TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XIX (2005)
Gabriel Gohau
Analyse d'ouvrage

Alcide d'Orbigny Entre Europe et Amérique - Textes et contextes d'une œuvre
sous la direction de C. Moreau et D. Dory

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 14 décembre 2005)

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, 230 p., 18 €

Il s'agit des actes du colloque qui s'est tenu à l'uiversité de La Rochelle du 18 au 20 avril 2002, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de l'illustre paléontologue. On se rappelle que trois réunions eurent lieu en cette année 2002, une en août, en Bolivie, à Santa-Cruz, à l'occasion du cinquième congrès latino-américain de paléontologie ; une autre à Paris du 1er au 4 juillet, colloque international, organisé par Philippe Taquet et Marie-Thérèse Vénec-Peyré, avec pour thème " Alcide d'Orbigny, sa vie son œuvre, histoire de la stratigraphie de d'Orbigny à nos jours ". Il était accompagné d'excursions sur les stratotypes du Stampien et du Toarcien, ainsi que de l'assemblée générale de l'INHIGEO. Il donna lieu à publication dans deux volumes de la revue Palevol (tome 1, 2002, fasc. 6 et 7). Quant à la troisième (en fait la première par la date) dont voici les actes, elle se tint dans la ville où la famille d'Orbigny s'était installée en 1821.

Le volume se divise en trois parties : les contextes européens d'Alcide d'Orbigny ; les contextes américains ; et les parentés et héritages. Les deux directeurs de publication sont respectivement professeur de géologie à l'université de La Rochelle et maître de conférence de géographie dans la même université.

Il n'est pas possible de résumer toutes les contributions. Aussi nous contenterons-nous de donner des impressions de lecture sur les principaux articles, et peut-être d'abord sur ceux qui concernent la géologie et la paléontologie, qui peuvent le plus intéresser le lecteur du présent bulletin.

Le contexte européen comporte trois contributions. Christian Moreau traite de " l'essor des sociétés géologiques au début du XIXe siècle ". Ainsi, après avoir dit un mot sur la naissance de la géologie, il étudie en parallèle la création des sociétés géologiques de Londres et de Paris. Le rapport avec Alcide d'Orbigny se réduit à la page finale, mais on apprend beaucoup de choses sur la composition des deux sociétés. L'auteur a utilisé un célèbre article de Martin Rudwick (BSGF, 1995) sur les deux sociétés en 1835, ainsi que des publications faites à l'occasion du cinquantenaire (Auguste Daubrée et Albert de Lapparent) et du centenaire (Emmanuel de Margerie) de la Société géologique de France. Il fait aussi référence à de multiples ouvrages de l'époque, de Diderot et Buffon à Charles Lyell et Elie de Beaumont. Ce qui est excellent. Mais peut-être, dans un travail couvrant une telle période aurait-il été prudent de compléter sa bibliographie en faisant appel à quelques histoires de la géologie (je me contenterai de citer l'ouvrage fondamental de François Ellenberger). Il aurait évité l'erreur classique d'attribuer un feu central au modèle de James Hutton, lequel ne parle que de feu (ou chaleur) souterrain(e).

Marie-Thérèse Venec-Peyré se consacre à " l'héritage d'Alcide d'Orbigny dans les géosciences ". L'auteur qui a joué un rôle important dans le colloque de Paris, auquel elle a donné plusieurs contributions, avait réservé pour La Rochelle ce travail qui montrait ce que la biostratigraphie contemporaine doit aux recherches du célèbre paléontologue et particulièrement à son travail initial sur les foraminifères. Sans chercher à le défendre à tout prix, elle note qu'il ne cherche pas à percer le mystère des " créations " de nouvelles faunes, et souligne qu'on ne peut lui reprocher d'avoir méconnu les idées de Darwin… formulées deux ans après sa mort. Mais sans doute faudrait-il nuancer la phrase où elle affirme que le rôle des fossiles dans la division des temps géologiques est pressenti dès le milieu du XVIIIe siècle.

Le troisième article, dû à Jean-Bernard Vaultier, résume " le développement des sociétés savantes à La Rochelle entre 1800 et 1872 ". Il y montre comment l'Académie des belles lettres et la Société d'agriculture supprimées par la révolution vont renaître en 1800. Il souligne le rôle qu'y jouera Fleuriau de Bellevue, puis évoque la naissance en 1835 de la Société des sciences naturelles de Charente inférieure et de la Société de médecine qui s'en détache en 1840, avec notamment la participation de Charles-Marie d'Orbigny, le père d'Alcide.

Les contextes américains sont évidemment plus exotiques pour le lecteur français, mais dans la mesure où ils sont moins connus, ils doivent nous intéresser. C'est sans doute l'originalité de ce colloque de mettre l'accent sur cet aspect de l'œuvre d'Alcide d'Orbigny. Gilles Béraud narre de façon pittoresque " le cadre institutionnel du voyage " en Amérique du Sud, qu'il met en parallèle avec celui, contemporain, de Victor Jacquemont en Inde. Partis pour trois années, avec un appointement de 6 000 francs par an, les deux naturalistes feront prolonger la durée et augmenter l'allocation. On sait que d'Orbigny ne reviendra qu'au début de 1834, en ayant porté à quelque 55 000 francs la somme de 18 000 francs allouée au départ. (Le voyage de Jacquemont s'interrompra avec sa mort en décembre 1832).

Enric Miret nous parle pour sa part de la société argentine vue par notre auteur lors de son (ses) séjour(s) à Buenos-Aires, partie souvent négligée, au profit du séjour en Bolivie, de son voyage américain. Puis Daniel Dory montre que cette partie bolivienne du voyage, qui se situe au moment de la création du pays, forme un moment inaugural de " la constitution des études boliviennes ". Enfin, Cédric Cerruti conclut cette seconde partie en nous informant sur l'engagement politique d'Aimé Bonpland, lors de son séjour dans le Rio de la Plata, de 1831 à 1840. Bien sûr Bonpland a visité l'Amérique du Sud entre 1799 et 1804, avec Alexandre de Humboldt. Mais on ignore (moi en tout cas) qu'il y retourne en 1817, et y séjourne jusqu'à ce que le gouverneur du Paraguay l'enlève, en 1821, pour le maintenir dix ans enfermé. Si cet article, non plus que les précédents, ne concerne directement l'histoire de la géologie, en sorte que nous ne nous y attarderons guère, il n'en présente pas moins des aspects intéressants sur la vie des naturalistes voyageurs.

La dernière partie concerne d'abord l'ascendance d'Alcide. Didier Béraud nous apprend que la grand-mère du paléontologue fut comédienne dans la troupe de Mlle Montansier avant de diriger les théâtres de Bayonne et de Pau, ce qui pourrait expliquer les réticences des professeurs du Muséum à confier une chaire au petit-fils. Antoine Levent, dont la mère est née Gaudry, étudie les rapports entre Alcide d'Orbigny et la famille Gaudry. Agnès Rage présente les collections paléontologiques d'Alcide d'Orbigny. Et notre amie Françoise Legré-Zaidline, qui a tant voyagé, au cours de cette année 2002, pour porter la bonne parole, a évoqué le legs Bedel, du nom de la veuve du fils aîné d'Alcide, confié au Muséum en 1923, et qui, quoiqu'il ne figure pas à l'inventaire, pourrait correspondre aux sept volumes des réserves de la Bibliothèque centrale.

L'ensemble, comme le montre ce résumé sommaire, forme un riche volume, agrémenté de quelques illustrations. Mais pourquoi ces multiples petites négligences orthographiques, tant dans les accords de participes que dans l'usage au pluriel de l'adverbe " quelque ", ou plus gravement quand un auteur transforme " conjoncture " en " conjecture ". D'éminents universitaires pourraient se relire… ou se faire relire.