TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.V (1991)
Lydie TOURET
Un rare exemple de cabinet du XVIIIème siècle : le cabinet des "Fossiles" du Musée Teyler de Haarlem (Pays-Bas).

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 29 mai 1991)

Au XVIIIème siècle, le goût de l'Histoire naturelle qui se répandait dans toute l'Europe n'épargnait point les Pays-Bas. En Hollande, tout comme à Paris ou à Saint-Pétersbourg les personnes bien nées et les gens du monde se convertissaient au culte des Sciences. Ainsi, dans la vaste communauté des naturalistes amateurs et éclairés, on n'était pas sans connaître la belle ménagerie, le cabinet du Roi à la Haye, les dernières découvertes de la Montagne de Saint-Pierre à Maastricht ou encore les grandes ventes publiques d'Amsterdam.

Hors de la métropole, les Hollandais dominaient l'Orient depuis la fin du XVIIème siècle. Expulsant les Portugais de presque toutes leurs possessions, ils s'étaient établis aux Moluques, en Hindoustan et monopolisèrent le commerce des Indes. Cet état de choses qui dura près d'un siècle fit des Provinces-Unies des Pays-Bas la contrée la plus riche du globe et favorisa l'éclosion de divers comptoirs dans lesquels s'installèrent de nombreux naturalistes. De là naquirent de beaux ouvrages publiés avec grand luxe dans ce pays où la gravure et l'imprimerie florissaient avec le plus d'éclat. Certains, par exemple l'Hortus Malabaricus de Van Rheede ou l'Herbier d'Amboine de Rumf peuvent être mis au premier rang des travaux jamais réalisés sur l'Histoire naturelle.

Cette atmosphère de déferlement de grandes idées, de découvertes de mondes lointains était encore vivace lorsqu'à Haarlem, cent ans plus tard, on inaugurait le Musée Teyler. Dès sa création, en raison de la situation politique (Premier Empire) et de la prédominance de la science française, des liens tout-à-fait privilégiés s'établirent entre le musée Teyler et le Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. C'est ainsi que René Just Haüy, professeur au Muséum et fondateur de la minéralogie moderne, entretint une longue correspondance avec Van Marum, le premier conservateur du Musée et, tant par ses envois que par ses conseils, il peut être considéré comme l'un des pères spirituels d'une collection qui, fait exceptionnel, a traversé les siècles sans aucune modification ni altération.

I.- Bref historique et présentation actuelle (Forbes, 1970).

Pieter Teyler van der Hulst (1702-1778), riche marchand drapier d'origine écossaise, né et ayant toujours vécu à Haarlem, esprit cultivé et curieux, s'intéressa de son vivant aux diverses branches de la connaissance. Possesseur d'une grande fortune, il fit à sa mort en 1778 un legs de deux millions de florins or, afin de perpétuer son nom par une fondation qui rendrait accessible à tous les grandes idées du XVIIIème siècle dans le domaine des Arts et des Sciences.

Respectant ses dernières volontés, cinq de ses amis (W. van der Vlugt, A. Kuits, G. Hugaart, I. Brand, J. Barnaart) fondèrent le Musée Teyler composé de quatre cabinets : Physique, Art, Numismatique et Minéralogie-Paléontologie. Ils se développèrent rapidement et chacun renferme aujourd'hui des objets de valeur exceptionnelle. Ainsi, dans le cabinet de physique, parmi un ensemble unique d'instruments divers, découvre-t-on la fameuse machine électro-statique de Van Marum, construite en 1784 et encore de nos jours la plus grande au monde de ce type, modèle inégalé de beauté et d'efficacité. Parmi les collections d'art, les dessins sont mondialement réputés et proviennent pour l'essentiel du trésor de la Reine Christine de Suède (1626-1689). Le cabinet de numismatique possède plusieurs milliers de pièces spécialement en usage aux Pays-Bas, des monnaies ainsi que des médailles, prix décernés par diverses académies, écoles ou institutions.

Dans le cabinet de minéralogie-paléontologie, fossiles et minéraux constituent deux ensembles distincts. Les collections de paléontologie sont particulièrement célèbres et ont fait l'objet de descriptions détaillées (Van Regteren Altena, 1951, 1958). On y trouve ainsi l'exemplaire original de l'Homme du déluge de Scheuchzer, en lequel Cuvier reconnut une salamandre géante, un Archaeopteryx (Ostrom, 1970), le grand saurien de la Meuse ou Mosasaurus, une multitude d'échantillons de Solnhofen, Oehningen, Bolca, la collection personnelle de P. Camper... En revanche, les échantillons minéralogiques n'ont été jusqu'à présent que très brièvement évoqués, les cinq conservateurs successifs (Van Breda, Winkler, Dubois, Beets, Van Regteren Altena) ayant été beaucoup plus des paléontologistes que des minéralogistes. Ils comportent pourtant des spécimens exceptionnels et des collections d'un grand intérêt historique, rassemblés alors que la Minéralogie prenait forme et oubliés depuis.

II.- Les motivations de Van Marum.

Tout débute en 1785, année du premier voyage d'étude de Van Marum à Paris, au cours duquel il prend contact avec différentes personnalités (Forbes, 1970). Parmi les plus éminentes : Faujas de Saint-Fond qui vient de rentrer de son séjour aux Hébrides, Romé de L'Isle qui vient de publier en 1783 sa "Cristallographie", Sage qui inaugure le cabinet de Minéralogie de l'Ecole Royale des Mines dans les locaux de l'Hôtel des Monnaies, l'Abbé Giraud Soulavie qui lui offre son Histoire Naturelle.

D'après les notes de son journal (Forbes, 1970), Van Marum s'entretient également avec Valmont de Bomare, Cigot d'Orcy, de la Mettrie (sic : il s'agit en fait de de La Métherie, éditeur du Journal de Physique auquel il s'abonne) et visite un nombre respectable de cabinets. Ensuite, pendant une vingtaine d'années, sa vocation pour la minéralogie ne se démentira pas ; il voyagera et rassemblera sans relâche tout ce qui lui paraît présenter un intérêt (au cours des 3 premiers trimestres de l'année 1805, il recevra ainsi : une caisse de modèles cristallographiques de Paris, une caisse de minéraux de Lausanne, une caisse de Zurich, une de Weimar, une autre du Derbyshire et enfin une de Düsseldorf).

III.- Van Marum collectionneur.

Assemblée et organisée entre 1785 et 1826 dans sa forme quasi définitive, la collection de minéralogie renferme actuellement une dizaine de milliers d'échantillons d'Europe exclusivement, auxquels restent associés les noms du premier directeur : Martinus Van Marum (1750-1837) et du conservateur Tibérius Cornélius Winkler (1822-1897).

Le premier créa véritablement la collection et réalisa les principales et les plus fameuses acquisitions : les collections de St. Andreasberg, de Freiberg, modèle de la vallée de Chamouni et du Mont Blanc, échantillons de l'éruption du Vésuve de 1779 ..., le second dans une démarche plus scientifique rédigea en français le guide (Winkler, 1888) et l'unique catalogue (Winkler, 1889) des "collections géognostico-minéralogiques", encore en usage aujourd'hui.

Dans leur ensemble, les échantillons sont bien conservés, de taille respectable : "j'aime aussi des pièces d'un (sic) certain grandeur... la largeur de 9 à 5 pouces ou tout au plus 51/2 ou 6 pouces est le (sic) plus convenable et leur hauteur ne doit pas excéder 9 pouces. Mesure anglaise" (Van Marum) et proprement étiquetés. Un dixième est exposé dans la magnifique salle ovale, ainsi que dans la salle de paléontologie, sous des cloches de verre. Les autres cristallisations, soit environ 9000 pièces, sont entreposées dans des réserves et en cours d'inventaire.

Les échantillons exposés ont été choisis par Van Marum en fonction des classifications et des découvertes les plus célèbres de l'époque (argent natif du Kongsberg, pyroxène d'Arendal, axinite de Bourg d'Oisans, autunite d'Autun...). Ils sont présentés dans un corps de meubles à vitrines, les unes horizontales les autres obliques ou à pupitres, conçues en 1782 par l'architecte Viervant, en harmonie avec les boiseries et les stucs de la salle ovale qui les abrite. Restées inchangées depuis l'origine, ces vitrines demeurent de véritables reliques du passé et constituent le coeur de la collection. Aujourd'hui les noms sont modernes (calcite, aragonite, baryte...) mais l'ordre surprend et paraît anarchique au premier abord. Sans que l'on puisse en préciser la date avec certitude, ils ont probablement été écrits par un conservateur récent, sans doute Winkler, mais en ne modifiant que partiellement la disposition initiale de Van Marum. Ainsi les 150 échantillons (calcite, baryte, fluorine, gypse) répartis dans les vitrines 1,2,3,4,5 correspondent exactement aux minéraux cités par Haüy aux pages 127-330 et 402-403 du volume II de son "Traité de Minéralogie" (Haüy, 1801). En consultant les étiquettes originales, soigneusement conservées par les responsables successifs, nous avons pu constater que les trois premières vitrines illustraient précisément le "I° ordre des substances acidifères terreuses" dans ses formes déterminables et non déterminables, comme par exemple les échantillons de chaux carbonatée binosénaire (M16), chaux carbonatée ferrifère inverse (M13), chaux ferrifère perlée (M45).

Les vitrines 5,6, moins fidèles à première vue à la classification de Haüy, correspondent aux échantillons cités en introduction de la "2° classe des substances terreuses", équivalant plus ou moins à nos silicates actuels. On y trouve : la prehnite du Cap (M149), le schorl violet de Bourg d'Oisans ou axinite (M145), l'épidote amphihexaèdre var.6 d'Arendal (M148), le cyanite prisme (Ml 24), ainsi que deux minéraux inattendus : le lapis lazaro cristal oriental de Perse (M152) et l'obsidienne du Pérou (M154) qui, à en croire leurs étiquettes, étaient classés parmi les feldspaths.

Les vitrines 7 à 11, remplies d'une centaine de zéolites, tourmalines, quartz, grenats ainsi que les anciennes vitrines (12,13,14) de pierres précieuses, ne suivent plus l'ordre précédent de Haüy mais reproduisent la succession des genres 5,6,7,8 (zéolites, quartz, grenats, schorls et gemmes) du tome II de la "Cristallographie" de Romé de L'Isle (1783). Il semblerait donc que Van Marum, qui connaissait bien et Haüy et Romé de L'Isle, pour les avoir rencontrés, étudié leurs ouvrages, acquis leurs modèles cristallographiques, tout en les estimant, n'ait pu faire de choix décisif et opta pour un savant mélange des deux classifications.

Pour les autres vitrines horizontales, nous n'avons pu retrouver un système de référence précis. Remaniées par Winkler en 1863, elles offrent une succession inhabituelle de minerais et de métaux (tous achetés par Van Marum), correspondant sans doute à une certaine vision de celui-ci ou à une mode de l'époque. L'arrangement des vitrines obliques ainsi que celui des deux meubles cubiques de la salle ovale date également du temps de Van Marum. Les premières sont essentiellement remplies de cristallisations de calcite, baryte et quartz de St. Andreasberg, Clausthal et Freiberg, les seconds renferment un bel échantillonnage de fluorine de Saxe et du Derbyshire. L'inventaire des vitrines se termine par deux ensembles de casiers modernes consacrés l'un à une petite collection de pierres précieuses et l'autre à un bref aperçu de l'extraordinaire collection de modèles cristallographiques en biscuit et en bois, de Romé de L'Isle et de Haüy.

Si, par l'importance de ses cristallisations du Harz et de Saxe, la galerie de la salle ovale témoigne de l'influence de la Minéralogie allemande, nul ne saurait donc nier que, par son arrangement, elle rend hommage à la Cristallographie française.

En quittant le cabinet de minéralogie, on traverse la salle des instruments puis la salle qui renferme le musée paléontologique. Dans ce musée sont exposées sous cloches et comme décoration une vingtaine de "belles productions du règne minéral" (Winkler, 1888) choisies pour leur beauté et leur côté spectaculaire : un imposant groupe de quartz hyalin de la région du Dauphiné, provenant sans doute de La Gardette, un bel ensemble de cristaux de soufre automorphe de Girgenti (aujourd'hui Agrigente) en Sicile, de très belles formations d'aragonite coralloïde (Eisenblüte) d'Erzberg en Bohême, une superbe veine de quartz morion de Bohême et surtout l'exceptionnelle antimonite d'Ejo au Japon, considérée comme la plus grande du monde.

Il est certain que l'origine de la collection de minéralogie remonte à l'époque de la fondation du Musée. Toutefois, c'est pendant la période où Martinus Van Marum remplissait les fonctions de directeur et de conservateur qu'elle s'est considérablement enrichie car "la géologie fut son étude chérie". Son intérêt pour la minéralogie fut sincère et il n'agrandit pas le cabinet uniquement pour sacrifier au goût du jour, mais dans un réel souci scientifique.

Bien qu'il fût toujours à l'affût "de pièces d'une beauté extraordinaire", il dota le musée de lots parfois uniques et répondant souvent à un besoin très précis, comme "pour prouver et éclairer la théorie de M. Werner", "pour illustrer la belle théorie des cristaux selon le traité de M. Haüy", "pour détenir des pièces instructives pour la géognosie des Alpes" ou encore "obtenir des minéraux qui seront bienvenus à cause qui ne sont connus hors du pays (Arendal) ... mais sans doute déjà déterminés par Messieurs Vauquelin et Haüy". Il fut un travailleur ardent, et si l'arrangement des vitrines précédemment décrites montre qu'il s'est en dernier lieu intéressé à la minéralogie de Haüy et de Romé, la lecture de ses propres notes révèle qu'en une quinzaine d'années entre 1785 et 1800, il a cherché à progresser, adoptant successivement les classifications de Wallerius, Kirwan et Werner selon Lenz. Sur les étiquettes anciennes, il est d'ailleurs fréquent de lire les précisions suivantes : fluorine ... v. Waller.S.M.Sp 80 (a) chalcédoine verte ... Kirwan p. 130, Kronstedt selon Werner p. 130 ou encore, sur d'autres échantillons : mica squamosa ... W.Sp. 175, et arsenic de Freiberg... p.365 tout simplement.

IV.- L'oeuvre de Van Marum ou les richesses actuelles du Musée Teyler.

Sans entrer dans les détails, nous signalerons simplement la présence des pièces les plus exceptionnelles.

- Le Cabinet de paléontologie :

1) Les mâchoires du Mosasaurus hoffmanni Mantell.

Trouvés dans la craie de la Montagne de Saint-Pierre à Maastricht et achetés en 1784 au major Drouin, les ossements de cet animal furent considérés comme ayant appartenu à un cétacé puis à un crocodile. Adrianus Camper (1800) puis Georges Cuvier mirent en évidence des affinités plus marquées avec les monitors et les iguaniens et le rangèrent comme reptile carnassier marin. En plus de la "tête de grand animal de Maestricht", un autre ensemble d'ossements et de dents de Mosasaurus hoffmanni, appartenant à la collection personnelle de Petrus Camper et acheminé plus tardivement à Haarlem, a servi aux études menées par le célèbre géologue néerlandais W.C.H. Staring en vue de l'établissement de la carte géologique des Pays-Bas.

Le second exemplaire, extrait en 1770 de ce même gisement, fut récupéré par Faujas de Saint-Fond en 1795 - alors "Commissaire du Peuple" - pour le Jardin des Plantes.

2) Cinq fossiles factices ou "Lügenstein".

"Productions d'un imposteur, fabriqués dans le but de tromper un savant trop crédule, Johann Bartholomaeus Beringer professeur à l'université de Wurtzbourg" dont voici l'histoire :

Jean Barthélémy Adamy Beringer, médecin du Prince-Evêque de Wurtzbourg, et professeur à l'université [de cette ville] était un amateur passionné des curiosités naturelles. Il les amassait sans choix comme sans discernement, et mettait surtout un prix infini aux singularités et aux productions monstrueuses, dans la formation desquelles la nature semble avoir renversé ses lois. Cette disposition attirait sur lui le ridicule et donna l'envie à un ex-jésuite nommé Rodrick, qui faisait alors l'éducation des enfants de M. Deckart, professeur d'histoire à l'université de Wurtzbourg, de se moquer de sa crédulité. L'ex-jésuite fit sculpter en relief sur de la pierre des figures de toutes sortes d'animaux, et les fit présenter à M. Beringer qui les acheta et en encouragea la recherche. Le succès de la ruse en stimula l'auteur. Il composa et fit exécuter de nouvelles pétrifications, les plus baroques qu'il pût imaginer. C'étaient des chauve-souris avec des ailes et des têtes de papillons, des crabes ailés, des grenouilles, des araignées avec leur toile... Quand il y en avait un certain nombre de préparées, des jeunes gens auxquels on avait fait la leçon, les apportaient chez le professeur, en lui disant qu'ils les tiraient d'une montagne voisine du village d'Eibelstadt, à quelque distance de la ville, et se faisaient chèrement payer la peine et le temps qu'ils assuraient employer à cette recherche. De plus en plus satisfait de la facilité avec laquelle il se procurait tant de merveilles, M. Beringer témoigna un vif désir d'aller lui-même à la découverte, et les jeunes gens le conduisirent dans plusieurs endroits où on avait eu la précaution d'enfouir ces prétendues pétrifications. Enfin, quand il en eut formé une ample collection, il ne put résister au désir de la faire connaître au monde savant. Il se fût regardé comme coupable d'égoïsme, en réservant pour lui seul la jouissance de toutes ces richesses et il s'empressa de les offrir à l'admiration publique, en faisant graver sa collection en vingt et une planches, qu'il accompagna d'un texte explicatif en latin. Il ne livra cependant sa dissertation à l'impression qu'après avoir fait soutenir sur le même sujet, une thèse publique à un jeune étudiant, nommé George-Louis Hueber, à l'occasion de sa promotion au doctorat. Cette dissertation parut en 1726 à Wurtzbourg sous forme d'un in folio de 96 pages et 21 planches sous le nom du jeune docteur et avec le titre suivant : Lithographiae Wirceburgensis, ducentis lapidum figuratorum, apotiori insectiformium prodigiosis imaginïbus exornatal, Specimen primum.

A l'instant où M. Deckart fut informé de la publication de cette pièce ridicule, il éprouva beaucoup de regret que la plaisanterie eût été poussée aussi loin et il se hâta de faire prévenir son confrère du tour qu'on lui avait joué. Celui-ci mit, à retirer ceux des exemplaires de sa dissertation qui avaient été déjà distribués suivant l'usage, autant d'empressement qu'il en avait mis à la faire paraître. Ne pouvant se résoudre à les détruire, il les garda dans son cabinet. Après sa mort ils furent achetés par un libraire de Leipzig qui les fit paraître avec un nouveau frontispice sous le titre : Lithographiae Wirceburgensis editio secundo, Francfort et Leipsick 1767".

Leschevin a donné dans le Magasin Encyclopédique, 1808, T.6, p. 116-128, la description et l'histoire de ce livre qui avait aussi induit en erreur le rédacteur du catalogue de Faujas de Saint-Fond.

Dans la bibliothèque du musée Teyler se trouve un de ces exemplaires de 1726 avec l'épitre dédicatoire (devenus fort rares), provenant de la bibliothèque du voyageur français Lesson, et aussi l'édition de 1767 (Winkler, 1887).

3) Le fameux fossile d'Oehningen pris par Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733) pour un squelette humain, nommé Homo diluvii testis et theoscopos, - l'homme qui a vu le déluge et qui a vu Dieu - et décrit dans sa "Physica sacra".

En 1758, Gessner, en examinant un autre exemplaire de cette pétrification, fut le premier à mettre cette interprétation en doute. En 1787, Petrus Camper écrivait à ce même propos à Burtin une lettre insérée dans un mémoire de ce dernier sur les Révolutions de la Terre, et couronné par la deuxième Société teylerienne la même année. La conclusion à laquelle arrivait Camper à cette date était : "un lézard pétrifié a pu passer pour un antropolite".

En 1811, Georges Cuvier et son secrétaire Charles Léopold Laurillard visitant Haarlem, reconnaissaient en ce fossile célèbre une salamandre géante : batracien urodèle auquel Tschudi donna le nom d'Andrias Scheuchzeri. Deux dessins de ce fossile exécutés avant et après la visite de Cuvier sont conservés à la bibliothèque du Muséum national d'Histoire Naturelle.

4) Des modèles en plâtre d'ossements d'Anoplotherium de Montmartre exécutés par Achille Valenciennes.

5) Une collection de poissons fossiles actuellement mondialement réputée (Oehningen, Monte Bolca, Solnhofen, Eichstàtt).

6) Un exemplaire fragmentaire d'Archaeopteryx, sans doute acquis par Van Breda, le successeur de Van Marum. Considéré pendant près de 150 ans comme un ptérodactyle, ce fossile fut étudié par Ostrom en 1970. Il est actuellement reconnu comme le 5ème exemplaire d'Archaeopteryx au monde (Ostrom, 1970).

La collection de paléontologie s'enrichit surtout du temps de Jacob Van Breda (1788-1867) qui eut un droit de préemption sur les trouvailles de Solnhofen et d'Oehningen. T.C. Winkler (1822-1897) fit l'acquisition d'un squelette complet d'Ursus spelaeus Rosenmüller ; quant à Eugène Dubois découvreur de l'Homme de Java, il dota la collection de crânes et ossements d'Hominidés, ainsi que des fossiles trouvés dans le Plio-Pléistocène de Tegelen.

- La collection minéralogique :

1) Une collection de 12 000 échantillons provenant de divers gisements européens dont la plupart n'existent plus actuellement. Ils émanent des plus grandes célébrités scientifiques de l'époque (Escher von der Lindt, H.B. de Saussure, Gottlob Werner, Charpentier, Dolomieu, Haüy,...).

2) Un ensemble de 6 000 étiquettes écrites par les savants les plus réputés de l'époque (Goethe, Pallas, Saussure, Faujas, Dolomieu, Haüy,...).

3) Deux collections de modèles cristallographiques ; la première en biscuit, illustrant la Cristallographie de Rome de L'Isle (1736-1790), la seconde en bois, directement fournie et étiquetée par RJ. Haüy (1743-1822). Achetée en 1802, elle illustre dans son intégralité l'Atlas du traité de Minéralogie de Haüy (1801). Constituée de près de 700 formes conservées intactes, elle est actuellement la collection la plus complète au monde (Hooykaas, 1949).

4) Un plan en relief de la vallée de Chamonix construit par CF. Exchaquet à l'occasion de l'ascension victorieuse du Mont Blanc par H.B. Saussure en 1787 ; il est accompagné de gravures et manuscrits divers.

5) Cinquante ans après la mort de Van Marum, Winkler fit entrer dans la collection le dernier échantillon minéralogique : un beau groupe de cristaux d'antimonite du célèbre gisement de Ichinowaka sur l'île de Shikoku au Japon. Avec des prismes de 71 cm, cette cristallisation est actuellement connue comme la plus grande du monde.

Conclusion.

Contrairement à la plupart des collections du 18ème siècle qui ne purent conserver longtemps un intérêt qu'elles tenaient d'une vaine curiosité, voire même d'un certain dilettantisme, le Teyler's Muséum est actuellement l'une des rares institutions où se retrouve encore vivace le caractère encyclopédique du siècle des lumières.

Dans le domaine de l'histoire naturelle, le Teyler's Muséum occupe une situation unique. Fondé pour être un centre d'études, il s'illustra dès 1784 par des expériences sur l'électricité, des leçons publiques de chimie popularisant et introduisant aux Pays-Bas la chimie de Lavoisier, ainsi que par la mise en culture d'un jardin botanique auquel contribua largement André Thouin, directeur des Jardins du Roi à Paris. De ce fait, l'activité scientifique et intellectuelle se manifesta très tôt à Haarlem. Erudits de province et savants étrangers (Volta, Pfaff, Landriani, Faujas, ...) visitèrent le musée qui resta très actif, à la pointe de la connaissance scientifique, tout le temps pendant lequel il fut dirigé par Van Marum.

Une correspondance, partiellement publiée, de 3000 lettres échangées avec les plus grands savants du XVIIIème siècle (Volta, Monge, Lavoisier, Haüy, Cuvier, Werner, Goethe, De Luc, Burtin, ...), dans les domaines de la physique, de la chimie et de l'histoire naturelle constitue une source essentielle d'informations pour l'étude de l'histoire des sciences.

A la disparition de Van Marum, en 1837, le Musée se retrouva à la tête d'un cabinet de minéralogie-paléontologie assez conséquent dans lequel les échantillons minéralogiques occupaient une place au moins aussi importante que les fossiles. Cet équilibre fut modifié par les conservateurs ultérieurs. Peu enclins à l'étude du règne minéral, ceux-ci portèrent leurs efforts vers la paléontologie. Une conséquence d'un tel manque d'intérêt, a posteriori plus favorable que blâmable, fut la préservation des collections minéralogiques dans leur état initial. L'étude de ces collections, tant d'un point de vue historique que minéralogique, s'avère fort fructueuse et révèle quelques grandes tendances, sans doute communes à tous les cabinets de curiosités. A cette époque de savants universels, le manque de rationalité prédomine ; le fait marquant dans la conception des collections est l'absence de souci très organisé et de plan préconçu, tandis qu'une primauté est accordée à tout ce qui est rare ou supposé tel, surtout s'il provient d'un savant ayant une certaine notoriété. Sans échapper à ces tendances, Van Marum, avec une intuition surprenante, sut éviter la galerie de fossilis s.l. et doter son cabinet de pièces intéressantes qui témoignent de la découverte de nouveaux affleurements et des progrès de la minéralogie à la jonction des 18ème et 19ème siècles.