TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XIX (2005)
Jean Gaudant
Analyse d'ouvrage

Albert V. Carozzi
Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799)
un pionnier des sciences de la Terre

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 14 décembre 2005)

Éditions Slatkine, Genève, 2005, , 430 p., ill., 37 €.

Voici un livre qui est l'aboutissement d'une longue quête puisqu'il témoigne de plus de quarante années d'intérêt porté à la vie et à l'œuvre du fondateur de la géologie alpine, dont l'auteur a pris soin de transcrire la plupart des manuscrits géologiques afin d'analyser sa démarche scientifique. Ces manuscrits constituent en effet, selon lui, la clé d'une énigme.

En effet, après avoir constaté que Les Voyages dans les Alpes, en dépit de leur présentation apparemment chronologique, regroupent en réalité des observations faites au cours d'années différentes, l'auteur est arrivé à la conclusion que l'étude des manuscrits est " la seule base d'une biographie ". C'est pourquoi il s'est attaché à retracer chronologiquement, année après année, non seulement les activités de Saussure, mais aussi l'évolution de ses idées.

Après avoir rapidement évoqué sa jeunesse, il souligne l'aspect pluridisciplinaire de ses thèmes d'étude : géologie, botanique alpine, biologie, sociologie des populations alpines, éducation et pédagogie, sans négliger son intérêt pour la météorologie, ni son talent d'inventeur d'instruments de physique.

Adepte de la théorie neptuniste, qui prédominait à cette époque, Saussure était convaincu que le granite résultait d'une précipitation dans les eaux encore chaudes de l'océan primitif. C'est pourquoi, ayant observé ce qu'il pensait être la stratification verticale du granite, il la considéra initialement comme le résultat d'une cristallisation sous-marine contre les parois de couches plus anciennes faisant office de contenant. Toutefois, après avoir multiplié les observations au cours de ses nombreux voyages - il fit, de 1767 à 1781, quatre fois le tour du massif du Mont-Blanc, avant d'en gravir le sommet en 1787, et deux fois le tour du Saint-Gothard, puis ceux du Mont-Rose (1789) et du Cervin (1792) - il devint en son temps le meilleur connaisseur de la géologie alpine. Après avoir observé en 1776 les bancs verticaux du poudingue de Vallorcine, Saussure réalisa que ceux-ci s'étaient nécessairement déposés horizontalement, avant d'avoir été redressés par une force verticale souterraine. Les observations fines réalisées en 1784 à Alby-sur-Chéran, près d'Annecy (Haute-Savoie) le conduisirent enfin à concevoir la notion de " refoulements horizontaux en sens contraires " qui font de lui le fondateur de la tectonique alpine.

Sans doute a-t-il manqué à Saussure, pour mieux imprimer son empreinte, d'avoir rédigé la théorie de la Terre à laquelle il songeait, comme en témoignent les deux plans manuscrits qu'il écrivit en 1786 et 1796. Sa santé déclinante l'en empêcha.

Ses voyages dans les Alpes firent en outre de Saussure un précurseur de la glaciologie car il s'intéressa très tôt - il n'avait alors que 21 ans - aux glaciers dont il étudia les mouvements, comprit l'origine des moraines latérales et frontales, et observa la foliation verticale de la glace.

Notons encore le grand intérêt que porta Saussure à la météorologie, intérêt qui le conduisit à inventer en 1775 l'hygromètre à cheveu, à publier en 1783 des Essais sur l'hygrométrie, et même à installer cinq ans plus tard un camp météorologique au col du Géant.

Enseignant - il professa de 1762 à 1786 à l'académie de Genève -, ouvert, en dépit de son origine aristocratique, à l'évolution de la société, comme en témoignent notamment son plaidoyer en faveur du fonçage de puits profonds pour l'exploitation du charbon (1770), son effort pour introduire en Suisse l'usage du paratonnerre (1771), mais aussi son projet de réforme du Collège de Genève (1774) et son engagement en vue de la fondation d'une Société pour l'encouragement des arts et de l'agriculture (1776), il se trouva mêlé aux crises politiques qui secouèrent à plusieurs reprises cette petite république, notamment au début des années 1790, en raison de la contagion exercée par la Révolution française.

Le livre d'Albert Carozzi vient donc à point nommé, à peine plus de deux siècles après la disparition d'Horace-Bénédict de Saussure, pour restituer la riche personnalité de ce personnage que sa grande modestie avait probablement empêché jusqu'alors d'occuper la place de choix qu'il méritait dans l'histoire de la géologie. On regrettera cependant que l'auteur n'ait pas cru devoir insérer dans ce volume une liste des publications du savant auquel il rend un hommage mérité.