TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.X (1996)

Pierre F. BUROLLET et Fernand CROUZEL
Frédéric-Marie BERGOUNIOUX (1900-1983), paléontologiste, géologue et théologien
Un précurseur d'une synthèse entre la science et la foi chrétienne

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 12 Juin 1996) Réunion commune COFRIGÉO/SGF

Dans un colloque où l'on aborde l'évolution des sciences géologiques aux dix-neuvième et vingtième siècles, il nous a paru intéressant d'évoquer la personnalité particulière du Révérend Père F.-M. Bergounioux, professeur de géologie à l'Institut catholique de Toulouse. Son parcours intellectuel est relativement original puisqu'il s'est orienté à 21 ans vers le sacerdoce, puis après son service militaire vers Sa vie monastique à 25 ans. Ce n'est qu'à 28 ans qu'il se tourne vers les sciences et commence ses études à la Faculté des Sciences de Toulouse. En géologie, il suit l'enseignement de Louis Mengaud qui venait de succéder à Charles Jacob.

L'année 1930 marque l'apogée de sa double orientation : profession solennelle le 25 février, sous-diaconat le 9 mars, diaconat le 15 mars, sacerdoce le 16, certificat de Botanique générale le 28 juin et certificat de Géologie générale le 27 octobre.

Le 18 novembre 1931, il est chargé de cours de géologie à l'Institut catholique de Toulouse. Il a commencé alors ses recherches sur les Chéloniens fossiles et il donne quelques notes à ce sujet. Il continue cependant de publier quelques articles de théologie franciscaine.

Son premier ouvrage important de paléontologie sera une monographie sur les Chéloniens des Sables de Montpellier dont la première partie paraît en 1932 et la seconde en 1933. C'est à cette époque qu'il commence à donner des notes où il associe l'ouvre géologique et la pensée chrétienne, telle son étude sur Pierre Termier.

En 1935, le 30 mars, il soutient sa thèse de Docteur-ès-Sciences à Paris sur les Chéloniens fossiles du Bassin d'Aquitaine, travail qui est publié dans les Mémoires de la Société géologique de France.

En 1936, F.-M. Bergounioux devient professeur de géologie à l'Institut catholique de Toulouse et en 1937 s'y ajoute la chaire d'anthropologie préhistorique à la Faculté de Philosophie de l'Institut catholique.

En 1938, il est collaborateur auxiliaire au service de la Carte géologique de France. Il a une activité importante de travaux de terrain ajoutés à ses recherches paléontologiques.

Mobilisé à la fin de l'été 1939, il reviendra en 1940 de la Campagne de France avec des citations et la Croix de Guerre.

Il reprend alors son enseignement à l'Institut catholique et ses travaux de terrain auxquels s'ajouteront des recherches sur les bassins houillers du Nord-Est de l'Aquitaine. Il poursuit en parallèle ses conférences théologiques avec de nombreuses publications et prédications.

Une de ses forces était une grande puissance de travail et une facilité d'assimilation. Sa documentation était complète et à jour. Son petit ouvrage de 1941 La France et le problème du pétrole était remarquable pour l'époque. Plusieurs années après, il était un outil précieux pour les élèves de l'Ecole du Pétrole, alors repliée à Toulouse. D'ailleurs, en 1944, F.-M. Bergounioux enseignera la pétrographie sédimentaire à l'Ecole du Pétrole ; c'est là que l'un d'entre nous a entendu pour la première fois exposer la sédimentologie (P.-F. B.).

A cette époque, ses cours de pétrographie et de géologie générale donnés à l'Institut catholique sont suivis par de nombreux étudiants sur la recommandation même de leurs professeurs. Citons, entre autres, Paul Rey qui allait succéder à Henri Gaussens comme professeur de biologie végétale, Pierre Vetter, Jeanne Doubinger, Georges Kulbiki et Paul Canal, M. Senégans, etc.

A partir de 1939, F.-M. Bergounioux avait commencé d'approfondir ses réflexions sur l'évolution, l'origine de la vie et la philosophie naturelle.

Comme plusieurs membres de l'Institut catholique, à l'incitation de l'archevêque de Toulouse, Mgr Saliège, F.-M. Bergounioux apporta un soutien réel à certains réseaux de résistance. À la fin d'août 1944, sur la place du Capitole, au lendemain de la libération de Toulouse, il a fait un discours remarquable à côté des principaux leaders politiques du moment.

En 1944, il devient aussi chargé de recherches au CNRS et collaborateur-adjoint au service de la Carte géologique. Il sera maître de recherches au CNRS en 1954.

A cette époque, il voyage beaucoup, invité à donner des conférences sur l'homme, ses origines et son avenir. Après avoir publié en 1944 avec A. Glory un précis d'anthropologie préhistorique Les premiers hommes, il donne en 1945 deux ouvrages philosophiques Les Harmonies du monde moderne et Esquisse d'une histoire de la vie. En 1947 l'opuscule Progrès ou régression critique sévèrement, bien que de façon courtoise, un ouvrage curieux et rétrograde paru en 1943 L'Evolution régressive de G. Salet et L. Lafont. F.-M. Bergounioux avait rédigé ce pamphlet à la demande de nombreux amis, malgré ses réticences initiales car, il n'avait trouvé à l'écrit incriminé aucune base scientifique acceptable.

Le Père est en relation de travail et d'amitié avec diverses personnalités, Julien Durand, [ingénieur général des mines ?], le professeur L. Capdecomme, le professeur M. Casteras en géologie générale, Jean Thiébault, futur professeur à Besançon, et d'autres. Il est alors sollicité par les Charbonnages de France à Decazeville, ce qui lui permet de mettre en train les thèses de Pierre Vetter qui travaillera ensuite dans le Massif central et de Jeanne Doubinger, futur directeur de recherches au C.N.R.S. et spécialiste des flores stéphaniennes. Et nous nous plairons à rappeler ici ses relations amicales avec le Père Teilhard de Chardin, relations dont l'un d'entre nous a eu l'occasion de profiter (F. C.).

En 1949, l'un de nous, F. Crouzel qui a entrepris des travaux sur les molasses d'Aquitaine, commence à publier en collaboration avec F.-M. Bergounioux. Ils vont travailler sur les vertébrés fossiles et en particulier les Mastodontes. Suite à une conférence donnée à Lisbonne en mai 1950, ils vont étudier les riches faunes des Sables de Lisbonne, ce qui conduira à la publication en 1953 d'un important mémoire en collaboration avec F. Crouzel et G. Zbyszewski.

A partir de 1951, F.-M. Bergounioux s'intéresse à la Tunisie ; en 1954 au cours d'une série de conférences et de fouilles sur le terrain, l'un de nous (P.-F. B.) a eu le plaisir de le recevoir à Bizerte.

Il publiera en 1956 un mémoire sur les reptiles fossiles des dépôts phosphatés éocènes.

En poursuivant les études et conférences religieuses, il aborde à fond les origines de l'homme ; ce parcours est jalonné par La Préhistoire et ses problèmes en 1957, en 1958 par Les religions des préhistoriques et des primitifs (avec S. Goetz) et surtout par Origine et destin de la vie en 1961.

Ses principaux ouvrages sont traduits en plusieurs langues : La Prehistoria y sus problemas à Madrid en 1960, Origen y destino de la vida à Madrid en 1963, Origem e destino da vida à Sao Paulo en 1964 et l'ouvrage commun avec S. Goetz Primitive and prehistoric religions à New York en 1966.

Il est lié avec des sages dont il apprécie les recherches. C'est ainsi qu'en 1963 il préface Sagesse de la vie de Paul Voivenel. C'est là un échange de bons procédés puisque France Paul Voivenel avait illustré la conclusion d'Origine et destin de la vie : l'hymne au vivant. Il écrit aussi une longue postface pour La Marche au soleil d'Adam Saint Moore en 1965.

F.-M. Bergounioux prend sa retraite du CNRS en 1970. Il donne en 1973 sa dernière publication géologique, en association avec F. Crouzel. Il vivra une vie retirée dans ce couvent franciscain qu'il avait restauré et modernisé grâce aux dons de ses amis, pendant trois ans de supériorat. Et, c'est tout à son éloge, il a veillé à ne gêner en rien son successeur à la chaire de l'Institut catholique (F. G.). Il est décédé le 12 mars 1983.

De par sa double formation il a su concilier la science, l'histoire de la vie et l'évolution d'une part, la foi et la charité chrétiennes d'autre part. Il n'a pas cherché à faire cadrer à tout prix la Bible avec l'histoire du Monde et de la Vie ; il ne cherchait pas de "concordisme". Mais il avait compris l'évolution comme le mécanisme permanent du renouvellement du monde vivant. Et encore n'avait-il que pressenti les résultats des astrophysiciens modernes qui, avec la théorie du "big-bang", ont réalisé comme les scribes du Neguev qui écrivaient la Genèse, que l'univers a eu un commencement. Il écrivait en effet en 1961 dans Origine et destin de la vie (p. 50) : La révélation seule nous assure que le monde a commencé. Et pourtant quelques pages plus loin (p. 63) il fait référence à un discours du pape Pie XII à l'Académie pontificale des Sciences, en 1951, où est présentée la possibilité scientifique du Fiat lux initial.

La philosophie de F.-M. Bergounioux n'écarte pas l'esprit du monde ; elle se refuse à chercher des refuges élitistes ou spirituels ; au contraire elle montre l'homme comme maître et ferment du monde, grandissant par l'Amour, illuminé par l'Espoir.

Que dire après ce bref énoncé de la vie du Père Bergounioux ? Doué d'une remarquable puissance intellectuelle, avec une éloquence entraînante et convaincante, ayant bien assimilé la science de son temps, le Père a été aussi un homme de terrain et un homme d'action.

La pénible période de l'occupation ne l'a pas empêché de rendre service à la Résistance, profitant du prétexte de prospection. Son influence a été sérieuse sur les milieux de son temps aussi bien chrétiens qu'incroyants. Malgré un esprit qui pouvait être caustique et sans réplique, c'est avant tout l'ouverture à tous d'un accueil chaleureux et la profondeur de son amitié qui nous séduit en lui.

Vrai savant et, en même temps, mystique chrétien, il s'est fait tout à tous.

N. B. :Nous avons à coeur de saluer la mémoire de Madame Marie Germaine Foch qui a bien voulu compléter notre documentation. Jusqu'à son récent décès accidentel, elle était restée secrétaire au laboratoire de géologie de l'Institut catholique de Toulouse.

Principales références