Jacques de VERNEJOUL (1890-1948)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1912). Ingénieur civil des mines.


Publié dans le Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des Mines (mars 1924)

REMISE DE DECORATION
(Fondation Carnegie)
au Camarade J. de Vernejoul

Le 25 février eut lieu l'émouvante cérémonie cle la remise d'une médaille d'or de la fondation Carnegie à M. Jacques de Vernejoul, ingénieur divisionnaire à la Société Houillère de Sarre et Moselle, par M. le général Germain, représentant de la fondation pour le département de la Moselle, en présence de MM. le colonel Hubert, représentant de la Corporation n° 1 des Mines et Usines Métallurgiques, à Metz ; Chavane (ENSMP promotion 1902), directeur général, l'ingénieur en chef et les ingénieurs du Siège V de Sarre et Moselle.

M. le général Germain rappela en quelques mois comment la fondation Carnegie s'attache à récompenser les actes d'héroïsme et à venir en aide aux sauveteurs victimes de leur dévouement ou à leurs familles, puis il remit la médaille à notre camarade, après avoir lu la citation suivante : « Le 7 août 1920, M. de Vernejoul, aux Mines de Sarre et Moselle, ayant été informé que plusieurs ouvriers étaient bloqués dans la mine par un incendie souterrain, se porta à leur secours à travers des galeries enfumées, accompagné de deux ouvriers. A un moment donné, ceux-ci ayant dû se retirer en arrière, vaincus par l'asphyxie, M. de Vernejoul poursuivit seul son héroïque tentative qui lui permit de découvrir un blessé. »

Celle citation n'est d'ailleurs pas tout à fait complète. Elle omet de signaler que M. de Vernejoul, ayant ramené le blessé dans l'air frais, repartit ensuite dans les fumées et en ramena un autre blessé. Ces deux ouvriers purent être rappelés à la vie.

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M. Sombstay (Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris, promotion 1913).




Revue des Ingénieurs, supplément, septembre-octobre 1948 :

L'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris a été douloureusement éprouvée par la disparition prématurée de M. Jacques de Vernejoul, Directeur Délégué du Groupe de Sarre et Moselle des Houillères du Bassin de Lorraine, Président du Groupe de l'Est de l'Association, décédé le 7 septembre 1948, à Saint-Avold, après une courte maladie.

Descendant d'une vieillie famille ariégeoise, qui s'illustra dès le XIe Siècle, et adhéra à la Réforme au XVIe, M. de Vernejoul naquit en 1890 à Châteauroux. Son père, médecin Militaire ayant été appelé à servir en Algérie, il y passa la plus grande partie de son enfance et reçut dans sa famille même, grâce aux soins vigilants de sa mère, sa première instruction en même temps qu'une éducation qui devait marquer toute sa vie.

Admis à l'Ecole des Mines, il effectue d'abord dans le rang une première année de service militaire, puis il entre effectivement à l'Ecole en septembre 1911. Avant même l'achèvement du cycle normal de ses études, il est à nouveau mobilisé et la première guerre mondiale donne au lieutenant de Vernejoul l'occasion de montrer son caractère et de révéler ses qualités de chef. Commendant la 23e Batterie du 250° Régiment d'artillerie, blessé et deux fois atteint par le gaz, il est l'objet des citations les plus élogieuses, et termine la campagne avec le grade de capitaine.

Presque sans transition, avant même d'être démobilisé, M. de Vernejoul engage une nouvelle lutte qui, cette fois l'oppose aux éléments de la nature. Désigné comme séquestre de l'ancienne société allemande de Sarre et Moselle, il participe aussitôt à la remise en état du Siège de Merlebach où l'exploitation devait reprendre dans des conditions particulièrement précaires. Et dès ses débuts dans la carrière d'ingénieur, il se heurte aux plus redoutables ennemis du mineur : l'eau, le feu le grisou. Au fond de la mine il déploie les mêmes qualités de courage, d'énergie et de sang-froid que sur le champ de bataille, et tous ceux qui ont vécu avec lui les premières années de la Société Houillère de Sarre et Moselle, ont témoigné des initiatives heureuses et des actes de dévouement dont il fut l'auteur ; un sauvetage particulièrement dangereux d'ouvriers intoxiqués par le grisou lui valut en 1924 la Médaille d'Or de la fondation Carnegie.

Cependant tout en se dépensant ainsi dans l'action, M. de Vernejoul travaillait en silence à préparer l'avenir, et traçait d'avance les étapes du développement du Siège de Merlebach, puis concevait et installait le Siège Cuvelette, une des plus belles réalisations de la technique minière.

Promu Ingénieur Divisionnaire en 1922, Ingénieur Principal en 1928, il était appelé en 1938 comme Ingénieur en Chef, à diriger toute l'exploitation de Sarre et Moselle, et sous son impulsion, le record d'extraction des houillères françaises eut certainement été largement battu en 1939 si une nouvelle guerre n'était venu briser cet effort. Son cœur de Français et de mineur souffre cruellement lorsqu'à l'automne 1939 il doit, aux côtés de M. Huchet, Directeur Général, assister à l'interruption brutale de l'exploitation, puis à l'abandon et au noyage des puits. Mais il s'emploie aussitôt à organiser le repli méthodique de tout ce que l'on peut tenter de soustraire à la convoitise de l'ennemi. Cependant, alors que la France entrait dans une crise particulièrement grave, on ne pouvait, en haut lieu, manquer de faire appel aux qualités d'intelligence et d'énergie de M. de Vernejoul. C'est pourquoi on lui confie la tâche de mettre rapidement en valeur le gisement inexploité des lignites du Cap Bon, en Tunisie. En acceptant, avec un parfait esprit de discipline, cette lourde tâche à laquelle il allait s'adonner de toutes ses forces, il allait au devant de sévères épreuves. Son caractère et son activilé patriotiques ne pouvaient rester ignorés de l'ennemi, et à quelques semaines de la libération de Tunis, traqué puis découvert par la police allemande, il est déporté dans la région de Berlin. Il dut à un heureux hasard de pouvoir déjouer les interrogatoires auxquels il est soumis, mais ce n'est pas sans avoir eu beaucoup à souffrir physiquement et moralement de son séjour au camp de concentration qu'il obtient sa mise en liberté surveillée, A peine arrivé en France il n'a qu'un souci, celui de reprendre son poste. Après de multiples tentatives, il réussit à franchir les Pyrénées, connaît les rigueurs des geôles espagnoles, parvient enfin à rejoindre Gibraltar puis Tunis, après un an d'absence.

Rappelé dès la libération de la Lorraine, il prit, le 1er janvier 1945, aux rôles de M. Guillaume, la direction de Sarre et Moselle, où, de même qu'en 1918, tout était à relever. Dès lors, c'esi à nouveau un effort acharné, au milieu des pires difficultés, alors qu'on se bat encore à Forbach et à Petite Rosselle, pour remettre en route une exploitation dont les Allemands avaient cherché à tirer le maximum, qu'ils avaient méthodiquement pillée avant de l'abandonner, et qui avait subi de graves dommages au cours des dernières opérations militaires. Cette tâche n'est pas au-dessus de ses forces et bientôt il a la joie de voir l'extraction progresser régulièrement et rapidement, pour atteindre le niveau d'avant-guerre dès le mois d'août 1947.

La nationalisation des houillères intervient : il est confirmé dans ses fonctions en recevant le titre de Directeur délégué du Groupe de Sarre et Moselle, et, de même qu'après 1918, il songe à l'avenir et participe activement à l'élaboration et à la réalisation du programme de développement du Bassin de Lorraine.

Malheuresement un tel effort, fourni sans relâche, alors que sa santé avait été sérieusement ébranlée par la déportation, devait lui être fatal. Son extraordinaire énergie l'a conduit à rester à son poste aussi longtemps que ses forces le lui permirent. Ce n'est qu'en juillet 1948, qu'il se résigna à demander un congé de maladie. Un mal inexorable devait, hélas, le terrasser rapidement malgré des efforts désespérés pour tenter de le sauver.

Il est impossible de retracer fidèlement, dans ces quelques lignes, l'homme que fut M. de Vennejoul, avec ses qualités intellectuelles et morales hors de pair. Le trait dominant de son caractère fut incontestablement un extraordinaire courage, appuyé, sur une incontestable droiture, et une profonde bienveillance, qui, se cachant parfois sous une apparente froideur, n'en était pas moins éclatante pour tous ceux qui ont eu le privilège de travailler sous sa direction. Son esprit d'équité, et sa connaissance approfondie des hommes lui conféraient une autorité précieuse dans les circonstances parfois délicates où il eut à exercer ses fondions, il aimait tout particulièrement les jeunes ingénieurs, et déplorait souvent que les charges écrasantes qui lui incombaient dans les années qui ont suivi la libération, ne lui permettent plus de garder avec eux les contacts étroits qu'il souhaitait.

Fidèle à l'Association, il n'avait pas hésité à accepter, au début de 1948, la présidence du Groupe de l'Est, et son désir était de contribuer ainsi à entretenir l'esprit traditionnel de notre Ecole : une de ses dernières joies fut de participer à la réunion de juin 1948. dans les Vosges, et de s'y trouver entouré d'un grand nombre de jeunes camarades des plus récentes promotions.

Ainsi l'existence trop courte de M. de Vernejoul fut-elle toute entière un honneur pour sa famille, pour l'Ecole des Mines de Paris, pour la profession minière, pour la Religion Réformée et pour la France.

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Novembre 1918.