Notice nécrologique parue en 1818 dans les Annales des mines
concernant des ingénieurs des mines décédés



Charles-Marie BREDIF (1786-1818)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1804) et de l'Ecole des Mines de Paris à Pesey (entré en 1807, sorti en 1810). Corps des mines.

Fils d'un maître d'étude au lycée impérial à Paris. Frère de Jean Jacques Simon BRÉDIF (1787-1863 ; X 1805 ; colonel d'artillerie).

La perte que le Corps des mines vient de faire de M. Brédif, a été vivement ressentie par tous ses camarades, mais sur-tout par ceux qui, sortis en même temps que lui de l'école pratique de Moutiers, avaient été les témoins de ses succès et les appréciateurs de ses excellentes qualités. Qu'il soit permis à l'un d'eux, son condisciple à l'école Polytechnique, à l'école des Mines, lié avec lui d'une amitié que la mort seule a pu rompre, de lui payer un dernier tribut d'attachement et de regrets !

Charles-Marie Brédif était né à Pais, le 14 août 1786 ; il se trouvait l'aîné d'une famille nombreuse, dont presque tous les membres se sont distingués dans leurs études, et remplissent aujourd'hui, avec honneur, des fonctions civiles ou militaires. Dès son entrée à l'école Polytechnique, il se fit remarquer des professeurs par son application, sa facilité et l'excellence de son jugement ; ses camarades chérissaient en lui cette franchise, cette gaîté vive, cette aimable cordialité, indice certain d'un bon coeur, et qui embellissent de tant de charmes les liaisons de la jeunesse. Admis ensuite à l'école des Mines de Pesey, où semblait l'appeler son goût pour les sciences naturelles et la chimie, il s'y fit bientôt distinguer comme à l'école Polytechnique. Toutes les branches des études devinrent, tour-à-tour, l'objet de son ardente application ; tantôt gravissant les montagnes qui environnent l'école pratique, accompagné de quelques camarades qu'excitait son zèle et que son agilité devançait presque toujours, il découvrait des substances minérales nouvelles pour ces contrées, telles que l'anatase (voir EUROMIN) et l'épidote du pont de Briançon ; tantôt, revenu à des études plus paisibles, il rédigeait, sur ses courses métallurgiques, des mémoires remplis de judicieuses observations, dignes de fixer l'attention des professeurs de l'école : souvent il s'occupait, au laboratoire, d'analyses utiles ou curieuses, qui ont servi, plus d'une fois, de modèles à ses condisciples. Son obligeance était extrême ; ses notes, ses desseins, appartenaient à ses camarades comme à lui-même, et celui qui rédige cette notice en a fait bien des fois l'expérience.

Avec tant de zèle et son heureuse facilité, les succès de M. Brédif devaient être rapides : aussi fut-il nommé ingénieur en décembre 1810, avant le terme habituel des études. Envoyé, presque aussitôt, sur l'établissement de Pesey, et nommé sous-directeur après le départ de M. Beaussier, dont le Corps des mines regrette encore la perte, il y acquit promptement des connaissances pratiques fort étendues, et se trouva à portée de rendre des services que l'Administration a su apprécier. Le respectable directeur de cet établissement, à qui l'art des mines et le Corps lui-même ont de si grandes obligations, l'avait eu bientôt jugé, et ses regrets ont honoré la mémoire du jeune ingénieur qui se félicitait d'avoir été son élève. La force des armes ayant décidé, en 1814, du sort de la Savoie, M. Brédif, après avoir soutenu avec courage, et jusqu'au dernier moment, les intérêts de la mine, fut chargé de remplir à l'école de la Sarre les fonctions dont il s'était si bien acquitté en Savoie, et partit pour Geislautern, sans prévoir qu'il allait chercher de nouveaux malheurs. A peine, accompagné d'une petite soeur chérie qui avait voulu s'unir à son sort, s'y était-il installé, qu'une seconde invasion vint encore l'y poursuivre, et ramener, au bord de la Sarre, les mêmes ennemis auxquels les solitudes des Alpes n'avaient pu le dérober. Echappé, avec peine, à des dangers plus pressants que les premiers, privé d'une partie de ce qu'il possédait, mais non découragé, il revint à Paris attendre le moment d'être placé dans un département.

Alors se préparait cette expédition du Sénégal, devenue si malheureusement célèbre. La position où se trouvait M. Brédif, le désir de s'instruire, de devenir utile à sa famille, et sur-tout à une soeur qu'il aimait tendrement, tout le décida à accepter les propositions du ministre de la marine. Il s'embarqua à Rochefort sur la frégate La Méduse, dont le nom seul rappelle aujourd'hui de si cruels souvenirs. Au milieu du désordre qui accompagna le naufrage, M. Brédif, qui voyait la mer pour la première fois, montra un courage et un sang-froid dignes des plus grands éloges : il eut le bonheur de sauver un de ses amis, M. de Chatelus, ingénieur géographe, qui sans lui tombait à la mer ; il ne quitta la frégate que l'un des derniers, et entra, dans la chaloupe, le quatre-vingt dix-neuvième, immédiatement avant l'officier qui commandait, lorsque la mer n'était plus qu'à deux pouces du bord de ce frêle esquif. Echappé, comme par miracle, au plus affreux désastre dont la marine française ait conservé la mémoire, obligé de faire soixante lieues à pied sur un sable brûlant, il trouvait encore, malgré l'épuisement de ses forces, le moyen d'être utile, en portant dans ses bras les enfans de l'intendant de la colonie. Bravant avec courage des privations et des souffrances inouïes, il arriva enfin à Saint-Louis avec ses compagnons d'infortune. C'est de là, qu'à peine remis de tant de fatigues, il envoya à sa soeur une relation de son naufrage, remarquable, sur-tout par le naturel et la vérité qui y règnent, et dont plusieurs fragmens ont été livrés récemment à l'impression. Il y annonce à une soeur dont la tendresse devait si justement s'alarmer, son parfait rétablissement : mais déjà, sans doute, le coup fatal était porté. Cependant, un bâtiment envoyé de France rapporta à Saint-Louis une partie des objets d'art perdus par le naufrage, et dont l'expédition ne pouvait se passer. Une course fut ordonnée dans l'intérieur des terres. M. Brédif saisit avec empressement l'occasion d'étudier une contrée nouvelle pour la science, et qui devait si vivement exciter sa curiosité. Mais, après quelques jours d'une marche pénible, arrivé à la moitié de la course, et ayant déjà recueilli une foule de notes intéressantes dont il a envoyé un extrait à sa famille, il fut attaqué d'une cruelle dysenterie dont il avait déjà ressenti les atteintes avant son départ, et, ramené mourant à Saint-Louis, il expira bientôt, le 1er janvier 1818, en prononçant les noms de sa soeur et de ses frères, dont rien n'adoucira les regrets.
Il était à peine âgé de trente-un ans.

Ainsi périt, à la fleur de l'âge, un jeune ingénieur dont les talens auraient, sans doute, un jour, honoré le Corps qui l'avait adopté. Ce n'est pas sur le sol de la patrie qu'il a succombé, au milieu des fonctions paisibles de son état, entouré d'amis et de parens désolés ; c'est sur une terre étrangère, à huit cents lieues de la France, privé de la dernière consolation des mourans, sans un ami qui pût lui fermer les yeux ! C.N.A. [probablement rédigé par Charles Nicolas Allou]


Note des Rédacteurs des Annales

Comme sous-directeur de l'établissement de Pesey, M. Brédif était particulièrement chargé du lever et de la confection des plans souterrains des mines de Pesey et de Macot, ainsi que des opérations géométriques relatives à la direction à donner aux différentes parties des travaux. Il a fait preuve d'un talent rearquable dans cette partie de la science de l'ingénieur des mines, par plusieurs opérations délicates, dont les résultats ont correspondu, avec une précision rare, à ceux qu'il avait déterminés à l'avance. Il était encore chargé du laboratoire et des essais docimastiques de Pesey, ainsi que de la rédaction des rapports sur les opérations métallurgiques. Enfin il s'occupait toujours de recherches minéralogiques : on lui doit la découverte d'indices d'argent natif et d'argent antimonié sulfuré dans la galène de Pesey.

Au Sénégal, où les suites du naufrage et les maladies eurent bientôt diminué le nombre des officiers disponibles, M. Brédif fut d'abord chargé par M. le commandant pour le Roi, lors de la remise de la colonie, de diverses opérations étrangères au service des mines, dont il s'acquitta avec autant de zèle que d'intelligence. Les lettres qu'il a écrites, pendant le long espace de temps qu'il fut alors obligé de passer à Saint-Louis, prouvent le désir ardent et l'espérance qu'il a toujours conservés de rendre sa mission, et particulièrement ses voyages dans l'intérieur des terres, utiles aux sciences et à l'industrie minérale. Dans une première course, il remonta le fleuve jusqu'à Pador, c'est-à-dire de soixante lieues. "Jusqu'à vingt-cinq lieues de son embouchure, écrivait-il le 12 juin 1817 à M. l'inspecteur général Gillet de Laumont, les terres des bords du fleuve sont basses et salées ; plus loin, le terrain s'élève un peu, et il n'est plus inondé, pendant la saison des pluies, que d'eau douce come en Egypte. M. le gouverneur, qui a vu les bords du Gange, ne les trouve pas plus fertiles que ne pourrqient l'être ceux du Sénégal ; tout pourra y réussir, etc."

Dans le voyage de Galam, entrepris en octobre 1817, l'expédition n'a pu remonter que jusqu'à moitié chemin, c'est-à-dire, à cent vingt-cinq lieues de Saint-Louis. Pendant ce trajet, M. Brédif, consultant plus son zèle que ses forces, quitta à plusieurs reprises ses compagnons de voyage, pour faire dans l'intérieur des montagnes des courses de plusieurs jours. Il recueillit dans ses courses plusieurs échantillons intéressants de minéraux qui sont parvenus en France, et qui sont déposés dans les collections de l'Ecole royale des mines. Il résulte de l'examen de ces échantillons et des notes que M. Brédif y a jointes, que le pays qui s'étend de la rive gauche du Sénégal et Rufisque, vers l'embouchure de la Gambie, est peu élevé et faiblement montueux. Le fond général du sol est composé de calcaire secondaire d'un blanc jaunâtre. Au-dessus reposent, en couches horizontales, des grès et des sables quartzeux, souvent ferrugineux, et contenant même des rognons très-riches de fer hydraté ou oxydé. Par-dessus le tout on rencontre des lambeaux plus ou moins considérables de couches volcaniques incontestables. Ces lambeaux couronnent l'île de Gorée et la presqu'île du Cap-Vert ; ils forment, un peu plus au nord et sur la côte, les Petites Mamelles ; enfin ils constituent les plateaux d'une chaîne basse qui borde la rive droite du Sénégal, à soixante-dix lieues environ de son embauchure. Les roches composantes sont basaltiques, savoir tuf, brèches, dolérites boursoufflées, basaltes et scories très-fraîches. Du reste, les contrées qui bordent la rive gauche du fleuve présentent des plaines assez basses, formées de sables quartzeux, souvent salis par de l'oxide rouge ou de l'hydrate de fer.

M. le commandant pour le Roi au Sénégal, qui pendant dix-huit mois, a eu pour M. Brédif toutes les bontés d'un père, et qui a reçu ses derniers soupirs, vient de remplir la généreuse tâche qu'il s'était imposée auprès du lit de mort de notre jeune camarade, et d'accomplir le dernier des voeux du mourant, en obtenant, pour la malheureuse soeur à laquelle il avait voué son existence, des secours du Gouvernement.