Jean-Martial BINEAU (1805-1855)

Son portrait au musée d'Angers
le représente portant
le frac bleu bordé d'or,
la ceinture jaune,
la culotte blanche
et le grand cordon de la Légion d'honneur,
l'épée au côté.

Né à Gennes (Maine et Loire) le 18/5/1805. Mort à Chatou, le 8/9/1855. Fils de Jean René BINEAU et de Adélaïde PAPOT.

Polytechnique (promotion 1824, entré major et sorti classé 5 sur 102 élèves), Ecole des Mines de Paris (entré 1er). Corps des mines.

Grand-croix de la Légion d'honneur du 4 février 1855.


Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III, pages 533 et suiv.

Né en 1805, BINEAU entra à l'École Polytechnique en 1824 et, en 1826, à l'Ecole des Mines. Il ne tarda pas à prendre une place éminente parmi les collaborateurs des Annales des Mines. Il y publia, sur les tourbes, sur les fours à puddler, etc., des travaux remarquables qui attirèrent l'attention des spécialistes.

Mais bientôt l'industrie des chemins de fer devint l'objet principal de ses études. Il ne faut pas oublier qu'il appartenait à la promotion de 1824 dont faisaient partie Michel Chevalier, Transon, E. Cazeaux, et autres futurs saint-simoniens. S'il resta à peu près complètement étranger aux préoccupations philosophiques et sociales de ses camarades, il put et dut être vivement frappé du rôle important, civilisateur, attribué par eux, notamment par Michel Chevalier, à la nouvelle industrie. Les chemins de fer n'existaient pas encore en France. Il alla donc habiter l'Angleterre pendant plusieurs années et en rapporta un Ouvrage, Les Chemins de fer anglais, qui le tira hors de pair.

Élu député d'Angers en 1841, il eut l'occasion de montrer la haute compétence qu'il avait laborieusement acquise en ces matières.

C'est dans cette période, de 1841 à 1848, en effet, que les Chambres abordèrent les grandes discussions sur les principes généraux de l'organisation des chemins de fer. Il y fut traité, pour la première fois, de la constitution des réseaux français, de la part que l'Etat et les Compagnies devaient prendre dans l'exploitation, etc. Dans ces débats, d'un caractère presque purement théorique, Bineau se posa en partisan résolu du développement du réseau français, mais d'un développement d'une allure assez lente pour ménager les ressources du Trésor. Déjà le financier perçait sous l'ingénieur.

En 1850, il fut nommé ministre des Travaux publics et trouva une occasion toute naturelle d'appliquer ses idées.

La crise si imprévue de 1848 avait porté un coup terrible au crédit des Compagnies qui ne savaient comment trouver les ressources nécessaires à la continuation des travaux en cours.

Bineau pensa que le meilleur moyen de relever ce crédit était de prolonger la durée des concessions, alors généralement très courtes (trente ans environ). Suivant sa propre expression, il fallait substituer un système qu'il formulait beaucoup de temps et peu d'argent au système peu de temps et beaucoup d'argent.

Cette prolongation de la durée des concessions avait aussi à ses yeux l'avantage de reculer dans un avenir lointain les velléités de rachat général des chemins de fer par l'Etat, rachat auquel il était résolument opposé.

Les idées que Bineau avait défendues dans ses projets relatifs aux lignes de Tours à Nantes, d'Orléans à Bordeaux, de Paris à Lyon et à Avignon, de Versailles à Rennes, ont été successivement appliquées à l'ensemble de nos voies ferrées.

Au coup d'Etat, il prit nettement parti pour Louis-Napoléon et fut nommé ministre des Finances (22 janvier 1852). Son administration fut signalée par deux grandes mesures qui lui assurent une place éminente dans notre histoire financière.

L'Etat était débiteur d'une somme de rentes 5 pour 100 qui paraissait alors considérable; ces rentes avaient été émises, pour la plus grande partie, dans les premières années de la Restauration pour faire face à l'arriéré de l'Empire et aux contributions de guerre de 1815. De 1824 à 1848, la conversion partielle avait été maintes fois proposée, mais toujours sans succès. La conversion facultative de M. de Villèle, en 1825, n'avait été qu'une demi-mesure très insuffisante.

Le 14 mars 1852, Bineau fit décréter cette grande opération sur les bases suivantes : les porteurs de rentes 5 pour 100 avaient le choix entre le remboursement au pair de leur capital ou la transformation de leurs titres en rente 4,50 pour 100, garantis pendant dix ans contre toute conversion ultérieure. Bien conçu, bien exécuté, ce plan réussit au delà de toute espérance, et les charges annuelles du Trésor furent allégées de 17 millions.

Je ne dirai pas que cette belle opération ne souleva point de résistances; sous le régime de 1852, l'opposition ne pouvait se manifester ni par les journaux, ni dans les Chambres, dont les débats n'étaient pas publics. Mais dans les salons, sous le manteau de la cheminée, on dirigea contre la conversion des rentes, mesure irréprochable en droit et en fait, les critiques habituelles, les critiques adressées à tous les ministres des Finances depuis M. de Villèle jusqu'à M. Rouvier, à chaque opération de cette nature.

Le premier essai d'emprunt national fit beaucoup plus de bruit. Jusque-là, depuis Louis XIV tout au moins et jusques et y compris Napoléon Ier, Louis XVIII, Louis-Philippe, c'était toujours avec de gros banquiers que l'Etat négociait les emprunts. C'est même dans cette nature d'opérations qu'il faut chercher la véritable origine de l'accroissement ou de la formation des grandes fortunes, déjà classées sous la Monarchie de juillet, des Rothschild, des Mallet, des Hottinguer, etc. Les commissions étaient naturellement fort élevées et, comme la concurrence était très limitée, il fallait subir les exigences, quelles qu'elles fussent, du haut baronage financier.

Forcé de faire face aux grandes dépenses qu'entraînait l'expédition de Crimée, Bineau eut l'idée vraiment géniale de s'adresser directement au public, à la bourse des électeurs du suffrage universel. Cette fois, des objections, très prudemment formulées, se produisirent dans les deux ou trois journaux qui avaient encore conservé jusqu'à un certain point le droit de parler. Les financiers, naturellement très opposés au nouveau système, prédisaient hautement un échec qui eût été des plus fâcheux. Bineau n'écouta rien, tint bon et le succès fut étourdissant, l'emprunt neuf ou dix fois couvert.

Cette manifestation inattendue des ressources financières de la France fit la plus grande impression au dedans et au dehors, et, par le fait, jamais emprunt peut-être n'entraîna moins de frais.

Les financiers, en effet, dociles comme ils le sont toujours aux leçons de l'expérience, jurèrent, un peu tard cette fois, qu'on ne les y prendrait plus. Dans tous les emprunts nationaux subséquents ils prélevèrent leur part, une part moins forte qu'autrefois d'ailleurs, et qu'ils pouvaient considérer d'ailleurs comme légitimement acquise par les garanties de réussite qu'ils apportaient à l'opération.

Le grand mérite de Bineau fut de saisir le moment psychologique où l'intérêt porté à nos braves soldats de Crimée, le grand mouvement de travaux publics en cours, la sécurité matérielle obtenue après tant de tourmentes, avaient porté au plus haut degré la confiance dans les ressources financières de la France.

Bineau ne survécut pas longtemps à son triomphe et mourut en 1855 à 50 ans. Le Crédit Foncier avait été fondé pendant son ministère.

Georges Guéroult
 



 

Résumé de la carrière de BINEAU :

Bineau (Jean-Martial), né à Gennes le 28 Floreal an XIII (18 mai 1805), mort à Chatou le 8 Septembre 1855, inspecteur général des mines, sénateur (27 mars 1852), fut aussi au cours de sa carrière : Député de Maine-et-Loire (1841) (élu par plus de 80 % des votants, inscrit à droite), Président du Conseil général, ministre des Finances, membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, Grand-Croix de la Légion d'honneur.

Sorti de l'Ecole Polytechnique, il était ingénieur en chef des Mines à 25 ans et fut chargé de la direction des chemins de fer au Ministère des Travaux publics. Elu député d'Angers (2eme circonscription) en 1841 (tout en conservant, suivant l'usage du temps, ses fonctions administratives du contrôle central des chemins de fer au Ministère des Travaux publics), puis à la Constituante de 1848, représentant de Maine-et-Loire, il se prononça pour la politique de l'Elysée.
Réélu à la Législative l'année suivante, il prit le portefeuille des Travaux publics le 31 octobre 1849 et le conserva jusqu'au 9 janvier 1851. Le 16 janvier 1851, il était promu commandeur de la Légion d'honneur, et en décembre de la même année, inspecteur général de 2ème classe. Après le coup d'Etat du 2 décembre, il fut nommé membre de la Commission consultative et reçut le 22 janvier 1852 le portefeuille des finances, qu'il détenait au moment de sa mort. Il obtient un fauteuil de sénateur peu avant sa mort.

Il fut également professeur d'Economie générale et de statistique à l'Ecole d'administration en 1848.

Mars-avril-mai 1848 : tout bouge très vite

Arrêté du ministre du 20 mars 1848 : Considérant que l'institution des commissaires du Gouvernement près les compagnies de chemins de fer, telle qu'elle existe aujourd'hui, n'est pas dans les conditions de hiérarchie qui doivent régir toutes les branches de l'administration publique, que le nombre des commissaires excède les besoins du service, et que le morcellement des attributions ne permet pas de réunir et de coordonner avec méthode les documents statistiques concernant l'exploitation commerciale des chemins de fer; Arrête :

Art. 1er. Les commissaires royaux près les compagnies de chemins de fer sont supprimés.

Art. 2. La surveillance de l'exploitation commerciale des chemins de fer et des opérations financières des compagnies sera confiée à des agents qui prendront le nom d'inspecteurs de l'exploitation commerciale.

(suit la description de l'organisation du nouveau service d'inspection)

Par décision du ministre des travaux publics du 29 février 1848, M. Bineau, ingénieur en chef des mines, est autorisé à accepter le titre de conseil d'art de la compagnie des fonderies et forges de la Loire et de l'Ardèche.

Arrêté du ministre du 22 mars 1848 : M. Bineau, ingénieur en chef des mines de 2e classe, est élevé à la première classe de son grade.

Décret du Gouvernement provisoire, du 30 mars 1848.

Le Gouvernement provisoire,

Considérant que des difficultés graves se sont élevées dans le service des compagnies des chemins de fer d'Orléans et du Centre, et que ces difficultés, si elles s'aggravaient, pourraient avoir pour résultat d'interrompre la circulation ;

Considérant que l'intérêt public, notamment les services des postes et l'approvisionnement de Paris, exigent des mesures promptes et énergiques ;

Arrête :

Art. 1er. Les citoyens Bineau, ingénieur en chef des mines, et Didion, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées, sont nommés commissaires extraordinaires du Gouvernement près les chemins de fer d'Orléans et du Centre.

Art. 2. Ils sont autorisés à prendre toutes les mesures qu'ils jugeront convenables pour assurer l'exploitation et la libre circulation de ces chemins.

Art. 3. Le directeur et tous les employés desdits chemins de fer seront tenus d'obtempérer aux ordres desdits commissaires et à tous les arrêtés qu'ils jugeront à propos de prendre dans l'intérêt de la mission qui leur est confiée.

Décret du Gouvernement provisoire, du 4 avril 1848.

Le Gouvernement provisoire,

Vu le décret du 30 mars 1848 , par lequel les citoyens Bineau et Didion ont été nommés commissaires extraordinaires près les chemins de fer d'Orléans et du Centre ;

Considérant qu'il est établi que les compagnies de ces deux chemins n'ont plus aujourd'hui un pouvoir suffisant pour assurer le service des transports;

Considérant que, dans cet état de choses, il est du droit et du devoir du Gouvernement de prendre provisoirement l'administration et l'exploitation de ces deux chemins, toute réserve faite d'ailleurs des droits et des intérêts des action naires et des tiers ;

Sur la proposition du ministre des travaux publics,

Décrète :

Art. 1er. Les chemins de fer de Paris à Orléans et du Centre sont placés sous séquestre.

Ils seront administrés et exploités sous la direction du ministre des travaux publics.

Art. 2. Le citoyen Sauvage, ingénieur des mines, est nommé administrateur des deux chemins ; il y exercera ses pouvoirs sous l'inspection des citoyens Didion, inspecteur divisionnaire des ponts-et-chaussées , et Bineau, ingénieur en chef des mines.

Art. 3. A dater de ce jour, tous les produits directs et indirects des deux chemins seront perçus, nonobstant toutes oppositions ou saisies-arrêts, et seront appliqués à tous les besoins de l'entreprise.

Arrêté du Gouvernement provisoire, en date du 1er avril 1848 : Ont été nommés professeurs à l'École d'administration instituée par un arrêté du même jour, savoir : droit politique français et droit politique comparé, M. Jean Reynaud, ingénieur des mines; économie générale et statistique des mines, usines, arts et manufactures, M. Bineau, ingénieur en chef des mines.

Décision du ministre, du 31 mai 1848 : M. Piérard, ingénieur ordinaire des mines, est chargé, sous les ordres de M. Bineau, de la vérification et de la réception des matériels de chemin de fer de Paris à Strasbourg et de Paris à Lyon.