Innovation, réseaux, territoires

Numéro publié à l’occasion du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges

préfacé par M. Christian PIERRET, Secrétaire d’État à l’Industrie ; Président-Fondateur du Festival
 

Présentation par Michel Louis LEVY, rédacteur en chef des Annales des Mines :

Sur les routes de France, quand une borne ou une pancarte signale l’entrée dans un autre département, seul l’automobiliste attentif peut quelquefois constater un changement simultané du revêtement de la chaussée. Quand, dans les grandes agglomérations, les deux trottoirs de la même rue n’appartiennent pas à la même commune, rien ne le signale au passant, sinon la couleur des plaques indicatives du nom des rues. Même le franchissement d’une frontière d’Etat, quand on est dans un train, ne se repère pas à la couleur des prés ou à l’allure des vaches mais, non sans difficulté, à la forme des panneaux de signalisation, ferroviaires ou routiers. Les frontières administratives ou politiques ne se voient guère dans le paysage.

Elles n’en sont pas moins fondamentales pour l’organisation et la vie quotidienne de la société. D’une commune à l’autre, les habitants relèvent de différents bureaux de poste, commissariats de police, tribunaux de première instance, circonscriptions électorales, caisses de sécurité sociale, perceptions… La compréhension du fonctionnement social passe par celle de tous ces réseaux, routiers, ferroviaires, énergétiques, postaux, bancaires, etc. par où transitent préférentiellement les voyageurs, les marchandises, les flux énergétiques, monétaires, postaux, les informations, les procédures politiques, administratives ou juridiques… Et toute novation quant à l’organisation ou l’importance relative de ces réseaux transforme sans doute lentement, mais de façon décisive, les structures mêmes de la société. De façon plus décisive, même, que les innovations technologiques. La France a un réseau ferré fortement centralisé et l’Allemagne non. Cela n’est dû qu’à l’histoire et à l’organisation politique des deux pays et nullement à quelque contrainte technique qu’imposeraient la conduite des locomotives ou la pose des rails et ballasts.

C’est à l’examen de diverses innovations institutionnelles récentes et de leurs implications territoriales qu’est consacré le présent numéro de Réalités Industrielles. Il y est d’abord question des réseaux de distributions d’énergie. En ces domaines, l’innovation consiste en la substitution d’une organisation à l’échelle de l’Union européenne en place de la coexistence de puissants monopoles nationaux, jaloux de leurs " prés carrés ". Pour le réseau ferroviaire, examiné ensuite, il s’agit plutôt de la forme que prend la privatisation.

Il y a des innovations qui avortent. L’échec des réseaux d’hélicoptères de transports en commun, imaginés dans les années 1950-1960, en sont un exemple oublié. D’autres réussissent, mais elles introduisent alors une logique si nouvelle, si complexe, que leurs conséquences territoriales défient l’analyse, ou du moins sont souvent " contre-intuitives ". Ainsi du commerce électronique : comment son développement modifie-t-il la localisation des activités commerciales ?

La dialectique territoire - innovation joue par ailleurs dans les deux sens. Avant de modifier l’inscription des activités sur le territoire, les innovations se diffusent inégalement entre régions ou pays. Ainsi les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne se sont diffusées ni simultanément ni uniformément dans les pays de l’Union européenne. Où en est-on ? Que peut-on dire sur le lien entre la vocation industrielle d’un territoire et sa capacité à faire germer de l’innovation ? Quels enseignements tirer d’expériences américaine et taiwanaise d’aménagement de " technopoles " dans d’anciennes régions industrielles ? Et, en France, des politiques d’inspiration fort différente suivies à Grenoble et Toulouse ?

La Sécurité sociale joue probablement en France, quant à la stabilité du pacte social, un rôle désormais plus important que le vote du budget de l’Etat par le Parlement élu au suffrage universel. C’est donc une innovation considérable que d’organiser l’informatisation des flux de dépenses et d’informations médicales transitant par les feuilles de maladie et les ordonnances. Les métaphores contradictoires se bousculent à propos de Sesam-Vitale. Usine à gaz ? Projet pharaonique ? Eléphant dans un magasin de porcelaine ? L’affaire est sans doute délicate mais elle avance, au gré de dynamiques et de résistances locales.

A un dossier traitant de territoire, il fallait enfin un regard de cartographe. L’environnement concerne les environs, dirait Monsieur de la Palice. Et les environs ignorent les frontières, comme on l’a vu lors de l’accident de Tchernobyl. Comment cartographier sans frontières ? Ce n’est pas simple, mais ce n’est pas impossible. Notre époque de pollutions en tout genre est aussi celle de l’informatique, qui permet de résoudre des problèmes et de traiter des quantités de données qu’on aurait jugées naguère hors de portée de l’intelligence humaine.

Toute innovation pose " sur le terrain " de nouveaux problèmes, qui appellent de nouvelles solutions. En voici quelques exemples.
 

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