Roger SCHWEITZER (décédé en 2011)


Roger Schweitzer, élève à l'Ecole des mines de Paris
(C) MINES ParisTech

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1942). Ingénieur civil des mines.


Roger Schweitzer (P 42),
par R. Coeuillet (Promotion 1937 de l'Ecole des mines de Paris)

Publié dans MINES Revue des Ingénieurs, Juillet/août 2011 N° 454.

Roger Schweitzer nous a quitté le 4 juin dernier.

Engagé à l'automne 1945 en Lorraine par les Houillères de Sarre et Moselle déjà "réquisitionnées" mais qui vont être nationalisées, par la loi du 17 mai 1946, et rassemblées avec les autres mines lorraines en une société unique : les Houillères du Bassin de Lorraine (HBL), il est très vite envoyé en Angleterre, avec quelques collègues, pour un séjour de trois mois au Mechanical Mining Training Center de Sheffield, création du National Coal Board initiant les stagiaires à l'emploi d'engins miniers puissants - importés des USA ou fabriqués en Grande Bretagne - le plus souvent destinés aux exploitations par chambres et piliers, méthode dont la productivité outre-atlantique faisait rêver les mineurs français. Il faudra du temps et quelques tentatives (notamment en Sarre) pour comprendre et admettre que la fragilité des terrains encaissants dans le bassin sarro-lorrain entraînait alors des convergences considérables en mine profonde, rendant presque impossible la desserte de tels chantiers. En plateures, les houillères continentales en resteront donc à l'exploitation par longue taille, la longwall.

La mécanisation de l'abattage du charbon, lors du creusement des traçages en veines, pouvait cependant, dans les HBL, utiliser certaines de ces mécaniques, par exemple les haveuses anglo-américaines à bras, type shortwall, qui vont avoir un certain développement dans la profession ; elles remplaceront avantageusement les haveuses percutantes (sorte de gros marteaux pneumatiques montés sur colonne) alors encore fréquemment employées.

Mais les principaux fruits de ce stage sont surtout ailleurs.

Roger en revint familiarisé avec les lourdes machines de mine de diverses origines, leur dépannage, leur entretien et leur alimentation en électricité, solution encore rarement pratiquée dans les houillères françaises, grisouteuses, où la guerre avait arrêté toute évolution technique et réglementaire depuis plus d'une demie décennie. Dans les longues tailles du bassin lorrain par exemple, la haveuse, encore pneumatique, est alors alimentée par un flexible à air comprimé raccordé à une tuyauterie à rotules bien encombrante, à démonter à chaque passe pour la passer au travers du soutènement, comme d'ailleurs le transporteur du charbon (un couloir oscillant en général, équipement qui va bientôt disparaître, remplacé par un convoyeur à raclettes appelé "blindé", de plus en plus puissant). Quand cela sera autorisé l'alimentation en électricité de ces machines va enfin pouvoir se faire en taille, comme outre-Manche, par un câble électrique souple : devenu possible dès la fin des années cinquante, le recours à ce fluide va rapidement se généraliser sauf, encore quelque temps, en veines très grisouteuses.

Roger acquiert aussi à Sheffield de bonnes notions sur la protection des réseaux triphasés à neutre à la terre, alimentant les moteurs des bandes transporteuses de quartier puis bientôt les blindés et les machines d'abattage. Ce qui ne sera pas étranger à la décision prise peu après son retour d'électrifier le Siège 1 de La Houve selon ce schéma, pour pouvoir comparer avec les réseaux à neutre isolé, pratiqués dans les autres sièges.

C'est que Roger a été affecté à ce Siège 1 de La Houve où il jouera un rôle important non seulement en matière de mécanisation bien que, toujours pour des raisons de grisou, l'emploi de l'électricité y restât encore rejeté des tailles, mais aussi en participant à l'accroissement de la vitesse d'avancement de ces chantiers, sous l'impulsion d'un chef d'unité dynamique, Henri Reslinger, ce qui n'allait pas de soi dans cette mine aux épontes fragiles et aux murs tendres, sujette à de brutales venues d'eau génératrices d'éboulements.

Ses compétences électromécaniques et minières, son ouverture d'esprit, valurent à Roger, à l'automne 1952, de devenir le chef du Bureau d'Etudes du Fond de l'ensemble des sièges de Sarre et Moselle.

Ce poste va lui permettre d'influencer le choix des solutions à apporter aux multiples problèmes qu'imposaient partout les efforts de modernisation des travaux du fond et de la structure des sièges eux-mêmes.

Et d'abord de poursuivre la transformation de La Houve à peine commencée : concentration de l'extraction sur le seul puits 4 du siège 2, doté de skips de 12 m3, berlines de même capacité sur voie métrique en rails lourds, traction électrique dans les entrées d'air, bennes de 3 m3 pour les transports de matériels et matériaux, etc. En taille, comme dans tout le bassin, développement des haveuses à tambour remplaçant les machines à bras, des blindés lourds ; plus tard essais de soutènement hydraulique marchant, essais puis extension du boulonnage en voies, avec ancrage à la résine.

Dans les autres unités, au fil des années, les progrès iront de même : en dressants remplacement des couloirs oscillants par des blindés, mise au point de machines d'abattage pour les veines détendues, soutènement coulissant se substituant partiellement au bois.

Tout cela sans négliger les permanentes études d'organisation du travail, notamment dans les chantiers de creusement, découlant par exemple de l'emploi de fleurets à carbure de tungstène, d'amorces à microretard et d'engins de foration et de chargement de plus en plus perfectionnés. C'est aussi l'époque de l'extension des réseaux d'information qui vont jouer un rôle essentiel quant à la sécurité (télégrisoumétrie, détecteurs de CO, essais de transmissions radio, etc.) et quant à l'activité des réseaux de convoyeurs et des machines (télévigiles).

Roger a participé à ces évolutions, de près ou de loin et parfois de façon décisive. En matière de Travaux Neufs, il s'est également occupé du fonçage de plusieurs puits. Parmi lesquels deux au moins méritent encore mention: le puits de Vernejoul qui sera en avril 2004 le dernier de France à remonter du charbon et celui de Marienau, premier ouvrage des HBL à revêtement tôle et béton armé au lieu du cuvelage en fonte, traditionnel pour un puits foncé entre 1957 et 60 par congélation dans le Grès Vosgien aquifère.

Avec une compétence aussi large, l'établissement central de Charbonnages de France, à Paris, accueillit Roger Schweitzer avec faveur en septembre 1965, au sein de ses services techniques. Il va pouvoir dans cette fonction, tout en élargissant ses connaissances en matière d'exploitation de gisements différents de la Lorraine (couches puissantes irrégulières et amas du Centre-Midi, épontes raides de Provence, veines susceptibles de dégagements instantanés des Cévennes et du Dauphiné, couches perturbées et minces du Nord - Pas-de-Calais, etc.), aider bien des fosses, dans tous les bassins, de son expérience personnelle et par la diffusion dans toute la profession des résultats de leurs multiples essais locaux, en cette période de bouillonnement technique. Cela sera facilité par la création d'une Commission de la Recherche Technique, interbassins, réunissant les spécialistes de thèmes choisis à l'avance, facilitant ainsi l'extension des acquits particuliers à toute la profession. S'y joindront parfois des techniciens étrangers. Roger en sera la cheville ouvrière pour la préparation de ces rencontres et pour en tirer les conclusions. Dans ce rôle, ses qualités humaines, son sens de l'écoute, parfois de l'humour, son respect du travail d'autrui, trouveront pleinement à s'employer. Des voyages de conseil ou d'information (URSS, Japon, Afrique du Sud) enrichiront encore ses connaissances de l'immense variété des conditions de l'exploitation charbonnière qui fait souvent obstacle à la réussite de méthodes ou de matériels pourtant déjà utilisés ailleurs.

Roger Schweitzer a pris sa retraite fin mars 1982, pouvant enfin consacrer aux siens un peu plus de temps que pendant ses plus de 36 ans de carrière professionnelle. Sa récente disparition, trois ans après la dure épreuve que fut celle de Paulette son épouse, nous laisse en manque. De lui, tous ceux qui l'ont côtoyé garderont le souvenir non seulement d'un bon ingénieur mais aussi, ce qui est sans doute plus important encore, d'un être de qualité, courtois, dévoué, attentif : un homme de bonne volonté. Adieu vieux camarade.

Robert CŒUILLET (P37)