TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Première série -
(1978)

Marc VIRÉ
LES ANCIENNES CARRIERES DU CALCAIRE GROSSIER A PARIS

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 7 décembre 1978)

"Les Catacombes de Paris", voilà une dénomination qui fait rêver immédiatement le Parisien ou le touriste en quête d'insolite. On imagine aussitôt, un vaste labyrinthe de galeries, encombrées d'ossements, s'étendant sous tout Paris. Ce monde mystérieux exerce un attrait non négligeable, puisque les samedis de la belle saison, ou même de l'hiver, on y voit les visiteurs, à l'escalier de la place Denfert-Rochereau, y accéder par fournées d'un millier !

En fait, l'imagination populaire a grossi considérablement les faits, puisque les Catacombes proprement dites, n'occupent qu'un espace restreint sous le carrefour de l'avenue du Président René Coty et de la rue de la Tombe-Issoire, et sous les rues Remy Dumoncel, Ducouedic, Hallé et D'Alembert. De fait, on effectue fréquemment une confusion de vocabulaire, en appelant "catacombes" tout vide insolite sous la capitale. Il ne s'agit la plupart du temps que d'anciennes carrières souterraines, pleines... non pas d'ossements, mais de terres et de gravats.

Lorsque le Parisien, ou le touriste, admire et visite les monuments séculaires de Paris, il ne se pose que rarement la question de l'origine des matériaux. Voici justement quelle est notre préoccupation.

Paris s'est construite elle-même. Les habitants ont tiré du sol même les matériaux nécessaires : calcaire, argile, etc.. Tous ces prélèvements ont laissé des traces indélébiles dons le sol de Paris. L'extraction du gypse et du calcaire, ont donné lieu a de gigantesques travaux souterrains. Seules, les carrières du calcaire grossier sont encore accessibles. Ce sont elles qu'on appelle par erreur "les Catacombes". Elles forment le sujet de notre article.


A l'origine du développement de notre capitale, nous trouvons trois circonstances géologiques favorables. Le sol de Paris laisse apparaître, quasiment, toutes les formations tertiaires. La diversité du relief, due à l'érosion, fait que toutes ces formations affleurent en des lieux hors d'eau. Enfin tous les matériaux nécessaires à la construction se trouvent sur place : pierre à bâtir (calcaire grossier), pierre à plâtre (gypse), terre à briques et à tuiles (argile plastique), sables (alluvions anciennes et modernes).

Le calcaire grossier de Paris est utilisé dans la construction depuis deux mille ans. Les monuments romains encore conservés, ainsi que ceux retrouvés dans les fouilles, le prouvent suffisamment. Il forme le seul matériau de construction jusqu'au XIIIème siècle (comme pierre, bien entendu) .

A cette époque, arrivent en effet, à Paris, les premières "pierres de Saint-Leu" (d'Esserent). Ceci pour deux raisons : l'énorme développement de la capitale transforme celle-ci en un vaste chantier. Les carrières de Paris n'arrivent plus à fournir ; et pourtant les maisons d'habitation n'avaient que leur cave et leur rez-de-chaussée en pierre : le reste était construit en colombage. Mais surtout, on construit de grands édifices publics et ensembles architecturaux : églises, monastères, fortifications... etc.. Ainsi jusqu'au début du XXème siècle, on va chercher la pierre de plus en plus loin à l'extérieur de Paris.

Malgré tout, on continue à employer la pierre extraite sur place : le calcaire grossier supérieur, pour une raison importante : sa grande résistance au poids, et une prise facile au gel la recommande particulièrement pour les fondations et les parties basses des ouvrages. Le calcaire grossier moyen (extrait aussi à Paris) est l'étage géologique des pierres dites "de Saint-Leu", "Trossy"... etc.. Par sa grande résistance au gel et sa taille plus facile, on l'emploie de préférence pour l'élévation des murs. Par contre certains lits extrêmement durs du calcaire grossier supérieur sont employés pour les parties exposées : corniches, cimaises...etc...

Tous ces bancs ont reçu des noms bien particuliers de la part des carriers. Ils varient suivant les qualités de la pierre, et suivant les régions. Voici la liste actuellement retenue par l'Inspection Générale des Carrières et qui s'applique au XIVème arrondissement de Paris. Nous trouvons de bas en haut :

C.G. moyen : lambourdes, banc royal (très forte épaisseur)
plaquettes et banc de son (très faible épaisseur)
banc vert (sépare les ateliers inf. et sup. en souterrain)
 
C.G. supérieur : banc de marche ou marche du gros banc
liais ou liais franc
cliquart (dur) ou banc de laine (tendre)
grignard ou coquillier (riche en cérithes)
souchet (tendre)
banc franc
haut banc
roche (très dur ; ciel des exploitations souterraines sup.)

Les exploitations les plus anciennes étaient à ciel ouvert et établies sur le flanc Ouest de la vallée de la Bièvre, entre le Jardin des Plantes et le boulevard Blanqui. Elles fonctionnèrent pendant l'Antiquité, et semblent abandonnées au Haut-Moyen-Age.

L'expansion démographique du XIIème siècle fait renaître cette activité des flancs du val de Bièvre. Mais à mesure que l'on exploite le calcaire qui affleure au fond de la vallée, on s'éloigne de celui-ci, et le banc s'enfonce sous la colline, sous les terrains de recouvrement (marnes et caillasses, sables de Beauchamp).

Le travail de découvrement du calcaire est donc de plus en plus long et onéreux. De plus, cette activité gèle pour longtemps l'occupation du terrain de surface, car elle le détruit. Or, à mesure que l'on s'avance vers le plateau, on atteint les terrains de culture aux limons fertiles. En cette période d'expansion, il n'est pas question de gâcher cette terre à céréale dont on a tant besoin. On préfère donc travailler en souterrain, et s'enfoncer sous cette colline.

On creuse dans le front de taille de la carrière à ciel ouvert des ouvertures qui sont l'amorce des galeries, et qu'on appelle bouches de cavage. L'exploitation se fait par galeries larges de trois a huit mètres et hautes de trois à cinq mètres. Ces galeries forment en plan un espèce de quadrillage, et laissent entre elles des masses de pierre non exploitées destinées à soutenir le ciel de carrière. Cette méthode porte le nom d'exploitation par piliers tournés (C'est-à-dire contournés).

L'abattage du calcaire se fait dans la largeur de la galerie sur une profondeur de deux mètres environ. Le carrier souchève la masse à exploiter. C'est-à-dire qu'il creuse horizontalement un banc tendre qui se nomme pour cette raison souchet. Il abat ensuite les bancs supérieurs, puis inférieurs, en taillant verticalement des tranches de défermage destinées à découper des blocs aux dimensions demandées. Ces blocs sont détachés au coin et à la masse suivant les fissures horizontales du calcaire.

Plus on avance sous le plateau, et plus la distance à parcourir en dessous s'allonge, et plus l'air manque. On perce alors des puits d'aérage débouchant à la surface. Le transport des blocs étant long, on a fini, au XIIIème siècle, par utiliser ces puits pour l'extraction de la pierre, en plaçant en haut un gigantesque treuil en bois, muni d'une roue à chevilles de huit mètres de diamètre. Le tout est appelé l'engin.

Au XVIème siècle est apparue une nouvelle méthode d'exploitation. On s'était aperçu que l'autre favorisait les effondrements : les fontis. D'autre part la nécessité de ménager ces piliers tournés, ne permettait pas d'exploiter entièrement tel ou tel banc très recherché, et obligeait à commercialiser tel autre banc de valeur médiocre.

On a donc inventé la méthode par hagues et bourrages. A partir d'un puits d'extraction, on exploite sur une faible hauteur (1,50 m à 2,50 m] la totalité des meilleurs bancs, que l'on commercialise seuls. Les fronts de taille ont alors de dix à cinquante mètres (et même plus) de long. On bourre la carrière, jusqu'au ciel, soit avec les matériaux non commercialisés, soit des terres de mauvaise qualité introduites à dessein dans la carrière. On soutient, de place en place, le ciel avec des cales ou piliers à bras, formés de blocs grossièrement cubiques montés à bras d'homme. Entre ces piliers on maintient les bourrages avec des murs en pierres sèches nommés hagues. Au fur et à mesure de l'exploitation, les carriers ménagent entre les bourrages, des galeries de roulage nommées rues ou charrières, reliant le front de taille au puits.

Ce système est censé porter le ciel de carrière. Or on s'aperçoit, au vieillissement de ces carrières, que les bourrages se tassent et laissent un vide résiduel de dix à vingt centimètres. Le ciel finit par plier, pose sur le bourrage, éclate les piliers à bras. C'est alors dans la galerie en front de taille que se passent les accidents ; il se forme une pliure de plus en plus forte au ciel de carrière. Les appuis venant à céder, ou à manquer, il s'ensuit un effondrement et la formation d'une cloche de fontis dans les terrains de recouvrement.

Le système par piliers tournés provoqua un certain nombre d'accidents qui furent à l'origine de la création de l'Inspection Général des Carrières en 1777. De nombreuses carrières étaient composées de vides (anciens ateliers) superposés, et les piliers de l'un ne correspondaient pas à ceux de l'autre. Ce système d'exploitation fut interdit en 1791. Depuis 1777 toutes les exploitations furent interdites dans l'enceinte de Paris. Cette mesure fut portée aux limites actuelles de Paris lors de l'Annexion de 1860.

La dernière carrière de calcaire grossier de la région parisienne était à Bagneux et fut fermée à la veille de la Seconde Guerre Mondiale en 1939.

Références :

    - Marc Viré, Mémoire de Maîtrise d'Histoire, Paris, 1978.