où il lui arrivait souvent d'accompagner ses parents sur les marchés des villes et villages avoisinants, et même jusqu'à Genève.

Voilà donc, rappelé brièvement, ce que furent nos années d'école. A l'automne 1948, chacun, muni de son diplôme d'ingénieur, trouva sa place dans l'activité qu'il avait choisie et ce fut la dispersion générale. (A cette époque, il était plus facile qu'à présent de trouver une situation). Celle que j'obtins m'ayant appelé en province, mes relations avec René devinrent moins suivies, moins fréquentes, un peu distendues, mais certes non distantes ; et dès que je fus muté au bout d'une dizaine d'années dans un emploi en région parisienne où je retrouvai René marié et père de famille, nos relations reprirent très simplement et très amicalement, et n'ont plus cessé depuis.

C'est ce qui explique que c'est à moi que revienne aujourd'hui l'honneur d'évoquer devant vous le souvenir de René et de dire, au nom de tous ses camarades de promotion, à sa famille et à ses amis la tristesse et le chagrin que nous cause sa disparition.

Joseph Sans