TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Deuxième série -
T.4 (1986)

Théodore MONOD
Souvenirs sahariens d'un vieux géologue amateur.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (Séance du 28 mai 1986)

Notre collègue et ami François Ellenberger m'a dit un jour : "ce serait intéressant de vous entendre parler de vos expériences géologiques au Sahara, dont certaines remontent à plus d'un demi-siècle, etc.". C'est pourquoi j'évoque aujourd'hui, très simplement devant vous quelques souvenirs.

Mon activité géologique au Sahara n'a pas commencé dès mon arrivée en Mauritanie qui remonte à 1922, mais avec mon service militaire (1928-1930) que j'ai fait dans le Sahara central, comme chamelier de deuxième classe, parce qu'il n'y en avait pas de troisième, paraît-il. Or, un chamelier de deuxième classe, dans un groupe nomade, a de vastes loisirs, bien entendu, et je me suis intéressé aux gravures rupestres, à l'archéologie, etc., mais aussi aux roches, sur lesquelles je ne savais probablement alors pas grand chose, même certainement pas grand chose. C'était une époque où l'on n'avait pas de photographies aériennes, on n'avait même pas de carte digne de ce nom : il y avait un vague croquis saharien qu'on appelait "croquis de reconnaissance", fait d'itinéraires mis bout à bout, quelquefois la même falaise s'y retrouvait à deux endroits différents, à une certaine distance l'un de l'autre. Ce n'était pas facile et cela d'autant moins, en ce qui me concerne que je n'avais même pas alors de marteau. Faire de la géologie sans marteau, casser des cailloux avec un autre caillou, on savait très bien faire cela dans la préhistoire, mais à l'époque moderne ce n'est pas tellement simple et c'est dangereux pour le pouce de la main gauche. J'ai quand même pu casser dans l'Adrar Ahnet (au Nord-Ouest du Hoggar) qui est une dépendance du Massif central saharien, pas mal de cailloux et me familiariser dans cette région (formée à la fois par la couverture tassilienne et le socle), avec la distinction importante qu'avait déjà faite Kilian quelques années auparavant : présence de deux enceintes tassiliennes différentes, gréseuses : grès inférieurs et grès supérieurs, séparées par un sillon intra-tassilien occupé par le Silurien ("Gothlandien" à graptolites), que nous appelions les argiles à confetti ou les argiles papyracées, et cela m'a beaucoup servi plus tard dans l'Adrar de Mauritanie, où il y avait un océan de grès, et au Tagant, un autre océan de grès sans guère de moyen de les différencier ; on avait même pensé à des failles, alors qu'il s'agit d'une série monoclinale très simple où il fallait retrouver le Gothlandien. Mais nous n'en sommes pas encore là !

J'ai aussi, dans ce Sahara central, dans cet Adrar Ahnet, fait une petite découverte involontaire : il existe une discordance angulaire entre les . grès inférieurs et le socle, visible même pour un zoologiste. C'est donc là que j'ai défini cette "série pourprée" dont le nom est encore en usage (cf. le dernier livre de Jean Fabre sur la géologie du Sud Algérien) : la série pourprée est un des éléments classiques de la stratigraphie du Sahara central. Les résultats de ces observations de 1'Adrar Ahnet ont paru en 1931 et 1932 dans la Revue de Géographie Physique et de Géologie Dynamique, en trois parties, avec une carte qui est d'ailleurs mauvaise.

Le Sahara occidental m'a occupé très longtemps et cela continue toujours puisque j'étais encore il y a quelques semaines à Taoudenni. Jean Fabre, bon connaisseur du bassin de Taoudenni, et qui s'intéresse aux problèmes posés par l'origine de la Sebkha de Taoudenni, m'avait en effet demandé 20 litres de saumure du fond des fosses et 20 litres du puits de Ksar Smida, ancien petit Ksar marocain tout proche, pour essayer de faire dater ces eaux. Le Sahara occidental, représente pour moi bien des choses et avant tout, 1'Adrar de Mauritanie : un grand plateau gréseux entaillé par des canyons, subhorizontal et pratiquement azoique, hélas. Il y a deux petits niveaux de lingules quelque part et j'ai trouvé quelques vagues empreintes de lamellibranches mais c'est désolant parce qu'il n'y a pratiquement pas de fossiles. Ceux-ci commencent avec le Silurien, et se poursuivent avec le Coblentzien et plus encore avec le début du Dévonien, si riche en Brachiopodes. J'ai commencé à étudier 1'Adrar en 1934, au cours de nombreux voyages à dos de chameau, bien sûr, et à pied et dont les résultats principaux ont été publiés en deux volumes par le service des Mines de l'A.O.F. en 1952. J'écrivais dans la préface : "Il est à peine besoin de rappeler que les conditions de travail sur le terrain au désert (à cette époque là, bien sûr) sont extrêmement particulières. La lenteur des déplacements, la fréquente impossibilité de s'arrêter, les servitudes eau-pâturage qui s'opposent souvent au libre choix de l'itinéraire et imposent parfois des trajets de nuit ... constituent des handicaps inconnus de bien des régions". Et j'ajoutais "la qualité de géologue amateur d'un chercheur dont l'enthousiasme et la bonne volonté ne remplaceront pas toujours la compétence, rendra compte pour sa part de certaines imperfections. J'ai fait honnêtement mon possible, à d'autres de dire si ce peu, comme je l'ai cru pour une région où mes recherches ne risquent pas de faire une inutile concurrence à celles des spécialistes, ne valait pas mieux que rien".

L'Adrar est aujourd'hui, naturellement, très bien connu. Il fallait commencer par dégrossir, et la stratigraphie que j'en ai donné a subsisté. Evidemment, il y a des choses que je n'ai pas vues et des choses que j'ai mal vues...

En même temps je m'occupais bien sûr d'archéologie, de gravures rupestres et des grands gisements de l'Acheuléen moyen et supérieur d'El Beyyed. Je l'ai découvert au mois de juillet 1934. C'était très "chaleureux" dans tous les sens du mot. Région très désertique avec des océans de bifaces et de hachereaux et de bifaces tellement frais que l'on se demandait si les gens ne les avaient pas abandonnés la semaine précédente. Ils étaient très frais parce qu'ils étaient encore dans le sédiment ; il s'agissait d'une dépression, d'un golfe creusé dans le plateau et ces bifaces étaient excrétés par les sédiments lacustres de la cuvette. C'est pour cela qu'ils étaient tellement frais, alors que les bifaces qui sont sur le plateau lui-même sont très usés parce qu'ils sont restés très longtemps exposés à la corrasion éolienne. La partie paléontologique, dans le tome 2, a été traitée par Melle Lemaitre avec beaucoup d'illustrations.

L'Adrar m'a également amené à m'intéresser aux accidents circulaires du Sahara Occidental, de types variés bien entendu et le plus beau d'entre eux (notre ami André Cailleux ne me démentira pas, il a déjà deviné de quoi il s'agit, parce que je l'ai traîné jusque-là) ce sont les Richât. Les Richât, c'est une fenêtre dans les grès de Chinguetti, ouverte dans le plateau. Elle a cinquante kilomètres de diamètre, et est à peu près complètement ronde. L'intérieur de cette immense surface est occupé par une série de cuestas aux pendages périclinaux,disposées autour d'un guelb central où l'on atteint la partie la plus ancienne. Ces Richât ont posé des quantités de problèmes et en posent encore, la question est loin d'être entièrement clarifiée, mais nous avons publié en 1973, dans le périodique Sciences de la Terre de Nancy, un volume collectif : historique, bibliographie générale, esquisse géographique, pseudo-boutonnière des Richât, caractères géomorphologiques, stratigraphie, tectonique, "gravity reconnaissance at Richât", pétrographie, paléontologie, conclusions etc. La conclusion à laquelle nous étions arrivés (la conclusion est à la fois de Pomerol et de moi), c'est qu'il s'agit essentiellement d'un dôme sectionné par l'érosion, ce qui ne veut pas dire qu'il ait existé nécessairement un relief qui ensuite a été découpé en tranches ; il est en effet possible que la vitesse de montée du dôme ait été équilibrée par la vitesse de sa destruction par l'érosion puisque les sables qui sont au Sud des Richât ont été en bonne partie nourris par la destruction de ce dôme. Mais c'est beaucoup plus compliqué que cela, parce que c'est un vrai musée pétrographique, ces Richât, on y trouve des roches basiques, bien entendu, des dolérites ce qui est banal, mais également des roches grenues, des gabbros, et même presque un granite qui est décrit dans la partie pétrographique de l'ouvrage. Il y a des analcimolites dont la genèse reste toujours discutée et discutable. Bien entendu, il existe une théorie volcanique ; la première fois que j'ai vu des analcimolites, en 1934, je ne savais pas tellement ce que c'était ; j'ai cru que c'étaient des rhyolites plus ou moins altérées, d'autres l'ont pensé aussi mais certains croient à une origine sedimentaire des analcimolites. On n'en aura le coeur net que lorsqu'on aura fait un sondage dans ce que l'on appelle la Sebkha du Guelb, actuellement colmatée par des dépôts quaternaires, bien entendu.

Richât est un pluriel qui veut dire "les plumes". Le singulier Rich signifie une plume, nom donné à chacune des cuestas concentriques.

C'est une structure complètement ronde, il y a même une bordure et l'impression, quand on fait la carte de la répartition des analcimolites, est que ces roches ont "coulé" dans les dépressions subséquentes de la topographie actuelle, à partir de cette Sebkha du Guelb. Enfin, pour l'instant on ne sait pas encore ce qu'il y a sous celle-ci.

Il y a ici bien d'autres curiosités, notamment des carbonatites qui sont très à l'ordre du jour maintenant. Beaucoup d'auteurs s'intéressent à ces roches ; elles se présentent là-bas à la fois sous forme de filons, de dykes et j'ai trouvé aussi deux necks, deux pipes verticaux entraînant des minéraux du socle. On ignore à quelle distance se trouve celui-ci, la gravimétrie n'a rien donné, les Américains sont venus faire des mesures ils n'ont pas l'impression qu'il puisse y avoir un batholithe, à proximité de la surface.

Pour les accidents circulaires, il y a les Richât bien entendu, et aussi 1'"enfant" des Richât, qui s'appelle Semsiyyât, ce qui veut dire "les ensoleillés". Les Semsiyyât sont un Richât en miniature. Elles sont mêmes tellement peu visibles que j'ai couché dedans une fois sans les voir alors que je les recherchais. C'est seulement le lendemain, en me heurtant à la faille d'Aghmakou que j'ai compris que je les avais dépassées. L'accident est très rond, magnifique sur les photos aériennes, mais on n'y voit que des grès. Il faut aussi parler des cratères qui posent de nombreux problèmes.

Il y a à Aouelloul, un petit cratère de 250m de diamètre, très net, sur un plateau de grès ("Grès d'Oujeft"), à structure transverse ressemblant un peu à du bois fossile. Je l'avais d'abord entrevu d'avion et l'ai ensuite recherché au sol ; jai eu beaucoup de peine à le trouver, parce qu'un cratère vu de profil sur une plaine ou sur un plateau, ce n'est pas un cratère que l'on voit, mais un petit guelb, une petite colline. Quand je suis arrivé sur le cratère lui-même avec les bédouins, il m'ont dit : "Si c'est cela que tu voulais, il fallait nous dire que tu voulais aller au Hofrat Aouelloul, si tu nous avais dit le nom de cet endroit, on t'y aurait mené directement". Mais j'ignorais le nom de cet accident. C'est un petit point de chute, associé à une impactite, verre naturel dans lequel on a fini par trouver des spherules de kamacite, un minéral de météorites. Aouelloul est donc un petit point de chute de météorite, pas très ancien probablement car encore très frais.

Tenoumer, accident majeur, est un cratère qui a presque 2 kilomètres de diamètre, dont les parois ont 100m de haut. Il est situé dans les regs du Nord de la Mauritanie. J'y suis allé avec Pomerol et nous avons constaté d'abord que ce cratère était postérieur aux dépôts de la hamada, considérés comme fin Tertiaire, et nous avons trouvé autour du cratère des ring-dykes d'une roche que nous avons identifiée comme rhyodacite, pensant que c'était une lave et donc qu'il s'agissait d'un cratère d'explosion, une marmite dont le couvercle aurait sauté mais serait retombé dans la marmite car il n'y avait pas d'éjectats à l'extérieur. A cette époque on ne faisait pas encore très attention aux indicateurs microscopiques de métamorphisme de pression et en particulier des métamorphismes de choc. Les Américains pensent que ces "laves" que nous avions signalées n'étaient pas des laves mais des "pseudo-laves" résultant du choc de la météorite qui aurait ouvert le cratère. Puisqu'il y a des signes microscopiques soit dans les quartz soit dans les micas avec les kink-bands etc., il faut, je pense, accepter cette hypothèse de l'astroblème. Il y en a un autre plus loin qui s'appelle Terairaichât Ghallaman, dont l'origine demeure énigmatique. Il y a des basaltes en tout cas, aussi avions-nous pensé que c'était un cratère d'explosion. Mais il y en a tellement dans le désert lybique, que ce n'est pas en soi une chose particulièrement curieuse. Dans une autre région de l'Ouest (mais ce n'est plus le Sahara), je suis allé dans le cratère du Bosumtwi, au Ghana, avec Gentner, de Heidelberg, Gentner qui avait déjà découvert que l'âge des tectites du Ries était le même que celui des moldavites de Tchécoslovaquie. Il voulait savoir si les tectites de Côte d'Ivoire avaient le même âge que les verres du Bosumtwi. J'ai donc conduit Gentner autour du lac, dans la forêt, où on ne peut circuler que dans les ruisseaux ; nous avons marché dans l'eau, et avons fini par découvrir des tufs qui contenaient suffisamment de verre, pour pouvoir faire des datations. C'est le deuxième exemple que l'on ait maintenant d'une tectite qui a le même âge que le verre du cratère d'où elle semble provenir.

En 1965, j'ai publié un document intitulé "Contribution à l'établissement d'une liste d'accidents circulaires d'origine météoritique (reconnue, possible ou supposée), cryptoexplosive, etc." Depuis, il y a eu bien d'autres listes. C'est un des domaines où une publication, ou un texte est périmé avant même d'être imprimé. Une liste plus récente, publiée en 1979, est bien entendu très différente de la mienne. Notre collègue Jean Goguel a bien voulu accueillir dans ses volumes de la Pléiade un petit résumé de moi sur les impacts.

La météorites de Chinguetti est une tout autre histoire mais je vous la cite parce qu'elle est en train de ressusciter de ses cendres. En 1916, le Capitaine Ripert avait rapporté une météorite de 4,5kg, qui a été étudiée par Lacroix au Muséum, mais il avait indiqué qu'il avait trouvé ce petit bloc au sommet d'un autre bloc qui avait, lui, des dimensions colossales : 100m de long sur 40 de haut. Evidemment, ce n'était pas une météorite de cette taille, mais malheureusement on n'a jamais retrouvé l'endroit, et comme il avait parlé de directions différentes à partir de Chinguetti, on a donc cherché dans le Sud-Ouest où il n'y avait rien, et finalement il a indiqué qu'il s'était trompé. C'était au Sud-Est. Au Sud-Est, il y a d'énormes dunes, c'est le début de Majâbat al Koubrâ, qui commence là et finit 1000km plus loin. L'année dernière, à Nouakchott, un aviateur intelligent qui observe bien ce qu'il voit (c'est lui qui m'avait montré Aouelloul d'avion) m'a dit : "dans les dunes du Waran, j'ai vu quelque chose qui pourrait ressembler à un de vos petits cratères". Ripert avait dit "ma météorite est à 50 km au Sud-Est de Chinguetti". Or le point qui a été revu récemment est à 46km au Sud-Est de Chinguetti, ce qui n'est pas tellement différent. C'est pourquoi, en décembre prochain, je reprendrai un chameau et j'irai voir cet endroit. Il faut absolument en avoir le coeur net, car il pourrait s'agir de la météorite de Chinguetti. Ripert disait qu'il y avait des pointes à la surface de la roche et qu'en tapant sur ces pointes avec la petite météorite on faisait des traces de martellement mais qu'on ne pouvait les casser. Serait-ce quelque chose de métallique, on ne le sait pas encore. En tout cas c'est extrêmement singulier.

On change désormais de région car nous voilà cette fois au Nord du Tibesti. J'y étais pendant la guerre, pendant un certain temps tout au moins, jusqu'à ce que je m'en fasse expulser par les Français pour avoir essayé de prendre contact avec les Italiens, afin d'aller voir une oasis qui m'intéressait beaucoup. Eguei Zoumma est peut-être le seul gisement saharien en place d'amazonites, où l'on trouve une magnifique pegmatite à amazonite. Les hommes de la Préhistoire ont énormément utilisé 1'amazonite pour faire des perles, des pendentifs, pour faire toutes sortes de choses, c'est une très jolie pierre, et ce gisement d'amazonite se trouve en Libye. Je n'étais pas tellement chargé de sortir des territoires français, mais je suis allé voir cette région libyenne que Lelubre a revue depuis. C'est un endroit tout à fait intéressant et je dois rappeler aussi qu'on a découvert à Ouadane (Mauritanie) un débris de lapis-lazuli, je n'en ai jamais retrouvé bien que j'aie visité le site je ne sais combien de fois. Je n'y ai recueilli que de 1'amazonite, mais Capot-Rey avait récolté dans cette station néolithique de Ouadane un morceau de lapis-lazuli, déterminé par Royer à Alger mais perdu depuis. Ce fragment portait les petites mouches de pyrite habituelles ; il n'y a donc aucune raison de mettre en doute sa détermination. Or, tout lapis-lazuli connu dans l'Ouest jusqu'à une époque récente, venait du Badakh-Shan, au Nord-Est de l'Afghanistan. Il y a aussi une autre roche curieuse dans le désert libyque, c'est le verre libyque, le Libyenglass de Clayton, découvert en 1932 dans le Sud de l'Egypte. Ce verre naturel (98% de silice), date du Miocène ; les hommes de la Préhistoire sont tombés sur lui comme la misère sur le bas clergé breton. Ils ont taillé cette roche comme s'il s'agissait d'obsidienne. Jusqu'à présent on avait toujours pensé que c'était une tectite, par conséquent une roche crachée par un astroblème ; on a cherché le cratère dans la région, on ne l'a pas trouvé, mais un géologue allemand, le Professeur Jux, de Cologne, a fait dissoudre ce verre et y a trouvé des pollens, des spores et même peut-être un débris d'insecte etc.. Donc, malgré les apparences, il ne s'agirait pas de verre, ni de silice fondue. Jux explique l'origine possible de cette roche à partir de l'existence d'un lac miocène dans les fissures de retrait duquel le verre se serait déposé. Il pense que l'alternance d'eaux à salinité variable peut favoriser la mise en solution de quantités de silice d'origine organique (par exemple des diatomées) et faciliter le passage de ces solutions siliceuses à une sorte de gel colloidal qui, ensuite, se serait compacté en roche. J'ai posé la question suivante au Professeur Jux : comment se fait-il que, dans la nature actuelle, où il n'y a pas un mètre carré à la surface de la planète qui n'ait été parcouru par des gens qui savent regarder, on ne retrouve plus de roches de cette nature et donc qu'il ne se forme plus en ce moment de gel de silice dans les déserts ou les régions à saisons très contrastées ?

Dans le désert libyque, il y a bien d'autres choses comme le cratère d'El Malha (Soudan) dont j'ai esquissé l'étude encore inédite. Il y a également, entre le Gilf Kebir et le Jebel Uweinât, une quantité de cratères en Egypte méridionale. On s'était demandé s'il ne s'agissait pas de points de chute. J'en ai vu toute une série, ce sont des petits cratères d'explosion très frais avec quelquefois une butte centrale.

Asselar, au Mali, a également été propice aux découvertes. Avec Wladimir Besnard, nous y avions trouvé autrefois (en 1927, je crois) un homme fossile, l'homme d'Asselar. Ce personnage s'était noyé dans un lac, et se trouvait un peu basculé dans le sédiment et seul, l'emplacement des genoux (sectionnés par l'érosion) apparaissait en surface ; tout le reste du squelette était complet ; la vase du lac était entrée dans le crâne par le foramen magnum et avait formé un moulage endocrânien extrêmement dur. Il a suffi de soulever les os de la voûte crânienne pour étudier le moulage endocrânien qui a permis de voir un certain nombre de détails anatomiques.

La région d'Asselar est géologiquement variée, avec un Maastrichtien dominant la dépression du Tilemsi, puis un Danien lagunaire, où j'ai recueilli des dents de dipneustes et des restes de crocodiles etc. Au-dessus vient le Montien riche en Nautiles et se terminant par un bone-bed, avec des ossements, de poissons, de tortues, etc. Le tout est couronné par le Continental terminal gréseux, sans fossiles bien entendu.

Le bassin de Taoudenni : sans entrer dans les détails, j'y ai beaucoup circulé, j'y ai consacré deux cahiers restés sous forme ronéotypée : "Notes géologiques sur le Sahara Occidental" (1952). On y trouve en particulier des quantités de tours d'horizon exécutés avec une chambre claire montée sur une planchette. Jean Fabre y avait trouvé quelques plantes carbonifères ; moi j'avais déjà récolté des Stigmaria, un peu à l'Est de Taoudenni. Pour ma part, le bassin de Taoudenni m'avait également permis de découvrir des échantillons de palygorskite en débris sur les regs rouges du Carbonifère continental. Ils ont été étudiés par Melle Caillère (1939).

Dans la région de Tinioulig (Mauritanie), j'ai pu retrouver le Silurien (Gothlandien) à Graptolites, dont on ne soupçonnait pas qu'il pût s'étendre aussi loin vers l'Est.

Aux environs de Tombouctou, il y a quelques années, en sortant de plusieurs semaines dans les dunes et en quittant Ras el Ma, à l'extrémité occidentale du lac Faguibine, je m'étais dit : "aujourd'hui, je vais pouvoir être tranquille, monter à chameau et ne plus en descendre jusqu'au soir".Mais je regardais quand même par terre et découvris de petites lignes de roches sombres sur un fond de lac desséché des Daounas. Ces lignes sombres, il faut quand même les regarder de près, tant pis, on se reposera demain ! Il s'agissait de roches fondues montées à travers les fentes de retrait de la diatomite et qui dessinaient parfois des polygones. On croit souvent au Sahara que les diatomites roses ont subi l'action de la chaleur ou du feu. En fait, elles sont tout simplement chargées en oxyde de fer. Quant aux petits - filons sombres, les géologues officiels m'ont dit qu'il s'agissait comme d'habitude de laitiers de forgerons. J'ai donc demandé à ce qu'on vienne voir sur place. On a creusé, et on a constaté que cette roche était enracinée et était donc montée des profondeurs. J'ai fait étudier cette roche par Mme Jérémine qui crut y reconnaître de la néphéline, alors qu'en réalité il n'y en avait pas, d'après la Professeur Marinelli qui a revu la question et a conclu qu'il s'agissait de cristoballite. Ce n'est donc pas une roche volcanique, mais on peut imaginer que ces roches soient nées de la fusion de diatomites en profondeur à la suite de la combustion spontanée de matières organiques enfouies dans un ancien sol lacustre. Cela ne semble pas le moins du monde absurde mais il faudrait cependant nous expliquer si ce processus est compatible avec la température nécessaire pour fondre les diatomées et aussi ce qui a pu provoquer la montée de cette "pâte" rocheuse. J'en ai parlé à Tazieff récemment ; il m'a dit : "cette roche est tellement légère que c'est une ponce. Elle est remplie de tant de bulles d'air qu'il n'est pas impossible que, si elle était suffisamment liquide ou pâteuse, elle ait été entraînée vers la surface uniquement par sa faible densité".

Dernier sujet, encore un petit mot sur la Majâbat al Koubrâ. C'est un gigantesque no man's land qui sépare la Mauritanie du Mali. Quand vous êtes à Chinguetti et que vous regardez les dunes du Varan vers le Sud-Est, vous pouvez imaginer qu'il y en a 1000km de suite dans cette direction. La Majâbat al Koubrâ a en effet 1000km de long et 500 de large ; c'est un immense polygone, à la surface duquel il n'y a ni un arbre, ni un caillou, ni un oued. C'est du sable d'un bout à l'autre mais c'est heureusement du sable en général à gros grains, relativement facile à parcourir, ce qui m'a amené alors à m'intéresser à la fois au Quaternaire lacustre, sur lequel reposent ces dunes, et, d'autre part, à la morphologie dunaire. J'ai donc rédigé une volumineuse description de la Majâbat al Koubrâ dans un mémoire de l'IFAN (1958), illustré de toute une série de photos aériennes. J'avais en effet disposé d'un avion pour survoler la Majâbat, mais je n'aurais peut-être pas dû parce que c'est un peu décourageant de voir cela d'avion avant d'y aller à pied et à chameau, mais cela m'a conduit à m'intéresser à la structure des dunes et à leur morphologie, sujet sur lequel plus on regarde, plus on étudie, plus on lit et, finalement, moins on comprend. Peut-être qu'un jour tout cela s'éclairera de façon lumineuse mais, pour l'instant, cela reste encore très mystérieux. J'ai été amené à proposer une classification des principaux types de dunes : type majeur, type mineur, superstructures, types lourds, cordons lourds à peu près orientés dans la direction des vents dominants actuels, ce qui n'est pas en soi surprenant. En réalité, ce n'est pas tout à fait le cas, et il arrive un moment où, sur les bords d'un système comme celui du Waran, on perd la notion de distinction entre le cordon et la dépression interdunaire. L'écart entre les cordons est à peu près constant : deux kilomètres en gros, plus ou moins. Ce sont des pays où l'on ne dit pas : "je vais faire 20km" mais "je vais faire 10 cordons" ce qui correspond aux 20km prévus. Il y a même des régions où l'on finit par se demander s'il y a bien une surface horizontale sur laquelle ont été construits les cordons ou bien si l'on est sur une ancienne surface dans laquelle ont été creusés les interdunes : on hésite et on avoue une fois de plus son ignorance et en même temps sa curiosité parce qu'on voudrait bien savoir...

Ce désir de savoir et d'essayer de comprendre le monde qui nous entoure a-t-il fini par faire de moi, en raison de la dispersion que cela implique, une sorte d'espèce relicte ? Comme je l'écrivais en 1963, "ce qui a été si longtemps la norme étant devenu l'exception, seuls quelques survivants attardés d'un monde disparu subsistent encore : aurai-je été l'un d'entre eux ? et, qui sait, peut-être le dernier ?"

REFERENCES

Les références qui suivent ont été sélectionnées parmi une soixantaine de titres publiés par l'auteur sur la géologie saharienne. Elles ont plus particulièrement trait aux explorations évoquées dans cet article.


On trouvera de nombreuses autres références géologiques dans :


Itinéraires sahariens de Théodore Monod
(Carte adaptée de "L'Emeraude des Garamantes", 1984)