Edouard PHILLIPS (1821-1889)

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Fils de Thomas PHILLIPS et de Louise Félicité CLARMONT. Frère de Charles Georges PHILLIPS (né en 1820 ; X 1839, corps des ponts et chaussées).

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1821) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.
Il termine sa carrière comme inspecteur général des mines, professeur de mécanique à l'Ecole polytechnique et à l'Ecole centrale des arts et manufactures. Il fut élu à l'Académie des sciences (section de mécanique) le 14 décembre 1889.

Nous ne publions pas ici le discours aux funérailles de Phillips, par Aimé Henry RESAL. Celui-ci, initialement publié dans Annales des Mines, 8e série vol. 16, 1889, n'apporte rien par rapport à la biographie par Léauté donnée ci-dessous.


Biographie de Phillips

par Henry Léauté (père de André Léauté).

publié dans LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pages 213 et suiv.

La vie d'Edouard PHILLIPS est des plus simples. Né à Paris, le 21 mai 1821, d'un père anglais et d'une mère française, il eut le malheur de les perdre tous deux, alors qu'il avait à peine seize ans. Sous la direction intelligente et tendre de sa grand'mère et grâce à sa raison et à un caractère bien trempé, ses études se poursuivirent néanmoins régulières et sérieuses. Il fut admis à l'Ecole Polytechnique en 1840 et il se fit aussitôt naturaliser Français.

A sa sortie de l'Ecole des Mines, en 1846, Phillips remplit pendant quelques années les fonctions d'ingénieur au service de l'Etat; il entra ensuite (1852) à la Compagnie des Chemins de fer de l'Ouest comme ingénieur du matériel et peu après à celle du Chemin de fer Grand-Central en qualité d'ingénieur en chef du matériel et de la voie. Ces fonctions actives, loin de le distraire de la science, l'y incitèrent incessamment et lui firent enrichir la Mécanique de multiples et importants résultats ; mais bientôt, quittant l'industrie pour l'enseignement, il professa la Mécanique à l'École Centrale (1864 à 1875), et à l'École Polytechnique (1866 à 1879). L'Académie des Sciences l'élut en 1868; le Gouvernement, en récompense de ses services, l'éleva, en 1882, au grade d'inspecteur général dans le corps des Mines.

Les fatigues résultant d'un excès de travail portèrent, en 1889, une atteinte profonde à sa santé déjà bien chancelante ; un mal presque foudroyant le terrassa, au moment où il venait chercher un repos nécessaire dans sa terre de Narmont, où il mourut le 14 décembre. Le premier travail que Phillips publia sur la Mécanique se rapporte à l'un des problèmes intéressants soulevés par l'exploitation dés voies ferrées, le problème des ressorts. Jusqu'alors les constructeurs ne possédaient, sur ce sujet, aucune règle certaine et précise. Navier avait donné jadis quelques formules relatives à la résistance des poutres superposées; on avait, plus récemment, publié une application timide du calcul aux ressorts composés de feuilles d'égale épaisseur; mais, en réalité, pour le cas général, tout était à faire et, dans les diverses circonstances de la pratique, les ingénieurs en étaient réduits, pour ces appareils, aux tâtonnements.

Phillips, à l'aide d'une analyse délicate, soutenue et confirmée par des expériences prolongées, obtint la solution complète; il établit la théorie générale et montra que les équations différentielles s'intègrent, quel que soit le profil de chacune des feuilles; puis, se préoccupant des applications, il simplifia les formules auxquelles il était parvenu, les ramena de l'expression très compliquée qu'elles avaient tout d'abord à une forme propre au calcul, et arriva ainsi à des règles applicables à tous les cas, qu'il s'agît de ressorts de suspension, de traction ou de choc.

Cette théorie le conduisit à imaginer un type nouveau pour la suspension, type qui présentait de réels avantages pour les wagons à marchandises et fut immédiatement adopté par toutes les Compagnies.

L'année suivante un nouveau travail vint augmenter encore la notoriété de Phillips dans l'industrie des chemins de fer.

Il s'agissait cette fois de la coulisse de Stéphenson. Cet ingénieux mécanisme était devenu d'un usage universel pour les locomotives, mais l'on ignorait les relations qui lient ses divers éléments à la distribution et à l'échappement.

Phillips a l'idée d'utiliser les propriétés bien connues des centres instantanés de rotation et il arrive ainsi, d'une façon presque immédiate, à des formules simples, d'une application facile.

Sa solution est si claire, si lumineuse, elle paraît si peu compliquée, qu'on est tenté de croire qu'il était simple de l'obtenir. Il faut se reporter aux tentatives infructueuses qui l'ont précédée pour en comprendre la difficulté et en apprécier le mérite.

A ce moment de la vie de Phillips, les travaux scientifiques se succèdent sans interruption; chaque année des mémoires importants sont publiés, des problèmes intéressants résolus. Préoccupé de plus en plus des questions relatives aux voies ferrées, il va résoudre l'une des plus difficiles d'entre elles et montrer, par une oeuvre éclatante, que, chez lui, l'ingénieur est doublé d'un analyste profond et sagace.

Les ponts métalliques, exposés aux vibrations que produisent les passages rapides et répétés de trains d'un poids considérable, avaient donné lieu à de nombreux accidents ; calculés pour supporter, dans de bonnes conditions, des charges à l'état statique, ils avaient présenté souvent une résistance insuffisante pour les charges en mouvement; la vitesse du convoi semblait, par les forces dues à l'inertie qui y correspondent, jouer un rôle capital.

Phillips laissant de côté les travaux, intéressants d'ailleurs, de Willis et de Stokes, mais qui, en raison même des circonstances extrêmes auxquelles ils se rapportaient, ne permettaient aucune conclusion pratique, aborde le problème directement et sans faire d'autre hypothèse que de supposer la masse mobile concentrée en un point.

Dans tous les cas, aussi bien pour la poutre reposant librement sur deux appuis que pour la poutre encastrée aux extrémités, il obtient une équation aux différences partielles du quatrième ordre tout à fait analogue à celle qui régit les vibrations transversales des verges élastiques. Puis, employant une méthode approchée qui lui est propre, il satisfait à cette équation en exprimant l'inconnue par une série ordonnée, suivant les puissances entières de l'abscisse et dont les coefficients sont fonctions du temps. Cette solution, disait de Saint-Venant, « se distingue par la hardiesse des expédients », et le savant géomètre n'admettait pas qu'elle fût justifiée.

La critique a sa raison d'être. Il n'est ni évident ni même vrai que l'inconnue puisse se représenter ainsi et Phillips, sans en être effrayé, s'en aperçut bien. Quand il voulut écrire la condition initiale de l'immobilité de la poutre, il ne le put pas, toutes les constantes étaient déterminées avant d'en arriver là; il dut se contenter de prouver, ce qui lui suffisait d'ailleurs, que les mouvements vibratoires résultant d'ébranlements initiaux étaient, dans les limites des applications, sans influence sensible.

Cette objection ne diminue pas la valeur de ce beau mémoire; elle ne touche même en rien au degré d'exactitude pratique de ses conclusions. Au point de vue mathématique, de Saint-Venant avait raison; au point de vue de la Mécanique appliquée, Phillips était dans son droit; il n'étudiait pas la question théorique des vibrations dues à une masse mobile, mais bien le problème du passage d'un train sur un pont. La différence de but explique et fait disparaître la contradiction.

Nous ne pouvons songer à parler ici de tous les travaux qui, dans l'oeuvre de Phillips, mériteraient d'être cités; le nombre en est grand ; mais il nous reste à exposer les recherches qui ont rempli la dernière partie de sa vie, celles qui, devenues classiques, ayant donné lieu à d'innombrables applications, ont rendu son nom célèbre dans le monde industriel, celles enfin qui constituent son oeuvre capitale : ses recherches de chronométrie.

On savait déjà par des expériences de Pierre Le Roy que, dans tout ressort plié en hélice, il existe une certaine longueur correspondant à des durées égales pour les grandes et les petites oscillations; on connaissait un mémoire fort intéressant de Ferdinand Berthoud, remontant à près d'un siècle, dans lequel il était arrivé à formuler quelques régles généralement admises; on avait essayé enfin à de nombreuses reprises de résoudre la question en donnant aux extrémités du spiral une forme notablement différente de la forme hélicoïdale, mais on ne possédait pas de procédé certain pour atteindre le but cherché.

L'extrême complication de forme du ressort spiral semblait rendre son étude fort difficile ; Phillips cependant l'aborde par la théorie de l'élasticité. Il part de ce principe que, si l'on construit le spiral de telle sorte que le moment de son action soit, à tout instant, proportionnel à l'angle d'écart du balancier, les oscillations sont certainement isochrones, puis il démontre que ce résultat peut être produit de deux façons, soit en annulant les pressions latérales exercées sur l'axe du balancier, soit en plaçant le centre de gravité du spiral sur cet axe et l'y maintenant pendant la durée du mouvement. Le premier procédé n'exige des courbes terminales qu'une condition très simple, relative à leur centre de gravité, et il se trouve qu'alors le second est vérifié. Ainsi, ces deux manières d'assurer l'isochronisme, si différentes en apparence, rentrent l'une dans l'autre et se réalisent en même temps d'une infinité de manières, par la forme des courbes terminales.

Phillips étend son analyse aux diverses formes de spiraux et montre, dans une longue série de mémoires, que, pour tous, ses conclusions sont applicables. Une fois entré ainsi dans la voie des recherches chronométriques, les questions se succèdent nombreuses et variées; nous ne pouvons mentionner que les plus importantes.

On sait en quoi consistent les épreuves que les horlogers appellent le réglage en position et l'observation de la différence du plat au pendu. Cette dernière a pour effet de faire varier les amplitudes, c'est un essai d'isochronisme du spiral; l'autre est une vérification de l'équilibrage du balancier. Il ne suffit pas, pour la régularité de marche, que le spiral soit isochrone, il faut encore que le balancier lui-même soit bien centré et qu'ainsi son mouvement soit indépendant de la pesanteur. On parvenait approximativement au résultat dans la pratique, en ôtant du poids au balancier du côté qui, placé vers le bas, donnait de l'avance; mais ce procédé n'était applicable qu'aux arcs d'amplitude modérée. Phillips traite la question par le calcul et en donne la solution complète. Il trouve, pour les oscillations moyennes, la règle des constructeurs, et montre que, pour les grandes, cette règle doit être appliquée en sens inverse.

Son travail est d'un haut intérêt analytique. L'intégration par les séries ne lui ayant rien donné, en raison de la divergence des séries qu'il rencontre, il emploie, pour la première fois en Mécanique appliquée, la méthode de variation des constantes, si féconde en Mécanique céleste. Bientôt après, d'ailleurs, il a l'occasion de l'appliquer à un autre problème. La théorie de l'isochronisme suppose invariable le moment d'inertie du balancier; or, pour parer à l'influence des changements de température, les horlogers compensent les dilatations du balancier, celles du spiral et les variations d'élasticité de ce dernier par l'emploi de lames bimétalliques; mais ces dernières, pour être sensibles, doivent être minces; de là, aux grandes vitesses angulaires, des déformations qui altèrent d'autant plus le moment d'inertie que les amplitudes sont plus considérables. Phillips calcule la grandeur de ces déformations, détermine leur influence sur la durée des oscillations, établit que le spiral théoriquement isochrone ne l'est en fait qu'avec des balanciers légers et de petites dimensions ; la pratique confirma complètement ses résultats.

Il fut alors conduit à étudier la compensation des températures. Les horlogers, procédant par tâtonnements, réalisent l'égalité de marche aux températures extrêmes ; mais l'expérience a prouvé que cette égalité ne s'étend pas aux températures intermédiaires; il reste ce qu'on a appelé 1''erreur secondaire. Yvon Yillarceau avait établi une théorie de la compensation ; malheureusement la complication de ses formules avait découragé les praticiens. Phillips reprend la question au point de vue spécial de la correction de l'erreur secondaire; il arrive ainsi à montrer l'influence prépondérante de la nature des métaux qui forment le balancier et surtout le spiral; il appelle l'attention à ce point de vue sur les propriétés de l'alliage de palladium et voit ses prévisions justifiées par les essais nombreux qui sont faits de toutes parts.

La théorie du spiral réglant établit une relation très simple entre la durée des oscillations, le moment d'inertie du balancier, la longueur et le moment élastique du spiral; cette relation permet donc de calculer le coefficient d'élasticité d'une substance quelconque, pourvu qu'on puisse l'étirer en fil et la façonner en hélices à courbes théoriques. D'autre part, on a aussi une équation entre le moment élastique du spiral et le moment de la force nécessaire pour le maintenir à un écart donné de sa position d'équilibre. De là deux procédés pour la détermination des coefficients d'élasticité, procédés très pratiques, susceptibles d'être employés dans les recherches les plus délicates, car ils donnent une grande précision et n'exigent qu'une petite quantité de matière.

Telle est, dans ses grandes lignes, l'oeuvre de Phillips; nous avons dû passer sous silence beaucoup d'intéressants mémoires, mais ceux que nous avons cités suffisent à montrer l'importance des résultats obtenus ; pour la chronométrie, en particulier, ils constituent les plus réels progrès qui aient été faits depuis cinquante ans.

La carrière de Phillips a répondu sur tous les points au desideratum des fondateurs de notre École. L'homme a été au niveau du savant; travailleur infatigable, aussi consciencieux que modeste, il fut, en même temps qu'un savant illustre, un homme de bien.

H. LÉAUTÉ.


Ibid, tome I, page 73 : Phillips, qui hérita de la chaire de Bour [professeur de mécanique à Polytechnique], esprit doué de netteté, de finesse, d'ingéniosité, qualités qu'il apportait dans ses travaux de Mécanique, orienté vers les applications plutôt que vers les recherches théoriques, fit, avec un soin extrême jusqu'au détail, un cours facilement suivi.