La mine de Pesey (Savoie)

Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1932 :

En 1932, le comte de Saint-Pierre, de la Société des Aciéries d'Ugine, Administrateur délégué de la Société des Mines de la Plagne, propriétaire du bâtiment ayant servi de logement aux directeur, professeurs et élèves de l'Ecole des mines du Mont-Blanc de 1802 à 1814, accueille une délégation d'anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris.

Résumé de la Conférence du Comte de Saint-Pierre, faite à Peisey, le 12 juin 1932.

Les richesses minérales de la Savoie, occupée depuis 1792, ayant attiré l'attention des « Conseils de la République », l'Ecole Pratique des Mines de Peisey fut créée par un arrêté consulaire en date du 23 pluviôse an X (12 février 1802).

Un acte du 19 brumaire an II (1794) avait déclaré ces mines propriété nationale en suite de l'émigration de ses propriétaires, c'est-à-dire des membres de la Société Savoyarde, présidée par le Marquis de Cordon, Baron de la Tour.

Si l'importance du gisement, dont nous dirons quelques mots plus loin, justifiait la création de cette Ecole Pratique, la situation de la mine présentait d'énormes inconvénients. La rigueur du climat et l'abondance des chutes de neige pendant un hiver d'au moins cinq mois, résultant de son altitude élevée (1.573 mètres au-dessus du niveau de la mer), la difficulté des communications assurées par un simple chemin muletier depuis la vallée de l'Isère, ne permirent pas d'établir sur place le siège de l'enseignement technique qui fut fixé à Moûtiers, dans les bâtiments nationalisés de l'ancien séminaire.

On y établit un vaste laboratoire, une bibliothèque et un cabinet de minérologie. Les élèves n'allaient à Peisey que pour se former à la pratique en mettant eux-mêmes la main à l'œuvre. En outre, pendant la belle saison, ils faisaient, avec leurs professeurs, des excursions dans les montagnes (Grillet. Dictionnaire historique et statistique. Article Peisey. Volume III, page 175).

Nous lisons dans de Mortillet : (Géologie et minéralogie de la Savoie, par M. de Mortillet (Annales de la Chambre Royale d'Agriculture de Savoie, année 1855) :

L'Ecole se composait d'un directeur, Schreiber, de trois professeurs: Baillet, pour l'exploitation; Hassenfratz, pour la docimasie et la métallurgie, et Brochant pour la minéralogie et la géologie, tous ingénieurs de premier mérite, qui se sont fait un nom dans la science. Les élèves internes étaient au nombre de douze, sortis de l'Ecole Polytechnique, auxquels, sur la demande de quelques préfets, on adjoignit six élèves externes.

L'inspecteur des mines SCHREIBER, d'origine saxonne, avait exploité, précédemment, les mines d'Allemont, des Chalanches et diverses autres de l'Oisans (Dauphiné), notamment celles d'or de la Gardette, pour l'administration du Comte de Provence. Il fut, sans doute, désigné comme directeur de l'Ecole de Peisey, non seulement en raison de sa haute valeur professionnelle, mais, encore à cause de sa connaissance approfondie des Alpes qu'il pratiquait depuis longtemps, où il était acclimaté et dont il ne redoutait pas la rudesse.

Quoi qu'il en soit, il se heurta dès le début aux pires difficultés.

En 1807, de Verneilh, dans sa Statistique du département du Mont-Blanc, expose les conditions dans lesquelles se trouvaient les établissements de Peisey au moment où Schreiber en assuma la direction :

L'établissement de Peisey était alors dans un état imminent de destruction. La maison de direction et les baraques servant à loger les ouvriers étaient devenus inhabitables. Les bâtiments et les travaux intérieurs d'exploitation ne se trouvaient pas dans un état plus satisfaisant.

La maison de direction a été mise en état de recevoir les préposés et, au besoin, un professeur et des élèves, lorsqu'ils viennent puiser l'instruction pratique sur les lieux; les bâtiments de service et les baraques ont été réparés.

Il résulte formellement de ce texte que, lors de leurs stages à la mine, les élèves logeaient, non pas au village distant de quatre kilomètres, où aucune habitation n'était d'ailleurs susceptible de les recevoir, mais bien sur les lieux, dans l'ancienne maison de direction, où résidait Schreiber lui-même et où se trouvent encore à l'heure actuelle, huit petites pièces, auxquelles la tradition a maintenu le nom de « chambres d'élèves ».

Dans ce même bâtiment et dans la salle à manger de l'ancien appartement du directeur, on peut voir les armes de l'école, moulées en plâtre, au-dessus de la cheminée.

Ainsi donc, aucun doute : enseignement technique à Moûtiers, formation pratique à la mine où logeaient, sur place, les élèves et où ils remplissaient, à tour de rôle, les fonctions de géomètres et d'ingénieur du fond et du jour.

Si, en raison de la beauté du site que les « pèlerins » du 12 juin 1932 ont pu admirer, le séjour à la mine n'était pas, en été, aussi rébarbatif qu'on serait tenté de le croire, il n'était pas de même pendant la mauvaise saison, cent ans avant l'invention des sports d'hiver.

Les périodes de cours, à Moûtîers, offraient-elles, au moins, aux élèves, une agréable compensation? Il est loisible de s'en rendre compte d'après la description qu'en donne M. Palluel, Secrétaire général du département du Mont-Blanc, dans son annuaire de 1805-1806 :

La ville de Moûtiers est située sur les bords de l'Isère qui la divise en deux parties à peu près égales, et dans un très petit bassin entouré de toutes parts de hautes montagnes, de telle manière que, lorsqu'on y est, on se demande par où l'on y est arrivé et par où l'on en sortira, tant les différentes gorges qui aboutissent à ce bas-fond, sont resserrées.

Sa population est d'environ 2.000 habitants.

Déjà célèbre par ses salines et ses bâtiments de graduation, elle est appelée à le devenir davantage par son école pratique des mines, la seconde de ce genre qui existe en France.

Cette école, instituée par un arrêté du gouvernement du 23 pluviôse an X, est en pleine activité sous la direction de M. Schreiber, ingénieur en chef.

Elle est en l'état suivie par dix élèves sortant de l'Ecole polytechnique, ainsi que par des élèves externes.

La sévérité de ces différents séjours ne rebutait pas futurs ingénieurs, dont la vocation était, sans doute, solide, car nous lisons dans l'ouvrage de Verneilh, relatif à 1807 :

A l'Ecole de Moûtiers, les élèves avaient suivi, avec zèle et succès, les leçons des professeurs sur la minéralogie, sur l'exploitation des mines et la minéralurgie.

On ne signale rien de particulier de 1807 à 1814. Sans doute, comme les peuples heureux, l'Ecole n'eut-elle pas d'histoire.

Pendant cette période, M. Schreiber s'était consacré à l'étude des améliorations des méthodes de concentration et de traitement métallurgique des minerais de plomb. On peut citer de lui : « Fonte de la mine de plomb avec mélange de houille (anthracite alpin) et de charbon de bois ». (Journal des Mines, année 1807.)

En 1814, le retour de la Tarentaise à la couronne de Sardaigne, amène la disparition de l'Ecole de Peisey.

Nous lisons dans le remarquable ouvrage de M. Chesneau que, pendant les Cent Jours, M. Beaunier, directeur de l'Ecole de Geislautern, demandait instamment au Conseil des Mines qu'on lui envoie « la collection de minéralogie, les instruments de physique et le mobilier de l'Ecole du Mont-Blanc ».

Les événements n'ayant pas permis de lui donner satisfaction, l'Ecole des Mines Sarde, dont le règlement fut promulgué par lettres patentes de Charles-Félix, en date du 18 octobre 1822, bénéficia de toutes ces collections, instruments, matériel, etc.

Cette Ecole, établie dans les locaux occupés pendant onze années par l'Ecole Française (et qui sont actuellement l'Hôpital de Moûtiers, dans la rue de l'Ecole des Mines), fut ouverte solennellement le 1er juillet 1825. J.-E.-N. de Rosemberg, qui en avait été nommé directeur, mort avant cette inauguration, fut remplacé par Charles-Marie-Joseph Despine.

Elle avait, également, des élèves internes et externes (Notice sur l'Ecole Royale de minéralogie établie à Moûtiers (Repertorio delle miniere. Volume II, page 129).

Lors de la cessation de cette école, toutes ses collections furent transportées à Turin, place San-Carlo, au dépôt du ministère de l'Intérieur, puis à l'Institut Technique, pour former des séries propres à l'enseignement.

Il me semble que ces quelques éléments de l'histoire de l'Ecole des Mines de Peisey, destinés à préciser certains faits venus à ma connaissance, tant par la tradition orale, recueillie dans mon enfance déjà lointaine, que dans les archives locales, éléments que je suis heureux d'apporter à M. Chesneau, s'il les trouve intéressants, seraient incomplets si je ne disais, pour terminer, quelqus mots sur cette mine de Pesey, jugée digne de devenir le siège d'une école, ainsi que sur la mine de Macôt (La Plagne), concédée à l'Ecole des Mines de Moûtiers, par un décret impérial du 22 frimaire an XIII, attribuant à cette Ecole toute la région dans laquelle se trouve Macôt.

D'après la légende, la mine de Peisey fut découverte par la chèvre blanche d'une bergère, qui, en grattant le sol, mit à jour du minerai magnifique. On place généralement cet événement au commencement du XVIIIe siècle; mais il résulte de pièces existant dans les archives du département de la Savoie que, dès 1644, elle était connue. En effet, à cette date, les communiers de Peisey réclamaient une indemnité au marquis de Saint-Maurice, qui avait concédé l'exploitation de la mine à une compagnie anglaise.

Les premiers exploitants, connus de façon certaine, sont encore des Anglais, MM. Deriva et Capson, de 1734 à 1745; puis la Compagnie du Plisson, de 1745 à 1760; enfin la Compagnie Savoyarde, de 1768 à 1792, date de la nationalisation par suite de l'émigration de ses principaux actionnaires.

Il n'existe pas de documents sur la production antérieure à 1745; mais, de cette date à 1792, il fut produit 14.570 tonnes de plomb et 36.814 kilogrammes d'argent. Production importante, surtout si l'on tient compte du rendement dérisoire qui dut être obtenu avec les procédés de concentration de l'époque, en raison de la nature du minerai à grains très fin, ainsi que des pertes au traitement métallurgique (les vieilles scories tiennent encore plus de 10 % de plomb).

Les recettes de la Compagnie Savoyarde s'élevèrent à 8.908.200 francs pour une dépense de 6.453.348 francs.

M. Schreiber réalisa un million de bénéfices (recettes : 2.980.000 francs; dépenses : 1.988.000 francs). Nous savons par M. Chesneau que cette somme fut employée à payer les frais d'installation de l'Ecole, au Petit-Vendôme, puis à l'hôtel de Vendôme.

Géologiquement, le gisement de Peisey se trouve au voisinage du contact du permo-carbonifère et des sables siliceux et quartziles, qui sont à la base du trias dans notre région.

La vallée de Peisey est coupée presque perpendiculairement par un pli couché considérable, permo-triasique, qui s'ennoie du Nord-Est ou Sud-Ouest. C'est, ainsi que nous venons de le dire, au voisinage des schistes du permien et des sables et quartzites du trias que se rencontre le minerai.

Ce pli se poursuit, au Sud-Ouest, jusqu'à La Plagne (Macôt), à 6 kilomètres de là, où la minéralisation se présente géologiquement de la même façon. Elle se rencontre en veines parallèles à la stratification dans les schistes, et en bancs d'épaisseur considérable atteignant parfois jusqu'à trente mètres de puissance, dans un cas comme dans l'autre.

La galène est à grains fins, tantôt compacte, tantôt disséminée dans une gangue généralement quartzeuse et parfois barytique.

Il est facile de comprendre combien considérables, pour les anciens, devaient être les pertes à la concentration, en raison des procédés de l'époque, quand nous dirons qu'à la Plagne, antérieurement à l'emploi de la flottation, avec une laverie hydro-gravitique moderne, le rendement ne dépassait pas 30 % (trente pour cent).

La teneur moyenne du brut devait être, comme à la Plagne, de l'ordre de 10 %. Chose remarquable, comme à la Plagne, le minerai ne contient ni zinc, ni arsenic, ni antimoine. Il résulte du rapport de l'argent récupéré au tonnage de plomb produit, que la teneur en argent dépassait 2.500 grammes à la tonne de métal.

Les anciens travaux de la rive gauche s'étendaient sur environ 800 mètres en direction Est-Ouest, 90 mètres de hauteur à l'Est et à l'Ouest, où l'ennoyage de la minéralisation la faisait passer au-dessous du niveau de la galerie d'écoulement. A cette limite Ouest, M. Schreiber fit foncer, dans le minerai, deux puits : Espérance et Napoléon, de 80 mètres de profondeur totale; mais l'affluence des eaux et le manque de moyens puissants d'épuisement ne permirent pas de poursuivre l'exploitation dans cet énorme aval-pendage.

Avant la guerre de 1914, des travaux furent entrepris pour rechercher le prolongement du gisement sur la rive droite du torrent et, d'autre part, pour dénoyer les puits Espérance et Napoléon au moyen d'un travers-bancs qui devait avoir mille mètres de longueur.

La minéralisation fut retrouvée sur la rive droite, mais la guerre fit suspendre la reconnaissance du gîte sur la rive droite, et arrêter le travers-bancs d'écoulement, sur la rive gauche, à deux cents mètres de son origine.

La mort d'un des co-intéressés, puis les difficultés de la situation économique générale, ont fait différer, jusqu'à ce jour, la reprise des travaux.

Nous avons dit que la mine de Macôt (La Plagne), découverte par Schreiber et concédée à l'Ecole des Mines, se trouve sur le prolongement Ouest du même synclinal et que, géologiquement, elle se présente entièrement de la même façon que celle de Peisey.

Quelques chiffres sur la production et les rendements de cette mine établiront la valeur de la découverte de Schreiber, en même temps qu'ils démontreront la fausseté de la tradition voulant que les Alpes ne contiennent que des gisements d'échantillons minéralogiques.

Voici l'état de production, pour 1930 et 1931, de cette mine-sœur de Peisey :

Années                                                         1930    1931
Extraction de minerai brut en tonnes ......................... 26.370  27.970
Minerai traité à l'usine de flottation                         25.926  26.851
Concentrés marchands...........                                 5.414   5.783
Teneur moyenne des concentrés.
               en Pb.                                            49 %  55,44 %
               en Ag.                                         1.723 g. 1.925 g. 
Récupération par tonne de minerai brut, en Pb................. 10,10%   11,92%
Récupération par tonne de minerai brut, en Ag.................. 358 g.   423 g.
Rapport du minerai brut au marchand ........................ 4800/1000 4643/1000
Production de plomb (en tonnes).............................     2.653  3.201
            d'argent (en kilogr.) ..........................     9.328 11.363

Il résulte de ces chiffres que, si on ne peut espérer voir renaître l'Ecole Pratique des Mines de Peisey, il est raisonnable d'envisager, à plus ou moins brève échéance, la remise en activité de la mine où les pèlerins, désireux de visiter la vieille demeure où se formèrent leurs grands-grands-anciens, seront reçus plus confortablement et plus longuement, mais certes pas avec plus de plaisir que ceux du 12 juin 1932.